Les malades de longue durée ne sont pas des personnes « inactives ». Ce sont des travailleurs affaiblis par le système. Il ne faut pas chasser les malades mais plutôt supprimer les mauvaises conditions de travail.

La chasse aux malades de longue durée est à la mode. Instaurée par la ministre libérale De Block en 2016, la chasse aux malades s’est intensifiée avec le gouvernement actuel sous l’impulsion du socialiste Frank Vandenbroucke. Pourquoi cette politique ? Que cherche-t-elle à atteindre ? Est-elle un succès ?
Ces dernières années, le nombre de malades de longue durée a fortement augmenté. L’exemple des invalides, ces travailleurs en incapacité de travail depuis plus d’un an, est criant. Ils sont aujourd’hui pratiquement 500.000 alors que l’on en comptait moins de 200.000 au début des années 2000.

On a deux fois plus de risques d’être malade de longue durée en étant ouvrier plutôt qu’employé.
Qui sont ces malades de longue durée et pourquoi ?
En regardant de plus près ces 500.000 travailleurs, nous pouvons formuler trois observations principales :
- 62 % des malades de longue durée ont plus de 50 ans
- L’ouvrier a deux fois plus de risques d’être malade de longue durée que l’employé
- 58 % des malades de longue durée sont des femmes (75 % si on se limite aux employés)
Ces trois informations se retrouvent dans figure 1.

A la lecture de ce document, nous remarquons ce qui suit : d’une part, l’essentiel des malades de plus d’un an se trouve à droite du tableau ; c’est-à-dire à partir des catégories d’âge de plus de 50 ans. D’autre part, le nombre de bâtonnets mauves et roses (les ouvriers et ouvrières) est systématiquement plus important que celui des jaunes et verts (les employés et employées). Enfin, parmi les bâtonnets « employés », nous observons pratiquement deux fois plus de femmes (verts) que d’hommes (jaunes). Quant aux ouvriers et ouvrières, leurs effectifs présentent une certaine similitude.
Il existe un phénomène « vases communicants » entre une politique plus restrictive en matière de chômage, d’accès à la prépension et à l’âge de la pension et l’accroissement du nombre de malades de longue durée. Les travailleurs pensionnés d’hier sont en fait les malades de longue durée d’aujourd’hui. Les personnes qui, par le passé, avaient l’habitude de sortir du marché du travail par les systèmes de retraite anticipée (et donc de chômage) sont aujourd’hui plus enclines à entrer dans le système de maladie et d’invalidité. Alors que le nombre de chômeurs n’a cessé de diminuer entre 2014 et 2020 (-34,1 %), le nombre d’invalides a augmenté de 36 % sur cette même période1 [voyez figure 2].

Autre élément important : l’impact du travail sur la santé qui explique notamment la sur-représentation du monde ouvrier parmi les invalides. Selon une étude de chercheurs de la VUB en collaboration avec Médecine pour le Peuple, l’augmentation du nombre de malades de longue durée est liée aux facteurs intrinsèques au travail : ‘’Le travail insuffisamment adapté (y compris pour les travailleurs âgés) ainsi que l’augmentation de la charge de travail et l’accroissement de la charge physique et psychologique semblent jouer un rôle majeur dans l’évolution vers la maladie de longue durée. Un certain nombre de décisions politiques (notamment le relèvement de l’âge de la retraite et la suppression de la retraite anticipée) ont également eu une incidence sur l’augmentation des cas de maladies de longue durée’’.2
Les travailleurs prépensionnés et pensionnés d’hier sont les malades de longue durée d’aujourd’hui.
Une étude de la DARES va dans ce sens. Pour elle, les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont la 2ème cause de maladie de longue durée après le burn-out et les problèmes de santé mentale. Leur évolution épidémique se superpose chronologiquement à l’instauration de nouvelles méthodes d’organisation du travail et de pratiques managériales. Ces méthodes ont pour but d’accroître la rationalisation et la flexibilité des processus de production et d’emploi dans l’industrie et les services européens depuis les années 1980-90. Cette intensification du travail concerne tout autant l’industrie que les services où le travailleur se doit de réagir rapidement à la demande du client et d’effectuer des gestes répétitifs de plus en plus rapides et toujours plus nombreux.
Cet accroissement de la charge physique et psychique est très visible dans les chiffres de l’INAMI (l’Institut National d’Assurance Maladie – Invalidité) veille au remboursement des soins de santé et il prend en charge le revenu de remplacement en cas d’incapacité de travail. Si nous nous attardons sur les types de maladies qui sont les causes principales des incapacités de travail de longue durée, nous constatons que les troubles psychiques (environ 35 %) et les TMS (plus de 30 %) occupent les deux premières places. Ces deux pathologies trouvent leur justification dans le contexte de travail.