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Un lion à deux têtes noir profond

Loonis Logghe

—16 décembre 2019

En Flandre voit le jour un tandem VB – NVA qui peut ouvrir la voie à un bloc d’extrême droite en 2024.

Il existe aujourd’hui en Flandre un réel danger de voir un parti fasciste accéder au pouvoir. La menace n’a jamais été aussi vive depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle est beaucoup plus grave que dans les années 90, quand la région a connu son premier «dimanche noir». Les forces motrices d’une participation du Vlaams Belang au gouvernement sont à trouver tant à l’échelle globale que locale. En Flandre, comme partout ailleurs dans le monde, la légitimité du système économique et politique en place vacille sur ses bases. Ici aussi, l’extrême droite parvient à planter ses crocs dans la grogne ambiante, et jouit pour ce faire du soutien des réseaux internationaux d’extrême droite. À l’instar des autres pays européens, on assiste à un virage à droite des partis traditionnels. En Flandre, cela se traduit par l’émergence d’un tandem VB NVA, qui prépare le terrain pour un bloc d’extrême droite.

Au cours de la première période de croissance du Vlaams Blok, à partir de 1991, ce parti faisait cavalier seul. La Volksunie avait signé le cordon sanitaire et, d’un point de vue idéologique, prenait assez clairement ses distances par rapport à l’extrême droite. Aujourd’hui, nous assistons, au contraire, à un rapprochement idéologique entre NVA et Vlaams Belang.

La NVA n’affirme plus que les revendications du VB sont antidémocratiques ou indésirables, mais qu’elles ne sont pas immédiatement réalisables.

Le Vlaams Belang demeure le principal moteur du virage vers l’extrême droite et de l’infiltration de l’idéologie fasciste au sein de la société, sur le plan idéologique, là où les tendances fascistes s’approfondissent tout en restant méticuleusement dissimulées aux yeux du grand public. Le langage est mieux codé et l’accent est, plus que jamais, mis sur la symbolique. Sur le plan organisationnel également, le VB s’affiche sous ses tendances fascistes les plus radicales. À côté de sa milice traditionnelle Voorpost, le parti resserre aussi explicitement ses liens avec des formations de l’alt-right, telles que Schild en Vrienden1.

À son tour, la NVA, en tant que parti de l’establishment, est devenue un moteur important de légitimation et de normalisation. Le parti versait dans la relativisation du racisme depuis un certain temps déjà. Cependant, l’évolution récente de ses propos à l’égard du VB est particulièrement frappante. En septembre 2018, Bart De Wever n’envisageait pas encore de gouverner aux côtés du Vlaams Belang2. En septembre 2019, la position officielle du parti NVA est « on voudrait mais on ne peut pas » (pour le moment). De Wever a parlé d’une «muraille de Chine» entre son parti et le VB. Or, en réalité, comme Bart Eeckhout le faisait judicieusement remarquer dans un article publié dans De Morgen, il s’agirait plutôt «d’une cloison dont les panneaux amovibles se rétractent de plus en plus3». Les propos que le VB tenait dans les années 90 sont désormais largement passés dans le discours dominant. La NVA n’affirme plus que les revendications du Vlaams Belang sont antidémocratiques ou indésirables, mais qu’elles ne sont pas immédiatement réalisables.

Lorsqu’il a assumé la présidence du Vlaams Belang en 2014, Tom Van Grieken avait une seule mission: faire sauter le cordon sanitaire. Et il lui aura fallu à peine cinq ans pour y parvenir. Les résultats ne mentent pas. Bien qu’ils refusent toujours de collaborer avec le VB, le CD&V et Open VLD aident néanmoins à mettre en œuvre les premiers points du plan en 70 points dans le cadre du nouvel accord de coalition flamand. Par le biais de la NVA, la rhétorique de l’extrême droite se répand dans tous les partis traditionnels. Outre le CD&V et l’Open VLD, elle atteint aussi le sp.a, bien que cela se manifeste d’une manière chaque fois différente.

Vers une coalition en 2024 ?

Un scénario clair se dessine en Flandre, qui pourrait se solder par l’arrivée au pouvoir d’un parti fasciste. La NVA et le Vlaams Belang se dirigent ouvertement, pour 2024, vers une coalition dont le but ultime serait de proclamer l’indépendance de la Flandre. Cette formule est appuyée par des figures influentes au sein du mouvement flamand4. Il ne fait pas de doute que l’indépendance de la Flandre constitue d’ores et déjà l’objectif ultime pour la NVA. Bart De Wever rappelle d’ailleurs invariablement qu’il en va de sa mission historique personnelle5. Jan Jambon, pour sa part, a réitéré aux étudiants de l’université de Gand que l’objectif restait l’indépendance, avec le confédéralisme comme «étape intermédiaire6». Le parti entend «apprivoiser» l’opinion publique en ce sens au cours des cinq prochaines années, alors qu’aujourd’hui moins de 20% de la population y est favorable. Toutefois, la baisse de popularité de la NVA et les frustrations qu’elle a essuyées au gouvernement convaincront de plus en plus la direction du parti que tous les moyens sont bons pour atteindre cet objectif à court terme.

L’objectif commun pour 2024, qui est de faire un pas décisif vers l’indépendance par le biais d’une coalition entre la NVA et le Vlaams Belang, pousse les forces d’extrême droite au sein de la NVA à flirter de plus en plus ouvertement avec le Belang et l’idéologie fasciste de ce parti7. Il en résulte qu’il est de plus en plus difficile de distinguer clairement entre le racisme flagrant du VB et le soi-disant nationalisme inclusif de la NVA. La Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention de Genève sont attaquées, y compris au sein de la NVA8. Un combat politique sur l’identité et la culture se traduit, notamment, par la revendication d’un «canon flamand». Dans le même temps, des tendances autoritaires bien marquées se dévoilent au grand jour. Le pouvoir judiciaire est sapé, les parlements raillés et seul l’exécutif est présenté comme légitime. L’attitude désobligeante que le ministre-président Jan Jambon a adoptée à l’égard du parlement lors de la déclaration du gouvernement flamand n’était pas fortuite. Ces tendances autoritaires se confirment: les syndicats sont attaqués, la société civile démantelée et la répression des manifestations se durcit.

La plus grande différence entre la NVA et le Vlaams Belang réside dans la manière dont ils interprètent la notion d’appartenance à « la nation ». Se réclamant d’un «nationalisme civil», la NVA se dit ouverte à ce que des gens du monde entier fassent partie de la société, pour autant qu’ils s’assimilent pleinement à l’identité du «peuple de souche». Le Vlaams Belang n’accorde pas cette possibilité: pour lui, les origines et la race déterminent la culture, c’est sans appel.

Le Vlaams Belang veut aussi diviser le pays d’ici 20249. Ce parti n’entend toutefois pas en rester là. Tandis que la NVA voit le VB comme un allié potentiel dans la division du pays, le Vlaams Belang voit le parti de Bart De Wever comme un levier vers une accentuation du virage à droite et une voie royale vers le pouvoir. Il n’est d’ailleurs pas exclu que le Belang devienne le parti le plus important, comme l’a indiqué le sondage du 13 septembre. Nous savons à quelle vitesse les partis fascistes monopolisent le pouvoir une fois qu’ils l’ont entre les mains. Le fait que l’intimidation et la violence d’extrême droite risquent encore de s’intensifier n’est manifestement pas, non plus, pris en compte par ce parti.

Le patronat flamand voit de moins en moins d’obstacles à une collaboration avec le Vlaams Belang.

Ce qui est inquiétant, c’est que le patronat flamand, lui aussi, semble avoir de moins en moins d’objections à une collaboration avec le Vlaams Belang. Une partie de ce patronat entretient, bien entendu, des liens avec le Vlaams Belang depuis plus longtemps. Ce qui est nouveau, c’est que, depuis peu, l’organisation patronale flamande Voka appelle activement à l’implication du Vlaams Belang. «Le Voka évalue chaque gouvernement sur la base de l’accord de coalition et s’il est favorable aux entreprises, à la société et à la Flandre, or ce n’est pas à une organisation d’employeurs d’exprimer son opinion à propos d’une coalition; la conclusion d’un accord de coalition relève d’une décision politique. […] Il faut avant tout dialoguer avec le Vlaams Belang10.» Le Voka espère que l’indépendance de la Flandre ouvrira la porte à une politique plus à droite. Alain Mouton, rédacteur en chef de la revue Trends-Tendances, a déjà souligné que les politiques d’austérité de droite sont beaucoup plus faciles à mettre en œuvre si les compétences sont divisées11.

Il existe, néanmoins, des manières de contrecarrer un tel scénario. La promiscuité entre l’extrême droite et les élites flamandes peut également être utilement exploitée si elle est démasquée. L’ascension du Belang est étroitement liée au profil «social» et «anti-establishment» adopté par le parti depuis quelques années. Cependant, le Belang évite clairement de prendre position sur des mesures qui affectent le patronat. Dans le domaine de l’innovation politique également, il est clairement opposé aux mesures qui vont à l’encontre du self-service politique. Il ne s’agit pas d’une erreur, mais bien d’un élément essentiel de son identité en tant que pilier de l’establishment. Cela offre aux partis de gauche des possibilités d’exposer le VB pour ce qu’il est. C’est ainsi qu’en Autriche également, le FPÖ a pu être (provisoirement du moins) mis sur la touche pour une affaire de corruption.

À cela vient s’ajouter la double tâche consistant à construire une alternative de gauche et à constituer un front contre la fascisation. L’alternative de gauche se doit d’être véritablement anticapitaliste et anti-establishment, là où l’extrême droite ne l’est qu’en paroles. Tous les groupes auxquels le fascisme s’oppose doivent s’unir dans la résistance contre les politiques antisociales, anti-femmes et antidémocratiques des différents gouvernements: la société civile, les syndicats, les mouvements de femmes, les mouvements contre le racisme. Concrètement, ce n’est qu’ainsi que le masque social derrière lequel se cache le Belang pourra lui être arraché et que la conscience antifasciste pourra être éveillée.

Footnotes

  1. Des partisans de l’alt-right sur Internet ont décrit Schild & Vrienden littéralement comme la « Sturmabteilung» privée de Dries Van Langenhove. 4chan: het internetforum waar extremisten uit ons land gelijkgezinden uit de hele wereld treffen, Het Laatste Nieuws, 29 mai 2019.
  2. De Wever sur Vlaams Belang: “Ik ga niet met extremisten besturen”, SCEPTR, 28 septembre 2018.
  3. Bart Eeckhout: Er loopt geen Chinese Muur tussen Vlaams Belang enerzijds en N-VA en de rest. Niet meer, De Morgen, 13 août 2019.
  4. Bart Maddens: «Les discussions entre la NVA et VB donnent corps au bloc nationaliste flamand.» et «Autrefois, on regardait les choses à travers le prisme du cordon: les sièges du VB étaient considérés comme étant totalement sans valeur. Mais à présent, vous pouvez voir ce que le mouvement populaire flamand a toujours vu: la famille des partis-V qui malgré leurs différences mutuelles sont prêts à travailler ensemble vers leur but commun: la création d’une démocratie flamande à part entière.» Politicoloog Bart Maddens: ‘N-VA moet het nu heel hard spelen’, De Morgen, 21 juin 2019. Voir également VB en N-VA: investeer in Vlaamse staatsvorming, Doorbraak, 12 juin 2019.
  5. « Ce que je pense de ma mission historique avec ce pays est clair comme de l’eau de roche. Il s’agit de le ramener dans les limites de la gouvernabilité démocratique, grâce à une réforme confédérale.» Terzake, 12 août 2019.
  6. De echte missie van Jambon: de Vlaamse onafhankelijkheid voorbereiden, De Standaard Audio, 17 octobre 2019.
  7. Herwig Lerouge, La N-VA à la conquête de l’hégémonie culturelle , Lava 09.
  8. Ivo Flachet, De Universele Verklaring van de Rechten van de Mens wordt 70, Lava, 10 décembre 2018; Ivo Flachet, De Wever en Jambon versus de mensenrechten, DeWereldMorgen.be, 22 août 2019.
  9. Tom Van Grieken: “Onze missie is duidelijk: de grootste worden in 2024”, Het Laatste Nieuws, 13 septembre 2019.
  10. Ondernemersorganisatie Voka vindt regering met Vlaams Belang overweegbaar: “Programma is belangrijker dan wie erin zit”, Het Nieuwsblad, 29 mai 2019.
  11. « Une telle économie serait impossible au niveau fédéral. Dans un système de sécurité sociale divisé, il semble plus facile de s’adapter en fonction des moyens disponibles.», ‘Splits de sociale zekerheid verder’, Trends, 8 octobre 2019.