Article

Rêves et cauchemars des classes moyennes mondiales

Göran Therborn

—21 décembre 2020

Version PDF

Les classes moyennes du Nord et du Sud vont se retrouver, abandonnées par une bourgeoisie de plus en plus riche et ayant des relations incertaines avec les classes populaires des travailleurs et du précariat.

Des messages contradictoires circulent sur la structure de classe du monde. Selon un rapport qui fait autorité, cette structure a atteint un «point de basculement global» — «aujourd’hui, la moitié du monde fait partie maintenant de la classe moyenne ou est plus riche». Cette étude est basée sur les chiffres fournis par Homi Kharas, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, aujourd’hui à la Brookings Institution. Plus excitant encore, The Economist a salué la «montée implacable» d’une «bourgeoisie naissante» et a claironné l’arrivée d’un monde de classe moyenne. Pourtant, d’autres chercheurs, tout aussi sérieux, nous assurent le contraire: selon Peter Temin, professeur émérite d’économie au MIT, nous devrions nous préoccuper de «la disparition de la classe moyenne»1. On pourrait pardonner aux lecteurs de se sentir déconcertés. Que se passe-t-il dans l’économie — et dans la sociologie économique du monde réel? Cette contribution examinera les différentes définitions de la «classe moyenne» en jeu. Elle esquissera ensuite un autre avenir pour les classes moyennes que l’un ou l’autre des extrêmes suggérés ici. Mais d’abord, quelques considérations historiques et conceptuelles s’imposent, car le concept de «classe moyenne» suscite un débat depuis longtemps.

Aujourd’hui, la classe moyenne est essentiellement définie en termes de consommation, jamais par rapport à son travail

L’expression «classe moyenne» est entrée dans la langue anglaise il y a deux siècles — «entre 1790 et 1830», selon Eric Hobsbawm — lorsqu’une société industrielle naissante a pris le pas sur l’ordre «militaire» de la monarchie et de l’aristocratie2. Le 19e siècle a été le théâtre d’intenses discussions sur l’orientation de cette nouvelle société et sur la place de la classe moyenne en son sein. Le raisonnement libéral était que la fonction de gouverner devrait appartenir — et finirait par appartenir — à la classe moyenne, «la partie la plus sage et la plus vertueuse de la communauté», comme le disait James Mill3. Et cela s’était déjà produit: Tocqueville écrivait en 1855 que le règne de la classe moyenne avait été réalisé non seulement aux États-Unis mais aussi en France, où la révolution de juillet 1830 avait marqué son triomphe «définitif» et «complet»4. La société de classe moyenne émergente allait-elle déboucher sur un ordre politique nouveau et stable? Dans les dernières décennies du 19e siècle, ce point a été de plus en plus remis en question. De nouveaux «ismes» sont apparus: la mobilisation des idées, en premier lieu le socialisme, qui a théorisé la «société de classe moyenne» comme étant le capitalisme, condamné à être renversé par l’expansion des rangs de la classe ouvrière industrielle.

Classe moyenne et bourgeoisie

Le plus frappant, c’est que les discussions du 19e siècle autour de la «classe moyenne» se caractérisaient par une variété conceptuelle notablement absente des discussions actuelles. Ceci est dû à l’épanouissement d’un certain nombre de langues nationales, chacune exprimant une histoire particulière des formations de classes et des conflits. En Europe occidentale, trois grands concepts exprimaient un phénomène social similaire, chacun sous un angle différent: la «classe moyenne» anglaise a été complétée par le Bürgertum allemand et la bourgeoisie française5, tous deux issus du droit urbain médiéval, désignant une catégorie de résidents urbains jouissant de droits civiques et politiques spéciaux.

Après la Révolution française, le terme «bourgeoisie» est devenu de plus en plus synonyme à la fois du terme «classe moyenne» anglais et du terme «classe moyenne» comme on l’entend généralement en français. Le terme «bourgeoisie» a en même temps pris deux connotations. La première, culturellement péjorative: comme l’a dit Flaubert, «la haine des bourgeois est le début de toute vertu»6. Deuxièmement, à partir des années 1870, une distinction claire s’est établie entre la bourgeoisie et les couches sociales «moyennes» ou «nouvelles». La bourgeoisie était composée des grands propriétaires de capital: les banquiers et les industriels, le nouveau sommet de la pyramide sociale — c’est-à-dire la classe supérieure7. La classe moyenne — Mittelstand en allemand, «petite bourgeoisie» ou «couches moyennes» en français — était différente. Dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels ont rendu un bel hommage au rôle historique «révolutionnaire» joué par la bourgeoisie, désormais considérée comme l’incarnation du Capital et ennemi juré de la classe ouvrière.

Autre différence notable: le travail était un attribut et une valeur essentiels de la classe moyenne du 19e siècle, ce qui la séparait de la noblesse consommatrice de loyers. «Le travail est l’ornement du bourgeois», a écrit Friedrich Schiller dans une célèbre ballade. Dans les discussions d’aujourd’hui, la classe moyenne est essentiellement définie en termes de consommation; parfois, elle est spécifiée par une position moyenne sur l’échelle nationale de distribution des revenus, mais jamais par rapport à son travail. Ceci est d’autant plus remarquable que l’usage américain contemporain déploie généralement le terme comme un euphémisme pour la classe ouvrière.

Le discours sur la classe moyenne doit être lu comme une idéologie du capitalisme de consommation, décrivant un monde de consommateurs sans producteurs

Quelles sont les implications de cette mutation du discours sur les classes moyennes, du travail à la consommation? Le fait que TheEconomist salue avec enthousiasme «deux milliards de bourgeois» supplémentaires est plutôt explicite8. Comme l’entrée du «capitalisme» dans le vocabulaire des dirigeants d’entreprise, c’est une célébration de la victoire et du pouvoir. Tant que le socialisme était considéré comme un danger, des termes comme «capitalisme» et «bourgeoisie» étaient repoussés à la marge; les termes acceptables étaient «économie de marché» et «affaires». Comme nous le verrons, le changement discursif implique un changement important dans l’hégémonie sociale. Mais nous devons d’abord examiner les conditions qui ont donné naissance à la nouvelle pensée du 21e siècle sur la classe moyenne.

Contrairement à ce qu’annonçaient Mill et Tocqueville, le 19e siècle n’a pas inauguré un monde de classe moyenne, car le 20e siècle a été avant tout défini par la classe ouvrière. Si la social-démocratie et le communisme sont nés en Europe, le socialisme ouvrier est devenu un modèle mondial, qui a brillé lors des révolutions chinoise et vietnamienne, avec des répercussions dans toute l’Asie de l’Est et du Sud-Est, dans le Mexique révolutionnaire et sur l’île de Cuba fidelista, dans les grands mouvements progressistes d’Amérique latine — l’Argentine péroniste et le Brésil de Vargas, sans parler du PT de l’époque plus récente — et dans les luttes anticoloniales, du Congrès de Nehru à l’ANC d’Afrique du Sud en passant par le socialisme arabe.

Le mouvement ouvrier a été une force majeure dans la création du suffrage universel et de l’État-providence. Il a été le principal allié — quoique rarement exemplaire — des mouvements féministes et anti-impérialistes. Les classes moyennes étaient en grande partie en hibernation pendant ces périodes de révolution et de réforme du 20esiècle; elles ont gagné en importance politique à l’époque de la montée du fascisme et de l’autoritarisme. Mais la force motrice de la classe ouvrière a culminé dans les années 1980 et a ensuite rapidement décliné.

La base économique de la fin du siècle ouvrier repose sur l’accélération de la désindustrialisation et de la financiarisation du noyau capitaliste; indirectement, la dissolution sociale issue du mouvement culturel de 1968 a fonctionné comme un facteur sociologique. Pourtant, cela n’a pas immédiatement annoncé une aube nouvelle pour la classe moyenne. Le néolibéralisme occidental était allergique à tout type de discours de classe, et les anticommunistes d’Europe de l’Est préféraient se qualifier de «société civile», bien qu’au pouvoir, ils revendiquaient des références à la classe moyenne9. Si, comme le pensait Hobsbawm, l’idée de classe moyenne est née à l’Ouest, elle a repris tout son sens à l’Est et au Sud10. Dans les années 1980, la classe moyenne a été «découverte» dans l’Asie orientale conservatrice comme résultat de la croissance économique rapide des «quatre petits dragons»: Taïwan, Corée du Sud, Singapour, Hong Kong11. Les classes moyennes sont devenues une force politique importante dans la région, jouant un rôle central dans les grands mouvements populaires qui ont mis fin aux dictatures militaires à Séoul et à Taipei.

En Chine, le concept a été plus difficilement accepté. Dans les années 1980, l’intérêt des universitaires chinois pour la classe moyenne était en partie inspiré par le néo-marxisme américain d’Erik Olin Wright et de ses collègues. Après 1989, à la suite de Tien’anmen, l’orthodoxie gouvernementale a riposté. Un éminent sociologue a ainsi déclaré que la Chine socialiste ne pouvait pas permettre l’apparition d’une «classe moyenne», car cela pourrait «renverser notre système socialiste». Alors qu’en Occident, la théorie de la classe moyenne «existe pour couvrir la question du conflit de classes», dans les sociétés socialistes, elle «divise le prolétariat, séparant les hommes d”affaires et les intellectuels du prolétariat, créant une force subversive». Cependant, après une période de silence, le débat sur la classe moyenne s’est rouvert et, à partir de2001, il a pris fin de manière décisive avec l’argument selon lequel «dans toute société, la classe moyenne est la force la plus importante pour maintenir la stabilité sociale» — un coussin entre les classes supérieures et inférieures, le porteur d’idéologies modérées et conservatrices, et le cœur d’un marché de consommation large et stable12. Dans les années 2000, pour de nombreux universitaires chinois, la classe moyenne est également devenue un idéal égalitaire, la clé d’une structure sociale «en forme d’olive»13.

Les rêves du sud

Le nouveau rêve de l’apparition d’une nouvelle classe moyenne dans le Sud a eu, avant tout, un cadre asiatique. Il a été tissé et promu par des personnalités dans l’orbite de la Banque mondiale, secondées par des cabinets de conseil aux entreprises et des banquiers d’affaires. Elle est apparue au début du millénaire, la belle époque du capitalisme mondial externalisé. Alors que la redécouverte de la classe moyenne à l’Est dans les années 1980 avait été le fait de sociologues soucieux de l’évolution des structures professionnelles et de la formation des classes, intéressés par leurs implications sociales et politiques, son nouveau triomphe, en revanche, portait presque exclusivement sur la consommation. Par «classe moyenne», on entendait toute personne qui avait de l’argent à dépenser. De la même manière, le terme est rapidement devenu synonyme de non-pauvreté, telle que définie par les seuils de pauvreté nationaux officiels.14

Cette notion de classe moyenne, qui commençait juste au-dessus des 20% les plus pauvres de la population — qui, dans les pays pauvres, ont tendance à être très pauvres — a été renforcée en2000 par un document influent de William Easterly, un hayékien inflexible qui travaillait alors à la Banque mondiale. Dans The Middle-Class Consensus and Economic Development, Easterly soutient que l’inégalité représentée par la (faible) part des revenus des trois quintiles moyens de la population — qu’il appelle la «classe moyenne», sans aucun argument à l’appui — est un obstacle au développement15. L’expansion de la classe moyenne est donc devenue synonyme de déclin de la pauvreté: un lien conceptuel qui relie les préoccupations des économistes du développement concernant la réduction de la pauvreté aux intérêts des consultants en affaires à la recherche de nouveaux marchés.

La montée de l’Asie

En effet, ce sont des consultants en affaires et des banquiers américains qui ont été les premiers à amplifier le fantasme de classe moyenne asiatique. En 2007, McKinsey a prédit que les consommateurs indiens de la classe moyenne passeraient de 50 millions à 583 millions d’ici 2025. L’année suivante, Goldman Sachs prévoyait que les inégalités mondiales allaient s’effondrer en raison de l’«explosion de la classe moyenne mondiale»16. La première grande approche quantitative de cette classe moyenne «gonflée» est parue en janvier 2009, sous la plume de Martin Ravallion, économiste à la Banque mondiale. Il a défini la «classe moyenne» comme étant composée des personnes vivant avec entre 2 et 13 dollars par jour, le seuil supérieur choisi étant à peu près équivalent au seuil de pauvreté américain de 2005. En d’autres termes, les «bourgeois» en pleine ascension étaient économiquement équivalents aux pauvres américains. Selon Ravallion, la classe moyenne mondiale avait augmenté de plus de 800 millions de personnes entre 1990 et 2005.

Un examen plus approfondi a toutefois révélé que 622 millions d’entre eux se trouvaient en «Asie de l’Est en développement», c’est-à-dire en Chine. Mais si la classe moyenne chinoise payée entre 2 et 13 dollars par jour avait «explosé» de 15 à 62% de la population, les changements dans les autres régions du monde étaient comparativement modestes. En Asie du Sud, les personnes ayant de 2 à 13 dollars à dépenser par jour étaient passées de 17 à 26% de la population; en Afrique, de 23 à 26%; au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de 76 à 79%; en Amérique latine, de 63 à 66% — bien que dans chaque cas, la nouvelle «augmentation» se fût principalement concentrée «juste au-dessus de 2 dollars par jour». Entre-temps, en Europe de l’Est et en Asie centrale, la classe moyenne avait en fait légèrement diminué, passant de 76 à 73%17.

Alors que les classes moyennes étaient considérées comme «montantes» dans le Sud, on a constaté qu’elles se réduisaient dans le Nord

Vu sous cet angle étroit de 2 à 13 dollars, le développement de la «classe moyenne» asiatique dans les années 1990 et 2000 a effectivement été impressionnant, suscitant une avalanche de littérature encourageante. La contribution la plus significative a été un rapport de 2010, The Rise of Asia’s Middle Class, de la Banque asiatique de développement (BAD), un organisme interétatique basé à Manille aux Philippines. Publié pendant la profonde récession causée par le krach financier de 2008, le communiqué de presse du rapport de la BAD prévoyait que «la classe moyenne de l’Asie en développement, en rapide expansion, assumerait probablement le rôle traditionnel des États-Unis et de l’Europe en tant que principaux consommateurs mondiaux et contribuerait à rééquilibrer l’économie mondiale». Le rapport affirmait que les consommateurs asiatiques constitueraient 43% de la consommation mondiale d’ici 203018. Ce qu’il fallait comprendre, c’est que: la classe moyenne asiatique allait sauver le monde, ou au moins l’économie capitaliste mondiale. Selon la BAD, la classe moyenne de l’«Asie en développement» — c’est-à-dire hors Japon — était passée de 569 millions à 1,9 milliard entre 1990 et 2008, soit de 21 à 56% de la population. Cette classe moyenne était désormais définie comme gagnant de 2 à 20 dollars par jour, la limite supérieure étant fixée à peu près au seuil de pauvreté en Italie.

Les calculs des comptes nationaux ont donné une image quelque peu différente mais avec la même tendance impressionnante19. La fascination pour la classe moyenne asiatique n’a conduit à aucun accord sur la taille réelle du géant. Il y a quelques années, une analyse chinoise a révélé que les estimations scientifiques de la classe moyenne de la République Populaire de Chine se situaient entre 4 et 33%, ce qui est bien loin de l’estimation de 89% de la BAD20. La «classe moyenne» indienne peut comprendre entre 10 et 64% de la population.

En fait, la discussion la plus intéressante en Asie sur la nouvelle classe moyenne se déroule probablement en Inde, où un public intellectuel hétérogène débat non seulement de sa taille et de sa croissance, mais aussi de sa signification sociopolitique, en relation avec un projet politique national de «changement de l’Inde». Pour Leela Fernandes, elle représente «la construction politique d’un groupe social qui fonctionne comme un promoteur de la libéralisation économique». Pour Dipankar Gupta, en revanche, le terme «classe moyenne» revêt un caractère «pathologique» en Inde, précisément parce qu’aucun projet n’y est rattaché: au lieu de cela, «nous sommes assaillis de statistiques sur la consommation»21.

Si la classe moyenne compte de nombreux petits entrepreneurs, la plupart d’entre eux ne semblent pas être des capitalistes en herbe

La question posée par le rapport2010 de la BAD — à savoir si les nouveaux consommateurs asiatiques de la classe moyenne pouvaient compenser la baisse du pouvoir d’achat de la classe moyenne américaine — a également été abordée par l’économiste Homi Kharas. En utilisant une définition plus intercontinentale de la consommation de la classe moyenne, de 10 à 100 dollars par jour, Kharas a prédit une augmentation de la classe moyenne mondiale de 1,8 milliard en 2009 à 4,9 milliards en 2030, alors que l’économie mondiale pivotait vers l’Asie22. La montée d’un énorme marché de consommation asiatique fait clairement partie d’un changement continu de l’économie mondiale. Mais «classe moyenne» et «pauvreté» ne sont pas des mots vides de sens qui peuvent être utilisés arbitrairement. L’économiste John West, basé à Tokyo, a attiré l’attention sur les distorsions créées par le transfert conscient ou inconscient des connotations occidentales historiques sur la «classe moyenne» aux nations orientales contemporaines, donnant naissance à ce qu’il appelle «la société mythique de la classe moyenne en Asie»23.

Les espoirs de l’Afrique

La Banque africaine de développement a suivi son homologue asiatique en 2011 avec un rapport optimiste dans The Dynamics of the Middle Class in Africa: «Il est largement reconnu que la classe moyenne est l’avenir de l’Afrique.» Comme elle est «associée à une meilleure gouvernance, à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté», favoriser son développement «devrait être d’un intérêt primordial pour les décideurs politiques»24. Utilisant la même fourchette de 2 à 10 dollars par jour, le rapport affirme que la classe moyenne africaine (y compris l’Afrique du Nord) atteint 34% de la population du continent en 2010, après avoir stagné autour de 28% entre 1980 et 2000. Avec 327 millions d’habitants, elle est désormais «à peu près de la taille de la classe moyenne en Inde ou en Chine» (ce qui est exagéré, étant donné que la BAD avait revendiqué une classe moyenne chinoise de 845 millions de personnes, soit plus de 80% de la population totale de l’Afrique en 2010). Les rangs de cette nouvelle bourgeoisie africaine, comme l’écrit The Economist, s’étaient accrus de 122 millions d’âmes depuis 2000; parmi elles, quelque 93 millions vivaient avec 2 à 4 dollars par jour.

D’autres études sur la classe moyenne africaine se sont montrées plus sérieuses. Le professeur Henning Melber note avec perplexité l’impact sur les études africaines de l’approche consumériste exposée ci-dessus, initiée par «une poignée d’économistes». Mais Melber reconnaît également l’attrait populaire d’être identifié à la classe moyenne, en s’appuyant sur une étude du township noir de Soweto à Johannesburg. Deux tiers des personnes interrogées se considèrent comme appartenant à la classe moyenne alors que seulement 7% de la population exercent des professions de classe moyenne, 25% sont des travailleurs salariés, 23% sont au chômage, 21% sont des travailleurs occasionnels et le reste des retraités ou des étudiants25. Vers 2015, le battage autour d’une nouvelle classe moyenne africaine s’est dissipé. De Londres, le Financial Times a rapporté que les entreprises étrangères réduisaient leurs activités sur le continent faute de consommateurs de la classe moyenne. The Economist en a également pris note, décrivant désormais la classe moyenne africaine comme «rare». Tous deux ont présenté des estimations nettement réduites: 15 millions dans onze des plus grandes économies nationales du continent, a indiqué le Financial Times sur la base d’une enquête de la Standard Bank, soit seulement 6% de la population selon The Economist, citant le Pew Center26.

La circonspection latino-américaine

L’intérêt de l’Amérique latine pour la classe moyenne s’est également intensifié en2010, mais a pris une forme très différente. Le battage médiatique était absent, et les perspectives socio-économiques et sociologiques avaient plus d’importance que le nombre des personnes gagnant deux dollars. Cet enthousiasme réduit s’explique par le fait que le sous-continent ne se distinguait pas dans les tableaux de croissance des classes moyennes: une hausse de seulement 3points de pourcentage entre1990 et2005 selon Ravallion. À partir de2010, trois grands rapports ont été publiés. The Middle Class in Latin America, une analyse sociologique combinant une approche par classe professionnelle et par distribution des revenus, a été publiée par la CEPAL, la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine. Parallèlement, une évaluation socio-économique a été réalisée par le bureau Amériques du Centre de développement de l’OCDE dans son rapport annuel Perspectives économiques de l’Amérique latine 2011, sous-titré «Quelle est la classe moyenne en Amérique latine?» Trois ans plus tard, la Banque mondiale a publié une contribution importante, Economic Mobility and the Rise of the Latin American Middle Class. Ces réponses institutionnelles ont utilisé des définitions de classe différentes et ont brossé trois tableaux différents de l’Amérique latine.

L’étude de la CEPAL est partie de la question «De quoi parlons-nous lorsque nous parlons de la classe moyenne?» et a dressé une carte de la stratification sociale dans laquelle les «couches moyennes» — terme utilisé de préférence à «classe moyenne» — pouvaient être situées. Les couches moyennes ont été définies en termes d’occupation (col blanc) et de revenu (quatre fois le seuil de pauvreté urbain). Alors que l’étude a identifié une croissance substantielle de ces couches sociales, due en grande partie à une augmentation de la couche inférieure, ses conclusions ont souligné l’hétérogénéité sociale et les variations entre pays, variations illustrées par cinq monographies sur des pays contrastés27.

La contribution du Centre de développement de l’OCDE était axée sur l’aspect politique et visait à identifier les conditions de soutien politique des classes moyennes. L’hypothèse directrice était que si ces secteurs avaient «un emploi stable et des revenus raisonnablement stables», ils fourniraient «une base solide pour le progrès économique», alors que s’ils avaient «des revenus précaires et un emploi instable […] leurs préférences politiques pourraient s’orienter vers des plateformes populistes pas nécessairement propices à une bonne gestion économique»28. D’après la définition de l’OCDE, ces «secteurs intermédiaires» étaient composés de ménages dont le revenu se situait entre 50 et 150% du revenu médian, une augmentation non motivée de la fourchette plus courante de 75 à 125% proposée autrefois par l’éminent économiste Lester Thurow. La conséquence a été que les travailleurs informels, sans réel contrat de travail, étaient plus représentés dans les «secteurs intermédiaires» de l’OCDE que les employés contractuels.29. En ce qui concernait les perspectives politiques, le rapport de l’OCDE se terminait sur une note d’un optimisme prudent concernant les secteurs intermédiaires et le potentiel de changements positifs dans la distribution des revenus, la protection sociale et la création d’opportunités.

Le rapport de la Banque mondiale sur l’Amérique latine était une enquête élaborée avec deux thèmes principaux, la mobilité des revenus et le volume croissant de la classe moyenne. Elle commençait en fanfare: le continent est «une région à revenu moyen en passe de devenir une région de classe moyenne». Mais le ton se faisait plus discret en cours de route: la région n’est pas encore une «société de classe moyenne» où «la plupart des gens gagnent un revenu suffisamment élevé pour consommer, vivre et se comporter [sic] comme des citoyens de la classe moyenne». En fait, «la vulnérabilité à la pauvreté reste une préoccupation majeure pour la majorité, et les politiques sociales continueront à jouer un rôle important dans un avenir prévisible». Néanmoins, la Banque mondiale prédisait un grand avenir à la classe moyenne latino-américaine: d’ici 2030, elle passerait de 30 à 40% de la population du continent30.

La pauvreté est un concept social, pas une quantité d’argent en dessous d’un certain seuil. C’est donc un principe intrinsèquement relationnel

S’appuyant sur l’«approche de la vulnérabilité», le rapport a lancé une nouvelle définition de la «classe moyenne», désormais basée sur la sécurité économique — ignorant une fois de plus les connotations historiques de ce terme. Sur cette base, la classe moyenne est celle qui a une probabilité de moins de 10% de tomber dans la pauvreté dans les cinq ans. Dans certains pays d’Amérique latine, cela se traduirait par un revenu par habitant de 10 dollars par jour; dans d’autres, ce ne serait pas le cas. Les auteurs se contentaient, de manière pragmatique, de 10 dollars par jour comme limite inférieure. Sans fournir de justification, ils ajoutaient également une limite supérieure de 50 dollars par jour. Sur cette base, ils ont déclaré que la classe moyenne latino-américaine avait doublé entre 1992 et 2009, passant de 15,5% de la population à près de 30%31.

En résumé, les idées fantasmées de classe moyenne au Sud les plus ambitieuses ont été asiatiques, concentrées en Chine et en Inde, bien qu’elles aient touché toute l’«Asie en développement», à l’exception des zones en guerre de l’Ouest asiatique. Dans cet imaginaire du 21e siècle, le Sud surfe sur une vague d’expansion perpétuelle de la classe moyenne, le changement social le plus important de l’époque. Dans sa plus grande portée, ce rêve de classe moyenne idéalisée était liée à un déplacement du centre de gravité économique mondial, de l’Amérique du Nord et de l’Europe vers l’Asie. S’il n’y avait pas de consensus sur la forme et le contenu de cette classe, ni sur le rythme de sa croissance, il était largement admis que cela signifierait plus d’argent et plus de consommation. L’avenir semble naturellement plus modeste vu d’Abidjan ou de Santiago du Chili, sièges respectifs de la Banque africaine de développement et de la CEPAL. En Afrique comme en Amérique latine, la conception de la classe moyenne rêvée s’est heurtée aux réalités de la structure sociale. Mais le rêve du Sud persiste; la dernière prédiction de Homi Kharas suggère que d’ici 2030, la «classe moyenne» sera dominante, avec 63% de la population mondiale32.

Les cauchemars du nord

Alors que les classes moyennes étaient considérées comme «montantes», «en expansion» et «explosives» dans le Sud, on a constaté qu’elles se réduisaient dans le Nord. «Nous avons observé, ont conclu les éminents spécialistes des inégalités Anthony Atkinson et Andrea Brandolini, une réduction de la classe moyenne entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2000.» Dans une étude portant sur quinze pays de l’OCDE, les «60% moyens» ont perdu des parts de revenus «au profit du cinquième le plus riche» dans tous les pays sauf le Danemark, et dans dix pays, la classe moyenne a en fait diminué33: «la démocratie libérale peut-elle survivre au déclin de la classe moyenne?»34

En2018, l’OCDE a publié un aperçu du sombre avenir des classes moyennes concernant la mobilité sociale, le statut socio-économique par rapport à leurs parents et les perspectives d’avenir35. S’ensuivit en 2019 une étude de plus grande envergure, Under Pressure: The Squeezed Middle Class (sans point d’interrogation!), qui utilise une fourchette de 75 à 200% du revenu disponible médian comme définition de la classe moyenne. La taille de cette population dans les pays de l’OCDE (c’est-à-dire les pays riches) a diminué en moyenne de 64 à 61% entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2010. L’écart par rapport aux riches s’est accru, le revenu des 10% les plus riches ayant augmenté d’un tiers de plus que celui de la classe moyenne. En outre, la part des revenus de la classe moyenne a chuté plus que sa part dans la population, soit de cinq points de pourcentage; le résultat a été une augmentation de la dette — 20% des ménages de la classe moyenne dépensent désormais plus qu’ils ne gagnent36.

La seule évolution positive dans le Nord a été l’entrée accrue des plus de 65 ans dans les rangs de la classe moyenne, sauf aux États-Unis. Pour le reste, Under Pressure dépeint un tableau sombre, concluant que «de nombreux ménages de la classe moyenne considèrent notre système socio-économique comme injuste» parce qu’il ne leur bénéficie pas autant qu’aux groupes à revenus élevés. En outre, «le coût de la vie de la classe moyenne est de plus en plus cher, notamment en ce qui concerne le logement, une bonne éducation et les soins de santé». Pour de nombreux membres de la classe moyenne, les perspectives du marché du travail sont incertaines: un travailleur sur six à revenu moyen occupe un emploi «à haut risque d’automatisation». Under Pressure n’est pas apocalyptique, contrairement au flot de lamentations nationales que nous examinerons plus loin, mais il fait remarquer, avec une certaine ironie, que pour beaucoup, «le rêve de la classe moyenne n’est de plus en plus qu’un rêve»37. Qu’est-ce qui a mal tourné?

La littérature qui se concentre sur la classe moyenne ne voit pas les inégalités systématiques produites par le capitalisme post-industriel contemporain

Le déclin de la classe moyenne du Nord a commencé aux États-Unis à la fin des années 1970. Il a été porté à la connaissance du public grâce au travail de quelques observateurs aux yeux perçants au milieu des années 1980, bien que leurs conclusions aient d’abord été démenties par les principaux leaders d’opinion. En 1986, une économiste de la Réserve fédérale, Katherine Bradbury, a publié un document sur «la réduction de la classe moyenne» (The Shrinking Middle Class), qui a constaté une baisse de cinq points de pourcentage dans la proportion des familles ayant des revenus de 20000 à 50000 dollars entre 1973 et 1984, dont 4% étaient dus à la mobilité vers le bas38. Dans leur excellent livre The Great U-Turn, Bennett Harrison et Barry Bluestone ont situé cette chute dans le contexte des développements historiques au sein du capitalisme américain: la chute des profits due à la concurrence étrangère, qui a entraîné la désindustrialisation, la restructuration et la financiarisation des entreprises, creusant et polarisant le marché du travail américain. Les auteurs se demandent si tout cela annonce la fin de la classe moyenne en Amérique. Mais c’était une époque pré-apocalyptique, et ils ont répondu par la négative: «la classe moyenne en Amérique est résistante. Les travailleurs luttent pour maintenir leurs salaires contre la force de la désindustrialisation.»39

Après le crash de 2008, même le discours officiel s’est assombri. Un groupe de travail de la Maison Blanche mis en place par l’administration Obama pour étudier le problème a utilisé un langage fade et prudent, définissant la «classe moyenne» avec un accent idéologique sur les «aspirations» — l’accession à la propriété, la formation universitaire pour leurs enfants, la santé et la sécurité de la retraite, les vacances en famille. La principale conclusion était que, le coût des soins de santé, des études et du logement augmentant plus rapidement que les revenus, il était devenu «plus difficile» pour de nombreux Américains «d’atteindre le statut de classe moyenne»40. Au fil de la décennie, le discours est devenu plus apocalyptique. En 2017, l’économiste du MIT Peter Temin a rassemblé des preuves pour montrer que la classe moyenne américaine (désormais définie comme celle qui dispose de 67 à 200% du revenu médian américain) était en train de disparaître; sa part de revenu était passée de 63% en1970 à 43% en2014. Ce milieu creux laissait aux États-Unis une «double économie», au sens de l’analyse du capitalisme du tiers monde faite par Arthur Lewis, avec un secteur ETP (finance, technologie, électronique) représentant environ 20% de la population et fixant les règles de l’économie, tandis qu’un secteur à bas salaires abritait les 80% restant41.

Les faits suggèrent que ces «classes moyennes» du Sud et du Nord convergent sur l’autoroute de l’inégalité capitaliste du 21e siècle

Les implications du nouveau virage du capitalisme pour les classes moyennes européennes ont été mises à jour relativement tard42. C’est seulement au cours de la dernière décennie que les cauchemars de la classe moyenne sont venus hanter les auteurs européens, à la suite du krach financier de 2008. Au Royaume-Uni, le directeur d’un think-tank du «centre radical» s’est inquiété dans Broke: Who Killed the Middle Classes?sur son «appauvrissement» et sa «corrosion», avertissant que «c’est la destruction causée aux classes ouvrières qui l’attend désormais» — et s’est demandé si Marx n’avait pas eu raison: le capitalisme pourrait encore culminer avec la prolétarisation des classes moyennes. En Allemagne, le journaliste Daniel Goffart a annoncé «la fin de la couche moyenne» (ici, les personnes qui touchent 70 à 150% du revenu médian) qui est passée de 48 à 41% de la population entre1991 et2015, avec une menace supplémentaire pour l’emploi due à la numérisation. En France, le géographe social Christophe Guilluy annonce «la fin de la classe moyenne occidentale», concept qui pour lui est «avant tout culturel», sa disparition se mesurant «par la perte d’un statut» incarnant le mode de vie européen ou américain; les «catégories populaires, les ouvriers et les employés» sont désormais passées «de désirables à déplorables»43.

Les classes moyenne dévoilées

Dans cette brève étude de la littérature récente, nous avons rencontré une variété déconcertante de groupes appelés «classe moyenne». Il est clair, comme le font remarquer Ferreira et ses collègues de la Banque mondiale dans leur étude sur l’Amérique latine, que «définir la classe moyenne n’est pas une mince affaire44». Si les définitions en tant que telles ne sont ni correctes ni incorrectes, elles peuvent être éclairantes ou déroutantes, conformes à l’usage historique ou arbitrairement idiosyncrasiques; lorsqu’elles sont rédigées dans un langage courant, les nouvelles définitions peuvent avoir des connotations trompeuses. En d’autres termes, les concepts qui sous-tendent ces rêves et ces cauchemars doivent être examinés à la lumière du jour.

Le monde rêvé d’une classe moyenne au Sud est fondé sur un lien à somme nulle entre la classe moyenne et la pauvreté; la montée de l’une est le revers du déclin de l’autre. Comme nous l’avons noté, il s’agit littéralement d’une perspective de banquiers et de consultants en affaires — Goldman Sachs, McKinsey, les banques de développement orientées vers les entreprises, la Banque mondiale — et elle encadre le monde d’une manière très particulière: parfois large, elle n’est capable de voir qu’un monde de commerce et de consommation; il n’y a ni producteurs, ni classe ouvrière, ni relations sociales.

Aux yeux des banquiers, la «classe moyenne» et la «pauvreté» sont définies uniquement par le signe du dollar. Le relationnel et le relatif ont été absolutisés et retournés sur eux-mêmes.La classe moyenne est un concept intrinsèquement relatif, désignant une strate entre au moins deux autres. La pauvreté désigne le fait d’avoir moins de ressources par rapport à d’autres ressources pertinentes, comme l’indique le fait que les pays riches et les pays pauvres établissent des seuils de pauvreté différents. En ce sens, la pauvreté est également relative. Ce discours a une incitation, économique et politique, à vider ces termes de leur sens sociologique, car cela permet de gonfler l’un et de diminuer l’autre. Pourtant, l’utilisation d’un concept de langage courant comme celui de «classe moyenne» avec une définition technique idiosyncrasique peut induire le lecteur en erreur, et traiter de cette manière un concept aussi historiquement établi et sociopolitiquement chargé est soit imprudent soit malhonnête. La quantification fréquente de la «classe moyenne» du Sud (ou, plus prudemment, «secteurs moyens») comprenant ceux qui gagnent entre 2 et 4 dollars par jour intègre les vendeurs de rue, les travailleurs journaliers et autres travailleurs sans contrat et sans droits. Soixante pour cent des «secteurs moyens» latino-américains selon l’OCDE se trouvent dans l’économie informelle45. Il faut apparemment un esprit exceptionnel pour discerner les travailleurs dans la brume de la classe moyenne du monde fantasmé du Sud.

En 2008, une étude réalisée par Abhijit Banerjee et Esther Duflo a posé la question suivante: «Dans quelle mesure peut-on qualifier de “classe moyenne” les classes moyennes du monde?» En examinant les ménages ayant un budget par habitant de 2 à 10 dollars par tête et en s’appuyant sur des recherches approfondies sur le tiers monde, ils ont constaté que «si la classe moyenne compte de nombreux petits entrepreneurs, la plupart d’entre eux ne semblent pas être des capitalistes en herbe. Ils dirigent des entreprises, mais, pour la plupart, uniquement parce qu’ils sont relativement pauvres et que chaque petit geste compte». Pourquoi est-ce important? «Cela nous conduit à l’idée du “bon emploi”», — une idée à laquelle les économistes ont souvent résisté — «au motif que les bons emplois peuvent être des emplois coûteux pour les employeurs». Mais, concluent Banerjee et Duflo, «le propre de la classe moyenne est d’avoir un emploi stable et bien rémunéré»46.

L’Inde néolibérale est devenue les États-Unis du Sud et, comme les États-Unis, présente clairement une courbe en U de l’inégalité économique

La logique du monde fantasmé par le Sud suggère que l’expansion des «classes moyennes» signifie que la pauvreté est sur le point de disparaître, tout comme elle a prétendument disparu dans de grandes parties du Nord. Selon la Banque mondiale, la pauvreté en Europe — mesurée à moins de 3,20 dollars par jour — est inexistante. En revanche, en examinant des indicateurs plus larges, les économistes d’Eurostat considèrent de manière plus convaincante que 22% de la population européenne sont «menacés de pauvreté et d’exclusion sociale»47. Car la pauvreté est un concept social, pas un concept biologique, ni une quantité d’argent inférieure à un certain seuil. De ce fait, elle est intrinsèquement relationnelle, se référant à une disposition des ressources inférieure à la médiane.

Si l’ascension de la classe moyenne au Sud semble moins rose en plein jour, son apocalypse au Nord semble moins calamiteuse. Depuis le milieu des années 1980, les classes moyennes de l’OCDE (définies à 75-200% du revenu médian) sont passées en moyenne de 64 à 61% de la population, tandis que leur part dans le revenu national a diminué de cinqpoints de pourcentage. La Suède et les États-Unis ont été les épicentres du déclin, la part des revenus de la classe moyenne ayant respectivement chuté de onze et neuf points de pourcentage. En France, en Irlande et au Danemark, en revanche, la catégorie des classes moyennes a (légèrement) augmenté en taille au cours de cette période48. Les problèmes rencontrés par la jeunesse du Nord pour accéder à l’enseignement supérieur et au logement sont réels dans ces pays du monde riche où les frais universitaires sont élevés et le logement marchandisé. Mais la littérature qui se concentre sur la classe moyenne ne voit pas les inégalités systématiques produites par le capitalisme post-industriel contemporain. Son discours est le cauchemar d’une classe qui tente de s’isoler de ces dynamiques. Mais dans quelles directions tendent-elles ?

Des chemins convergents vers l’inégalité

Pour paraphraser Oscar Wilde sur l’Angleterre et l’Amérique, on peut dire que le Sud et le Nord sont divisés par une classe commune. Cependant, les faits suggèrent que ces «classes moyennes» convergent sur l’autoroute de l’inégalité capitaliste du 21esiècle. Les habitants du Sud viennent de la pauvreté et ceux du Nord d’un confort relatif, mais il semble probable qu’ils vont se retrouver, après une lutte acharnée, abandonnés par une bourgeoisie de plus en plus riche, et ayant des relations incertaines avec les classes populaires des travailleurs, du précariat et des chômeurs. Et bien qu’ils soient divisés au niveau national, ils vivent sous le même nuage climatique (et sont confrontés à des risques viraux similaires). Certaines tendances se dégagent, même si nous limitons notre observation à la part des revenus.

Comme la limite supérieure pour la classe moyenne du Sud dans l’aperçu de la Banque mondiale de Ravallion était la ligne de pauvreté américaine, la trajectoire récente et les horizons sociaux des pauvres aux États-Unis pourraient bien anticiper sur l’avenir des classes moyennes «montantes» du Sud. Les Américains les plus pauvres, soit environ 20% de la population américaine, sont à peu près équivalents aux «classes moyennes» du Sud49. Comme le montre le tableau1, leur retard s’est encore creusé depuis 1980. Ce que l’équipe de Thomas Piketty au World Inequality Lab appelle les «40% du milieu» (le noyau et les rangs supérieurs de la classe moyenne américaine) ont également perdu du terrain au profit Les Américains dont les revenus représentent jusqu’à 125% du seuil de pauvreté national (actuellement 26200 dollars par an pour un ménage de quatre personnes) représentent environ 20% de la population américaine.es riches, ou de ce que l’on peut appeler à juste titre la bourgeoisie. Le développement des États-Unis est extrême, mais pas sui generis. Entre 1985 et 2017, les «40%» britanniques ont perdu quatrepoints de pourcentage de leur part de revenu, tandis que les dix premiers ont augmenté leur part de cinq points. En Allemagne, les dix premiers se sont approprié huitpoints de pourcentage supplémentaires du revenu national, tandis que le «milieu» a perdu un point, et en France le «milieu» a perdu deuxpoints et les dix premiers ont gagné trois points50.

L’expérience du Nord suggère donc que la prochaine étape juste au-dessus de la pauvreté est l’expérience d’une inégalité croissante, qui pour les perdants représente un autre type de pauvreté — la conscience de n’avoir que de maigres ressources pour s’en sortir dans la vie — et qui est reconnue comme telle par les autorités du Nord. Les classes moyennes du Sud connaîtront-elles un sort similaire? Il convient de rappeler que le Nord a connu une période de «croissance inclusive», c’est-à-dire une croissance accompagnée d’une diminution des inégalités au cours de la période1945-1980, époque de l’influence du mouvement ouvrier. Ceux qui rêvent d’une classe moyenne dans le Sud effacent délibérément le souvenir de cette époque, mais la question doit être posée: une égalisation est-elle en vue dans le Sud? Une réponse complète nécessiterait un autre article. Cependant, comme le montre le tableau 2, les tendances distributives actuelles en Chine et en Inde indiquent une convergence à bref délai sur la voie de l’inégalité croissante. En d’autres termes, les rêves d’hier du Sud risquent de se transformer en cauchemars similaires à ceux du Nord.

En Chine et en Inde, foyers de la «classe moyenne montante», même les «40% du milieu» perdent du terrain: le taux de croissance des revenus de la moitié inférieure de la population est inférieur à la moitié de celui de l’ensemble de la population. En Inde, la croissance pour les «40% du milieu» n’a atteint que la moitié de la moyenne nationale. L’Inde néolibérale est devenue les États-Unis du Sud et, comme les États-Unis, présente clairement une courbe en U de l’inégalité économique. La part des revenus du 1% supérieur indien est revenue à son niveau des années 193051. L’exclusion quasi totale de la moitié inférieure de la population américaine du partage des revenus de la croissance économique au cours des trente dernières années nous dit quelque chose d’important sur la démocratie capitaliste.

L’avenir probable qui attend les classes moyennes du Sud dans le cadre du système mondial actuel est mis en évidence dans le tableau 352. Il faut garder à l’esprit que les chiffres du Nord se réfèrent au revenu disponible après impôts et transferts: en d’autres termes, ils incluent les effets restants, bien qu’érodés, de la péréquation de 1945-80, une période dans laquelle le Sud n’est pas encore entré et qui, dans les conditions actuelles, n’arrivera peut-être jamais.

Les développements en Chine et en Inde sont cruciaux, mais on ne peut pas supposer qu’ils soient valables pour l’ensemble du Sud. Les données empiriques manquent encore pour de nombreux grands pays d’Asie et d’Afrique, mais les chiffres qui existent indiquent une certaine diversité. Au Brésil, sous les gouvernements PT, le revenu de la moitié inférieure de la population a augmenté plus rapidement que celui de la nation; mais, en termes absolus, les 10% supérieurs ont accaparé 58% de la croissance totale des revenus, et la moitié inférieure, 16%53. L’inégalité a été omniprésente dans l’Afrique du Sud post-apartheid, la moitié inférieure et la classe moyenne supérieure (les 50e à 90e percentiles) perdant chacune environ dix points de pourcentage de la part du revenu national, au profit du décile supérieur. Au Nigeria, les 90% les plus pauvres sont également fortement perdants face aux 10% les plus riches. En Turquie, en Thaïlande et en Malaisie, en revanche, une certaine péréquation économique a eu lieu. La répartition des revenus en Égypte a moins changé au cours des trois dernières décennies, selon la World Inequality Database, mais il y a eu une concentration croissante des revenus au sommet54.

Mais le plus important pour les tendances futures est que, nulle part dans le Sud, il n’y a de preuve d’une volonté égalitaire soutenue. Une telle tendance existait en Amérique latine au cours de la première décennie du siècle, mais elle a été stoppée, surtout par la politique de droite, mais aussi récemment, au Mexique, par la Covid-1955. De nouveaux rounds dans la bataille entre égalité et privilèges sont à venir en Argentine et au Chili. Mais, pour l’instant, l’inégalité croissante reste le résultat le plus probable.

Une perspective politique

Ceux qui espèrent que la montée de la classe moyenne mènera à une «bonne société» — respectant les mots de l’OCDE rappelant «son intolérance à la corruption et sa confiance dans les autres» — doivent tenir compte des jeunes et ambitieux partisans de Modi décrits par Snigdha Poonam dans Dreamers: des aspirants à la classe moyenne qui organisent des escroqueries sophistiquées en ligne ou depuis des centres d’appel situés dans des petites villes de l’Inde, en créant des pièges à clic, en vendant de faux emplois et de faux diplômes ou en extorquant de l’argent aux Américains âgés56. Les discours sur la classe moyenne devraient plutôt être lus comme décrivant des symptômes, comme l’expression de processus de développement plus larges. Au Nord, il faut retenir que la littérature dominante sur la classe moyenne est essentiellement une critique, bien que souvent indirecte, de l’augmentation continue des inégalités. Il ne s’agit pas de l’histoire d’une classe moyenne menacée par les syndicats ou les aides de l’État aux pauvres. Il s’agit d’une classe abandonnée, laissée pour compte par une direction économique et un modèle de vie autrefois admirés. En d’autres termes, il s’agit d’un discours objectivement progressiste, malgré son auto-apitoiement apocalyptique occasionnel. Il peut une base donner des arguments potentiellement percutants pour une imposition progressive. Comme le souligne l’OCDE dans Under Pressure, le «resserrement» de la classe moyenne du Nord touche principalement la jeune génération née après 1975-8057. C’est cette génération qui s’est ralliée aux campagnes étonnamment réussies de Corbyn et Sanders.

Les réalités du travail sont un autre lieu de rencontre entre la gauche, le mouvement ouvrier et la classe moyenne salariée. Il existe une contradiction croissante entre, d’une part, le professionnalisme des enseignants, du personnel de santé, des employés de la fonction publique et des fonctionnaires et, d’autre part, la notion de plus en plus envahissante de gestion capitaliste du travail pour le profit. La notion de profit est, et devrait être, un affront à tout vrai professionnel, qui est fier de l’expertise acquise et qui prend plaisir à la valeur intrinsèque de son travail. La révolution numérique naissante va probablement frapper durement les professions libérales, ainsi que la masse des employés. Un certain environnementalisme, très répandu dans la classe moyenne, se heurte déjà à la volonté d’accumulation des promoteurs immobiliers, des impitoyables sociétés d’extraction et des producteurs de pollution.

La croissance de la «classe moyenne» au Sud, quelle que soit sa définition, fait partie d’un changement social rapide et à grande échelle qui ne créera jamais une société centrée sur l’industrie (et donc sur la classe ouvrière socio-politiquement industrielle) semblable à celle que l’on trouvait auparavant au Nord. L’emploi industriel et manufacturier a déjà commencé à décliner en Asie et en Amérique latine, et il est très peu probable qu’il augmente au-delà des niveaux asiatiques actuels en Afrique58. La structuration sociale des forces pour l’égalité et la justice sociale sera différente cette fois-ci.

Tant que le socialisme était considéré comme un danger, des termes comme «capitalisme» et «bourgeoisie» étaient repoussés à la marge

Il est clair que la pandémie de Covid-19 provoque un grand déséquilibre, tant sur le plan viral qu’économique, avec une discrimination féroce au sein des classes et entre elles, entre les hommes et les femmes, les générations et les groupes ethniques. Ce que cela signifie pour les rêves et les cauchemars que nous avons examinés, c’est une convergence accélérée des classes moyennes du Nord et du Sud sur le sombre chemin de l’inégalité. Leur abandon commun par le grand capital numérique, avec à sa tête Amazon et Microsoft, a été maintes fois amplifié. La plupart des petites entreprises et des «entrepreneurs» indépendants de la classe moyenne du Nord ont été les perdants économiques de la crise du coronavirus. Plus encore, les travailleurs informels du Sud, qui gagnent entre 2 et 6dollars par jour, censés être intégrés dans la classe moyenne, risquent aujourd’hui de retomber dans la pauvreté absolue. La Banque mondiale et la CEPAL ont déjà signalé que le déclin tant vanté de l’extrême pauvreté dans le monde sera inversé59. En revanche, au Nord comme au Sud, les cadres supérieurs de la classe moyenne, les bureaucrates et les professionnels ont connu une crise relativement douce, conservant leurs salaires et travaillant en toute sécurité de chez eux.

La pandémie de 2020 a donc divisé la classe moyenne, tandis que le fossé entre ses membres les plus hauts placés et la vraie bourgeoisie se creuse encore, en raison des milliards de dollars de stimuli» que cette dernière a obtenus60. Les aspirations de la classe moyenne sont contrecarrées par la montée en flèche du chômage des jeunes, au Nord comme au Sud. La «marche progressiste» de la classe moyenne du Sud, quelle que soit sa définition, s’est arrêtée. Les cauchemars du Nord, en revanche, vont probablement se poursuivre. La préoccupation frénétique pour la consommation dans le discours dominant de la classe moyenne peut sembler frivole à l’ombre du coronavirus, et sous les nuages de plus en plus sombres du changement climatique.

D’autres questions importantes — les processus de formation de la classe moyenne contemporaine, le développement social et le potentiel politique — dépassent la portée de cet article. Pour l’instant, quelles conclusions peut-on en tirer? Premièrement, le monde ne peut être compris qu’à travers ses différences et ses inégalités, en adoptant une perspective à 360 degrés. À défaut, le monde est très différent selon le point de vue que l’on a; une vue du Nord peut être à l’envers depuis le Sud, et vice versa. Deuxièmement, la classe moyenne a une centralité discursive au début du 21esiècle, qui correspond à celle de la classe ouvrière un siècle auparavant. Elle doit être vue de façon symptomatique, comme un indicateur de changement social profond, ainsi que de façon critique, comme une idéologie du capitalisme de consommation. Troisièmement, le discours dominant sur la classe moyenne est profondément (mais pas toujours délibérément) idéologique, gonflant hors de toute proportion une entité nébuleuse à forte connotation politique — la classe moyenne — et dépeignant un monde de consommateurs sans producteurs. Quatrièmement, ce discours est également trompeur en ce qu’il donne un caractère absolu à la fois à la classe moyenne et à la pauvreté. La pauvreté est toujours relative, c’est le côté perdant du niveau actuel de distribution inégale des ressources; et le milieu doit être au milieu de quelque chose. Enfin, les classes moyennes émergentes du Sud se dirigent vers le maelström de l’inégalité capitaliste, où elles semblent destinées à converger avec les classes moyennes du Nord, durement touchées. La pandémie de Covid-19 est en train de briser le rêve des classes moyennes du Sud et d’accélérer les tendances inégalitaires analysées plus haut. La question de savoir où cela mènera reste ouverte.

Article publié à l’origine dans New Left Review 124, juillet-août 2020. Réimprimé et réduit avec autorisation.

Footnotes

  1. Homi Kharas et Kristofer Hamel, «A Global Tipping Point: Half the World is Now Middle Class or Wealthier», Brookings Future Development Blog, 27 septembre 2018; «Burgeoning Bourgeoisie», The Economist, 14 février2009; Peter Temin, The Vanishing Middle Class, Cambridge ma, 2017.
  2. Eric Hobsbawm, «Die Englische Middle Class, 1780-1830», dans Jürgen Kocka, réd, Bürgertum im 19. Jahrhundert, vol. 1, Munich, 1988, p.79.
  3. James Mill, «Essay on Government» [1829], cité par Hobsbawm, «Die Englische Middle Class, p.81. Le point de vue de Mill sur la sagesse et la vertu de la classe moyenne est encore aujourd’hui repris par les économistes du développement et les politologues, comme si ces classes n’avaient donné aucun soutien au fascisme et aux dictatures militaires dans l’intervalle.
  4. Alexis de Tocqueville,Souvenirs[1855], cité par Peter Gay,Schnitzler’s Century, New York, 2002, p.14. Les historiens de notre époque ont tendance à s’accorder sur le fait que le pouvoir et les privilèges de l’aristocratie foncière ont persisté dans la plus grande partie de l’Europe jusqu’en 1914: Arno Mayer, The Persistence of the Old Regime, New York 1981 [La Persistance de l’Ancien Régime, Flammarion, 1983].
  5. Pour plus de détails, voir l’important projet de recherche dirigé par Jürgen Kocka, Bürgertum im 19. Jahrhundert, 3 vol., Munich, 1988.
  6. Lettre à George Sand, cité ici dans Gay, Schnitzler’s Century, p.29.
  7. Adeline Daumard, Les bourgeois et la bourgeoisie en France, Paris, Flammarion, 1987. La transition est indiquée par le Petit Robert: un bourgeois est quelqu’un «de la classe moyenne et dirigeante».
  8. «Two Billion More Bourgeois», The Economist, 14 février 2009.
  9. Une conférence sociologique précisant les contours des classes moyennes s’est tenue en Bulgarie en1998: Nikolai Tilkidjiev, réd., The Middle Class as a Precondition of a Sustainable Society, Sofia, 1998.
  10. Cf. Marcus Gräser, «“The Great Middle Class” in the Nineteenth-Century United States», dans Christof Dejung, David Motadel et Jürgen Osterhammel, réd., The Global Bourgeoisie, Princeton, 2019.
  11. Sa «découverte» est le fruit du projet «East Asia Middle Class» de l’Academica Sinica à Taiwan. Voir Hsin-Huang Michael Hsiao, réd., Discovery of the Middle Classes in East Asia, Taipei, 1993.
  12. Le récit et les citations sont tirés de Li Chunling, «Changes in Theoretical Directions and Interests of Research on China’s Middle Class», dans Li, réd., The Rising Middle Classes and China, Beijing, 2012, pp.6-8.
  13. Jean-Louis Rocca, «Political Crossroad, Social Transformation and Academic Intervention: The Formation of the Middle Class in China», dans Li, The Rising Middle Classes and China, p.36. Cf. Li, «Changes in Theoretical Directions», p.8.
  14. En 1990, la Banque mondiale avait fixé le «seuil de pauvreté» à 375 dollars par an en dollars constants de 1985, seuil popularisé plus tard sous le nom de «dollar par jour». L’extrême pauvreté a commencé en dessous de 275dollars par an, ce qui correspond à la limite officielle de la pauvreté en Inde: World Bank, World Development Report 1990, Oxford, 1990, p.27.
  15. William Easterly, «The Middle-Class Consensus and Economic Development», World Bank Working Paper n°2346, mai2000. L’expression «consensus sur la classe moyenne» était donc trompeuse et devait être interprétée comme un symptôme du climat idéologique de l’époque. Le même article aurait pu être publié sous le titre «Égalité et développement économique», ce qui aurait donné une image très différente du problème.
  16. Eric Beinhocker et al., «Tracking the Growing of India’s Middle Class», McKinsey Quarterly, n°3, janvier2007; Dominic Wilson et Raluca Dragusanu, «The Expanding Middle: The Exploding World Middle Class and Falling Global Inequality», Goldman Sachs Global Economic Paper, n°170, 2008.
  17. Martin Ravallion, «The Developing World’s Bulging (but Vulnerable) “Middle Class”», World Bank Working Paper n°4816, 2009, tableau 3 et p.17.
  18. Asian Development Bank, «The Rise of Asia’s Middle Class», dans Key Indicators for Asia and the Pacific 2010, août 2010, partie1.
  19. Asian Development Bank, id., tableaux 2.1, 2.6 et 2.2.
  20. Li,op. cit., tableau 1.
  21. Leela Fernandes, India’s New Middle Class, Minneapolis, 2006, p. xviii; Dipankar Gupta, The Caged Phoenix: Can India Fly?, New Delhi, 2009, p.83. L’égoïsme insensible de la classe moyenne est une critique fréquente en Inde.
  22. Homi Kharas, «The Emerging Middle Classes in Developing Countries», OECD Development Centre Working Paper 285, 2010, pp.10–11, 38.
  23. John West, Asian Century on a Knife-edge, Londres, 2018.
  24. «The Middle of the Pyramid: Dynamics of the Middle Class in Africa»,AFDBMarket Brief, 20 avril 2011.
  25. Henning Melber, «“Somewhere above Poor but below Rich”: Explorations into the Species of the African Middle Class(es)», dans Melber, réd.,The Rise of Africa’s Middle Class, Londres, 2016, p. 3; James Thurlow, Danielle Resnick et Dumebi Ubogu, «Matching Concepts with Measurement: Who Belongs to Africa’s Middle Class?», Journal of International Development, vol. 27, n°5, juillet2015 est une autre contribution digne d’’intérêt.
  26. «Nestlé Cuts Africa Workforce as Middle-Class Growth Disappoints», Financial Times, 17 juin 2015; «Few and Far Between», The Economist, 24 octobre 2015.
  27. Arturo León, et al., «Clases medias en América Latina: Una visión de sus cambios en las últimas dos décadas», dans Rolando Franco, Martín Hopenhayn et Arturo León, réd., La clase media en América Latina, Mexico City et Buenos Aires, 2010, pp.95ss.
  28. OECD, Latin American Economic Outlook 2011, «How Middle-Class Is Latin America?», 3 décembre 2010, p. 15.
  29. OECD, id., p. 62.
  30. Francisco H. G. Ferreira, et al., «Economic Mobility and the Rise of the Latin American Middle Class», World Bank, 2013, pp.136, 144ss.
  31. Ferreira et al., id., pp.32–6, 147
  32. Kharas, «Global Tipping Point». Je n’ai pas vu de nouveaux articles sur la classe moyenne de sa part depuis le début de la pandémie.
  33.  Anthony Atkinson et Andrea Brandolini, «On the Identification of the Middle Class», dans Janet Gornick et Markus Jäntti, réd., Income Inequality: Economic Disparities and the Middle Class in Affluent Countries, StanfordCA, 2013, p.95. Dans le contexte de ce rétrécissement, la classe moyenne est définie par des intervalles autour du revenu national médian (75-125% de la médiane) et aussi par d’autres intervalles plus larges: p. 85.
  34. Francis Fukuyama, «The Future of History: Can Liberal Democracy Survive the Decline of the Middle Class?», Foreign Affairs, janvier-février2012, p. 7.
  35. OECD, A Broken Social Elevator? How to Promote Social Mobility, 15 juin 2018.
  36. OECD,Under Pressure: The Squeezed Middle Class, 1ermai2019, pp.13, 50.
  37. OECD, id., pp.32, 16, tableau 2.2
  38. Katherine Bradbury, «The Shrinking Middle Class», New England Economic Review, septembre-octobre 1986.
  39. Bennett Harrison et Barry Bluestone, The Great U-Turn, New York, 1988, p.137. Notez que dans le langage courant, les travailleurs de l’industrie sont souvent inclus dans la «classe moyenne». Cf. William Kreml, America’s Middle Class: From Subsidy to Abandonment, DurhamNC, 1997.
  40. Office of the Vice President, Middle Class Task Force, «Middle Class in America», janvier2010.
  41. Temin, Vanishing Middle Class. Daniel Markovits, professeur de droit à Yale, souligne l’accaparement d’une éducation de pointe de plus en plus coûteuse par une riche élite, de la maternelle à l’université, et comment ce type de méritocratie a «banni la majorité des citoyens en marge de leur propre société, reléguant les enfants des classes moyennes dans des écoles médiocres et des emplois sans avenir»: The Meritocracy Trap, Londres 2019, pp.xiii-xiv.
  42. En 2002, un grand tour d’horizon eurocentrique des «classes moyennes d’Amérique, d’Europe et du Japon» s’est concentré non pas sur la crise ou le déclin, mais sur la «pression» exercée par la mondialisation économique sur les contrats sociaux d’après-guerre; les conclusions de Harrison et Bluestone n’ont même pas été mentionnées. Bien que l’apparition d’une «angoisse de la classe moyenne» à la fin des années1990 soit notée par l’un des rédacteurs, seul le Japon est considéré comme étant en mode de crise, dans une nécrologie du japonologue Andrew Gordon de Harvard sur «La courte vie heureuse de la classe moyenne japonaise» ( «The Short Happy Life of the Japanese Middle Class») dans l’après-guerre. Voir Olivier Zunz, Leonard Schoppa et Nobuhiro Hiwatari, réd., Social Contracts under Stress, New York, 2002.
  43. Respectivement: David Boyle, Broke: Who Killed the Middle Classes?, Londres, 2013, pp.315, 273; Daniel Goffart, Das Ende der Mittelschicht, Munich, 2019, p.36; Christophe Guilluy, No society: La fin de la classe moyenne occidentale, Paris, Flammarion, 2018, pp.77–9.
  44. Ferreira et al.,op. cit., p.1.
  45. OECD, «Latin American Economic Outlook 2011», p.89.
  46. Abhijit Banerjee et Esther Duflo, «What is Middle Class about the Middle Classes around the World?», Journal of Economic Perspectives, vol. 22, n°2, 2008.
  47. Eurostat, «Europe 2020 Indicators — Poverty and Social Exclusion», août 2019.
  48. OECD, Under Pressure, p.19 et figure 2.5.
  49. World Inequality Database, tableaux nationaux.
  50. Facundo Alvaredo, et al., World Inequality Report 2018, World Inequality Lab, 2017, pp.127ss.
  51. Les revenus médians dans le Sud ne sont pas inclus dans la base de données sur les inégalités dans le monde.
  52. Alvaredo, et al.,op. cit., tableau2.11.3.
  53. World Inequality Database.
  54. La CEPAL a sorti un rapport intitulé La hora de igualdad[L’heure de l’égalité], Santiago, 2010. Voir aussi ma propre tentative d’analyse, «Moments of Equality: Today’s Latin America in a Global Context», dans Barbara Fritz et Lena Lavinas, réd., A Moment of Equality for Latin America, Farnham, 2015.
  55. Snigdha Poonam,Dreamers, Cambridgema, 2018; voir également OECD, Under Pressure, p.13.
  56. OECD, Under Pressure, pp.55, 57. Malgré les lamentations de Guilluy et d’autres, la classe moyenne française s’est maintenue économiquement mieux que dans beaucoup d’autres pays riches, mais les perspectives générationnelles pour les personnes nées après1975 ont suivi le courant dominant de l’OCDE à la baisse: Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil, 2006.
  57. Trade and Development Report 2016, United Nations Conference on Trade and Development, 21septembre2016; Dani Rodrik, «Premature Deindustrialisation», NBERWorking Paper 20935, février2015; «Employment in Industry», ILOSTAT, 2019.
  58. Carolina Sánchez-Páramo, «Covid-19 Will Hit the Poor Hardest. Here’s What We Can Do About It», World Bank Voices Blog, 23avril2020; Alicia Bárcena, «El desafío social en tiempos decovid-19», CEPAL, 12mai2020. Le PNUD qualifie la Covid-19 de «crise systémique du développement humain»: «Covid-19 and Human Development: Assessing the Crisis, Envisioning the Recovery»,PNUD, 20mai2020, p. 5.
  59. Voir Robert Brenner, «Escalating Plunder», NLR 123, mai-juin 2020. Voir aussi «Prospering in the Pandemic», Financial Times, 18 juin 2020. Jeff Bezos avait personnellement gagné 34,5 milliards de dollars au 4 juin.