Articles

Aux origines du fascisme, le capitalisme

Miguel Schelck

—5 mai 2023

Alors qu’un bruit de bottes se fait à nouveau entendre, il importe de combattre le fascisme pour ce qu’il est vraiment : une émanation du capitalisme prêt à tout pour sa propre survie.

Nombreux sont ceux qui le pensaient derrière nous, mort et enterré avec la capitulation du IIIe Reich le 8 mai 1945, pourtant le fascisme est toujours d’actualité ; d’une actualité criante. Le combattre est une nécessité pour ceux qui tiennent à l’unité et aux conquis sociaux des travailleurs.  Encore faut-il pour cela comprendre les conditions qui permettent au fascisme de se développer et ses liens organiques avec la société.

Les premières tentatives de description du fascisme et de son évolution voient le jour dès le début du 20e siècle1. Parmi celles-ci, de nombreux marxistes y ont contribué en mettant l’accent sur les racines économiques du fascisme et donc, sur les liens qu’il entretient avec le capitalisme, ses évolutions et plus largement avec la haute-bourgeoisie ; des contributions qui permettent d’aller au-delà des cadres de pensée qui réduisent le fascisme à des dimensions morales et ne permettent pas d’en saisir les enjeux de classe et le danger que représente le fascisme pour le camp du travail.

Avant de revenir sur les liens entre le capital et le fascisme, il est nécessaire de clarifier ce qu’on entend par ce concept de fascisme. En effet, celui-ci est toujours instrumentalisé à tort et à travers par la droite pour décrédibiliser les courants se revendiquant de Marx et les mettre sur un pied d’égalité avec l’extrême droite. Or, ce qu’on nomme « fascisme » est né avec le régime de Benito Mussolini en Italie, puis d’Adolf Hitler en Allemagne ; des régimes à l’extrême opposé de ce que défendent la gauche et, plus particulièrement, les marxistes.

Ainsi, sans prétendre être exhaustif et en se basant sur ces deux exemples historiques, nous pouvons définir le fascisme comme étant un système politique autoritaire, inégalitaire et conservateur, qui s’appuie sur un État fort, militarisé et policier, et qui implique une réduction drastique des libertés politiques et syndicales, le tout dans un déni total des droits humains2. Les régimes fascistes reposent généralement sur une base militante issue de la petite-bourgeoisie et une participation économique et politique de la classe dominante3 ; classe4 qui, comme nous le verrons, peut trouver un grand intérêt à la mise en place de ces régimes.

Aux origines du fascisme, le capitalisme

Si Mussolini prend le pouvoir en 1922 et instaure progressivement un régime fasciste, l’économiste marxiste Rudolf Hilferding décrit dès 1910 l’apparition d’idéologies économiques et politiques proches de ce que sera le fascisme5. Celles-ci sont décrites comme étant le produit des changements que subit le système économique de son époque : le développement et la concentration des richesses produites au sein de quelques multinationales, la conquête par celles-ci de nouveaux marchés à travers la colonisation et le soutien financier et politique des puissances étatiques de l’époque6.

De nombreux marxistes ont contribué à mettre l’accent sur les racines économiques du fascisme et donc, sur les liens qu’il entretient avec la haute-bourgeoisie

Miguel Schelck est permanent Jeunes-FGTB Bruxelles, actif dans la coalition 8 mai, il tient également un compte Instagram de vulgarisation @unsyndicaliste

En effet, d’après lui ce nouveau stade du capitalisme, qu’il appelle le capitalisme monopolistique, nécessite pour prospérer l’instauration de dictatures où les travailleurs sont mis dans une concurrence extrême selon leur sexe, leur race, etc. afin que les monopoles naissants rapportent un maximum de profit aux grands capitalistes de l’époque, mais aussi un pouvoir autoritaire et répressif visant à empêcher les ouvriers de se lancer dans la conquête de nouveaux droits sociaux et de meilleurs salaires, voire dans la révolution à laquelle appelle alors une partie du mouvement ouvrier.

Ainsi, pour les marxistes du début du 20e siècle, c’est bien le capitalisme qui constitue la base économique de ce que seront les futurs régimes fascistes.

Quand le capitalisme va mal, un bruit de bottes se fait entendre

Le capitalisme en constitue la base économique, mais ne suffit pas à faire émerger des régimes fascistes,, quelles sont donc les conditions qui les rendent possibles ? Si la révolution russe en 1917 fait croître la peur qu’ont les capitalistes d’une révolution mondiale – et donc la nécessité de réprimer d’une main de fer tout mouvement social -, la prise de pouvoir des fascistes n’est permise que par les crises économiques qui suivent la Première Guerre mondiale et en particulier par la crise généralisée que le capitalisme traverse à la fin des années 1920 : la « Grande Dépression ».

En effet, les auteurs marxistes, mais également d’autres écoles de pensée comme l’école de Francfort représentée ici par le sociologue et philosophe Max Horkheimer, estiment que lorsque le capitalisme est en crise, la seule solution pour la haute-bourgeoisie de garder ses capitaux et ainsi sa position de pouvoir au sein de la société est d’instaurer un régime où les libertés civiques sont supprimées. Le fascisme ne serait finalement que l’extension du libéralisme, « rien d’autre que ce système quand il a perdu les freins7 », où ce qui importe est que ceux qui détiennent le pouvoir sont ceux qui détiennent tout ce qui permet la production.

Le fascisme ne serait finalement que l’extension du libéralisme, « rien d’autre que ce système quand il a perdu les freins »

C’est pourquoi, comme l’explique Horkheimer, mais aussi d’autres penseurs tels que Daniel Guérin8, les régimes fascistes italiens et allemands ont bénéficié d’un soutien financier et politique important de la part des grands capitalistes de ces deux pays.

Conclusion : le fascisme, une stratégie de classe

Étudier le fascisme à partir de notre système économique permet donc de mettre en avant le caractère de classe de celui-ci. En effet, le fascisme n’est pas tant une question morale, qu’une stratégie de classe à laquelle recourt une partie de la haute bourgeoisie en temps de crise pour maintenir sa position dans la société. En outre, certains capitalistes bénéficient directement de l’instauration de régimes fascistes, à travers la « dictature sur le travail9 » qu’ils permettent, les subsides, privatisations et toutes autres mesures économiques que les États peuvent octroyer aux capitalistes sans contrôle parlementaire et contre-pouvoirs du fait de leur répression… En Belgique par exemple, le VOKA10 entretient des liens étroits avec des partis comme la NV-A ou le Vlaams Belang qui votent régulièrement des lois antisociales (blocage des salaires, contre l’augmentation du salaire minimum…). L’organisation patronale appuie d’ailleurs une montée au pouvoir de ces deux partis11, notamment pour avancer dans la régionalisation du pays, c’est-à-dire dans la division des syndicats et des mutuelles, l’exacerbation de la concurrence entre les travailleurs des deux régions et la destruction de la sécurité sociale. Bref, pour permettre au VOKA d’avoir toute latitude pour faire appliquer son programme néolibéral en Flandre.

La menace que constitue le fascisme doit donc attirer l’attention sur notre époque qui traverse une crise économique et un rejet des institutions démocratiques. En effet, le néolibéralisme s’accommode très bien de l’autoritarisme12, ce qui se fait déjà sentir dans de nombreux pays européens notamment, comme en Hongrie, en Pologne ou encore en France13. Il faut donc agir dès maintenant contre son installation là où ce n’est pas encore le cas et contre sa progression là où il est déjà bien implanté. Mais comment ?

Le fascisme est le revers de la médaille du libéralisme. En appeler à ses valeurs pour le combattre est vain. Lutter contre le fascisme implique la lutte contre la classe qui y a recours, notamment en se battant pour une démocratie politique et économique plus large, et pour une distribution équitable des richesses produites par les travailleurs. Finalement, la meilleure arme que nous pouvons opposer au fascisme, c’est le socialisme et la lutte sociale.

Cet article parait dans Magma, la rubrique jeune de Lava Media. Retrouvez tous les articles de la rubrique : https://lavamedia.be/fr/category/articles-fr/magma-fr/ 

Footnotes

  1. Kurt Gossweiler, «Des racines du fascisme et de ses variantes », Lava 11, 16 décembre 2019.
  2. https://youtu.be/lQxGAH73DNE
  3. Nicos Poulantzas, « Fascisme et dictature », Seuil, 1974, pp. 390.
  4. Par classe dominante, il faut entendre le groupe social qui détient les moyens de production c’est-à-dire tout ce qui permet la production (machines, bureaux, matières premières, énergie, terres …) et tire profit de l’exploitation des travailleurs.
  5. Gossweiler, ibid.
  6. Pour plus d’information sur l’évolution du capitalisme à la fin du 19e/début du 20e siècle et les raisons de celle-ci, vous pouvez lire cet ouvrage de Lénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme
  7. Horkheimer, Max. « Pourquoi le fascisme ? » Esprit, no. 17 (5), 1978, pp. 62–78.
  8. Guérin, Daniel, II. Fascisme et grand capital, Syllepse, 1936, pp. 285
  9. Horkheimer, ibid.
  10. La plus grosse organisation patronale des entreprises flamandes.
  11. Loonis Logghe, « Un lion à deux têtes noir profond », Lava 11, 16 décembre 2019.
  12. Harvey, David.  Brève histoire du néolibéralisme, Les Prairies Ordinaires, 2014, pp. 314.
  13. Sébastien Gillard et Bruno Amable, « Macron, c’est une sorte de combinaison du modèle néolibéral et du modèle autoritaire », Lava, 8 avril 2022.