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Un plan climatique pour les 100 prochaines années

Isabelle Vanbrabant

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Julie Steendam

—11 octobre 2023

Chez nous, on fait peser la responsabilité de la transition verte sur les gens avec des taxes, des voitures électriques et des rénovations coûteuses. À Cuba, il y a Tarea Vida, un plan de transformation inspirant pour Anuna De Wever et le mouvement climatique dans son ensemble.

“Le plan tarea vida a maintenant cinq ans.” expliquent Steendam et Van Brabant. “Il est encore en train de se mettre en place, mais l’on voit malgré tout déjà des résultats : des relocalisations, des replantations de mangrove, du reboisement, de nouvelles agricultures plus résistantes à la sécheresse ou à l’érosion et de l’énergie renouvelable.” Steendam et Van Brabant sont revenues de Cuba avec le livre “100 jaar om de zee te stoppen” (EPO, 2023) (100 ans pour arrêter la mer) qui a déjà su convaincre Anuna de Wever. Dans la préface du livre, elle écrit qu’on aurait besoin d’un plan semblable en Belgique, voire en Europe. Le livre verra bientôt une traduction en français.

Mathieu Strale : Qu’est-ce qui vous a conduites à analyser le plan climatique cubain Tarea Vida et écrire ce livre?

Julie Steendam L’idée nous est venue en 2019. C’était la période des grèves pour le climat, quand des jeunes ont décidé de sortir dans les rues tous les vendredis. Ce mouvement nous a inspirées et touchées. C’était un acte tellement puissant de dire chaque semaine «je prend le risque de voir mon année scolaire suspendue, de recevoir une sanction, d’avoir des problèmes avec les autorités et les parents, car je pense que l’enjeu du climat est plus important».

Julie Steendam a étudié les sciences morales et les conflits et le développement. Elle a coordonné des campagnes belges et européennes pour le droit à la santé.

À ce moment-là, Cubanismo, le mouvement belge de solidarité avec Cuba, et l’ONG Viva Salud nous ont appris que Cuba travaillait sur un plan climatique pour les 100 prochaines années. Un plan de survie au changement climatique, qui cherche à répondre à des questions très concrètes : par exemple, quelle sera le niveau de la mer dans 20 ou 30 ans, quelle quantité d’eau aurons-nous, que pourrons-nous cultiver et où pourrons-nous habiter dans les prochaines décennies?

À Cuba j’ai vu que le changement climatique n’est pas un scénario catastrophe pour les 50 ans à venir mais une réalité d’aujourd’hui.

Cuba, ce n’est pas n’importe quel endroit. C’est un pays qui a connu une révolution socialiste en 1959. Et c’est là qu’on semblait pouvoir trouver des réponses aux questions que nous nous posions à l’époque. Comment construire une politique sociale et climatique à long terme et à quoi cela ressemblerait? Alors, nous avons décidé d’aller voir, pour trouver une histoire positive, qui démontre que le «system change» que nous réclamions dans les manifestations est possible. Si un pays avec des ressources limitées et des contraintes politiques et économiques aussi fortes y arrive, alors pourquoi pas nous?

Isabelle Van Brabant J’étais partie à Cuba dès le début de mon engagement, en 2011. J’y avais travaillé dans une ferme urbaine. Développer l’agriculture urbaine, c’est le genre d’initiative que défend aussi le mouvement climatique en Belgique. Mais, chez nous, ces projets se heurtent à un problème fondamental : où s’installer. Toutes les terres sont privées et chères et il n’y a aucun soutien gouvernemental. Au contraire, à Cuba, le gouvernement organise le développement de l’agriculture urbaine dans tout le pays, en mettant des terres à disposition. Pourtant, revendiquer une approche centralisée, avec le soutien de l’Etat, est une idée qui divise le mouvement climatique en Belgique. Beaucoup pensent que les initiatives locales peuvent, à elles seules, remplir le rôle que ne prend pas le gouvernement dans la transition.

Le plan cubain se base sur une planification de la transition climatique pour coordonner, rassembler et soutenir les initiatives locales, entendre et faire participer l’ensemble de la population. Le plan est dirigé au niveau central, mais concrétisé aux niveaux provincial et municipal. Sa mise en œuvre n’est pas possible sans la participation et la coopération de tous les niveaux : allant des travailleurs aux chercheurs universitaires et des habitants aux organisations locales de jeunesse. De plus, on nous disait que les premiers résultats étaient prometteurs! Alors on a décidé d’écrire ce livre, pour populariser cette expérience.

En fait, dès la révolution de 1959, une attention forte a été donnée à l’environnement. Sur ces thèmes, Cuba est souvent en avance sur les pays occidentaux. Par exemple, en 2006, d’après le World Wildlife Fund (WWF) et le Global Footprint Network, Cuba était le seul pays au monde à avoir atteint un niveau de développement durable. Vous pouvez expliquer pourquoi?

Isabelle Van Brabant Lorsqu’ils ont chassé le dictateur Batista, en 1959, les révolutionnaires cubains ont hérité d’un pays dévasté. Il n’y avait presque plus de forêts, les meilleures terres étaient dégradées par la monoculture de canne à sucre pour l’exportation, tandis que la population majoritairement rurale vivait dans une extrême pauvreté. Ce sont les conséquences de la colonisation des Caraïbes qui a engendré l’esclavage, exploité les gens, mais aussi la nature et les ressources au seul profit des capitalistes occidentaux.

La révolution cubaine a dû prendre en charge ces problèmes immédiatement. Si l’on veut que le socialisme devienne une réalité, on a besoin d’une nature en bon état pour nourrir et protéger les gens. Encore plus dans un pays rural. Chez nous, les mots de durabilité et de transition sont à la mode depuis quelques années; à Cuba cela fait 60 ans que la protection et la restauration de la nature sont intégrées dans une vision de transformation de la société : un environnement sain est indispensable pour être en bonne santé et vivre dans de bonnes conditions en tant qu’agriculteur ou pêcheur.

Julie Steendam Et cette volonté a été très vite suivie d’actes. Une réforme agraire a été lancée immédiatement après la révolution. Les grandes propriétés agricoles privées ont été divisées et transformées en coopératives et fermes publiques, pour donner la terre à ceux qui la travaillent. C’était une réponse indispensable aux inégalités sociales énormes mais aussi pour briser la grande culture d’exportation qui détruisait les sols et pour produire des biens nécessaires afin de nourrir les cubains. Des projets de reforestation ont été lancés pour se protéger des conséquences des ouragans, éviter les raz de marée ou les coulées de boues. Depuis la révolution, les surfaces boisées de l’île ont augmenté de 50%. Les chercheurs cubains ont été mis au travail pour proposer des méthodes de cultures adaptées aux conditions locales.

La planification de la transition climatique à Cuba est dirigée au niveau central, mais concrétisée aux niveaux provincial et municipal.

Protéger et se baser sur les ressources locales, c’était aussi une réponse au blocus Etatsunien, qui touche par exemple les engrais, les produits phytosanitaires, les machines agricoles ou les semences. La chute de l’URSS a encore accru l’impact de ce blocus. Le pays a traversé une période très difficile. Les importations de pétrole, sa principale source d’énergie, ont été divisées par deux. Alors, Cuba a été forcé de s’adapter, pour économiser l’énergie tout en préservant au mieux les besoins des gens. Le gouvernement a organisé des programmes de remplacement systématique des ampoules et des frigos pour installer des modèles économiques. Pour les déplacements, les transports publics ont été améliorés dans la mesure du possible, l’État a planifié le covoiturage et a distribué des vélos à la population.

Enfin, Cuba s’est tourné vers le développement de l’énergie solaire, hydraulique et éolienne pour ne plus dépendre du pétrole. Tout l’argent qui ne servait plus à acheter du pétrole pouvait financer des politiques sociales.

Vous l’avez dit, ces mesures préventives visent notamment à réduire l’impact des ouragans, qui frappent les Caraïbes chaque année. Or, le réchauffement climatique, qui fait monter la température de l’eau et donc son évaporation, risque de rendre ces phénomènes plus violents et fréquents. Vous avez déjà pu observer l’impact du changement climatique sur le terrain?

Julie Steendam J’ai passé cinq mois à Cuba en 2019 puis deux mois l’année dernière. J’ai vu qu’il ne s’agit pas d’un scénario catastrophe qui arrivera dans les 50 ou 70 prochaines années mais d’une réalité actuelle. Et tous

Isabelle Vanbrabant est politicologue, activiste pour la paix et la solidarité internationale et présidente de cubanismo.be.

les habitants que j’ai rencontrés pouvaient raconter l’histoire d’un ouragan qui a frappé beaucoup plus fort que ce à quoi ils étaient habitués. Les agriculteurs à qui j’ai parlé m’ont aussi raconté que tout est bouleversé. La pluie arrive plus tard et est plus intense, elle détruit les jeunes plants. Le reste de l’année, il fait plus chaud et plus sec. Ils ne savent plus quand ni quoi semer. Les changement sont visibles à l’échelle d’une vie humaine. Je ne m’attendais pas à cela.

Isabelle Van Brabant Une autre conséquence visible est la santé publique. Les cubains avaient éradiqué plusieurs maladies de leur île par des mesures préventives. Mais aujourd’hui, certaines réapparaissent en raison du changement climatique, par exemple la Dengue. L’accès à l’eau devient aussi un problème, surtout dans les grandes villes. Les rationnements d’eau sont de plus en plus fréquents, obligeant les gens à faire des réserves. En fait, le réchauffement climatique menace de rendre impossible la vie humaine en bonne santé d’ici la fin du siècle. On se dirige d’un climat tropical favorable à l’agriculture vers un climat étouffant de savane.

Mais que contient ce plan Tarea Vida, (encadré) censé faire face à cette transformation du climat?

Julie Steendam Le plan est divisé en cinq actions et onze tâches (voir tableau). Mais en réalité, si l’on met tout bout à bout, on voit que c’est un projet global. Orlando Rey, l’un des concepteurs du plan, m’a expliqué : «Pour nous, Tarea Vida est le plan de transformation de l’ensemble de la société. Si, par exemple, on doit produire 30% de riz en plus d’ici 2030, il faut savoir où cela peut être fait, quel sera l’état du sol à ce moment-là, comment évolueront les saisons, qui cultivera. Tout cela doit être intégré». Les actions se concentrent sur la protection des côtes, qui sont les plus touchées et concentrent la population. Il s’agit par exemple de restaurer les mangroves, dunes et récifs coralliens. Car c’est une façon naturelle de lutter contre les ouragans, les inondations ou l’infiltration d’eau salée dans la nappe phréatique en raison de la montée du niveau de la mer.

En cas de relogement, les méthodes cubaines sont tout à fait opposées à la manière de faire en Belgique. Ici, comme on le voit avec certains quartiers touchés par les inondations de 2021, vous obtiendrez au mieux une petite compensation si vous êtes forcés de quitter votre logement et ensuite «tirez votre plan». À Cuba, on construit à l’avance un nouveau quartier à l’intérieur des terres, déjà équipé des services nécessaires avant l’arrivée des habitants déplacés : pharmacie, école, centre de santé et terrain de sport. Pour autant, les gens vivent sur la côte depuis des générations. Alors, proposer une nouvelle maison gratuite, c’est très important, mais j’ai vu à Cuba que ce n’était pas suffisant du tout. Il faut aussi préserver la communauté et donc faire déménager les gens ensemble et prévoir le maintien des activités économiques.

Isabelle Van Brabant Dans le plan Tarea Vida, il y a des similitudes avec les plans climatiques d’autres pays. Mais ce qui différencie vraiment le plan cubain, c’est le contexte sociétal, le fait que le socialisme rend ce plan réaliste et concret et permet de penser à très long terme.

Dans le domaine de l’agriculture, Cuba rencontre de grands succès dans la culture de variétés de riz supportant l’eau salée.

Il reste moins de 100 ans pour arrêter la mer, à Cuba comme ailleurs dans le monde. Chez nous aussi, il y aura des zones inhabitables, le long de la mer et des cours d’eau. C’est même indiqué dans nos propres plans d’adaptation. Mais les promoteurs immobiliers continuent à y construire des habitations, parce que les profits à court terme sont la boussole, même si, à long terme, cela aggrave les problèmes et crée des coûts supplémentaires. À Cuba, c’est l’inverse. On planifie en fonction des enjeux à long terme : comment nourrir la population, faire tourner l’économie, éviter des problèmes de santé. Pas par pur altruisme, mais parce que ce sera plus efficace et moins cher à la fin.

Justement, vous avez pu voir des résultats de ce plan sur le terrain?

Julie Steendam Le plan Tarea Vida est encore en train de se mettre en place. Mais l’on voit malgré tout déjà des résultats. Il y a des gens qui ont été relogés. Plus de 150 km² de mangrove ont été replantés. Le reboisement est en cours en privilégiant des arbres fruitiers adaptés au climat changeant, car les gens sont très dépendants de leurs cultures.

Au niveau de l’agriculture, Cuba rencontre de grands succès dans la culture de variétés de riz supportant l’eau salée. Un autre domaine où les progrès sont visibles est l’énergie renouvelable. De gros investissements ont été menés, en partenariat avec la Chine, pour installer de grands parcs de panneaux solaire sur les toits des bâtiments industriels et des éoliennes.

  1. Le plan Tarea Vida

    Cinq actions stratégiques

    1. Interdiction de construire des logements dans les zones côtières menacées et réduction de la densité de population dans les zones côtières de faible altitude
    2. Développer de nouvelles formes de construction résistantes aux inondations dans les zones côtières.
    3. Assurer la sécurité alimentaire en adaptant l’agriculture à l’élévation du niveau de la mer et aux sécheresses
    4. Réduire l’agriculture dans les zones aux sols salins, améliorer les sols, développer des cultures plus diversifiées et qui survivent au nouveau climat.
    5. Trouver des solutions pour les logements menacés dans les villes et sur les côtes, en fonction du potentiel économique du pays. Commencer par des solutions naturelles et peu coûteuses, telles que la restauration des plages et la reforestation.

    Onze tâches

    1. Adapter les 15 zones les plus touchées au changement climatique.
    2. Appliquer strictement la législation pour soutenir Tarea Vida.
    3. Protéger, entretenir et restaurer les plages de sable
    4. Assurer une disponibilité suffisante et une utilisation efficace de l’eau. Développer et restaurer les infrastructures hydrauliques
    5. Reboiser pour protéger pleinement les sols et la quantité et la qualité de l’eau.
    6. Protéger et restaurer tous les récifs coralliens
    7. Fonder la planification territoriale et urbaine sur les résultats scientifiques du macroproyecto, l’étude sur les vulnérabilités et les risques des côtes cubaines.
    8. Mettre en œuvre des plans d’adaptation et de réduction des émissions dans différents secteurs économiques
    9. Renforcer les systèmes d’alerte et de surveillance de la qualité des zones côtières, de l’eau, de la sécheresse, des forêts et de la santé humaine, animale et végétale.
    10. Encourager la participation de l’ensemble de la population à la lutte contre le changement climatique et aux économies d’eau.
    11. Rechercher et gérer des financements internationaux pour la mise en œuvre de Tarea Vida.

Et voit-on aussi des difficultés, des obstacles, apparaître?

Isabelle Van Brabant Le plus compliqué reste le déménagement des personnes. Ce n’est pas parce que vous être confronté aux conséquences du changement climatique que votre conscience de l’enjeu grandit automatiquement.

Julie Steendam Il faut rappeler que le contexte géopolitique a fortement changé depuis le lancement du plan en 2017. C’était avant que Trump ne prenne le pouvoir aux États-Unis et avant l’épidémie de coronavirus et la crise énergétique. La situation était meilleure pour Cuba. Mais d’abord Trump a remis Cuba sur la liste états-unienne des États soutenant le terrorisme et a renforcé le blocus : blocage de nombreux transferts bancaires et de programmes de collaboration avec des agences gouvernementales etc. Ensuite, pendant le covid, alors que Cuba envoyait ses médecins ailleurs dans le monde pour aider à traverser la pandémie, l’île a du se débrouiller seule pour développer ses propres traitements et alors qu’elle faisait face à un arrêt quasi total du tourisme qui est une source importante de revenus. Enfin, la crise énergétique a fait exploser le coût des importations d’énergie.

Isabelle Van Brabant La principale faiblesse du plan, c’est le manque de moyens financiers pour le mettre en place. Notamment en raison de la quasi absence d’aide de la part des pays occidentaux. Les brevets des multinationales du nord sur les technologies vertes (batteries, panneaux solaires etc.) ralentissent aussi leur transfert vers le sud. Ce manque de solidarité existe vis-à-vis de tous les pays du sud, mais il est encore plus violent à Cuba, en raison du contexte géopolitique. C’est aussi pour cela que l’on a écrit ce livre, pour le populariser et pour que cela serve d’exemple, car leurs expériences nous seront utiles. Le plan Tarea Vida est très concret, mais Cuba reste une petite île socialiste dans un océan capitaliste.

Dans la préface, Anuna de Wever dit qu’on aurait besoin d’un tel plan. Qu’est-ce qu’il manque pour mettre en place une politique similaire chez nous?

Julie Steendam Je pense que la première chose qui nous manque c’est une vision à long terme. Par exemple, Groen et Ecolo sont montés au gouvernement en 2020 en disant qu’ils avaient l’intention de développer les énergies renouvelables. Mais, après des années de négociations, on se couche devant Engie. On va leur payer de nouvelles centrales au gaz, la réparation des vieux réacteurs nucléaires et le stockage des déchets radioactifs. Et l’on a perdu du temps pour développer un plan cohérent et ambitieux pour le renouvelable.

Nous avons les connaissances, le réseau, la capacité industrielle pour produire et installer de l’énergie renouvelable. Développer l’énergie verte et moins chère est une demande de la population. Nous devons repenser la façon dont notre système fonctionne. Oser être audacieux et reprendre dans nos mains, donc nationaliser, certains secteurs clés. Par exemple l’énergie : nous avons le droit de dire que cela devrait appartenir à la population car cela répond à un besoin fondamental. Et, sans contrôle démocratique, on ne s’en sortira pas.

Isabelle Van Brabant On ne doit pas être dans l’utopie et penser qu’on va passer immédiatement à un État socialiste comme Cuba. Mais, si l’on réfléchit déjà à quels domaines de la société on veut remettre sous le contrôle public et démocratique, si l’on défend des services publics forts, on sera déjà plus avancés pour effectuer la transition climatique. Ce n’est pas une tâche facile mais elle est indispensable. Alors il faut mener la lutte, voir comment renverser le pouvoir de ces multinationales et identifier et soutenir les forces, les partis, qui veulent ce changement systémique.

Un autre enseignement tiré de Cuba est l’importance de la recherche publique, pour mettre la science au service des gens. Le plan Tarea Vida est porté par des scientifiques engagés, issus des sciences humaines et des sciences exactes, qui travaillent aux côtés et pour la population, dans les mangroves, dans les villages aux côtés des agriculteurs et des pêcheurs. Nous devons renforcer et protéger la recherche publique et l’université publique de l’emprise des grandes fortunes et des groupes privés, lutter contre les brevets qui empêchent la diffusion des connaissances et des innovations.

Les brevets des multinationales du nord sur les technologies vertes ralentissent leurs transferts vers le sud.

Julie Steendam Et puis, il faut arrêter de faire peser la responsabilité de la transition sur les gens. Il faut une politique sociale et pas de nouvelles taxes vertes ou une politique qui dresse les gens les uns contre les autres.

Une transition climatique menée comme cela est inefficace et rencontre une forte résistance et un mécontentement de la part de la population. Ce qu’il nous faudrait c’est une politique climatique équitable, c’est renforcer la sécurité sociale et les droit sociaux des travailleurs pendant la transition et faire payer les vrais coupables, les plus grands pollueurs.

Finalement, ce que vous défendez dans ce livre, c’est une politique climatique de classe.

Julie Steendam Le changement climatique montre que notre société est traversée par des intérêts contradictoires. Quelques grands monopoles tirent d’énormes profits tout en nous conduisant à la catastrophe. C’est une minorité qui profite de l’exploitation du reste de la société. En ce sens, il s’agit d’une histoire du «nous contre eux».

Isabelle Van Brabant Un discours qu’on entend beaucoup chez nous est que «nous sommes tous dans le même bateau» et que «chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour répondre à l’urgence climatique». Or, que voient les gens? Comme l’a dit Julie, ils doivent payer toujours plus, pendant que quelques-uns s’enrichissent. Ils voient cela comme une brimade et une injustice. Ils voient aussi que ce sont ceux qui ont le plus de moyens qui peuvent s’adapter au changement climatique, alors que les travailleurs sont de plus en plus touchés dans leur quotidien et n’ont pas les moyens de se protéger. Cet élitisme climatique crée du rejet et de la division. Les gens sont déçus et fâchés et vont jusqu’à devenir très sceptiques sur le climat.

À Cuba, toutes ces contradictions ne sont pas résolues, mais les gens ont bien plus l’impression d’être «dans un même bateau». Les choix politiques semblent être menés au service de la population. Ils ont leur mot à dire. L’équité est beaucoup plus grande. Cela crée un plus grand soutien pour ces mesures, même si elles sont compliquées. Car il est question de «nous», il y a un objectif commun.

Si nous voulons aller de l’avant en Belgique en tant que classe travailleuse, nous devons vraiment nous rendre compte que nous avons un adversaire qui va nous détruire et, avec nous, l’ensemble de la planète. Nous devons donc l’abattre avant qu’il ne le fasse. Et, cet adversaire, c’est le capitalisme. C’est ce que disait déjà Fidel Castro lors du premier sommet de la terre de 1992, bien avant que l’enjeu climatique ne soit envisagé par de nombreux dirigeants occidentaux.