Georgia Meloni incarne l’héritage de Mussolini. Elle et ses collègues s’inscrivent dans sa tradition. L’establishment européen ne semble pas s’en soucier.
Les Italiens qui se réclament de l’antifascisme se souviendront du choc qui a marqué l’automne 2022. Lors des élections législatives anticipées du 25 septembre, l’alliance fasciste formée par les Frères d’Italie (Fratelli d’Italia – FdI) de Georgia Meloni, la Lega raciste de Matteo Salvini et Forza Italia (FI) de l’ex-premier ministre Silvio Berlusconi est arrivée en tête du scrutin avec environ 43 % des voix. Avec 25,99 % des voix, le FdI est devenu le premier parti du pays, suivi de la Lega avec 8,7 % et de FI avec 8,11 %.
Le secrétaire du Mouvement 5 étoiles (M5S), l’ex-Premier ministre Giuseppe Conte, n’a pas suivi la position du chef du Parti démocrate socialiste (PD), Enrico Letta, de soutenir l’Ukraine jusqu’à sa victoire sur la Russie. Letta a donc rejeté toute alliance, ce qui a favorisé la victoire électorale du fascisme. Le PD est arrivé en deuxième position avec 19,07 % et le M5S avec 15,4 %.
Histoire du fascisme italien
L’ancien président de la BCE, Mario Draghi, qui était depuis janvier 2021 à la tête d’un gouvernement dit d’« unité nationale » composé du PD, du M5S avec FI et la Lega, n’avait pas obtenu la confiance lors d’un vote en juillet, démissionnant dans la foulée. Le président de la République, Sergio Mattarella, avait ensuite dissous le Parlement et convoqué des élections anticipées pour le 25 septembre, au lieu de l’échéance prévue du printemps 2023. Georgia Meloni, qui avait refusé de rejoindre le gouvernement Draghi et avait œuvré à sa chute depuis le début, a alors annoncé être candidate pour « prendre la tête de la nation ». Celle qui, jusqu’alors, se revendiquait ouvertement héritière du fascisme de Mussolini, est revenue sur ses propos avant d’être nommée Première ministre, affirmant n’avoir « jamais sympathisé avec le fascisme » et n’avoir « jamais éprouvé de sympathie ni de proximité vis-à-vis de régimes antidémocratiques. Pour aucun régime, fascisme inclus ».
Les Frères d’Italie sont né en 2012 du Movimento Sociale Italiano (MSI), un parti refondé en décembre 1946 pour succéder au Partito Nazionale Fascista de Mussolini.
Voyons ce que disent les faits à ce sujet. Les Frères d’Italie sont né en 2012 du Movimento Sociale Italiano (MSI), un parti refondé en décembre 1946 pour succéder au Partito Nazionale Fascista de Mussolini. Pour dissimuler ses origines, le MSI s’est rebaptisé Alleanza Nazionale (AN) en 1994, lorsque Berlusconi l’a intégré au gouvernement de son parti Forza Italia. Giorgio Almirante, élu secrétaire national, était secrétaire d’État du « Duce », dont il était le principal idéologue sur le plan racial. Il avait signé une « autorisation de tirer une balle dans la nuque » des partisans. Le congrès s’est reconnu dans le programme du parti fasciste de 1919 et a souhaité préserver l’héritage de Mussolini en poursuivant son « idée sociale dans une continuité historique ininterrompue ». Almirante a tenu cette position jusqu’à sa mort en 1988 et l’a transmise à ses successeurs.
Valerio Borghese, commandant de la tristement célèbre Decima Flottiglia MAS, la 10e flottille de torpilleurs chargée de la lutte contre les partisans, a été élu président d’honneur du MSI. Il a été condamné en 1950 par un tribunal italien en tant que criminel de guerre pour au moins 800 meurtres de partisans, puis immédiatement gracié à l’initiative des États-Unis. En décembre 1970, il a voulu, avec des militaires, renverser l’ordre constitutionnel lors d’un coup d’État armé et rétablir un régime fasciste.
En 1992, Meloni, suivant l’exemple de sa mère, Anna Paratore, qui était membre du MSI, a rejoint le 28 octobre le Front de la jeunesse, une pépinière de cadres du parti des successeurs de Mussolini. Elle en a pris la direction en 2000, à l’occasion du 70e anniversaire de la marche de Mussolini sur Rome. Ce jour-là, 10.000 fascistes, dont des jeunes vêtus de t-shirts à l’effigie de Mussolini, ont défilé dans les rues de la capitale, levant le bras pour faire le salut nazi, aux cris de « Duce, Duce » et « Viva il Fascismo ». Le soir, un banquet avec Gianfranco Fini, successeur d’Almirante depuis 1987, a réuni 1.200 membres du parti méritants et des vétérans du mouvement, dont la veuve d’Almirante. Le nouveau « Duce » a proclamé, à cette occasion : « Nous sommes tournés vers l’avenir, mais nous tenons à nos racines », avant d’ajouter « c’est uniquement grâce à Mussolini que l’Italie n’est pas devenue communiste en 1922 »1.
30 ans plus tard, Meloni a montré son attachement à l’héritage authentique de Mussolini lorsqu’Assunta Almirante est décédée le 26 avril 2022. Elle a assisté à ses funérailles dans la basilique Santa Maria in Montesanto, Piazza del Popolo à Rome, en compagnie de nombreux dirigeants fascistes de son FdI, qui ont fait « le salut romain » devant le cercueil. Selon le quotidien milanais « Corriere della Sera », la dirigeante du FdI a rendu hommage à l’épouse du fondateur du MSI en la qualifiant de « pilier de la mémoire historique de la droite italienne », ajoutant : « J’ai une relation décomplexée avec le fascisme ».
À partir de mai 1994, Meloni a participé au gouvernement formé par Berlusconi avec le MSI et la Lega, qualifié le 15 mai par « Il Manifesto » de « gouvernement noir rassemblant fascistes et de monarchistes, de gens de la Lega et de rebuts de la Démocratie chrétienne, d’industriels, d’avocats et de managers de Fininvest »2. Pour le leader du MSI, Gianfranco Fini, le « Duce » est le « plus grand homme d’État du siècle ». L’ancien fasciste Pino Rauti, numéro deux du mouvement, a rappelé que « nous nous appuyons sur la marche sur Rome, le corporatisme, la Seconde Guerre mondiale contre les ploutocraties, la Repubblica Sociale »3. Rauti a appelé cela « des valeurs durables, (…) un stock de culture et de points de programme dans lequel nous puisons »4.
Lors du sommet du G8 à Gênes, en juillet 2001, Berlusconi, qui avait auparavant annoncé lors d’un sommet de l’UE à Göteborg sa détermination à « libérer » l’Italie des communistes et ex‑communistes (la gauche sociale-démocrate), a montré comment il comptait s’y prendre. Durant ce sommet, plus de 600 manifestants ont été arrêtés et entassés dans des « centres de détention ». Un carabinier a tué l’étudiant Carlo Giuliani d’un coup de feu ciblé depuis une jeep. Plus de 300 personnes ont été battues à sang, 54 d’entre elles ont été torturées dans une caserne de carabiniers sous des photos d’Hitler et de Mussolini et obligées à clamer « Viva il Duce ».
Le président de la Ligue italienne de lutte contre le sida, Vittorio Agnoletto, a comparé l’opération menée à Gênes à celles que l’on a pu voir au Chili sous Pinochet. Bodo Zeuner, de l’Université libre de Berlin, a averti que « lorsque des policiers, lorsque des unités spéciales de la police se permettent d’attaquer en pleine nuit des personnes politiquement indésirables, comme cela s’est produit à Gênes, et de les battre brutalement, voire au péril de leur vie, on est à un pas de salles de torture comme celles des SS dans l’Allemagne de 1933 ». Le prix Nobel de littérature Dario Fo a parlé d’une « mise en place du fascisme », Umberto Eco évoquant quant à lui un héritage du « fascisme de la pire espèce ». Des écrivains et des hommes de culture tels que Luigi Malerba, Angelo Bolaffi, Silvia Ballestra, Nanni Moretti et Stefano Benni ont signé avec quelque 200 intellectuels connus un appel lancé par Gian Mario Anselmi et Alberto Asor Rosa pour défendre « les libertés fondamentales de la démocratie et de la vie civile »5.
Lorsque Meloni a annoncé sa candidature au poste de Premier ministre, elle a annoncé vouloir « revenir aux objectifs du centre-droit »6. Cela signifie tout simplement son intention de mettre en place un régime similaire de répression de la rébellion.
Cela lui permettra, dans un premier temps du moins, de se passer de la terreur telle que Berlusconi l’a pratiquée à Gênes. En effet, comme l’a relevé l’écrivaine sarde primée Michela Murgia, cofondatrice de l’« Initiative pour le sauvetage des réfugiés en détresse », le « passage » au fascisme ne se fait plus aujourd’hui par « la force classique des armes », mais « par la manipulation des instruments démocratiques », grâce à laquelle « on peut rendre fasciste un pays entier sans même prononcer une seule fois le mot ‘fascisme’ ». Elle fait ainsi référence au règne de la « vidéocratie » fondé par Berlusconi et perfectionné par Salvini à l’ère numérique sur Facebook, Instagram, Twitter ou encore dans les talk-shows. Et les médias mainstream ont embrayé avec leurs rapports quotidiens stéréotypés sur la victoire électorale attendue de Meloni.
De 2006 à 2008, le règne de Berlusconi a été interrompu par un gouvernement de centre-gauche dirigé par le démocrate-chrétien Romano Prodi. Pour le faire tomber, Berlusconi a soudoyé un sénateur de sa coalition, en lui offrant trois millions d’euros pour qu’il passe de son côté. En 2015, il a été condamné pour cela à trois ans de prison en première instance par un tribunal de Naples. Le 1er août 2013, il avait déjà été condamné en dernière instance à quatre ans de prison pour fraude fiscale durant son mandat. Á 77 ans, il avait vu sa peine ramenée à un an en raison de son âge. Il l’avait purgée dans un service social. Avant même sa démission, son plus proche confident, le sénateur Marcello Dell’Utri, avait été condamné en deuxième instance à sept ans de prison pour complicité avec la mafia. On a également découvert que, dans les années 70, Berlusconi avait employé le chef de la mafia, Vittorio Mangano, comme concierge dans sa villa San Martino à Arcore, près de Milan.
La politique actuelle
C’est dans ce gouvernement corrompu, reformé par Berlusconi en 2008 avec l’AN et la Lega, que Georgia Meloni est entrée en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports. Elle a siégé dans ce cabinet avec Umberto Bossi, alors président de la Lega, ainsi que ses ministres actuels Roberto Calderoli et Roberto Maroni. Lors de la campagne électorale, la Lega avait appelé à enfermer les migrants illégaux dans des camps. Bossi avait déclaré qu’il était malheureusement « plus facile d’exterminer des rats que des gitans »7. Meloni, pour rappeler ses propos ultérieurs, avait une « relation sereine » avec cet « exterminateur de gitans » et ses complices, et elle a servi Berlusconi avec eux jusqu’à la démission de celui-ci en novembre 2011. Au décès de Roberto Maroni, en novembre 2022, elle a rendu hommage à ce raciste comme à « un ami » et à « l’une des personnes les plus compétentes que j’ai rencontrées dans ma vie »8.
Lors de la campagne électorale, la Lega avait appelé à enfermer les migrants illégaux dans des camps. Bossi avait déclaré qu’il était malheureusement « plus facile d’exterminer des rats que des gitans ».
La dirigeante du FdI, qui affirme aujourd’hui son engagement social et son attachement à la justice, a suivi sans sourciller la politique de Berlusconi qui, selon l’« Espresso » de Milan, faisait passer « les intérêts personnels avant ceux de l’État », pratiquait une « gouvernance inefficace et irresponsable » et était, selon Luca Cordero di Montezemolo, alors président de FIAT et héritier d’Agnelli, responsable de la faillite du pays et d’une « crise de l’État sans précédent »9.
Meloni ne s’est pas non plus opposée à ce qu’en 2012, un mémorial soit érigé en l’honneur du maréchal Rodolfo Graziani, ministre de la guerre de Mussolini, dans son lieu de naissance, la commune d’Affile, dans le Latium, en périphérie de la capitale. Celui-ci est responsable, entre autres, en 1937 de massacres barbares de dizaines de milliers d’Éthiopiens et, en tant que ministre de la Guerre dans la République de Salò, des crimes de guerre commis. Il convient d’ajouter ici que Meloni reconnaissait ainsi une fois de plus les crimes de guerre et les génocides barbares commis par Mussolini et son régime.
Comme le souligne l’historien Gerhard Schreiber, 165 enfants, femmes et hommes de tous âges ont été tués chaque jour en moyenne dans la République de Salò, sans compter les partisans et les soldats réguliers tombés au combat. Ces chiffres ne tiennent pas compte des 40.000 Juifs italiens déportés dans des camps de concentration, dont la plupart ont été tués. De même, les quelques 30.000 soldats italiens qui, après la capitulation, ont refusé de continuer à se battre aux côtés de la Wehrmacht dans la République de Salò et ont été assassinés dans des camps de concentration ne sont pas pris en compte10.
Meloni, qui s’est présentée pendant la campagne électorale comme une défenseuse de la dignité des femmes, a également assisté, en tant que ministre, aux orgies sexuelles de son chef de gouvernement avec des prostituées mineures …
Meloni, qui s’est présentée pendant la campagne électorale comme une défenseuse de la dignité des femmes, a également assisté, en tant que ministre, aux orgies sexuelles de son chef de gouvernement avec des prostituées mineures lors de soirées bunga-bunga, qui ont sali l’image des femmes, sans jamais réagir.
Suite à la résistance croissante (une grève générale en septembre et ensuite des manifestations de masse continues appelant à la démission du chef de gouvernement corrompu), les milieux du capital autour de FIAT ont lâché Berlusconi, ce qui a conduit à sa démission le 12 novembre 2011. Voyant cela, le leader de l’AN, Gianfranco Fini, a rompu avec Berlusconi et, couvert par le patron de FIAT et président de la Confindustria, Luca di Montezemolo, a voulu coopérer avec le Partito Democràtico social-démocrate. L’AN est entrée en crise. Pour éviter que ses membres ne suivent Fini, Meloni a fondé en 2012 le parti Fratelli d’Italia avec Ignazio La Russa, militant du MSI/AN et admirateur de Mussolini, ainsi qu’une majorité de membres d’AN. Au moment de baptiser ce nouveau parti, elle a eu recours à la démagogie nationaliste déjà pratiquée par Fini lors du changement de nom du MSI en AN et a donné à son parti le nom de l’hymne national italien.
La victoire de l’alliance fasciste, emmenée par le parti des Frères d’Italie de Meloni, est le résultat de l’échec du système néolibéral.
La victoire de l’alliance fasciste, emmenée par le parti des Frères d’Italie de Meloni, est le résultat de l’échec du système néolibéral, en dernière instance sous Mario Draghi, qui a poussé des électeurs dans les bras des fascistes ou en a poussé d’autres, résignés, à bouder les urnes. La crise de ce système a commencé dans les années 1990, pour ensuite prendre de l’ampleur après la crise économique du capitalisme mondial en 2008, où les cercles dirigeants « n’étaient plus en mesure d’exercer un leadership stable sur la société. Depuis lors, l’ordre politique a été soumis à des secousses récurrentes qui ont brisé le rapport de force entre les classes et poussé le système politique de plus en plus vers la droite »11.
Après la chute du premier gouvernement Berlusconi en décembre 1994, où l’exécutif était directement piloté par le capitaliste le plus riche du pays, sa ligne sociale a été poursuivie de facto. Le président de la République Oscar Luigi Scalfaro a refusé d’organiser des élections anticipées et a chargé le ministre des Finances de Berlusconi, Lamberto Dini, de former un gouvernement dit de techniciens. Sa nomination sanctionnait la politique économique menée par Berlusconi, avec des coupes sociales drastiques, puisqu’il a imposé son budget pour 1995 sans aucune correction.
C’est avec Dini qu’a commencé la pratique consistant à confier les affaires gouvernementales à des experts financiers et économiques de premier plan ou, du moins, à des hommes politiques qui se réclamaient explicitement et ouvertement du capital. Lamberto Dini était directeur général de la Banca d’Italia depuis 1979. Mais, surtout, avec Dini, c’est un anticommuniste ajustant son appartenance politique au gré des exigences des intérêts du système néolibéral qui est entré au gouvernement. Cela témoigne de la déchéance morale qui a poussé les électeurs dans les bras de la droite fasciste.
Après qu’un centre gauche dirigé par le démocrate-chrétien Romano Prodi a remporté les élections en 1996, l’ancien acolyte de Berlusconi est entré dans ce gouvernement en tant que ministre des Affaires étrangères. Il sera remplacé par Susanna Agnelli, la sœur du propriétaire de FIAT, premier groupe industriel privé du pays, Giovanni Agnelli. Romano Prodi a ramené l’Italie dans le SME. En 1997, le déficit budgétaire par rapport au PNB a été ramené de 6,7 % (1995) à 3,2 % (critères de Maastricht 3 %). La vague de privatisations lancée sous Dini s’est poursuivie, entraînant la privatisation partielle d’Eni et du géant de l’électricité ENEL.
Procès contre les fascistes italiens
C’est à cette époque que le 27 mars 1993, à Palerme, une plainte a été déposée contre Giulio Andreotti, plusieurs fois Premier ministre, pour complicité avec la mafia. Un deuxième procès a suivi à Pérouse pour incitation au meurtre du directeur de l’Osservatore politico, Mino Pecorelli, abattu par des tueurs de la mafia, qui avait annoncé qu’il révélerait son rôle dans l’assassinat de Moro. On a notamment appris que l’« Honorable Société », à l’instigation d’Andreotti, avait fourni des voix à la DC dans le sud de l’Italie pendant des décennies, ce qui garantissait l’impunité aux mafiosi accusés. Lors du procès à Pérouse, Andreotti a été condamné à 24 ans de prison, puis acquitté en appel en 1999, ce que la Cour de cassation a confirmé en 2003. À Palerme, il est à nouveau acquitté en raison d’un manque de preuves. L’appel du ministère public a également été rejeté en dernière instance par la Cour de cassation en 2003.
En février 1992, une enquête sur la corruption a été lancée par un groupe du parquet de Milan dirigé par Antonio Di Pietro, surnommée « Mani pulite » (Mains propres). Ils ont recensé environ 6.000 hommes politiques, parmi lesquels un tiers des 945 sénateurs et députés, des anciens ministres et des ministres en fonction, l’ensemble du gouvernement régional des Abruzzes, d’innombrables maires, conseillers municipaux et provinciaux. Début 1993, 1.356 fonctionnaires de l’État et permanents de partis ainsi que des dirigeants du monde économique étaient en prison. Qu’il s’agisse d’entreprises de transport, de cliniques ou d’entreprises de construction, les accusés avaient encaissé des milliards en pots-de-vin pour l’attribution de contrats de construction et d’approvisionnement ou simplement pour l’octroi d’autorisations administratives. L’institut Einaudi de Turin a évalué à dix milliards de dollars annuels le montant des pots-de-vin versés, ce qui correspondait à peu près au déficit budgétaire annuel. Le produit de la corruption stocké sur des comptes suisses a été chiffré à 30 milliards de dollars12.
Le chef des socialistes Bettino Craxi a été condamné à 26 ans de prison pour corruption, recel et financement illégal de parti. Avant d’exécuter sa peine, il s’est enfui en Tunisie, où il est décédé en janvier 2000. Interrogé sur sa position vis-à-vis de la corruption, il a confessé au magazine allemand « Der Spiegel » (n° 52/1999) : « Tout le monde l’a fait, tout le monde le savait ».
En février 1992, une enquête sur la corruption a été lancée. Début 1993, 1.356 fonctionnaires de l’État et permanents de partis ainsi que des dirigeants du monde économique étaient en prison.
Impact sur la société
Des personnalités de renom se sont penchées sur la faillite de ce système. Le prix Nobel Joseph Stiglitz a noté que « les actions qui renforcent les inégalités » ont « constitué la politique des gouvernants au cours des 30 dernières années ». Thomas Piketty, l’un des économistes les plus importants d’Europe, a appelé à limiter légalement la fortune des particuliers et à confisquer l’essentiel de la fortune des milliardaires afin de l’affecter aux besoins de la société.
L’économiste renommé Niall Ferguson a évoqué le caractère pervers du néolibéralisme : une dette publique en forte hausse, une augmentation du chômage déguisé ainsi qu’une aggravation des injustices sociales. Le milliardaire Ray Dalio, l’un des investisseurs les plus riches des États-Unis, a reconnu que le capitalisme n’était plus viable. Selon lui, sans un changement fondamental du système économique mondial vers une véritable justice sociale, une crise est inévitable et mènera à des révolutions et des guerres civiles sur l’ensemble de la planète.
Un rapport de l’organisation internationale de recherche Oxfam pour 2022, intitulé « De la crise à la catastrophe », indique que pendant la pandémie de coronavirus, la fortune totale des dix personnes les plus riches a plus que doublé pour atteindre 1,5 billion de dollars. Et le capital de tous les milliardaires en dollars du monde équivaut à 55 % du PIB des États-Unis. Au même moment, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté de 163 millions. Le revenu réel de 500 millions de personnes a chuté, et, actuellement, plus de 800 millions de personnes dans le monde doivent vivre avec deux dollars par jour13.
L’implication des principaux représentants de ce que l’on appelle la classe politiquement dominante, dans l’entrelacs de la mafia et du fascisme en vue d’assurer la domination du capital14 a été un facteur décisif qui a ébranlé toute confiance des citoyens dans ses gouvernements et les a poussés dans les bras de la droite fasciste qui, comme sous Berlusconi, a su dissimuler qu’elle-même était impliquée. D’autant plus que Meloni avait habilement évité de se joindre au dernier gouvernement de Draghi, s’y était montrée apparemment opposée et avait annoncé qu’elle y mettrait fin. Résultat : 72 % des classes inférieures et moyennes n’ont pas participé aux élections, selon une analyse des électeurs réalisée par « Manifèsto » le 13 août 2022.
Meloni reste dans la continuité du gouvernement Draghi avec les « pires régimes illibéraux, obscurantistes et fascistes d’Europe »
Au sujet de Meloni affirmant n’avoir « jamais éprouvé ni sympathie ni proximité vis-à-vis du fascisme », la rédactrice en chef de « Manifèsto », Norma Rangeri, a estimé avec justesse qu’elle avait « tenté le grand saut du statut de challenger à l’apparence d’une figure institutionnelle, du rôle de leader de parti à celui de leader de gouvernement ». Cette « entreprise laborieuse n’a toutefois pas réussi ». Elle reste dans la continuité du gouvernement Draghi avec les « pires régimes illibéraux, obscurantistes et fascistes d’Europe ». Elle a « fait ce qu’elle avait à faire vis-à-vis de ceux » qui l’« observaient par-delà la frontière ». Elle a juré n’avoir aucune sympathie pour « les régimes autoritaires, y compris le fascisme », sans trop se soucier des vidéos diffusées par la télévision sur son « admiration passionnée de Mussolini », le « grand homme d’État ». Aujourd’hui, « liberté, égalité, démocratie » sont les grands axes de son nouveau cap. « Avec le pouvoir méleninien, en ce compris les médias, nous verrons quelle hégémonie de l’imagination, quelle hégémonie culturelle enveloppera le pays »15.
Si Rangeri affirme que Meloni a formé un « gouvernement de fascistes impénitents », c’est d’abord en se basant sur la personne de Meloni elle-même et son attachement à l’héritage du fascisme mussolinien. Son ministre de la Défense, Guido Crosetto, qui occupait déjà ce portefeuille sous Berlusconi de 2008 à 2011, est un poids lourd du complexe militaro-industriel du pays. Il est conseiller du groupe d’armement, d’aérospatiale et de défense Leonardo, mais aussi président de l’entreprise italienne d’aérospatiale, de défense et de sécurité AIAD. En 2012, il a fondé les FdI avec Meloni. Aux côtés de Crosetto, on trouve Isabella Rauti, la fille de Pino Rauti, le chef terroriste du MSI évoqué précédemment, en tant que secrétaire d’État.
Avec le chef de la Lega, Matteo Salvini, comme ministre des infrastructures et l’un de ses adjoints, son gouvernement compte dans ses rangs un homme politique qui, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur en 2018/19, s’est engagé à expulser environ un demi-million de demandeurs d’asile d’Italie, a explicitement maniesté son adhésion au « décret racial » de Mussolini de 1938, a voulu réintroduire la « notion de race » et désigner un « représentant spécial pour les Roms et les Sintis ». Son secrétaire d’État, Galeazzo Bignami, s’affiche volontiers en public en portant un brassard à la croix gammée. Des photos d’Augusta Montaruli, membre du ministère de la Recherche, circulent, la montrant à Predappio, la ville natale de Mussolini, le bras tendu en un « salut romain ».
La nomination du membre de la Lega, Roberto Calderoli, au poste de ministre des Régions illustre bien ce qu’il faut penser de sa prétendue prise de distance avec le racisme de Mussolini. Ce raciste de la pire espèce, plusieurs fois ministre dans les gouvernements Berlusconi, avait attaqué l’équipe italienne en juillet 2006 après sa défaite contre l’équipe de France à la Coupe du monde de football, en la décrétant « composée de nègres, de musulmans et de communistes »16. En 2013, Calderoli, alors vice-président du Sénat, a déclaré que la ministre de l’Intégration d’origine africaine dans le gouvernement PD, Cécile Kyenge, « lui faisait penser à un orang-outan »17.
Le secrétaire d’Etat au ministère de la Justice, Andrea Delmastro Delle Vedove, également compagnon de route de Meloni au sein de l’organisation de jeunesse MSI Gioventù, a rendu hommage en 2010 au collaborateur nazi belge et officier SS Léon Degrelle. Avec Claudio Durigon, c’est un homme de la Lega qui est devenu secrétaire d’État au ministère du Travail. Il avait dû démissionner de son poste de secrétaire d’État à l’Économie en 2021 après avoir proposé de baptiser un parc de la ville de Latina, au sud de Rome, en l’honneur du frère du « Duce » Arnaldo Mussolini. Avec Ignazio La Russa, également cofondateur de ses FdI en 2012, elle a porté un fasciste de la pire espèce à la présidence du Sénat et au poste de deuxième homme de l’État. Comme elle, il est l’incarnation même de l’héritage du fascisme mussolinien.
Des médias comme « Manifèsto » ou le « Corriere della Séra » et le quotidien romain « La Repùbblica » ont rapporté que La Russa glorifiait ouvertement Mussolini, dont il avait pris le deuxième prénom, Benito. Ils ont aussi révélé qu’il avait affirmé pendant la campagne électorale que tous les Italiens étaient les « héritiers du Duce », qu’il avait appelé publiquement les Italiens, pendant la pandémie de coronavirus, à ne plus se serrer la main mais à faire le « salut romain » (lever le bras droit comme Mussolini se faisait saluer, ce que avait inspiré Hitler pour son « salut au Führer »), qu’il exhibait publiquement dans son salon des objets de dévotion fascistes et une statue de Mussolini.
… aujourd’hui, l’Union européenne, qui incarne les intérêts des grands patrons du capital, n’a « aucun scrupule » à « s’appuyer sur des nazis et des fascistes pour atteindre ses objectifs »
Cela n’a pas empêché les dirigeants de l’OTAN et de l’UE d’inonder Meloni de félicitations lorsqu’elle est entrée en fonctions le 22 octobre. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a écrit : « Je me réjouis de travailler avec vous ». La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, de son côté, s’est réjouie que la fasciste Meloni soit la première femme à accéder à la tête de l’État et s’est montrée rassurante : « Nous travaillerons ensemble pour relever les défis cruciaux de notre époque, de l’Ukraine à l’approvisionnement énergétique ». Le chancelier social-démocrate Olaf Scholz s’est également réjoui de travailler avec Meloni au sein de « l’UE, de l’OTAN et du G7 ». Ce sont aussi autant de félicitations à son rétropédalage sur la position anti-européenne qu’elle avait adoptée lorsqu’elle siégeait dans l’opposition. Elle affirme désormais affirmé « ne pas vouloir saboter l’UE, mais la rendre plus efficace ». Le magazine de gauche « Contropiano » a commenté sur son portail en ligne que cette attitude illustre le fait qu’aujourd’hui, l’Union européenne, qui incarne les intérêts des grands patrons du capital, n’a « aucun scrupule » à « s’appuyer sur des nazis et des fascistes pour atteindre ses objectifs »18.
Footnotes
- Goffredo Locatelli/Daniele Martini, Duce addio. La Biografia di Gianfranco Fini, Milan 1964, p. 93 suiv., 117.
- Fininvest, empire d’entreprises et de médias de Berlusconi.
- Repubblica Sociale Italiana (RSI), État fantoche créé par Mussolini après sa chute, sous l’occupation de l’armée hitlérienne à l’automne 1943.
- Unità (journal du PCI, puis du PDS à partir de 1991), 18 mai 1994.
- Susanne Schüssler (éd.), Berlusconis Italien. Italien gegen Berlusconi, Berlin 2003.
- Les gouvernements dits de centre-droit (Centro Dèstra) étaient composés de la Democrazia Cristana (DC) avec les libéraux et les sociaux-démocrates. Pour dissimuler leur caractère fasciste, les alliances et les gouvernements formés pour la première fois par Berlusconi en 1994 avec le MSI/AN et la Lega se sont également appelés ainsi. Le gouvernement formé par Meloni avec Forza de Berlusconi et la Lega de Salvini poursuit dans cette voie.
- Süddeutsche Zeitung, 16 avril 2008.
- « ANSA », 23 novembre 2022.
- « Les ex-amis de Berlusconi bricolent une contre-alliance », Financial Times Deutschland, 6 avril 2010 ; Corriere della Sera, 18 août 2010.
- Gerhard Schreiber, Deutsche Kriegsverbrechen in Italien, Munich 1996.
- Stefano G. Azzara, professeur d’histoire et de philosophie à l’université d’Urbino, in : Der absolute Liberalismus, Junge Welt, 25.9.2022.
- Repùbblica, 19 sept. 1993.
- Cité dans : Le retour du modèle socialiste. Juri Afonin (vice-président du KPRF). « Der globale Kapitalismus ist gescheitert », Junge Welt, 27 décembre 2022.
- Giorgio Galli, Staatsgeschäfte, Affären, Skandale, Verschwörungen, Hambourg 1994, p. 21, 217 et suiv.
- Il Manifèsto, 25 octobre 2022.
- « Der Spiegel », 11 juillet 2006.
- Ibid., 7 novembre 2013
- « Contropiano », 12/13 décembre 2022.