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Précarité menstruelle : manger ou laisser couler ?

Elodie Mass

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Silena Bosco

—31 mars 2023

En 2018 l’ Écosse a rendu les protections hygiéniques gratuites pour toutes les personnes ayant leur règle. Pendant ce temps, la Belgique stagne alors que nombreux.ses sont celles et ceux qui s’enfoncent dans la précarité.

Une fois par mois, plus de la moitié de la population belge a ses règles. Les règles peuvent durer entre 3 et 9 jours en fonction de chaque individu. Les protections hygiéniques comme les serviettes, les tampons, les culottes de règle ont un coût conséquent. Certaines personnes doivent choisir entre manger et se protéger. Cette difficulté d’accès aux protections hygiéniques, c’est la précarité menstruelle. Selon la FEF (Fédération des Étudiants Francophones) 21% des étudiant.e.s ont déjà fait face à la précarité menstruelle 1.

Elodie Mass (23) étudie les relations internationales à l’ULB

2000 euros, c’est le coût des règles au cours d’ une vie2. En Belgique cette somme ne couvre que l’achat de protections hygiéniques. On peut rajouter à la note : les antidouleurs, la contraception, les rendez-vous gynécologiques souvent mal remboursés. 370 000 femmes sont pauvres dans le pays et ne peuvent pas se permettre de dépenser de telles sommes3. Ces femmes sont souvent obligées de faire passer d’autres besoins primaires avant leur hygiène remettant en cause leur dignité et leur santé. Par manque de moyens, ces personnes menstruées n’ont pas le choix de faire des économies de protections hygiéniques alors même qu’un tampon par exemple, s’il est gardé plus de huit heures, peut provoquer un choc toxique qui peut s’avérer mortel.

Selon la FEF (Fédération des Étudiants Francophones) 21% des étudiant.e.s ont déjà fait face à la précarité menstruelle.

Au-delà de la précarité menstruelle, le tabou autour des règles persiste. En France, une étude de Règles Élémentaires montre qu’une Française sur deux pense que les règles sont taboues4. Dans un premier temps, les personnes menstruées ne sont pas suffisamment éduquées sur la gestion de leurs règles et n’en parlent pas. Dans un second temps, par souci d’inconfort, de honte ou de manque de protections, ces personnes se voient obligées de ne pas se rendre sur leur lieu de travail, à l’université, à l’école. Cette précarité menstruelle les exclut de la société. Cette situation renforce non seulement la précarité mais aussi l’exclusion. Les règles sont un enjeu de santé publique, social, éducatif et politique.

Silena Bosco (22) étudie le journalisme à l’ULB

Depuis peu, nos gouvernements ont réduit la TVA sur les protections hygiéniques à 6%5. Jusqu’en 2018 cette taxe était de 21%, comme pour le champagne ou le caviar ! S’il s’agit d’une avancée, elle est loin d’être suffisante. En effet, les protections hygiéniques sont restées chères et cette baisse de taxe n’a pas eu d’impact majeur sur la précarité menstruelle. Une personne dans la précarité menstruelle doit alors trouver une alternative pour gérer des saignements continus pendant sept jours. Les règles c’est des pertes de sang mais ça peut aussi être des douleurs abdominales, des migraines, de l’acné, des maux de dos qui doivent être soignés. Il existe aussi des maladies liées aux menstruations telles que l’endométriose. La plupart des médicaments prescrits pour ces maux ne sont pas totalement remboursés par la mutuelle. De plus, en cas de règles douloureuses, l’une des seules solutions proposées jusqu’à présent est la pilule. Les protections hygiéniques et le coût des soins annexes est une charge supplémentaire. Avec la crise actuelle, les prix ont augmenté de 14,53%, et les protections hygiéniques n’y échappent pas6. En plus de cela, en Belgique, les femmes gagnent 21,6% de moins que les hommes, tous secteurs confondus7. Pourtant elles ont une charge financière supplémentaire qui ne concerne pas les hommes. C’est un cercle vicieux. Il faut que les protections hygiéniques deviennent gratuites pour garantir le droit à la santé, à la dignité et à l’égalité.

Cette proposition est loin d’être irréaliste. Depuis 2020, les protections hygiéniques sont gratuites en Écosse8. Le pays britannique est le premier à prendre cette mesure dans le monde. Les serviettes et les tampons sont à disposition gratuitement pour toutes dans les écoles primaires, secondaires, à l’université et dans les organismes publics. Pour réaliser ce projet, l’Écosse a débloqué 11 millions d’euros9 pour 5 millions d’habitants, soit un investissement de 2,2 euros par écossais.es. Une vraie volonté de lutter contre la précarité menstruelle a été manifestée par les parlementaires écossais mais aussi par des syndicats et des organisations de femmes. Les pouvoirs publics écossais ont décidé d’investir pour enrayer la précarité menstruelle et donc lutter contre la pauvreté et les inégalités entre les femmes et les hommes.

Quant à l’Espagne, elle a voté récemment le congé menstruel, permettant aux femmes ayant des règles douloureuses de pouvoir rester chez elles sans perte de revenu. Cette mesure permet de briser le tabou des règles et de combattre l’exclusion sociale et économique des personnes menstruées.  Nos voisins européens prennent véritablement en main le problème de la précarité menstruelle et investissent de manière significative pour lutter contre les inégalités en y apportant des réponses structurelles. En Belgique, les gouvernements n’ont pas cette ambition. Même si les pouvoirs publics ont déjà témoigné leur volonté de lutter contre la précarité menstruelle, les moyens mis en place restent insuffisants.

Depuis 2020, les protections hygiéniques sont gratuites en Écosse. Le pays britannique est le premier à prendre cette mesure dans le monde.

En Wallonie, 675 000 euros10 ont été débloqués début 2023 pour la distribution de protections hygiéniques gratuites dans les plannings familiaux, les foyers, les écoles secondaires… En mars 2021, le parlement Bruxellois votait une proposition de résolution incitant les universités à mettre à disposition des protections hygiéniques pour les étudiant.e.s11. Encore une fois, cela va dans le bon sens mais le gouvernement manque encore d’ambition dans la lutte contre la précarité menstruelle. On ne doit pas se limiter aux étudiant.e.s et les mesures doivent avoir des impacts concrets. Les textes non-contraignants ne suffisent pas.

La gratuité des produits menstruels est possible en Belgique ! En effet, les bénéficiaires du service social de l’ULB disposent déjà de produits menstruels gratuits. Cette mesure pourrait déjà être élargie pour toutes les étudiant.e.s et pour des protections hygiéniques gratuites pour toutes en Belgique, il faudrait 22 millions d’euros par an si on s’inspire du modèle écossais. Un budget minime mais qui aurait un impact considérable pour toutes les personnes menstruées. De l’argent il y en a en Belgique. L’utiliser pour lutter contre la précarité et l’inégalité entre les hommes et les femmes est une question de choix et de courage politique.

Cet article parait dans Magma, la rubrique jeune de Lava Media. Retrouvez tous les articles de la rubrique : https://lavamedia.be/fr/category/articles-fr/magma-fr/ 

Footnotes

  1. PLAN DE LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ – Fédération des Etudiant·e·s Francophones (fef.be)
  2. precarite-menstruelle.pdf (cpcp.be)
  3. ibidem
  4. Baromètre 2022 Règles Elémentaires x Opinion Way (windows.net)
  5. precarite-menstruelle.pdf (cpcp.be)
  6. Hausse record du prix des courses: quels produits ont le plus augmenté ? – La Libre
  7. Collecti.e.f 8 maars – Toutes en grève
  8. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/25/l-ecosse-rend-les-protections-periodiques-accessibles-gratuitement_6061054_3210.html
  9. idem
  10. Des protections hygiéniques gratuites partout en Wallonie – rtbf.be
  11. 1000000020cb0f5 (pfwb.be) notons que ce n’est pas un texte contraignant. Il s’agit d’une incitation seulement.