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La lutte pour l’émancipation des femmes, c’est classe !

Françoise De Smedt

—29 décembre 2023

Les femmes ont toujours lutté pour leurs droits. Cela leur a permis d’arracher des victoires : droit de vote , égalité salariale partielle , droit à l’avortement , pénalisation du viol et du féminicide , droit au divorce… Mais, même si des avancées ont été obtenues, il faut bien constater que l’égalité entre les femmes et les hommes est loin d’être atteinte et même que certaines de ces avancées sont aujourd’hui menacées.

L’oppression des femmes date de plusieurs milliers d’années et perdure aujourd’hui… Toutefois, elle n’est pas le propre de la nature humaine comme le rappelle la professeure et autrice Mary Davis dans ce numéro de Lava. Aujourd’hui, les inégalités entre les femmes et les hommes s’observent à différents niveaux dans la société, confirmant leur caractère à la fois discriminatoire et oppressif1.

Concernant le monde du travail en Belgique, le salaire horaire des femmes est en moyenne 5 %2 plus bas que celui des hommes. 42,5 % des femmes travaillent à temps partiel3, contre 11 % des hommes. Ces écarts de temps de travail engendrent un écart salarial de plus de 20 % entre les femmes et les hommes sur base annuelle, entraînant inévitablement 23 %4 d’écart au niveau des pensions5. Les femmes touchent en moyenne 488 euros de moins de pension mensuelle que les hommes.

Françoise De Smedt est physicienne de formation, cheffe de groupe PTB au Parlement bruxellois et membre de la commission femmes du parti de gauche.

Les femmes sont également victimes des comportements sexistes et misogynes, ainsi que des violences sexuelles. On estime que cent viols ont lieu chaque jour en Belgique. En novembre 2023, plus de vingt féminicides ont été perpétrés, chiffres sous-estimés puisqu’ils ne représentent que ceux recensés comme tels. Ces femmes sont, la plupart du temps, tuées par un conjoint ou ex-conjoint. Dans un sondage réalisé par la CSC Alimentation et Services, pas moins de 31,7 % des personnes interrogées dans le secteur du nettoyage avaient déjà subi des violences sexuelles au travail. Toujours en Belgique, 99 % des femmes disent avoir été victimes de harcèlement de rue. Depuis l’enfance, les femmes ( et les hommes ) sont éduqués à travers des stéréotypes sexistes qui participent à reléguer les femmes à des rôles particuliers : s’occuper des enfants, de leur conjoint, des parents, etc.

Enfin, le droit des femmes à disposer de leur corps n’est toujours pas garanti dans nos sociétés capitalistes. Le droit à l’avortement reste interdit dans de nombreux pays, tandis qu’il est mis sous pression et rendu quasi inexistant par une résurgence de courants réactionnaires et d’extrême droite dans d’autres. Le 24 juin 2022, la Cour suprême américaine a enterré le célèbre arrêt Roe v. Wade qui garantissait le droit constitutionnel des femmes à avorter. Chaque État américain peut désormais restreindre le droit à l’avortement et quatorze d’entre eux l’ont déjà fait6. En Pologne, les restrictions à l’avortement ont été renforcées en 2020 : les Polonaises ne peuvent plus avorter sauf en cas de viol ou de danger pour la mère7. Le gouvernement hongrois de Viktor Orban s’attaque aussi au droit d’avorter en obligeant les femmes à « écouter les battements de cœur du fœtus »8.

En Belgique, depuis fin 2019, une proposition de loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse ( IVG ), allongeant le délai de douze à dix-huit semaines et réduisant le délai de réflexion de six jours à quarante-huit heures est bloquée au Parlement. Alors qu’elle est soutenue par une majorité de députés, elle est mise au frigo suite à un marchandage politique. Tout comme les nationalistes de la N-VA, les conservateurs du CD&V ont décidé d’en faire une question de gouvernement. Les autres partis ( socialistes, libéraux et écologistes ) qui se disaient favorables à cette loi, et l’avaient votée en commission, ont accepté de bloquer ce texte qui constituait une avancée sociale pour le droit des femmes à disposer de leur corps.

L’oppression des femmes et l’idéologie sexiste s’adaptent aux besoins du capitalisme

Depuis les débuts du capitalisme et jusqu’à aujourd’hui, l’organisation de la famille et du travail ( et donc de la place des femmes dans l’une et l’autre ) a évolué suivant les besoins économiques mais aussi suivant les besoins de « paix sociale » face aux luttes du mouvement ouvrier et du mouvement des femmes. Les femmes ont régulièrement fait des allers-retours entre « l’usine » et la sphère privée de la famille, sortant et rentrant sur le marché du travail selon les besoins du patronat. L’idéologie sexiste venait alors soutenir et faciliter ces allers-retours.

Au début du capitalisme industriel, au 19e siècle, les femmes travaillent dans les usines tout comme les enfants et les hommes, subissant une exploitation extrême. Les conditions de reproduction de la force de travail ( ce qui permet aux travailleurs et travailleuses de retourner travailler le lendemain : se nourrir, se reposer, se soigner… ) sont terriblement précaires. Suite aux luttes ouvrières de la fin du 19e et début du 20e siècle, des lois protectrices pour les femmes et les enfants sont obtenues. Mais, en même temps, les femmes sont renvoyées dans la sphère privée et retirées de la production sociale, processus encouragé par l’idéologie de la « femme au foyer », l’État ne prenant rien en main pour subvenir aux soins des enfants.

Les écarts de temps de travail engendrent un écart salarial de plus de 20 % entre les femmes et les hommes sur base annuelle.

Une nouvelle évolution va voir le jour dans la première moitié du 20e siècle. Lors des périodes de guerres mondiales, les hommes étant au front, les femmes devront les remplacer dans la production, notamment dans la production des armes, des munitions et autres secteurs de la production dont elles étaient généralement exclues. Des campagnes idéologiques sont mises en route pour encourager les femmes à aller travailler. Cependant, elles ne reçoivent pas les mêmes salaires que les hommes et doivent concilier vie de famille et travail. Le patronat se trouve ainsi dans un équilibre fragile : maintenir la production de guerre tout en ne déstabilisant pas trop l’ordre établi dans lequel la femme doit s’occuper de la famille. Pour garantir cet équilibre, l’État va commencer à prendre en main la garde des enfants, tout en ne couvrant absolument pas l’ensemble des besoins. Et, à chaque sortie de guerres, lorsque les hommes reviennent du front, de nouvelles campagnes idéologiques sont menées pour ramener les femmes dans leur foyer.

Des politiques féministes et sociales, fruits de la lutte et de la peur du rouge

Cependant, en 1945, les États vont mettre en place plus de politiques sociales sous la pression des mouvements sociaux et par crainte des mouvements révolutionnaires et de l’exemple donné par l’Union soviétique. En effet, l’Union soviétique a, entre autres, mis en place un congé de maternité de seize semaines avec maintien intégral du salaire ; en 1932, il y a 150.000 crèches en URSS contre à peine 200 avant 1917 ; des cantines collectives voient le jour et permettent d’alléger les tâches de cuisine à la maison, etc.

Dans les années 1960 et 1970, le mouvement féministe va à nouveau se développer fortement. Des luttes ouvrières « à travail égal, salaire égal », comme celle de la grève de la FN à Herstal, vont éclater. Ces luttes vont conduire à des changements législatifs :

Un arrêté royal de 1967 donne aux travailleuses la possibilité d’aller en justice pour exiger l’application de l’égalité de rémunération.

La loi du 13 novembre 1969 rend illégales les clauses permettant le licenciement des femmes en cas de mariage ou de maternité.

Le 10 octobre 1971, un arrêté royal introduit le principe de l’égalité de traitement dans le régime du chômage.

Des luttes pour les droits reproductifs vont également être menées. Ces luttes vont concerner la fécondité, à la fois la santé de la reproduction ( fécondation, grossesse, accouchement… ) et celle de la non-reproduction ( avortement, stérilité ), et le droit à l’avortement. Ces luttes, dans les années 1970, conduiront, notamment, à légaliser l’information sur les moyens de contraception en 1973. Pour le droit à l’avortement, il faudra attendre 1990.

Dans les années 1960, les femmes vont revenir massivement sur le marché du travail mais dès la crise de 1973, elles vont contribuer à faire grossir le chômage de masse, ce qui sera tout bénéfice pour les capitalistes, qui peuvent ainsi faire pression vers le bas sur les salaires.

Les États peuvent se permettre de couper dans les services publics liés aux soins puisque les femmes sont là pour combler le vide.

Quelques années plus tard, les politiques néolibérales vont vider les caisses des États au profit de cadeaux aux actionnaires. Ceci débouchera ensuite sur de nombreuses mesures d’austérité. Dans le même temps, les parents des familles doivent de plus en plus travailler tous les deux pour s’en sortir financièrement. Pourtant, les moyens pour faire garder les enfants sont insuffisants. Les plus aisés s’en sortent et peuvent payer des gardes d’enfants, les autres sont contraints de travailler à temps partiel ou ne travaillent tout simplement pas.

Ce n’est un secret pour personne, la contradiction entre vie de famille et vie professionnelle reste très importante aujourd’hui. Des luttes et des revendications pour développer le milieu de l’accueil existent, mais certains courants idéologiques voudraient maintenir les femmes à la maison en prétextant que les enfants en bas âge seraient mieux avec leurs parents qu’en milieu d’accueil. Certains proposent même de payer les femmes au foyer.

L’oppression des femmes et l’idéologie sexiste peuvent donc prendre des formes différentes au sein d’une société de classes. Mais ces différentes formes ne tombent pas du ciel, elles sont, chacune à leur façon, essentielles au maintien du capitalisme.

L’oppression des femmes est essentielle au capitalisme

L’oppression des femmes est essentielle au capitalisme pour deux raisons principales : avoir une partie de la classe travailleuse ( la moitié ) qu’il peut surexploiter ( salaires encore plus bas donc davantage de plus-value ) et pouvoir diviser cette classe travailleuse.

La surexploitation des femmes est rendue possible grâce à une idéologie, le sexisme. Le salaire des femmes est encore souvent vu comme un « salaire d’appoint » dans le ménage et non comme un revenu permettant une indépendance économique. Le statut de l’homme qui ramène le revenu principal dans le couple est encore bien ancré dans nos mentalités.

En 1966 , à Herstal, 3.000 ouvrières se sont lancées dans l’une des plus grande grève de l’histoire de notre pays. Leur slogan : « À travail égal, salaire égal ».

En principe, pour un même emploi salarié, à la même ancienneté et au même temps de travail, une femme est payée comme un homme. L’écart salarial s’explique principalement par le fait que les femmes travaillent en général dans des secteurs moins bien payés que les hommes. Le sexisme joue un rôle dès nos plus jeunes années puisqu’il pousse les femmes vers les métiers des soins, du social ou du nettoyage qui sont peu valorisés. Inversement, elles ne sont pas poussées vers des métiers de la production ou ceux liés aux sciences avec de plus hauts salaires. D’autres différences se marquent aussi dans les avantages : pertes des chèques repas lors du congé de maternité, moins de second pilier de pension dans les secteurs « féminins »… De plus, les femmes sont discriminées sur le marché du travail car les employeurs sont réticents à engager des travailleuses susceptibles d’être en congé de maternité. Puisqu’elles ont des salaires moins élevés que les hommes, les femmes sont généralement dépendantes de leur conjoint. Comme nous l’avons déjà souligné, ce sont elles aussi qui sont plus enclines à diminuer leur temps de travail afin de s’occuper de la famille. Selon l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes, en 2017, seuls 15 % d’hommes, contre 85 % de femmes, ont pris un crédit-temps ( interruption partielle permettant de réduire temporairement le temps de travail hebdomadaire d’un jour ou deux demi-jours par semaine )9. Et les idées sexistes selon lesquelles les femmes sont mieux à même de s’occuper des enfants renforcent également cette tendance.

Le travail ménager comme limite à l’émancipation économique

Le manque d’infrastructures collectives ( crèches abordables, accueil extra-scolaire accessible, aides pour les soins des personnes âgées, maisons de repos publiques… ) empêche les familles de pouvoir concilier vie privée et travail à temps plein. Un des deux conjoints est souvent contraint de recourir au temps partiel pour s’occuper des enfants ou des parents, et ce sont principalement les femmes. C’est une spirale sans fin : les femmes gagnant moins sont plus enclines à passer à temps partiel, donc elles continuent à gagner moins, donc elles ont des pensions plus basses et ainsi de suite.

Idées sexistes dominantes, manque d’infrastructures collectives, différences salariales entre hommes et femmes, offres d’emploi à temps plein limitées, pénibilités de certains métiers ( impossible de travailler à temps plein pour une aide ménagère ou une infirmière à partir d’un certain âge ) : près d’une travailleuse sur deux est à temps partiel10. Cela maintient les femmes dépendantes du noyau familial. Il s’agit d’un frein à leur émancipation. De plus, cette dépendance rend d’autant plus difficile la possibilité de s’extraire des violences conjugales et intrafamiliales.

Le patronat se permet de maintenir des emplois précaires pour les femmes puisqu’elles sont habituées et poussées depuis toujours à l’accepter. Les États aussi peuvent se permettre de couper dans les services publics liés aux soins puisque le sexisme légitime le fait de reléguer ce travail dans la sphère domestique. Il faut souligner que le patronat met aussi en concurrence d’autres catégories de la classe travailleuse. On peut penser aux sans-papiers et aux chômeurs par exemple. Ceci étant, la particularité des femmes, c’est qu’elles représentent la moitié de la classe. Ce n’est donc pas une minorité.

Le patronat a ainsi sous la main une réserve de main-d’œuvre gigantesque qui lui permet de mettre en concurrence les femmes et les hommes sur le marché du travail. C’est dans ce sens que le sexisme est aussi un outil de division de la classe travailleuse. Il affaiblit son unité. La domination, le harcèlement, les violences subies au travail maintiennent globalement les femmes à l’écart, les invisibilisent et les mettent en retrait de la lutte. Le sexisme contribue à détourner les travailleurs de la lutte centrale contre le Capital, en considérant les revendications des femmes comme un danger plutôt que d’y voir une lutte de classe qui va dans le sens de leur intérêt.

C’est ce même sexisme qui considère qu’une femme ne peut gagner plus que son compagnon car cela remettrait en question l’autorité de l’homme dans le couple et amoindrirait son image dans l’entourage ou parmi les collègues.

Lutter contre le sexisme doit permettre de ne pas isoler les luttes féministes du reste de la lutte de classe.

Au contraire, les revendications féministes sont bénéfiques à la fois pour les femmes et pour les hommes car elles créent l’unité dans la classe : il s’agit in fine d’une lutte contre le Capital et pour les intérêts communs à toute la classe travailleuse. Tant que les femmes seront une catégorie surexploitée, les salaires pourront être tirés vers le bas, ce qui constituera une atteinte aux intérêts des travailleuses et des travailleurs dans leur ensemble.

La lutte inspirante des femmes de la FN Herstal

En 1966, à la FN de Herstal, 3.000 ouvrières se sont lancées dans l’une des plus grandes grèves de l’histoire de notre pays. Leur slogan : « À travail égal, salaire égal ». Les ouvrières gagnaient entre 90 et 96,6 % du salaire des hommes dans les trois classes de salaires les plus basses où elles étaient cantonnées. En se battant pour l’égalité des droits et pour leur émancipation, elles se battaient pour tous les travailleurs, contre la concurrence salariale et pour un nivellement vers le haut de toutes les rémunérations.

La lutte des « femmes-machines » de Herstal peut encore être une inspiration pour le mouvement féministe : affirmer la portée du 8 Mars en en faisant une journée de grève qui frapperait durement l’économie capitaliste, en mettant par exemple le secteur de la production à l’arrêt. Et comme les hommes y travaillent aussi, lutter contre le sexisme devrait permettre de ne pas isoler les luttes féministes du reste de la lutte de classe. Ce ne sont pas des luttes séparées qui sont nécessaires mais un combat commun contre l’exploitation capitaliste. Si ces combats ne se font pas en commun, non seulement ce ne sera pas une victoire pour les droits des femmes, mais ce ne sera pas non plus une victoire contre le Capital qui tire des avantages d’une division dans la classe.

Domination, mariage et violences faites aux femmes

Si le sexisme permet de pousser les femmes vers des métiers moins bien payés et à diminuer leur temps de travail, il entraîne plus globalement la domination des femmes dans la société de classes, les violences qui y sont liées, leur invisibilisation et leur subordination.

Avec l’apparition de la famille nucléaire et du mariage monogame, la domination des hommes sur les femmes s’est institutionnalisée, c’est-à-dire qu’elle s’est notamment inscrite dans les lois. La femme devient la « possession » de l’homme. L’autorité du mari sur la femme s’installe légalement. Les lois sur le mariage vont façonner l’idéologie sexiste, donc l’image de la femme dans les sociétés.Un exemple emblématique de l’oppression des femmes par leur mari est inscrite dans la loi, c’est le fameux « code Napoléon » ( qui, pour rappel, est à la base de notre code civil également ).

Ainsi, en 1804, y sont inscrits : l’incapacité juridique totale de la femme mariée, considérée comme une éternelle mineure ; l’interdiction d’accès aux lycées et aux universités ; l’interdiction de signer un contrat, de gérer ses biens ; l’exclusion totale des droits politiques ; l’interdiction de travailler sans l’autorisation du mari ; l’interdiction de toucher elle-même son salaire ; le contrôle du mari sur la correspondance et les relations ; l’interdiction de voyager à l’étranger sans autorisation ; la répression très dure de l’adultère pour les femmes ; le droit pour le mari de tuer sa femme dans certains cas ( adultère… ). En 1810, le « devoir conjugal » devient une obligation ( il n’existe pas de viol entre époux ). En 1816, apparaît aussi l’interdiction de divorcer. En clair, la légalisation et, donc, la normalisation du viol et des féminicides sont instituées dans l’ensemble de la société. Et l’esprit du code Napoléon va perdurer dans nos lois jusqu’à aujourd’hui.

Ainsi, jusque dans les années 1970, la femme avait peu d’autonomie par rapport à son mari, elle ne pouvait pas avoir de compte en banque à son nom, dépendait financièrement de son mari, ne recevait pas les allocations familiales à son nom et le divorce, par exemple, était compliqué. Ce n’est qu’à partir de cette époque, grâce aux luttes du mouvement féministe, que l’autonomie des femmes va s’améliorer. Le divorce va être facilité, de nouvelles formes de cohabitation légale apparaissent en plus du mariage,…

Le « code Napoléon » , à la base de notre code civil , est un exemple emblématique de l’inscription dans la loi de l’oppression des femmes par leur mari.

Mais l’idéologie de domination sexiste qui découle du mariage n’a, elle, pas disparu pour autant et continue d’installer la vision du mari qui « possède » sa femme. Ces idées sont tenaces et conduisent à des violences lorsque le mari n’accepte pas que sa femme mène sa vie de manière indépendante et se comporte autrement que sous l’autorité de son conjoint.

Le fameux concept de « devoir conjugal » fait toujours des dégâts aujourd’hui et conduit à ce que la majorité des viols se passent au sein des couples. Le féminicide a souvent lieu suite à la décision de la femme de partir ou de demander le divorce et au refus du mari d’accepter cette décision qu’il n’a pas prise. Cette violence envers les femmes est un fléau à combattre car elle participe à maintenir les femmes sous domination, à les empêcher de prendre leur place dans la vie publique et politique, à les fragiliser dans leurs rapports à leur patron, à la hiérarchie, etc.

Le capitalisme pose les bases pour le développement de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes

Le système capitaliste est le premier système économique à avoir remis en cause la division sexuelle du travail, c’est-à-dire l’assignation d’un travail différent selon le sexe. Avant son apparition, le travail effectué par les hommes et celui effectué par les femmes étaient organisés de manière différente, les femmes n’effectuant pas les mêmes tâches que les hommes. Sous le capitalisme, pour la première fois, ouvriers et ouvrières se retrouvent dans les mêmes usines, à effectuer des tâches semblables et à être rémunérés par un salaire. Cela a permis aux femmes de comparer leur travail et donc leur salaire. Cela a favorisé une prise de conscience des inégalités entre les femmes et les hommes et permis à la lutte féministe pour l’égalité de se développer.

S’il existe bien d’innombrables lois contre les discriminations envers les femmes, pour l’égalité salariale ou contre les violences, cela ne suffit pas. Il faut en effet distinguer droits formels ( « sur papier » ) et droits réels. Par exemple, les femmes ont le droit à l’avortement mais, dans la réalité, il existe encore beaucoup de barrières à surmonter ( médecins non formés, manque de médecins qui acceptent de le pratiquer, etc. ). De plus, en temps de crise, même les droits formels son remis en cause. Même si des avancées ont eu lieu grâce à la lutte des femmes, il faut bien constater que rien n’est acquis et que l’égalité complète est loin d’être atteinte dans notre société.

L’égalité complète entre les femmes et les hommes n’est pas possible dans le système capitaliste qui a trop besoin de l’oppression des femmes pour se maintenir en place et augmenter ses profits.

Dans un rapport de 2020, l’organisation Oxfam donnait les chiffres du nombre d’heures de travail des femmes ( hors marché du travail ) effectuées pour les soins : « Les femmes et les filles assument chaque jour l’équivalent de 12,5 milliards d’heures de travail de soin non rémunérées, un travail dont la valeur annuelle serait d’au moins 10,8 billions de dollars si elles étaient payées. Des chiffres qui contrastent avec la richesse cumulée par les milliardaires de ce monde. »11

Autrement dit, s’il fallait sortir de la sphère privée les soins apportés par les femmes, il faudrait développer des services à hauteur de milliers de milliards d’euros. Autant dire que les capitalistes ne céderont jamais sur cette question.

Le socialisme comme base pour construire l’égalité

Pour aller vers une égalité réelle, nous avons donc besoin d’un changement radical de société. Il faut un socialisme 2.0. Avec un système de production basé sur une redistribution collective des richesses, il est possible de développer de manière massive des services publics et de prendre collectivement en main un maximum de services de soins. C’est ainsi que pourront réellement se développer suffisamment de crèches, d’aides pour les personnes âgées, pour les personnes porteuses de handicaps, etc. C’est la base pour que les femmes puissent travailler et avoir leur indépendance économique, étape essentielle pour tendre vers l’égalité.

Le socialisme 2.0 ne met plus les travailleurs et travailleuses en concurrence parce qu’il abolit l’exploitation de l’homme par l’homme. Le socialisme 2.0 doit également pouvoir faire évoluer les consciences vers l’égalité. Mais ce n’est pas pour autant automatique. L’oppression des femmes et l’idéologie sexiste qui lui est liée sont tellement ancrées dans nos têtes depuis des milliers d’années, que pour s’en débarrasser, cela demandera aussi un travail acharné de déconstruction des idées sexistes. Cette lutte commence évidement aujourd’hui, mais elle seule ne suffira pas à atteindre l’égalité.

Pas de socialisme sans féminisme et pas de féminisme sans socialisme

Les femmes constituent 51 % de la population. Elles sont dès lors indispensables pour arriver à changer la société. Mais elles ne vont pas rejoindre en masse la lutte pour le changement de société si leurs propres revendications ne sont pas prises en compte ( égalité salariale, ouvertures de crèches, droits reproductifs, lutte contre les violences… ).

Il est donc essentiel de lutter dès aujourd’hui pour les revendications féministes, parties intégrantes de la lutte de classes. Il est essentiel de mettre sur pied des organisations de femmes qui vont lutter pour ces revendications. Les femmes ont toujours fait avancer leurs droits par la lutte et l’organisation. C’est le grand défi qui est devant nous, auquel nous devons nous atteler. En collaboration avec les organisations syndicales, les femmes peuvent faire du 8 Mars une journée de lutte contre le capitalisme et l’exploitation. Cette journée peut combiner les revendications concrètes pour plus d’égalité aujourd’hui et revendiquer une autre société où les tâches qui reposent principalement sur les femmes au sein du ménage seront socialisées et deviendront des tâches auxquelles la société devra répondre collectivement.

C’est essentiel car, si nous voulons arriver à une réelle égalité entre les femmes et les hommes, cela ne se fera pas sans un changement radical de système. Pas de socialisme sans féminisme, pas de féminisme sans socialisme.

 

Footnotes

  1. Voir l’interview de Mary Davis réalisée par Françoise De Smedt dans ce numéro, « À l’origine de l’oppression des femmes », Lava n° 27.
  2. https ://statbel.fgov.be/fr/themes/emploi-formation/salaires-et-cout-de-la-main- doeuvre/ecart-salarial
  3. https ://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/le-travail-temps-partiel-concerne-toujours- principalement-les-femmes-malgre-un-forte, 30 avril 2021.
  4. https ://emploi.belgique.be/fr/themes/egalite-et-non-discrimination/egalite-femmes- hommes-lecart-salarial
  5. https ://pensionstat.be/fr/chiffres-cles/genre-pension/ecart-de-pension-pour-la- pension-totale
  6. « États-Unis : un an après Roe vs Wade, le droit à l’IVG, État par État », 24 juin 2023. www.lemonde.fr/international/article/2023/06/24/États-unis-un-an-apres-roe-vs- wade-le-droit-a-l-ivg-État-par-État_6179041_3210.html
  7. « Élections en Pologne : le droit à l’avortement pourrait changer la donne », 14 octobre 2023. www.rtbf.be/article/la-pologne-interdit-presque-totalement-l-avortement- quelle-est-la-situation-dans-le-reste-de-l-union-europeenne-carte-10685492
  8. « “Fonctions vitales” du foetus : la Hongrie durcit les règles d’avortement », 13 septembre 2022. www.rtbf.be/article/fonctions-vitales-du-foetus-la-hongrie-durcit-les-regles-d- avortement-11065984
  9. Institut pour l’Égalité des Femmes, « Etude sur la dimension de genre du congé parental, du crédit-temps et de l’interruption de carrière », https ://igvm-iefh.belgium.be/sites/ default/files/116_-_etude_sur_la_dimension_de_genre_du_conge_parental_du_credit- temps_et_de_linterruption_de_carriere.pdf
  10. https ://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/le-travail-temps-partiel-concerne-toujours- principalement-les-femmes-malgre-un-forte, 30 avril 2021
  11. « Les femmes et les filles travaillent 12,5 milliards d’heures par jour gratuitement », 16 janvier 2020, https ://oxfambelgique.be/les-femmes-et-les-filles-travaillent-125- milliards-dheures-par-jour-gratuitement.