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La N-VA à la conquête de l’hégémonie culturelle

Herwig Lerouge

—21 juin 2019

Le départ de la N-VA du gouvernement Michel a enfin révélé le vrai visage du parti et sa manière de préparer la droitisation des esprits en Flandre.

L’affaire du pacte sur les migrations de l’ONU a mis en lumière les accointances pour le moins douteuses de la N-VA, qui s’est rangée du côté des cinq seuls États membres des Nations unies sur 193 ayant rejeté le pacte (États-Unis, Israël, Pologne, Hongrie et Tchéquie). La N-VA s’est délibérément engagée dans la campagne internationale d’extrême droite contre le pacte, campagne orchestrée par Steve Bannon, ancien bras droit de Donald Trump, première campagne menée de concert par les partis d’extrême droite européens. Steve Bannon compte sur une telle stratégie pour gagner un tiers des sièges au Parlement européen au lendemain des élections de 2019.

Cette campagne marque l’émergence d’un projet de société nationaliste, xénophobe, antidémocratique et élitiste, caractérisé par la recrudescence du racisme, d’attaques contre les droits de l’homme, de sabotage des syndicats et autres organisations de la société civile; mais aussi par l’appel à un État autoritaire et par l’allergie à tout l’héritage des luttes antifascistes et de Mai 68. Dans cet article, nous examinerons le rôle clé que la N-VA joue en Flandre dans ce processus de droitisation et de fascisation des esprits et de la société.

Fascisation

L’origine du terme «fascisation» (Fachisierung) remonte aux années1920. Le juriste Franz Neumann, réputé internationalement pour ses analyses sur la montée du nazisme, l’a défini comme un processus reposant sur la mise en œuvre de mesures autoritaires et de lois répressives, et sur l’émergence d’idées racistes, dont la conjonction a empoisonné le climat politique en Allemagne et a préparé le pays à l’accession au pouvoir de Hitler en 19331. Avant cette prise de pouvoir, l’Allemagne n’est déjà plus un État parlementaire normal mais une dictature présidentielle. En 1930, le gouvernement minoritaire de Heinrich Brüning dote le président de pouvoirs spéciaux. En 1931, le gouvernement abroge les conventions collectives existantes, abolit le droit de grève et reporte les élections sociales. Une nouvelle loi rend possible l’interdiction du parti communiste allemand, et les bourgmestres communistes sont officiellement démis de leurs fonctions. La propagande de Hitler, la haine et les agressions de ses partisans contre communistes et juifs sont, elles, admises. Neumann conclut: «La révolution nazie a été largement ren­due possible par l’avènement d’un anti-État toléré par l’État démocratique. [Et cet anti-État] a vu le jour pour anéantir la démocratie.»

Pour gagner le soutien des électeurs, la N-VA justifie sa vision ethnique, tout comme le Belang, par un souci de préserver la sécurité sociale.

Le processus décrit par Neumann est on ne peut plus actuel: aujourd’hui, nous sommes effectivement face à un double processus, consistant, d’une part, à détricoter les acquis démocratiques et sociaux les uns après les autres et, d’autre part, à rallier pas à pas l’opinion publique aux idées de la droite extrême.

C’est exactement l’option choisie par la N-VA. «Celui qui veut faire passer ses idées doit essayer d’imposer son langage politique à son adversaire. C’est impossible si vous utilisez des termes qui vous poussent immédiatement sur la défensive. On attrape les mouches avec du miel, pas avec du vinaigre», déclarait le jeune De Wever2. Son but? Imposer aussi rapidement que possible son hégémonie culturelle à la Flandre. Une bonne partie de ce que le Vlaams Blok fasciste était seul à proférer dans les années 1990 est désormais présentée comme une vérité grâce au travail de fond de la N-VA. Sous un nouvel emballage et des termes plus présentables, elle vend le même contenu sous le nom de «droite réaliste». Et désormais, de nombreux adversaires et faiseurs d’opinions politiques utilisent le vocabulaire de la N-VA.

Attiser le racisme

Qu’est-ce qui a poussé la N-VA à s’opposer avec tant de véhémence au pacte sur les migrations? Pourquoi les nationalistes flamands ont-ils trouvé que cette question justifiait une crise gouvernementale? Était-ce une manœuvre tactique destinée à endiguer l’hémorragie du parti vers le Vlaams Belang? Ou y a-t-il des motifs plus profonds, comme le laisse craindre la campagne en ligne de la N-VA dans le plus pur style Vlaams Blok? En fait, ces deux hypothèses ne sont pas incompatibles.

Début 2014, Liesbeth Homans, Theo Franken et Bart De Wever ont accueilli au sein de leur parti cinquante mandataires Vlaams Belang qui n’avaient pas tous –loin s’en faut– tout renié des 70 points3 du programme du Vlaams Blok. Si, en juillet 2010, Karim Van Overmeire a tourné le dos au Belang, ce n’est pas pour des raisons de contenu, mais bien de volonté de pouvoir. Les élections de juin 2009 l’avaient en effet amené à la conclusion que ce parti se trouvait dans une impasse. Il écrit alors: «Nous devons réfléchir à la manière dont nous présentons notre programme vers l’extérieur. Par contre, le programme en lui-même n’est pas à remettre en question4

Depuis quelques années, le discours de la N-VA à l’encontre des migrants se veut de plus en plus raciste et négatif. Des personnalités N-VA en vue stigmatisent sans cesse davantage les minorités ethniques et minimisent les discriminations. Liesbeth Homans a été la première à qualifier le racisme de «notion relative» employée par des citoyens se disant discriminés comme «excuse pour justifier leurs échecs personnels». Theo Francken, quant à lui, opère une distinction entre les «bons» et les «mauvais» migrants (à savoir les riches et les pauvres) et estime que «notre pays en accueille trop du second type». Dans toute sa campagne, la N-VA a non seulement repris les images de l’extrême droite, mais aussi les mensonges éhontés du Belang au sujet de la migration.

Il est devenu impossible de distinguer certains mandataires et membres de la N-VA de ceux de l’organisation d’extrême droite Schild en Vrienden, qui se sont fait prendre en flagrant délit de racisme le plus répugnant. Un reportage diffusé par le magazine télévisé Pano a fortement secoué la Flandre. On y voit des membres de Schild en Vrienden échanger des caricatures racistes et sexistes ultra-violentes, poser avec des armes prohibées et participer à des exercices de tir à l’étranger. Le fondateur du mouvement, Dries Van Langenhove, y annonce quant à lui le «jour de la violence». Plus d’une vingtaine de membres de l’organisation assumaient des fonctions au sein de la N-VA ou se présentaient sur ses listes aux élections communales.

Le bouc émissaire wallon d’hier a été remplacé par les migrants.

Bien entendu, les cadors de la N-VA se sont empressés d’exprimer publiquement leur horreur suite à ces révélations… tout en continuant de laisser faire. De Wever: «La différence [par rapport au Vlaams Belang], c’est que nous jugeons que la politique migratoire en Europe est défaillante, mais que nous ne voulons pas que le ressentiment soit dirigé sur les migrants5.» Le fait de rebaptiser en «pacte de Marrakech» le pacte sur les migrations et en «coalition de Marrakech» le reste du gouvernement après le départ de la N-VA illustre bien la manière dont les nationalistes flamands présentent l’immigration musulmane, à savoir comme une menace.

Le philosophe Thomas Decreus a bien décrit la tactique de la N-VA: «Il est frappant de constater que la N-VA, tout comme le Vlaams Belang, fait constamment l’amalgame entre musulmans, migrants, réfugiés, criminels et combattants de l’État islamique. […] Theo Francken et Bart De Wever ont assimilé les migrants installés au parc Maximilien à des djihadistes. En matière de racisme, la N-VA joue un double jeu, caressant son électorat d’extrême droite dans le sens du poil tout en satisfaisant aussi ses sympathisants plus modérés. Cette stratégie est catastrophique pour la société puisqu’elle légitime et stimule le racisme le plus nauséabond qui soit. Le racisme de l’establishment N-VA est véhiculé par des personnalités politiques qui s’entourent d’experts en communication et savent très bien jusqu’où elles peuvent aller, contrairement à ceux qui viennent déverser leur haine raciste sur les réseaux sociaux, et font, eux, office de chair à canon pour le racisme en col blanc. Ces gens sont l’instrument qui permet à un parti tel que la N-VA de légitimer son propre racisme, ils sont aussi les premiers sacrifiés lorsque ce racisme devient trop explicite et extrême6

Pour le Vlaams Belang, le pacte sur les migrations entraînera immédiatement de nouveaux flux migratoires incontrôlables7. La NV-A tient exactement le même discours dans sa campagne et estime que: «C’est le rêve du lobby des frontières ouvertes. Faire de la régularisation un droit ne fera qu’encourager la migration et le séjour illégaux8.» De Wever affirme encore: «Toute personne capable de franchir des milliers de kilomètres depuis l’Afrique de l’Est pour entrer dans un État-providence d’Europe occidentale peut être dans une pauvreté extrême, mais pas dans une détresse aiguë. Il y a 37 millions de Soudanais qui souhaiteraient certainement une vie meilleure. Avons-nous l’obligation morale d’accueillir ces 37 millions de Soudanais9 ?» À l’instar du Belang, la N-VA attise la peur d’une islamisation de l’Occident en argumentant que «le pacte sur les migrations accorde la priorité à la préservation de la culture des migrants.»

Pour s’assurer le soutien d’une masse électorale, De Wever manifeste, tout comme le Belang, une inquiétude aussi étonnante que récente pour la sécurité sociale des Flamands. Le bouc émissaire wallon d’hier a été remplacé par les migrants. «En tant que garant de notre sécurité sociale, notre parti fait tout pour placer ce pacte suicidaire là où il doit être, à la poubelle», déclarait le président du Vlaams Belang. Traduction par la N-VA: «Le pacte sur les migrations de l’ONU accordera à tout le monde, y compris aux immigrés clandestins, l’accès à des droits sociaux.»Selon elle, la gauche doit choisir entre «des frontières ouvertes» et la survie de la sécurité sociale. Nous sommes là non seulement face à des mensonges10 mais aussi face à une malhonnêteté et une hypocrisie du pire acabit. En tant que membre du gouvernement, la N-VA a, en quatre ans, dégraissé le budget de la sécurité sociale de 1,7 milliard d’euros. Le tax-shift, mesure favorable aux grandes entreprises, l’a plombé de 2 milliards. Selon les calculs du FMI, le coût total de l’accueil des réfugiés, à son pic, en 2015, représentait à peine 0,09 % du PIB de la Belgique. Tout compris. Les réfugiés ne perçoivent pas plus de 0,1 % du montant total de nos allocations familiales et apportent bien plus à la sécurité sociale qu’ils n’en tirent d’avantages. Ainsi, une étude réalisée en 2013 par l’OCDE révèle que les migrations ont un effet positif sur l’équilibre fiscal.

Une nation ethnique avec une identité fondamentale

L’apparente préoccupation de la N-VA pour notre sécurité sociale masque en fait un programme nationaliste d’extrême droite visant à préserver la pureté ethnique de la Flandre. Que ce soit en matière d’immigration, d’intégration ou encore de sécurité sociale, De Wever mène avant tout un combat nationaliste inspiré des théories d’Edmund Burke, qu’il cite régulièrement comme son philosophe favori. Burke est depuis 200 ans une source d’inspiration pour l’extrême droite et les fascistes de tous bords. Cet homme d’État britannique qui vécut au 18e siècle, farouche opposant à la Révolution française, est considéré comme le père du conservatisme. Il vénère les traditions et tout ce qui différencie et divise les individus: leur histoire, leur culture et leur langue. Dans son livre De ideologie van de N-VA, Ico Maly dépeint minutieusement les similitudes entre la vision de la nation et du nationalisme selon la N-VA et celle de Burke11.

Selon Burke, la nation, ses institutions et ses règles sociétales sont le fruit d’une longue évolution historique. La nation, c’est l’ordre naturel. Une morale et une base culturelle communes sont les conditions indispensables à l’émergence d’une société harmonieuse, authentique et forte dont la survie dépend de l’homogénéité. Les droits individuels sont secondaires par rapport à ceux de la nation, considérée comme sacrée. Pour les conservateurs, un monde idéal est un monde composé de nations homogènes sur le plan ethnique et culturel. De Wever, tout comme ses partisans, considère la nation flamande comme un organisme objectif, un «tissu précieux» (du nom d’un de ses livres, Het Kostbare Weefsel12) composé de valeurs et d’un socle moral et culturel forgés au fil de l’histoire.

C’est ainsi que la N-VA estime que les nouveaux arrivants doivent se plier à l’hégémonie des Flamands authentiques, s’assimiler et se soumettre à la primauté d’une nation formée d’une population homogène sur le plan culturel. «La N-VA n’a aucun complexe à faire de l’identité flamande un instrument majeur pour quiconque souhaite faire partie de notre société et souhaite mettre toutes les chances de son côté pour s’épanouir en tant qu’être humain et citoyen», écrit De Wever13. Quelles sont les caractéristiques de cette identité flamande? Si la langue en est naturellement un élément clé, parler le néerlandais correctement ne suffit pas. Il faut également adopter les points de vue d’un nationaliste flamand. Un belgicain ou un défenseur du multiculturalisme ne peut être considéré comme un bon Flamand, pas plus que le syndicaliste ou la personne de gauche. Vu qu’il s’agit de respecter l’organisation de la société bâtie au fil du temps, ses traditions et ses institutions, les défenseurs d’une lutte sociale visant l’émancipation et l’égalité du peuple travailleur sont par définition des opposants qui divisent la nation et déstabilisent l’élite historique.

La N-VA et le Vlaams Belang partagent la même conception d’une nation ethnique et harmonieuse où tout Flamand de souche fait partie de la nation par son origine et la tradition. Le Vlaams Belang, toutefois, met l’accent sur des éléments ethnoculturels inaliénables, ce que la N-VA, soucieuse de se démarquer, qualifie de «nationalisme fermé», alors qu’elle-même défendrait, selon son président, un nationalisme novateur, humanitaire, moderne, «inclusif» et «ouvert». Un «nationalisme civil» inscrit dans la citoyenneté, basé sur des éléments civils et culturels que chacun pourrait s’approprier s’il souhaitait s’intégrer.

Le philosophe favori de Bart De Wever, Edmund Burke, est depuis 200 ans une source d’inspiration pour l’extrême droite.

Le parti fait ainsi mine de s’inscrire dans la tradition des Lumières, dont il est bien éloigné. Les Lumières ont donné une définition rationnelle de la nation: groupe conséquent de personnes qui vivent de leur propre chef dans une région délimitée par des frontières, sous un même gouvernement et pour lequel la morale découle de la loi, du contrat social que les individus concluent entre eux. Pour eux, l’individu devient membre de la nation en souscrivant à ses lois. Et la nation est placée sous le signe de la démocratie, des droits de l’homme et de l’universalité. Au contraire, pour De Wever, c’est la morale nationale qui détermine la loi. Et la nation «civile» est en fait la nation «ethnique» dont l’identité fondamentale est la communauté flamande, qui puise sa continuité de la tradition. L’ordre moral de cette nation organique ne se discute pas, il s’impose, et les nouveaux arrivants doivent s’y conformer. Dans les faits, le nationalisme civil de la N-VA rejoint le célèbre slogan du Vlaams Blok/Belang: «s’adapter ou se barrer» (aanpassen of opkrassen). De Wever verse son vinaigre —son racisme et sa nation ethnique— dans un joli pot de miel, instrumentalisant les valeurs des Lumières pour en faire une sorte de patrimoine appartenant à un nous, qui seraient les Occidentaux et les Flamands. Dans cette logique, nous sommes par définition les Lumières, contrairement à eux (les musulmans), raison pour laquelle il entend davantage «exposer les nouveaux arrivants aux Lumières14».

Son hypocrite préoccupation pour la sécurité sociale dissimule un nationalisme ethnoculturel. Pour lui, seule la nation flamande est légitime et donc seuls les «vrais» Flamands ont droit à la solidarité. «L’histoire nous rattache les uns aux autres, formant un groupe qui nous relie par la langue et un modèle culturel. C’est le contexte dans lequel nous organisons une solidarité implicite entre nous et sommes en mesure d’affronter le monde. Les frontières marquent non seulement notre démocratie et notre citoyenneté, mais aussi notre solidarité implicite15.» Une manière polie de dire «Notre peuple d’abord».

Attaque contre les droits de l’homme

Le caractère «universel» des droits de l’homme, mis en œuvre au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale grâce à la lutte contre le fascisme, signifie qu’ils sont essentiels au point de primer partout. Et sur tout: culture dominante, histoire et traditions, climat, spécificités géographiques, régime politique, bref tout ce qui n’est pas «universel»16. Le Vlaams Belang voit les choses tout autrement. Depuis 2004, il exprime peu son opinion sur ce sujet de peur de perdre sa dotation, mais avant cela, Filip Dewinter, son dirigeant, avait été très clair: «En ce qui me concerne, la Convention des droits de l’homme passe après le principe “Notre peuple d’abord”. Le reste n’est que balivernes et inepties17.» Aujourd’hui, la N-VA reprend ouvertement ces idées, autrefois défendues par le Belang.

La politique du push them back (repousser les réfugiés) en est un bon exemple. Renvoyer un demandeur d’asile dans son pays d’origine, avant qu’il n’ait pu demander l’asile, est une violation de la Convention de Genève sur les réfugiés, de l’Accord de Schengen et de la Convention européenne des droits de l’homme. En 2015, le Belang reprochait encore à Theo Francken «d’être un pantin de l’UE qui, au lieu d’appliquer une politique du push them back, se contente de gérer des centres d’accueil pour réfugiés et de créer de nouvelles places18.» Pour le Belang, il fallait revoir la Convention de Genève, sous prétexte qu’elle avait vu le jour à une époque où les demandeurs d’asile étaient moins nombreux. La même année, De Wever critiquait la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui avait déclaré illégale la politique de refoulement en mer, dans la mesure où les réfugiés arrivant par bateau n’avaient pas eu la possibilité de formuler une demande d’asile. En 2018, Theo Francken s’alignait sur le point de vue exprimé par Dewinter en 2015 et défendait une politique de refoulement inspirée du push them back australien, pourtant déjà condamnée comme étant une violation des droits de l’homme.

Le même Theo Francken n’a pas hésité à renvoyer chez eux des migrants soudanais, avec l’aide des services secrets soudanais, tristement célèbres pour la persécution des opposants politiques. Le Haut-commissariat aux réfugiés et apatrides, dans une note confidentielle, a qualifié cette mesure de violation de l’article 3 de la CEDH, qui stipule que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

«Beaucoup de vos propositions vont à l’encontre de la Convention de Genève. Ce ne sera jamais acceptable pour nous.» Telle était la réponse de De Wever à Dewinter, dans l’émission de la VRT De Zevende Dag, le 9 septembre 2012, alors que ce dernier souhaitait limiter l’accueil des réfugiés à ceux qui venaient du même continent, arguant: «Les réfugiés doivent être accueillis sur leur continent d’origine! Un Africain en Afrique, un Asiatique en Asie.» Trois ans plus tard, lors d’une leçon inaugurale à l’Université de Gand19, De Wever semblait beaucoup plus proche du Belang: «On devrait pouvoir parler de la Convention de Genève». Et il plaidait en faveur d’une «politique avec des efforts européens pour contenir les réfugiés dans leur propre région et avec des frontières fermées». Tout comme Dewinter en 2012, il considérait que les droits de l’homme tels que les envisage la Convention de Genève ne sont plus en phase avec notre époque.

Conformément à la tradition burkéenne, la N-VA considère que la démocratie se base sur l’identité et sur une communauté historique.

Conservateurs et fascistes sont attirés par Burke, qui remet en question l’universalité des droits de l’homme, s’oppose au principe d’égalité et considère qu’il est contre nature de donner aux classes inférieures voix au chapitre en matière de politique: «Être coiffeur ou fabricant de bougies ne peut faire honneur à personne —sans parler d’un certain nombre d’autres emplois encore plus misérables. […] Si on permet à ce genre de personnes de gouverner, individuellement ou collectivement, l’État en souffrira. En permettant cela, vous pensez combattre les préjugés, mais vous êtes en guerre avec l’ordre naturel des choses20

Burke a formulé une critique frontale à l’encontre du concept universel de l’humain reposant sur le principe d’égalité entre toutes et tous. À ce sujet, le philosophe Domenico Losurdo dit: «Burke essaye de déconstruire le concept universel d’homme de deux façons. D’abord en disant qu’il n’y a pas de sens à parler des droits de l’homme en tant que tels: il dit qu’il préfère parler des droits de l’Anglais. En second lieu, au plan international, il oppose les peuples civilisés aux peuples barbares. L’idéologue Spengler, grand inspirateur des nazis, admirait Burke. Quant aux raisons politiques de la popularité d’Edmund Burke dans l’Allemagne nazie, c’est Spengler qui en fournit la meilleure explication, en louant Burke d’avoir déconstruit la figure de l’homme en tant que tel. L’humanité, dit-il, c’est soit un concept zoologique, soit un mot vide21.» Pour Burke, les principes abstraits, tels que la formulation de droits naturels, entraînent une perte d’autorité des institutions établies, dans la mesure où de tels principes sont déconnectés du droit coutumier et des traditions acquises au fil du temps au sein de la communauté. Avec pour conséquences, l’anarchie et le chaos.

Cette vision très conditionnelle des droits universels, indépendante des circonstances historiques du moment, est l’essence même de la notion burkéenne des droits et des libertés. Il croyait à des droits octroyés aux citoyens par la société, mais pas aux droits de l’homme universels: la démocratie et les valeurs de liberté et d’égalité défendues par les Lumières sont subordonnées à la société dans son évolution historique. Au 19e siècle, l’esclavagiste et vice-président américain Calhoun citait explicitement Burke pour justifier le maintien de l’esclavage, supposé préserver la moralité des noirs autant que des blancs. Calhoun refusait d’abolir totalement l’esclavage sous prétexte qu’un tel changement, révolutionnaire, serait dangereux et mettrait en péril la stabilité de l’ordre social organique. Burke appliquait ce même principe au droit de vote. Au 19e siècle, le vote censitaire était une institution historique basée sur une inégalité fondamentale entre les nobles et les grands bourgeois, d’une part, et les classes défavorisées, d’autre part. Les travailleurs formaient une couche sociale dont Burke estimait l’humanité contestable. Considérés comme une voie médiane entre la bête et «l’outil», ils consacraient leur vie à la production matérielle, et le but naturel de leur existence, comme dans la pensée de Nietzsche, consistait à se mettre au service de la société. Leurs enfants n’avaient pas besoin d’éducation; ils représentaient uniquement une main-d’œuvre bon marché. Déshumanisés, ignorants, ils étaient supposés incapables de se maîtriser et devaient, dès lors, être dirigés par leurs maîtres. Leur octroyer le droit de vote apparaissait comme absurde et catastrophique. Seule une dictature était en mesure de préserver la propriété privée et les bases mêmes de la civilisation occidentale des masses incultes. Les partisans de la tradition des Lumières et des droits de l’homme, notamment les socialistes de l’époque, se sont élevés, avec succès, contre cette «communauté de valeurs historique» du 19e siècle, malgré les discours apocalyptiques des défenseurs de l’ordre établi.

Dans la tradition burkéenne, les nationalistes de la N-VA estiment que la démocratie ne se base pas sur un principe d’égalité, ni sur des lois ou des droits de l’homme, mais sur l’identité, sur une société historique (en l’occurrence la nation flamande avec son «précieux tissu de valeurs exploitables») et sur un consensus social au sein de la nation. Dans cet ordre d’idées, les règles de droit européennes et internationales doivent s’adapter à «un consensus social évolutif» et non l’inverse. Le consensus ne doit donc pas s’adapter aux lois, pas plus qu’à la Convention de Genève. La «communauté flamande organique» n’accepterait pas ces Conventions.

Un pouvoir fort

La séparation des pouvoirs est un principe démocratique que la N-VA tente systématiquement d’ébranler. Jan Jambon, ancien ministre de la Sécurité et de l’Intérieur (l’ajout du mot sécurité à l’intitulé de ce ministère date de l’arrivée de la N-VA au gouvernement) avait à cet égard un faible pour l’état d’urgence. En 2016, à l’apogée de la menace terroriste, la N-VA a voulu que l’état d’urgence puisse être décrété en cas de «problème persistant de terrorisme intérieur et d’attentats terroristes venus de l’extérieur», face à la menace de l’EI mais aussi face à d’autres «calamités susceptibles d’avoir des conséquences destructrices sur la sécurité et l’ordre publics, ainsi que sur la cohésion sociale». Pour Jambon, on n’était pas alors face à une «guerre classique», mais tout de même face à une «situation de guerre». «Si l’ennemi ne respecte pas les règles du jeu, nous devons adapter nos lois à la nouvelle situation», indiquait le plan de sécurité de la N-VA. Si l’état d’urgence est décrété, un Conseil national de sécurité doit alors pouvoir faire intervenir l’armée, interdire les rassemblements publics, contrôler les frontières intérieures, assigner des individus à résidence et imposer des perquisitions administratives. La détention préventive de personnes sur lesquelles il y a une «présomption sérieuse qu’elles représentent un danger pour la sécurité et l’ordre publics» doit également être possible. La notion de «calamités susceptibles d’avoir des conséquences destructrices sur la sécurité et l’ordre publics, ainsi que sur la cohésion sociale» est extrêmement souple et peut permettre d’assigner à résidence des militants syndicalistes, par exemple, sans mandat judiciaire. Le rôle du juge se limite «à évaluer si le pouvoir exécutif a respecté le droit à être entendu, à évaluer a posteriori la nécessité, proportionnalité, efficacité et motivation suffisante» de la mesure.

La N-VA instrumentalise les attentats terroristes pour démolir l’État de droit.

Il s’agit là de dispositions extrêmes. La N-VA instrumentalise les attentats pour affaiblir l’État de droit, dont la séparation des pouvoirs est un principe fondamental depuis la Révolution française. Le pouvoir judiciaire doit protéger le citoyen de toute forme d’arbitraire et offrir un contrepoids au pouvoir exécutif. Sinon, le monde politique, la police et les services de renseignements seraient en mesure d’emprisonner quelqu’un sur base de simples informations, sans la moindre preuve. C’est contraire au principe même de la démocratie dans laquelle une atteinte aux libertés individuelles ne peut s’envisager de façon arbitraire et sans respecter certaines règles.

Au niveau local, la N-VA considère que les bourgmestres doivent pouvoir demander certains devoirs d’enquête directement au ministère public sans passer par un juge d’instruction. Elle veut également autoriser la police à perquisitionner le domicile d’étrangers qui ne seraient pas en mesure de prouver leur identité, sans obtenir au préalable de mandat de perquisition ou l’assentiment de la personne concernée. Elle veut aussi, dans ce cas, renoncer à toute intervention d’un juge qui examinerait si la suspicion d’illégalité de séjour de cette personne est fondée. Enfin, son plan prévoit aussi de sanctionner et d’incarcérer «des individus dont nous savons qu’ils sont des sympathisants actifs, qui n’ont jusqu’alors commis aucun acte illégal, mais dont on ne peut exclure qu’ils le fassent demain».

Tout ce plan vise à affaiblir le pouvoir judiciaire au profit des autorités exécutives et des services secrets qui disposeraient alors d’un pouvoir incontrôlable. Le mépris de la justice se fait toujours plus systématique, comme le démontre notamment la campagne des nationalistes flamands contre les juges qu’ils accusent de «vivre en dehors de la réalité». Theo Francken fait tout pour passer outre les décisions judiciaires. Pour lui, la séparation des pouvoirs n’est pas un principe démocratique mais un obstacle à sa politique.

La N-VA n’aime pas une société civile émancipatrice

Pour De Wever, le principe de «primauté de la politique» signifie que le rôle du citoyen se limite à remplir un bulletin de vote. Selon lui, la majorité a carte blanche: elle a le droit de gouverner sans opposition, sans place pour la société civile et, encore moins, pour des actions syndicales.

Tous les acquis sociaux importants de notre pays ont été obtenus par de grands mouvements sociaux, principalement menés par des syndicats. Les détenteurs du pouvoir établi goûtent assez peu cette force démocratique. Selon les nationalistes flamands, tout comme dans la tradition corporatiste d’extrême droite, il ne doit y avoir que des syndicats maison, travaillant en bonne collaboration avec la direction de l’entreprise avec qui ils veillent à la compétitivité. Les organisations qui défendent les intérêts collectifs des travailleurs doivent disparaître.

Au sein du gouvernement Michel, la N-VA s’est associée aux libéraux pour prendre des mesures contre le droit de grève en instaurant le service minimum dans les transports en commun et dans les prisons. Elle veut pouvoir mettre en place des règles qui «responsabilisent» les syndicats, en d’autres termes qui permettent de les condamner en cas d’incidents lors d’une grève ou d’une action, ce qui n’est rien d’autre qu’une manœuvre destinée à vider les caisses de grève… et une aubaine pour les employeurs. Elle entend conférer aux syndicats une «personnalité juridique», mais aussi réformer de fond en comble le dialogue social et les structures consultatives au sein de la sécurité sociale qui laisseraient prétendument trop de pouvoir aux organisations de travailleurs.

Outre les syndicats, Mai 68 est une autre cible favorite de la N-VA et de l’extrême droite. Lors de la vague de démocratisation de Mai 68 et des années 1970, de nouvelles initiatives ont surgi de la base de la société. Les comités de quartier, collectifs de médecins, maisons de jeunes, fronts culturels, organisations féministes, mouvements pacifistes, antiracistes et de défense de l’environnement, comités d’action étaient autant de sources de créativité démocratique. C’est aussi à cette époque qu’ont été mises sur pied les associations d’usagers et de consommateurs. Cette société civile, vaste et diversifiée, est une part importante et indispensable de la vie démocratique. C’est à ce niveau que des mouvements sociaux s’organisent afin d’être en mesure d’exercer des pressions sur les politiques et les contraindre à des concessions. Plus grande est la marge de manœuvre de la société civile, plus un mouvement social a de chances de se former et de se renforcer.

Cela dérange profondément la N-VA qui s’emploie à mettre hors d’état de nuire toute organisation qui s’oppose à elle. À chaque fois qu’elle en a eu la possibilité, elle a coupé les subsides octroyés à des organisations de la société civile. Ainsi, Alona Lyubayeva, fonctionnaire flamande de la diversité, a été licenciée pour s’être montrée trop critique envers la politique menée par Liesbeth Homans. Theo Francken a considérablement restreint les moyens financiers dont bénéficiait l’organisation flamande de protection des réfugiés et demandeurs d’asile Vluchtelingenwerk, tandis que sa collègue Zuhal Demir ne manque pas une occasion de s’attaquer au centre pour l’égalité des chances flamand Unia.

Pour Bart De Wever, le seul syndicat acceptable est le syndicat maison, dans la plus pure tradition corporatiste chère à l’extrême droite.

Pour la N-VA, la société civile doit se contenter de consolider cette communauté morale qu’est «notre précieux tissu22 »: système éducatif, voisinage, associations et communauté culturelle. Elle doit transmettre des valeurs et des normes, et contribuer à la formation d’une identité flamande, être un partenaire loyal qui met en œuvre une politique sans la critiquer, tout en assurant une prestation de services. La N-VA adore les bénévoles: ils renforcent le tissu social et travaillent de manière désintéressée pour la communauté. Les organisations de santé, d’aide familiale ou les associations socioculturelles sont aussi appréciées dans la mesure où elles s’intègrent bien dans une vision néolibérale selon laquelle l’État se limite à assurer les tâches réellement difficiles à prendre en charge par la société. Les seules organisations que la N-VA ne voit pas d’un bon œil sont celles qui défendent les intérêts collectifs de leurs membres et sont dépeintes comme des groupes dépourvus de toute légitimité à porter la voix du peuple. Alors que la N-VA, elle, agirait au nom du peuple qui lui en aurait confié le mandat par les urnes. La N-VA entend donc mettre en place un régime autoritaire, avec des élections.

Une école élitiste, destinée à former la nation

Le système éducatif doit, selon la N-VA, se débarrasser aussi de son héritage de Mai 68. Le parti nationaliste veut à tout prix obtenir le ministère de l’Éducation dans le prochain gouvernement flamand afin de la réformer et de l’éloigner d’un enseignement soucieux de promouvoir l’égalité et l’émancipation. Elle accuse le réseau catholique en Flandre d’être trop favorable à la réforme du premier cycle du secondaire et de trop intervenir au niveau des établissements. Selon elle, chaque école devrait conserver la possibilité de s’adresser à un certain public d’élèves plutôt qu’à un autre. Ce qui irrite De Wever et consorts, c’est que la réforme proposée en 2016 par les différents réseaux d’enseignement tendait à créer un socle commun dans le premier cycle du secondaire. Cette réforme visait entre autres à corriger le fait qu’en Flandre, le fossé entre élèves allochtones et autochtones est plus important qu’ailleurs, tout comme celui qui sépare les bons élèves des plus faibles alors que l’origine sociale des élèves est déterminante, plus qu’à peu près partout ailleurs. C’est d’ailleurs aussi en Flandre que, dans les villes, on constate un écart aussi grand entre des écoles où sont concentrés soit des riches soit des pauvres.

Le premier cycle secondaire élargi prévoyait essentiellement une formation de base commune diversifiée, à laquelle venait s’ajouter un certain nombre d’heures consacrées à la remédiation et/ou à la découverte de domaines d’intérêt pour l’élève. Cette réforme visait à éliminer les barrières entre les filières générale, technique et professionnelle, avec l’idée que soit enseigné dans un même établissement un domaine d’étude similaire, de ses approches les plus abstraites aux plus pratiques, favorisant ainsi la mixité sociale et le respect du travail technique et manuel. Le projet encourageait l’émergence de telles écoles thématiques.

Sous la pression de la N-VA, le gouvernement flamand a abandonné ce projet de tronc commun, de sorte que le général, le technique et le professionnel demeurent bel et bien distincts. Les établissements restent par ailleurs libres de choisir eux-mêmes leur orientation d’études, purement générale ou purement professionnelle, dans toutes les combinaisons possibles. Ainsi, l’élève doit choisir son orientation dès l’âge de douze ans, alors même que plus ce choix est effectué tôt, plus il est tributaire de l’origine sociale. Mais, pour les partisans d’une école élitiste, les élèves doivent savoir où ils se situent le plus tôt possible.

La N-VA entend mettre en place un régime autoritaire avec des élections. Il n’y a pas de place pour la société civile.

Wouter Duyck, professeur en psychologie cognitive à l’université de Gand, est le père spirituel du programme de la N-VA en matière d’enseignement23. Il défend l’idée que, contrairement à ce qu’affirme l’approche sociologique et à ce qu’établissent des recherches dans le domaine pédagogique, les inégalités au niveau des résultats scolaires ne sont pas principalement dues à des structures clivantes ni à certaines pratiques pédagogiques, mais bien… à des facteurs génétiques. Il avance que les riches sont généralement plus intelligents que les pauvres et que c’est pour cette raison que les premiers sont riches et les seconds pauvres. Cette position n’est rien d’autre qu’une forme de racisme social et se base entièrement sur une interprétation arbitraire et très controversée des tests de QI24. Duyck et ses acolytes en déduisent qu’une sélection précoce, basée sur des différences d’intelligence, est le meilleur moyen de proposer une formation adaptée à chacun. Selon lui, la mixité sociale ne garantit pas l’équité. Cette thèse va à l’encontre de toutes les conclusions d’études comparatives en matière d’enseignement25.

Conclusion

L’extrême droite, et en particulier la N-VA, est parvenue en un temps record à imposer son hégémonie culturelle en Flandre. Tirant profit de sa position au gouvernement, elle s’est attaquée aux droits de l’homme universels, aux syndicats et à d’autres contre-pouvoirs. Elle a fait sauter de multiples verrous qui faisaient obstacle à un État antisocial, xénophobe, antidémocratique et élitiste. Et elle compte bien, en cas de nouvelle victoire électorale, s’employer à finir le travail, notamment en s’arrogeant le ministère de l’Enseignement afin d’intégrer la jeunesse dans son projet nationaliste élitiste.

La stratégie de la N-VA est chaque jour de plus en plus claire. Nous avons aujourd’hui urgemment besoin de voix contraires capables d’amener, de manière compréhensible par tous, une analyse critique de cette stratégie au cœur du débat politique. Mais nous ne devons pas oublier que de nombreux citoyens sont favorables à la démagogie d’extrême droite en raison du fossé réel qui sépare la population du monde politique et nous devons reconnaître que son mécontentement vis-à-vis de l’establishment est fondé. Ce mécontentement n’est pas seulement dû à la démagogie de l’extrême droite, mais aussi à un parlementarisme devenu creux, fondé tant sur une base de classe, quant aux revenus et aux privilèges, que sur ses accointances avec les lobbys patronaux. Il est important de ne pas négliger ce facteur, sinon l’extrême droite n’hésitera pas à s’en servir comme levier. Il faut aussi impérativement démasquer l’extrême droite en montrant son consensus à peu près total avec l’establishment sur le plan socio-économique partout où elle arrive au pouvoir.

La N-VA a fait sauter de multiples verrous qui faisaient obstacle à un État antisocial, xénophobe, antidémocratique et élitiste.

La bataille des idées, en tout cas au niveau des masses, ne se livre pas uniquement dans les livres ou sur des sites internet. Inspirons-nous du marxiste italien Gramsci26 qui reconnaissait que les masses sont noyées, via tous les canaux, dans l’idéologie dominante, qu’elles finissent par considérer comme naturelle. Il appelait ça le «sens commun». Il ajoutait toutefois qu’au sein de toute classe sociale, il existe aussi un noyau de «bon sens» fondé sur l’observation de la réalité, grâce auquel les travailleurs parviennent à se libérer des flots de propagande et sont capables de protester contre le pouvoir en place. Ce bon sens leur permet de comprendre le monde créé à partir de leur activité productive sociale qui, même à un état embryonnaire, exprime leurs intérêts réels en tant que force productrice. À l’heure actuelle, on entend assez peu ce bon sens car, en dehors des périodes de mobilisation et de mouvements de masse, la conscience et la pensée quotidienne des travailleurs sont influencées par la concurrence capitaliste à laquelle ils sont soumis. Ils sont dominés par les idées de la classe dirigeante et par celles qu’ils ont héritées du passé et qu’ils finissent par s’approprier. Le bon sens ne peut se développer que par l’action et par la lutte. C’est pourquoi l’élite dominante réagit si vivement aux actions syndicales, aux manifestations des élèves pour le climat ou encore à celles des «gilets jaunes». Et c’est pourquoi, dans la lutte contre l’extrême droite, il faut soutenir toute rébellion remettant la question sociale au cœur du débat.

Footnotes

  1. Kees van der Pijl, «Rechts populisme en autoritaire staat: in de Weimar-republiek en nu» (non traduit en français), 4 mars 2017, http://comitevanwaakzaamheid.org/2017/03/04/rechts-populisme-en-autoritaire-staat-in-de-weimar-republiek-en-nu/
  2. Ico Maly, N-VA. Analyse van een politieke ideologie, EPO, 2012, p.19.
  3. Le titre complet du plan est «Immigration: les solutions. 70 propositions pour résoudre le problème des étrangers». La première version date du 6 juin 1992. Ce plan a été critiqué parce qu’il était en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Vlaams Belang (successeur du Vlaams Blok, condamné pour racisme en 2004) n’a jamais explicitement renoncé à ce plan en 70 points.
  4. Karim Van Overmeire a posté cette carte blanche sur son site le 27 octobre 2009, avant de la supprimer après que la presse l’a rendue plus visible. Le site d’informations Apache en a conservé une copie (www.apache.be)
  5. Bart De Wever, au sujet de la campagne controversée: «on aurait pu s’en passer comme d’une rage de dents», 4 décembre 2018, www.levif.be/actualite/belgique/de-wever-sur-la-campagne-choc-de-la-n-va-on-aurait-pu-s-en-passer-comme-d-une-rage-de-dents/article-normal-1062551.html.
  6. Thomas Decreus, «Er loopt een rechtstreekse lijn van N-VA naar de Vlaamse Verdedigings Liga (en terug)», (non traduit en français), 3 août 2016, www.dewereldmorgen.be/artikel/2016/08/03/er-loopt-een-rechtstreekse-lijn-van-n-va-naar-de-vlaamse-verdedigings-liga-en-terug.
  7. Tom Van Grieken, «Zelfmoordpact. Le mot du président», (non traduit en français), 4 décembre 2018, http://www.vlaamsbelang.org/zelfmoordpact/
  8. N-VA, «Pourquoi la N-VA s’oppose au Pacte pour les migrations de Marrakech», 4 décembre 2018, https://francais.n-va.be/actualite/pourquoi-la-n-va-soppose-au-pacte-pour-les-migrations-de-marrakech?pq=search/site&keyword=pacte&page=0#vr2. Les citations suivantes sont également issues de cet article
  9. Bart De Wever, «La gauche doit choisir: frontières ouvertes ou État providence», carte blanche publiée à l’origine dans De Morgen et traduite dans Le Soir, 24 janvier 2018, https://plus.lesoir.be/136055/article/2018-01-24/la-gauche-doit-choisir-entre-des-frontieres-ouvertes-et-letat-providence-la.
  10. En Belgique, les réfugiés reconnus comme tels ont droit à un revenu d’intégration, ce qui ne s’apparente pas à la sécurité sociale (indemnités de chômage), basée sur le travail. Ce revenu d’intégration n’est pas non plus conditionné à une obligation de contribution pour les Belges. Pour pouvoir bénéficier de la sécurité sociale belge, les réfugiés doivent y contribuer. L’accueil des demandeurs d’asile couvre l’hébergement, les soins médicaux urgents, le logement, l’hygiène quotidienne, la nourriture et 7 euros d’argent de poche. Il ne comprend pas d’allocations familiales, pas de revenu d’intégration ni de droit à un logement social. Les réfugiés reconnus comme tels bénéficient de cours de langue et d’un cours d’intégration + des mêmes indemnités que tout Belge n’ayant encore jamais travaillé. Ils n’ont donc pas droit à des indemnités de chômage.
  11. Ico Maly, op. cit. pp 153 et suivantes.
  12. Bart De Wever, Het Kostbare Weefsel. Vijf Jaar maatschappijkritiek, (non traduit en français), Pelckmans, 2010.
  13. Bart De Wever, «Het vergt durf om te zeggen wie wij zijn en wie we samen willen worden. Maar het is nodig», (non traduit en français), Doorbraak, 26 février 2018, https://doorbraak.be/bart-de-wever-durf-identiteit-nodig/.
  14. Bart De Wever, cité dans Ico Maly, op. cit.
  15. Bart De Wever, «La gauche doit choisir entre des frontières ouvertes et l’État providence», article cité.
  16. Ivo Flachet, «De Universele Verklaring van de Rechten van de Mens wordt 70», Lava, 10 décembre 2018, https://lavamedia.be/de-universele-verklaring-van-de-rechten-van-de-mens-wordt-70/.
  17. 14 juin 1992, lors de l’émission de la VRT, De Zevende Dag.
  18. Vlaams Belang, «Push them back: de enige oplossing», (non traduit en français), 30 septembre 2015, http://www.vlaamsbelang.org/push-them-back-de-enige-oplossing/
  19. Leçon inaugurale à l’UGent, http://www.n-va.be/sites/default/files/documents/PDF/lecon_inaugurale_bart_de_wever_ugent.pdf 22 septembre 2018.
  20. Jeroen Laemers, «Edmund Burke en het hedendaagse conservatisme», (non traduit en français), Sargasso. 22septembre 2013, http://sargasso.nl/edmund-burke-hedendaagse-conservatisme/
  21. Valère Staraselski, Entretien avec Domenico Losurdo, Fête de l’Humanité, www.comite-valmy.org/spip.php?article484
  22. Voir Bart Vanwildemeersch, «N-VA: partij met een agenda voor het middenveld?», (non traduit en français), www.scriptiebank.be/scriptie//n-va-partij-met-een-agenda-voor-het-middenveld
  23. Karl Drabbe, «Onderwijshervorming stelt watervalsysteem met twee jaar uit» (non traduit en français), Doorbraak, 14 août 2013, https://doorbraak.be/onderwijshervorming-stelt-watervalsysteem-met-twee-jaar-uit/
  24. Voir Duyck, W., et Anseel, F. (2012). «Gelijke Kansen, Gelijke Kinderen, Gelijke Klassen ? Early Tracking in het Onderwijs» (étude réalisée pour Itinera Institute, non traduite en français).
  25. Pour une réfutation des thèses de Duyck, voir l’article de Nico Hirtt dans ce numéro.
  26. Antonio Gramsci, Cahiers de prison, 1948-1951.