Cette année marque le 400e anniversaire de la naissance de William Petty, le 300e anniversaire de la naissance d’Adam Smith, le 250e anniversaire de la naissance de Simonde de Sismondi et le bicentenaire de la mort de David Ricardo. Dans une série en quatre parties, nous évoquerons les grands économistes auxquels Karl Marx s’est référé… Le premier est consacré à Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi, petit-bourgeois et romantique.
Série : Les économistes avant Karl Marx
Le romantique est-il un émotif déconnecté du monde et qui rêve d’un monde meilleur? Quelqu’un qui cherche le salut dans le passé? D’une certaine manière, cette caractéristique s’applique à Sismondi, que Lénine classe dans la catégorie du romantisme économique. Mais cette seule caractéristique ne permet pas de rendre justice à cet économiste suisse. Car le romantisme est avant tout l’expression d’un malaise et d’une critique de la misanthropie dans la société capitaliste naissante. Personne avant Sismondi n’avait identifié aussi clairement les déficiences de cette société. C’est son mérite. «Si, avec Ricardo, l’économie politique tire sans ménagements sa dernière conséquence et trouve ainsi sa conclusion, cette conclusion est complétée par Sismondi chez qui on la voit douter d’elle-même»1. C’est par ces mots que Karl Marx souligne la position particulière de Sismondi et lui attribue une place d’honneur dans l’histoire de la pensée économique. David Ricardo a parachevé en Angleterre l’économie politique bourgeoise classique, Sismondi la couronne en y ajoutant une critique fondée sur les dysfonctionnements sociaux que le capitalisme engendre.
Sa vie
Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi est né le 9 mai 1773, à Genève. Fils du pasteur Gédéon-François Simonde, il est issu d’une vieille famille de la noblesse italienne qui avait émigré de Pise en France en 1524. La famille huguenote, qui se réclamait du protestantisme, avait été contrainte de quitter la France catholique et de s’installer en Suisse après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, cet édit qui avait accordé aux protestants des droits civiques et la tolérance par rapport à leur foi. Sismondi grandit dans la maison de campagne de ses parents fortunés, près de sa ville natale. En 1792, il termine un apprentissage commercial et se lance la même année dans des études de droit à l’Académie de Genève. Il doit les interrompre un an plus tard, car sa famille, fuyant la révolution genevoise, se réfugie en Angleterre, où elle vit pendant un an et demi.
Après un séjour en Toscane, près de Florence, Sismondi revient à Genève en automne 1800. La ville fait alors partie de la France depuis 1798. Il s’y consacre à l’activité littéraire et participe aux conversations d’écrivains et de savants qui se réunissent autour de Madame de Staël au château de Coppet, au bord du lac Léman. Le cercle de discussion rassemble des personnalités éminentes de toute l’Europe et des représentants importants du romantisme littéraire et philosophique. En 1819, Sismondi épouse l’Anglaise Jessie Allen, une tante de Charles Darwin. Le couple n’aura pas d’enfant. Sismondi est décrit comme un homme au cœur tendre, bienveillant et sensible, un ami fidèle, un fils attentionné et un époux exemplaire. Selon ses contemporains, Sismondi était pataud et malhabile dès l’enfance, ce qui le prédestinait à devenir un savant de salon. Une fois adulte, il travaillera sans relâche, assis à son bureau huit heures et plus par jour jusqu’à la fin de sa vie.
L’œuvre et son époque
Genevois de naissance et de cœur, Sismondi est, comme le fait remarquer l’économiste soviétique Andrei Anikin, français dans sa façon de penser et dans la conception de ses œuvres2. Mais il a quelque chose d’italien aussi, dans la mesure où il consacre une grande partie de ses recherches à l’histoire et à l’économie italiennes. Sismondi maîtrise le latin, l’allemand, l’anglais, l’espagnol et le portugais.
En France, Sismondi vit deux époques opposées : avant la révolution, où la bourgeoisie aspire à l’émancipation, et la désillusion après la révolution.
Il est européen et cosmopolite dans le meilleur sens du terme. Selon Achim Toepel, qui a publié le principal de l’œuvre de Sismondi en RDA, celui-ci fait partie «des penseurs qui ont vécu avec un esprit éveillé la période sans doute la plus mouvementée de l’histoire de France et l’ont influencée dans leurs écrits»3. C’est une époque de grands bouleversements dans la vie sociale européenne : la Révolution française, les guerres napoléoniennes, le blocus continental (l’interdiction d’importer des marchandises d’Angleterre et de ses colonies) de 1806 à 1813, la révolution industrielle et les premières grandes crises économiques du capitalisme industriel, qui se sont d’abord manifestées en Angleterre.
Sismondi vit à deux époques opposées : avant la révolution, où la bourgeoisie aspire à l’émancipation, puis après la révolution, qui voit venir la désillusion, surtout celle des petits-bourgeois. Ces deux époques le marquent. Sismondi constate avant tout la grande misère du peuple, pour lequel il éprouve une profonde compassion. Il devient ainsi un critique acerbe du capitalisme et de l’économie politique bourgeoise. Il cherche des solutions aux problèmes sociaux brûlants de son époque. Selon Toepel, Sismondi «fait partie de ces grands savants que l’on rencontre souvent dans le passé et dont les systèmes scientifiques présentent une vaste étendue d’horizons intellectuels »4. À côté de la théorie économique, il y a chez lui une théorie de l’État et de la société, consignée dans Études sur les Constitutions des peuples libres, dans l’immense œuvre historique Histoire des républiques italiennes du Moyen Âge , dans les 18 volumes de son Histoire des Français ou dans l’œuvre littéraire et historique De la littérature du midi de l’Europe, composée de quatre volumes. La diversité et la grande qualité de ses réflexions sur l’économie, la philosophie, l’histoire, la littérature et la philosophie du droit lui vaudront de nombreux hommages. Sismondi est membre de nombreuses académies et sociétés scientifiques dans de nombreux pays européens. Afin de pouvoir travailler scientifiquement en toute tranquillité et indépendance, Sismondi décline l’offre du tsar Alexandre (1777-1825) d’occuper une chaire d’économie politique à l’université de Vilnius, ainsi qu’un poste à la célèbre Sorbonne à Paris.
L’économiste
Le premier ouvrage économique de Sismondi paraît à Genève en 1801 et s’intitule Tableau de l’agriculture toscane. Deux ans plus tard, il publie son premier ouvrage économique d’importance, De la richesse commerciale, dans lequel il analyse le contenu et l’origine de la richesse commerciale. Sismondi reconnaît être un fervent partisan des enseignements d’Adam Smith (1723-1790), dont il approuve la doctrine du libre-échange et du laissez-faire, ce modèle de politique économique qui prône l’initiative privée et le moins d’intervention possible de l’État en matière d’économie.
En 1819, Sismondi publie son œuvre économique majeure, Nouveaux principes d’économie politique, qui le rendra bientôt célèbre dans toute l’Europe en tant qu’économiste. Il a le mérite de s’éloigner radicalement des opinions qu’il avait défendues auparavant. Il compare le contenu de l’œuvre d’Adam Smith avec la réalité socio-économique de son époque. Il doit constater que le libre jeu des forces, la recherche égoïste du profit par l’individu ne mène nullement à la prospérité pour tous, comme Smith et Ricardo l’avaient supposé. Dans la préface de la première édition, il dit être parvenu à cette conclusion à la suite de la première crise des ventes de 1815 et face à la souffrance des ouvriers d’usine et à la destruction de la prospérité des paysans, dont il avait été témoin en Italie, en France et en Suisse et dont il avait également connaissance en Angleterre, en Allemagne et en Belgique.
Sismondi décline l’offre du tsar Alexandre d’occuper un poste à l’université de Vilnius, ainsi qu’un poste à la célèbre Sorbonne à Paris.
Selon lui, son livre ne résulte pas vraiment de l’étude approfondie des œuvres d’autres savants : ses nouveaux points de vue sont nés d’observations de la réalité. Elles l’ont convaincu que les doctrines de Smith, telles qu’elles étaient défendues par Ricardo et d’autres, ne pouvaient pas être correctes. «Plus j’avançais dans mon travail, écrit-il, plus j’étais convaincu de l’importance et de la justesse des modifications que j’apportais au système d’Adam Smith5.» Pour lui, il est devenu évident que la grande industrie apporte peu de prospérité et que la plus grande partie de la population souffre de privations voire meurt de faim. Les économistes et les philosophes qualifient une nation de riche quand ils «se trouvent devant une immense accumulation de richesses, une agriculture exemplaire ainsi qu’un commerce florissant, en outre des manufactures qui ne cessent de multiplier les produits de l’industrie humaine, et enfin un gouvernement qui dispose de trésors presque inépuisables, comme, par exemple, l’Angleterre […]. Mais ce faisant, ils omettent complètement d’examiner si ceux qui travaillent de leurs mains et créent toutes les richesses ne sont pas obligés de vivre très chichement […]. Une nation ne peut […] être qualifiée de riche si le riche gagne ce que le pauvre perd.»5. L’ancienne science économique n’enseigne ni à comprendre la misère et l’inégalité, ni à les contrer.
Le théoricien des crises
Sismondi a été le premier économiste à apporter des preuves à une théorie des crises. C’est là son grand mérite dans le domaine de l’économie politique. Ricardo ne s’était pas exprimé sur le problème des crises, et Jean B. Say (1767-1832), le Français qui a apporté la notion de l’équilibre automatique du marché, avait même nié qu’il puisse y avoir surproduction. Il prétendait que toute offre crée toujours elle-même la demande correspondante; tout au plus pourrait-il y avoir un «engorgement momentané des circuits de distribution», quand des produits viennent à manquer, ce qui ouvre des circuits de distribution à d’autres. La surproduction périodique serait, par essence, une sous-production accidentelle à laquelle il serait facile de remédier.
L’argumentation de Sismondi contre ce théorème de Say est remarquable. Pour expliquer les crises, il part du dogme erroné d’Adam Smith, qui assimile la valeur du produit annuel total à la somme des revenus issus des salaires, des profits et des rentes, sans tenir compte de la valeur du capital constant consommé (machines, matériaux, etc.). La valeur de la production correspond toujours, affirme-t-il, à la somme des revenus. C’est le revenu qui engendre la demande. Mais alors, comment se peut-il que l’on produise trop? Selon Sismondi, le produit de chaque année s’échange contre le revenu de l’année précédente. La production et les ventes divergent parce que, dans une économie en croissance, le revenu plus faible de la période précédente doit toujours créer la demande pour la production plus élevée de la période en cours et la payer, alors qu’il n’est pas suffisant pour cela. C’est l’effet retardé du revenu sur la demande qui est à l’origine de la crise. Les marchandises invendables s’accumulent dans les entrepôts, et cela en permanence, car la possibilité de consommer est toujours inférieure au volume de la production. L’économie capitaliste produit plus qu’elle ne peut consommer.
C’est pourquoi des économistes comme Smith et Say se sont trompés lorsqu’ils ont proposé d’élargir la production, car ils n’ont fait qu’accroître encore la contradiction entre la production et la consommation. La seule issue à la crise serait le marché extérieur, un point de vue défendu plus tard par Rosa Luxemburg dans sa critique des modèles de reproduction de Marx : comme la concentration de la propriété et de la richesse entre les mains de quelques-uns rétrécit le marché intérieur, les producteurs sont contraints de vendre leurs marchandises sur des marchés étrangers, extérieurs. C’est une idée à laquelle Lénine sera résolument opposé. De l’échappatoire salvatrice des marchés étrangers, il n’y a pas loin à la thèse intenable selon laquelle le capitalisme doit automatiquement s’effondrer s’il n’y a plus de marchés extérieurs absorbants. Pour Sismondi, la répartition inégale des revenus est une raison bien plus probante pour expliquer que le capitalisme ne peut pas arriver à écouler toutes les marchandises produites.
Le premier ouvrage économique de Sismondi paraît à Genève en 1801 et s’intitule Tableau de l’agriculture toscane.
La structure des revenus et la structure de la production ont divergé. Les personnes qui perçoivent un salaire ne peuvent pas s’offrir des biens de grande valeur. Leurs revenus, s’ils en ont, suffisent tout juste à couvrir les besoins les plus urgents. Les entrepreneurs et les bénéficiaires des profits, confortablement équipés du strict nécessaire, ne trouvent pas sur les marchés nationaux suffisamment de produits de luxe qui leur plaisent et leur préfèrent des objets précieux étrangers. Une partie de la production annuelle reste impossible à écouler, car elle ne correspond pas à la structure des revenus ni de la demande intérieure. Les personnes aisées sont bien approvisionnées en denrées alimentaires nécessaires, les pauvres n’ont pas l’argent qu’il faut pour en acquérir davantage, sans même parler de s’offrir de produits de luxe.
Pour Sismondi, la cause principale de la contradiction entre la production et la consommation menant à la crise est la scission entre la propriété et le travail. Et cette scission est liée à l’effondrement de la production artisanale et à la ruine des petits producteurs de marchandises. «Nous nous trouvons dans une situation totalement nouvelle pour la société», dit-il. «Nous faisons tout pour séparer tout type de propriété de tout type de travail »6. La richesse se concentre ainsi entre les mains de quelques-uns. Les petits producteurs de marchandises sont ruinés et prolétarisés, tandis que les travailleurs s’appauvrissent de plus en plus. La production croissante se heurte à une capacité de consommation insuffisante de la société, le marché intérieur rétrécit. Pour Sismondi, la solution ne consiste pas à trouver des débouchés sur des marchés étrangers. Il veut revenir à la petite production de marchandises, qui réunit à nouveau la propriété et le travail. L’État doit intervenir, non pas pour encourager le développement industriel, mais pour le freiner. Et il doit tout faire pour améliorer la situation sociale des travailleurs. Il doit augmenter les salaires et donner à l’ouvrier de la manufacture la perspective de possibilités d’avancement et «d’obtenir par une bonne conduite une part des bénéfices de l’entreprise»7.
Avec ces propositions, Sismondi pose la première pierre des illusions réformistes sociales auxquelles vont succomber, dès John Stuart Mill (1806-1873) et jusqu’à nos jours, d’innombrables économistes bourgeois qui veulent protéger et accroître la propriété capitaliste privée, tout en corrigeant l’inégalité de la répartition des revenus et de la fortune pour faire davantage pencher la balance en faveur des plus défavorisés. Achim Toepel fait l’éloge de la théorie de la crise de Sismondi, malgré tous ses défauts. Il juge que les crises ne peuvent pas être attribuées à une quelconque perturbation exceptionnelle de l’économie capitaliste, comme des catastrophes naturelles, des événements politiques, etc.
Pour Sismondi, les crises ne sont pas des coïncidences comme le pensaient Ricardo et Say. Ce sont des phénomènes qui découlent logiquement des rapports de production capitalistes. «C’est avec cette idée géniale que Sismondi a enrichi d’une découverte importante la pensée économique de son époque9», affirme Toepel. Cependant, aussi clairvoyantes que sont ses intuitions sur le fonctionnement de la production capitaliste, elles n’en restent pas moins limitées. Sismondi ne voit pas que les contradictions entre production et consommation, entre propriété et travail, reflètent un conflit plus profond et plus essentiel, la contradiction fondamentale du capitalisme entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste privée des produits. Sismondi voit les contradictions du capitalisme et il les fustige vivement, sans toutefois les comprendre. Il ne réalise pas qu’elles découlent logiquement des conditions auxquelles il veut revenir et dans lesquelles il voit la solution.
Le jugement de Marx, Engels et Lénine
On peut lire dans le Manifeste du parti communiste :
«Dans des pays comme la France, où la classe paysanne représente bien plus de la moitié de la population, il était naturel que des écrivains qui défendaient le prolétariat contre la bourgeoisie appliquent la norme petite-bourgeoise et paysanne à leur critique du régime bourgeois et prennent parti pour les ouvriers du point de vue de la petite-bourgeoisie. C’est ainsi que s’est formé le socialisme petit-bourgeois. Sismondi est le chef de cette littérature, non seulement en France, mais en Angleterre aussi. Ce socialisme analysa avec beaucoup de pénétration les contradictions inhérentes au régime de la production moderne. Il mit à nu les hypocrites apologies des économistes. Il démontra d’une façon irréfutable les effets meurtriers du machinisme et de la division du travail, la concentration des capitaux et de la propriété foncière, la surproduction, les crises, la fatale décadence des petits-bourgeois et des paysans, la misère du prolétariat, l’anarchie dans la production, la criante disproportion dans la répartition des richesses, la guerre d’extermination industrielle des nations entre elles, la dissolution des vieilles mœurs, des vieilles relations familiales, des vieilles nationalités. À en juger toutefois d’après son contenu réel, ou bien ce socialisme entend rétablir les anciens moyens de production et d ’échange, et, avec eux, l’ancien régime de propriété et toute l’ancienne société, ou bien il entend faire rentrer de force les moyens modernes de production et d’échange dans le cadre étroit de l’ancien régime de propriété qui a été brisé, et fatalement brisé, par eux. Dans l’un et l’autre cas, ce socialisme est à la fois réactionnaire et utopique. Pour la manufacture, le régime corporatif; pour l’agriculture le régime patriarcal : son dernier mot, le voilà8.»
L’ancienne science économique n’enseigne ni à comprendre la misère et l’inégalité , ni à les contrer.
Le jugement de Lénine sur Sismondi est également dialectique. Dans son ouvrage Pour caractériser le romantisme économique, il écrit :
«Contrairement aux économistes classiques qui, lorsqu’ils édifiaient leurs systèmes, considéraient le régime capitaliste déjà constitué, et pour qui l’existence de la classe ouvrière était une donnée, un fait allant de soi, Sismondi s’intéresse tout particulièrement au processus de la ruine du petit producteur qui a conduit à la formation de cette classe. Il a le mérite incontestable d’avoir signalé cette contradiction du régime capitaliste; mais, comme économiste, il n’a pas su comprendre ce phénomène, et il a dissimulé par des “vœux pieux” son incapacité de procéder à une analyse conséquente »9.
Plus loin, Lénine ajoute : «Sur tous les points, il se distingue des auteurs classiques en signalant les contradictions du capitalisme. Cela, d’une part. D’autre part, sur aucun point il ne peut (ni ne veut, d’ailleurs) pousser plus loin l’analyse entreprise par les classiques, et c’est pourquoi il se contente d’une critique sentimentale du capitalisme, faite du point de vue petit-bourgeois. Cette substitution de doléances et de lamentations sentimentales à l’analyse scientifique rend sa conception des plus superficielles »10.
L’utopie de Sismondi n’anticipe pas l’avenir, mais restaure le passé; elle ne regarde pas en avant, mais en arrière.
Rayonnement
Les opinions et les travaux de Sismondi ont influencé de nombreux penseurs, comme Thomas Robert Malthus (1766-1834) qui allait devenir tristement célèbre pour son «principe de la population», réfuté tant théoriquement qu’empiriquement. L’économiste et philosophe français Eugène Buret (1810-1842) est un élève et un disciple direct de Sismondi. Sur le plan théorique, Buret «s’est appuyé sur les idées de Sismondi, mais il a donné plus d’audace et plus de force à ses projets de réforme et a ainsi pu exercer une certaine influence sur certains écrivains socialistes en France […] Alors que chez Sismondi, l’exposé des mesures nécessaires pour combattre le mal est très hésitant […], les projets visant à surmonter les contradictions de la misère sociale sont au cœur de l’œuvre de Buret »11, écrit Achim Toepel. Karl Marx a également apprécié les travaux de Buret. Un deuxième élève de Sismondi est Villeneuve-Bargemont qui, contrairement à Sismondi, tente d’intégrer des principes chrétiens dans l’économie politique. Il est ainsi le premier à emprunter une voie dans l’économie politique «sur laquelle d’autres penseurs l’ont suivi par la suite et qui a finalement culminé dans le système du mysticisme social des écrivains John Ruskin (1819-1900) et Léon Tolstoï (1828-1910) »12.
Le romantisme de Sismondi a influencé des économistes comme Antoine-Elisé Cherbuliez (1797-1869), que Marx décrit dans Le Capital comme étant un adepte de Sismondi. Parmi ses contemporains, l’économiste Adolphe Jérome Blanqui (1798-1854), le philosophe Joseph Droz (1773-1850), les premiers socialistes utopiques Henri de Saint-Simon (1760-1825) et Charles Fourier (1772-1837) sont influencés par Sismondi; tout comme, plus tard, Louis Blanc (1811-1882) et Johann Karl Rodbertus (1805-1875). Les populistes russes (Narodniki) reprennent l’idée de Sismondi selon laquelle la consommation est décisive et le produit total d’un pays ne peut pas être réalisé sur le marché intérieur. Ils en concluent, de manière réactionnaire et romantique, que le développement capitaliste est impossible en Russie.
Footnotes
- Karl Marx, Critique de l’économie politique, Paris, Éditions sociales.
- Andrei Anikin, A science in its youth, pre-marxian political economy, Moscou, Progress publisher, 1975.
- Achim Toepel in Simonde de Sismondi, Nouveaux principes d’économie politique ou De la richesse dans ses rapports avec la population, Berlin, Akademie-Verlag, 1971.
- Idem
- Idem
- Idem
- Idem
- Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, Paris, Éditions sociales.
- V. I. Lénine, Pour caractériser le romantisme économique, Moscou, Éditions en langues étrangères.
- Idem
- Achim Toepel, op. cit.
- Idem