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Les trois dynamiques d’une guerre déclarée

Tony Wood

—22 juin 2022

Aucune guerre n’apparaît spontanément. Elle est toujours le fruit de contradictions antérieures qui forment un contexte dans lequel elle se développe. La guerre en Ukraine n’échappe pas à cette règle.

Alors que l’on ignore encore comment évoluera la guerre déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, le monde se trouve au seuil d’une nouvelle période trouble. Les lignes qui suivent tentent d’esquisser la matrice historique à partir de laquelle le conflit actuel s’est développé et d’identifier les scénarios possibles qui nous attendent.

Trois axes d’analyse étroitement liés

Le Kremlin porte la responsabilité du déclenchement de cette guerre et, quelle qu’en soit l’issue, il devra assumer un lourd fardeau moral pour les destructions qu’elle a déjà causées. L’indignation légitime et les exigences de solidarité avec les Ukrainiens ne doivent cependant pas nous empêcher d’envisager plus largement les questions de la responsabilité historique.

Dans un bras de fer géopolitique de plusieurs décennies autour de l’Ukraine, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont, en tant que bloc le plus puissant, nécessairement joué un rôle dans la mise en place du contexte dans lequel est intervenue l’invasion. Toute analyse qui se bornerait aux seules actions de la Russie ou qui ne regarderait pas plus loin que dans la tête de Poutine est, au mieux, une divagation unilatérale et, au pire, une déformation délibérée des faits.

Pour bien comprendre, il faut garder à l’esprit trois axes d’analyse étroitement liés : premièrement, le développement interne de l’Ukraine et ses priorités depuis 1991 ; deuxièmement, l’avancée de l’OTAN et de l’UE dans le vide stratégique laissé en Europe de l’Est après la fin de la guerre froide et, troisièmement, la trajectoire de la Russie, de son déclin post-soviétique à sa réaffirmation nationale. Les contradictions et les convergences entre ces trois dynamiques ont engendré le contexte dans lequel la Russie a perpétré son acte d’agression.

Un cercle fortifié d’États pro-occidentaux

La guerre de 2022 est donc à la fois l’expression et le résultat de dynamiques à plus long terme qui ont placé l’Ukraine au centre de projets géopolitiques et géoéconomiques antagonistes : d’une part, le tandem occidental OTAN-UE, qui cherche à étendre la domination stratégique des États-Unis et à intégrer l’Ukraine dans l’architecture capitaliste libérale de l’UE ; d’autre part, les tentatives russes de rétablir une sphère d’influence dans son « étranger proche ». Si pendant la majeure partie des années 1990 et 2000, le tandem OTAN-UE a pu progresser sans opposition, la quête d’une sphère d’influence russe n’était guère plus qu’un fantasme compensatoire, au milieu du désarroi post-soviétique. Mais, depuis le milieu des années 2000 et la relance de l’économie russe, soutenue par les revenus des ressources naturelles, ces deux projets antagonistes sont entrés en collision, leur incompatibilité fondamentale étant toujours plus manifeste.

Depuis son accession à la souveraineté en 1991, l’Ukraine a connu des processus simultanés et accélérés de formation d’un État et de construction d’une nation, tout en cherchant à promouvoir ses propres intérêts, indépendamment de l’Occident et de la Russie. Cependant, après avoir tenté de trouver un équilibre entre la Russie et l’Occident dans les années 1990 et au début des années 2000, elle s’est trouvée confrontée à un jeu à somme nulle. Depuis 2014 — après l’annexion de la Crimée et surtout la guerre en cours dans le Donbass —, la confrontation des deux projets n’a fait que s’intensifier, produisant une espèce de cisaillement tectonique qui a remodelé la politique ukrainienne, ses dirigeants faisant fermement basculer le pays vers l’Ouest alors même que ses territoires orientaux restaient embourbés dans un conflit séparatiste soutenu par la Russie.

L’invasion actuelle visait à briser ce schéma politique et stratégique préexistant, pour ensuite le remodeler selon les spécifications de Moscou. Or, elle semble en fait renforcer une tendance historique sous-jacente, à savoir que les voisins post-soviétiques de la Russie s’éloignent rapidement d’elle, produisant précisément le cercle fortifié d’États pro-occidentaux que la politique russe s’efforce depuis des années d’éviter.

L’effroyable paradoxe de la stratégie militaire russe tient aussi au fait que cette guerre a eu pour première conséquence la dévastation des régions russophones d’Ukraine, ce qui aura vraisemblablement pour effet de susciter la répulsion chez une population que le Kremlin a longtemps considérée comme une minorité de blocage à l’intérieur du pays. En détruisant physiquement l’héritage soviétique commun qui liait autrefois la Russie et l’Ukraine, la guerre ne fait que confirmer la réalité politique sous-jacente.

Relation historique avec la Russie

La consolidation d’un régime ukrainien ardemment pro-occidental, dont la position est définie dans une large mesure par la nécessité de résister à l’hostilité de la Russie, est un résultat historique d’autant plus étonnant que le pays est issu d’un héritage pluriel et que sa composition territoriale, sa culture et son profil démographique sont très proches de ceux de la Russie.

Les frontières actuelles de l’Ukraine, qui s’étendent du creuset historique du nationalisme ukrainien à l’ouest à celui de la modernité industrielle soviétique à l’est, sont l’héritage des passés impérial et soviétique 1. Ce sont les bolcheviks qui, au lendemain de la guerre civile, ont défini les contours de la RSS d’Ukraine en 1922, regroupant Kiev et le noyau de la Russie médiévale avec les terres de steppes conquises à l’origine par l’Empire Romanov au 18e siècle et le Donbass en voie d’industrialisation. Au début et à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’autres provinces ukrainophones à l’ouest, qui avaient été des territoires des Habsbourg puis de la Pologne, ont été ajoutées. En 1954, la Crimée — qui constituait depuis 1921 une unité autonome au sein de la composante russe de l’URSS et dont la totalité de la population tatare avait été déportée en masse en 1944 — a été transférée à la RSS d’Ukraine.

La guerre est le résultat de dynamiques à plus long terme qui ont placé l’Ukraine au centre de projets géopolitiques et géoéconomiques antagonistes.

Les politiques soviétiques de la première heure, en accord avec les principes léninistes d’autodétermination, avaient encouragé l’utilisation de la langue ukrainienne et l’ « indigénisation » des structures de l’État. Les années 1920 avaient également été marquées par une éclosion littéraire et culturelle. Toutefois, quand bien même les dirigeants de l’Ukraine communiste étaient des Ukrainiens, le champ d’expression de l’identité nationale ukrainienne, même soviétisée, s’est considérablement réduit par la suite. Sur le plan démographique — et ce, depuis l’époque tsariste —, les migrations et les mariages mixtes entre les deux régions ont été considérables à tous les échelons de la société. Si l’industrialisation de l’est ukrainien a impliqué un afflux de russophones, la colonisation de la frontière agraire de la Sibérie a, quant à elle, été réalisée dans une large mesure par des paysans ukrainiens. À la fin de l’ère soviétique, la majeure partie de l’Ukraine était véritablement bilingue, le russe étant la lingua franca ou la langue maternelle dans plusieurs grandes villes, tandis que les habitants de Kiev et des provinces centrales parlaient des dialectes qui fusionnaient les deux langues.

Ce que l’Ukraine partageait avec la plupart des autres ex-républiques soviétiques, c’était une structure économique qui avait été fondamentalement conçue pour faire partie d’un système d’union intégrale et qui se trouvera, dès lors, radicalement déséquilibrée lorsqu’elle deviendra une entité souveraine. Outre un vaste secteur agricole, l’Ukraine possédait des mines et l’industrie lourde du Donbass, ainsi qu’un important secteur militaire. Déjà en stagnation dans les années 1980, ces secteurs allaient être mis à mal par l’effondrement de l’Union soviétique, laissant l’Ukraine aux prises avec la nécessité de trouver de nouveaux marchés d’exportation alors même qu’elle tentait de rééquilibrer son économie, au milieu d’un marasme encore plus profond que celui qui frappait les autres États post-soviétiques, le PIB se contractant de plus de 60 % entre 1990 et 1999. En 2020, il représentait à peine la moitié de son niveau de la fin de l’ère soviétique (en prix constants)2.

Ces spécificités — la diversité territoriale, une relation sui generis avec la Russie et l’héritage de l’interdépendance économique soviétique — ont fait de l’Ukraine un pays intrinsèquement diversifié et potentiellement plus divisé que nombre de ses pairs post-soviétiques. Ces mêmes spécificités apporteront des difficultés considérables pour son développement au cours des années 1990.

Équilibrage stratégique de 1994 à 2005

Les mouvements nationalistes ont joué un rôle de premier plan dans la quête de souveraineté ukrainienne à la fin de l’ère soviétique, même si dans les faits, ils étaient menés par une partie de l’ancienne nomenklatura. Le référendum sur l’indépendance en décembre 1991 a donné lieu à 91 % de votes positifs3. Or, ce mandat écrasant était également fondé sur la promesse d’une plus grande prospérité qui, lorsqu’elle a manqué de se matérialiser, a suscité une vague de mécontentement croissant à l’égard du président Leonid Kravtchouk.

En 1994, c’est le russophone Leonid Koutchma qui a remporté la présidence en faisant campagne sur un programme d’amélioration des liens avec la Russie et des promesses de décentralisation. Les résultats nationaux ont toutefois caché de profonds déséquilibres régionaux : Kravtchouk, originaire de Rivne, avait obtenu plus de 90 % des suffrages dans certaines provinces de l’ouest, tandis que Koutchma a quasiment inversé ces résultats dans l’est et le sud ; le centre, lui, restait divisé4. Après l’élection, la décentralisation a été abandonnée.

La décennie de Koutchma au pouvoir, de 1994 à 2005, a été marquée par un équilibrage stratégique qui a à la fois reflété et consacré les disparités internes du pays. Selon Orest Subtelny, « les différentes forces politiques du pays ne parvenant pas à se mettre d’accord sur l’orientation géopolitique à adopter, toutes ont admis que la neutralité était, pour l’instant, la meilleure option, en inscrivant dans la législation le statut “hors-bloc” de l’Ukraine et en adoptant une politique étrangère multi-vecteurs » 5.

Koutchma a ainsi conclu plusieurs traités clés avec Boris Eltsine, dont un accord crucial en 1997 qui garantissait la souveraineté de l’Ukraine et convenait d’un partage de l’ex-flotte de la mer Noire. En 2000-2001, il a conclu avec Poutine des accords sur des gazoducs qui ont notamment profité à une poignée de clans oligarchiques, créant ainsi une classe de magnats mus par des intérêts matériels dans l’amélioration des liens avec la Russie6. D’un autre côté, Koutchma a également fait de nombreuses ouvertures vers l’Ouest, cherchant à resserrer les liens économiques avec l’UE et à coopérer avec l’OTAN7. C’est également Koutchma qui a envoyé 1 700 soldats ukrainiens pour participer à la “stabilisation” de l’Irak après l’invasion, en 20038.

Plus qu’une question d’opportunisme politique à court terme, cet exercice d’équilibrisme s’explique par les dilemmes géopolitiques et économiques auxquels l’Ukraine post-soviétique se voyait confrontée : devait-elle chercher à s’intégrer à l’Occident, au risque d’une rétrogradation semi-permanente à un statut périphérique, ou à rétablir des liens avec la Russie, au prix d’une souveraineté réduite, voire d’une réincorporation au sein d’une URSS rénovée ?

L’attitude ambivalente de l’Ukraine à l’égard de la Communauté des États indépendants, créée en 1991 conjointement par Eltsine, Kravtchouk et Stanislav Chouchkievitch du Bélarus, s’explique en grande partie par la crainte du second de ces scénarios. Les préoccupations entourant le premier cas de figure ont incité Koutchma à relancer les secteurs manufacturiers à forte valeur ajoutée de l’Ukraine, en vue de son intégration dans l’économie mondiale dans de meilleures conditions et de la création d’une classe capitaliste nationale forte. Alors que le premier volet de ce projet a été paralysé par un fiasco économique continu, le second s’est concrétisé sous la forme perverse de clans oligarchiques qui ont été les bénéficiaires désignés par l’État d’une manne de privatisations au début des années 20009.

Néanmoins, la structure des échanges de l’Ukraine s’est rapidement diversifiée après 1991. Alors que 53 % des exportations ukrainiennes étaient destinées à la Russie en 1995, ce pourcentage n’était plus que de 25 % en 2009 ; et les importations ukrainiennes en provenance de Russie sont passées de 43  % à 20 % au cours de la même période10. Une partie du retard a été comblée par les pays de l’UE11. Ces évolutions illustrent une tendance centrifuge plus généralisée parmi les anciens États soviétiques, chacun d’entre eux ayant forgé de nouveaux liens commerciaux, bien souvent en partant de zéro, et relâché en conséquence leur interdépendance économique avec la Russie, sans toutefois la rompre complètement. Les dynamiques qui sous-tendaient la diminution de l’influence économique russe étaient, cependant, évidentes.

Expansion de l’OTAN

L’effondrement précipité de la Russie en tant que grande puissance dans les années 1990 n’a pas seulement été la cause d’un désastre social et économique sur le plan intérieur. Il a également constitué la condition préalable à un réalignement stratégique global de l’Europe orientale. Le démantèlement du Pacte de Varsovie ne s’est pas accompagné, comme l’avaient naïvement espéré les dirigeants soviétiques, d’un démantèlement symétrique de l’OTAN12. Au contraire, le retrait de la puissance militaire soviétique a fourni une opportunité que Washington était déterminé à ne pas laisser passer.

Lorsque les États-Unis ont menacé de torpiller le processus de réunification de l’Allemagne si celui-ci ne se déroulait pas au sein de l’OTAN, les Soviétiques n’ont pas insisté sur la neutralité13. Le retrait de l’Union soviétique laissant l’unique superpuissance aux commandes, les dirigeants d’Europe de l’Est n’ont pas tardé à plaider leur cause pour une adhésion à l’OTAN, le groupe de Visegrád — République tchèque, Hongrie, Pologne — déclarant conjointement en 1992 que tel était leur objectif. Lors d’une visite en Pologne en 1994, le président étasunien Bill Clinton déclarait à propos de l’admission de nouveaux membres au sein de l’alliance que la question n’était « plus de savoir si, mais de savoir quand et comment14».

M. Iouchtchenko a intensifié les efforts de l’Ukraine visant à son accession à l’OTAN. À l’époque, il n’y avait pas de mandat populaire pour un tel processus.

Les quelques rares voix à Washington qui s’opposaient à l’expansion de l’OTAN ont été ignorées, leurs préoccupations quant à la provocation vis-à-vis de la Russie et même l’hésitation des alliés de l’OTAN ont été balayées d’un revers de la main. La principale raison pour laquelle l’expansion de l’OTAN a pu prendre un tel élan est que la Russie ne représentait plus une menace. Cet élan s’est maintenu jusque dans les années 2000 : après l’accession des pays du groupe de Visegrád en 1999, sept autres pays — les États baltes plus la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie — ont fait de même en 2004, suivis par l’Albanie et la Croatie en 2009.

Bien que l’expansion reposât essentiellement sur la faiblesse de la Russie, elle nécessitait aussi, initialement, un flou artistique pour amortir le choc pour Moscou, et en particulier pour éviter de nuire à la candidature de Boris Eltsine à sa réélection en 1996. Les États-Unis ont mené une politique à deux voies dans laquelle la collaboration de la Russie avec l’OTAN était encouragée tandis que les aspirations à l’adhésion effective étaient repoussées.

Aux yeux des stratèges russes, la question de l’objectif ultime de l’OTAN restait donc posée : si l’Alliance n’était pas dirigée contre la Russie, pourquoi la Russie ne pouvait-elle pas y adhérer ? Cette aspiration découlait elle-même de la prédominance d’une ligne « occidentalisante », visant à une intégration plus étroite avec l’Occident et à la création d’une architecture de sécurité commune, « de Vancouver à Vladivostok », selon l’expression utilisée en 1991 par les ministres des Affaires étrangères étasunien et allemand, et reprise par leur homologue russe Andreï Kozyrev15.

Cette ligne a continué à prédominer pendant une bonne partie du règne de Poutine. En 2000, il a lui-même proposé l’adhésion de la Russie à l’OTAN et réaffirmé la place de la Russie en tant que « partie intégrante de la culture européenne17 ». Ce terme fait référence à un écart entre la forme démocratique et le fond antidémocratique, des élections de façade recouvrant l’emprise continue d’un unique « parti au pouvoir ».

Pourtant, même si l’Ukraine s’est conformée à ce modèle dans les années 1990, la vie politique y était plus variée et plus contestataire que dans la plupart des autres régions de l’ex-URSS. D’autre part, son hétérogénéité interne a de fait rendu impossible le maintien d’une clique dirigeante unie : l’Ukraine a connu une version polycentrique de l’enrichissement oligarchique, contrairement à celle qui a pris place en Russie. Ce polycentrisme a entraîné des conflits interclaniques à connotations régionales qui ont été facilement transposés à la sphère politique18. La rivalité tripartite entre Iouchtchenko, Ianoukovitch et Ioulia Tymochenko, respectivement originaires de Soumy, de la province de Donetsk et de Dnipropetrovsk, a illustré, au-delà des intrigues oligarchiques, le fait qu’une véritable rivalité politique était devenue la norme de la vie civique, ce qui était loin d’être le cas en Russie. Cette situation a créé des espaces dans lesquels les mobilisations de masse pouvaient potentiellement faire pencher la balance dans les moments de crise, sans toutefois modifier fondamentalement les paramètres plus larges de l’économie politique post-soviétique de l’Ukraine.

La victoire de Iouchtchenko a également entraîné une intensification de l’affrontement entre les intérêts occidentaux et russes sur l’Ukraine, ainsi qu’une aggravation des clivages politiques internes du pays. S’écartant de la stratégie de Koutchma, qui consistait à naviguer entre la Russie et l’Occident, Iouchtchenko a opéré un virage vers l’Ouest, tant sur le plan économique que géopolitique. En 2008, le gouvernement ukrainien a entamé des discussions avec l’UE sur ce qui deviendrait, à terme, un accord d’association et, en 2009, il a rejoint le Partenariat oriental de l’UE.

Il était évident que les conditions de l’accord d’association avec l’UE nuiraient considérablement à de nombreuses industries nationales ukrainiennes.

Tablant fermement sur les liens économiques avec l’Occident, Iouchtchenko a libéralisé les marchés financiers ukrainiens et a présidé à l’afflux d’investissements étrangers, dont le total est passé d’un apport net de 1,7 milliard de dollars en 2004 à 10,2 milliards en 2007. Mais, plutôt que de revigorer le parc industriel ukrainien, la plupart des investissements ont été aiguillés vers la finance et l’immobilier. La part des capitaux étrangers dans le secteur bancaire ukrainien est passée de 13 % en 2004 à plus de 50 % en 2009. 60 % de ces capitaux étrangers étaient détenus par des intérêts provenant de six pays de l’UE, 20 % provenaient de la finance russe19.

Si la croissance du PIB a été de plus de 6 % en moyenne entre 2004 et 2008, ses fruits ont été inégalement répartis en termes sociaux et géographiques. Les provinces occidentales, historiquement appauvries lorsqu’elles faisaient partie de l’Autriche-Hongrie et de la Pologne, ont continué à accuser un plus grand retard : en raison du poids de l’agriculture dans leurs économies et de leur taux de chômage, ces régions se sont retrouvées dans une situation plus défavorable que le centre et l’est, ces dernières étant soutenues par la demande de charbon, de coke et d’acier20. La prolongation de la misère dans la partie occidentale a fait partie des conditions préalables aux mobilisations nationalistes de 2014 ; le sentiment pro-UE était dans de nombreux cas sous-tendu par le désir frustré de bénéficier des meilleures opportunités offertes par les marchés du travail de l’UE, même aux échelons inférieurs.

Cependant, si l’orientation pro-occidentale du gouvernement était certainement partagée par une grande partie de la population, les provinces orientales restaient économiquement et culturellement liées à la Russie. Ces provinces constitueront une base suffisamment solide pour permettre à Ianoukovitch de contester avec succès le pouvoir en 2010, rappelant par là-même que le choix de l’Ukraine entre les blocs rivaux de l’Est et de l’Ouest n’était pas définitivement arrêté et que ce choix était en soi un facteur de division pour la politique intérieure ukrainienne.

Tournant décisif : le sommet de l’OTAN de 2008

Parallèlement aux mesures prises pour intégrer plus étroitement l’UE, Iouchtchenko a intensifié les efforts de l’Ukraine pour devenir membre à part entière de l’OTAN. À l’époque, il n’y avait pas de mandat populaire rendant possible un tel processus, et la constitution ukrainienne interdisait les bases militaires étrangères21. Néanmoins, l’aspiration du gouvernement ukrainien a été approuvée au sommet de l’OTAN de Bucarest en avril 2008, en même temps que celle de la Géorgie. Le communiqué officiel affirmait sans ambages que « ces pays deviendront membres de l’OTAN22 ».Le processus a cependant été dépourvu d’un calendrier explicite en raison des objections de Poutine à ces adhésions.

Il s’agissait d’un tournant décisif et il convient d’en souligner la responsabilité historique des États-Unis de par le rôle qu’ils ont joué dans l’expansion de l’OTAN. Suffisamment consciente des préoccupations de la Russie pour ne pas offrir à l’Ukraine et à la Géorgie une porte d’accès immédiate à l’adhésion, l’administration Bush a passé outre les réticences de la France et de l’Allemagne pour insister sur le fait que le processus allait tout de même progresser. Les deux pays candidats se retrouvaient ainsi dans une salle d’attente, sans aucun des avantages supposés de l’adhésion, tout en continuant à exacerber les préoccupations de la Russie.

À partir de 2012, avec le retour de Poutine à la présidence, les propos du Kremlin ont été de plus en plus empreints de sentiments nationalistes.

Imposée par Washington, situé à distance de sécurité de 8 000 kilomètres, cette politique a sciemment mis en danger les populations de Géorgie et d’Ukraine, un calcul stratégique honteux dont, jusqu’à présent, seuls les pays non membres de l’OTAN ont eu à payer le prix. L’OTAN pensait peut-être que la Russie se résignerait tout simplement à avaler le prochain cycle d’expansion comme elle l’avait fait pour les précédents. L’impuissance temporaire de la Russie à s’opposer à la croissance de l’Alliance dans les années 1990 ne constituait toutefois pas un acquiescement définitif, et les planificateurs de l’OTAN avaient certainement prévu qu’une réaction de quelque nature se produirait tôt ou tard.

Celle-ci devait survenir à peine quatre mois après la réunion de Bucarest, sous la forme de la guerre russo-géorgienne. Bien qu’elle n’ait duré que quelques jours, la guerre d’août 2008 a façonné un modèle qui sera suivi en Ukraine en 2014. Justifiée par le Kremlin au nom de la « responsabilité de protection » humanitaire — utilisant ainsi la rhétorique occidentale antérieure contre elle-même —, l’intervention de la Russie a efficacement renforcé les divisions internes en les transformant en conflits séparatistes « gelés » qui étaient clairement destinés à faire obstacle à une pleine adhésion à l’OTAN. Dans le même temps, cette guerre a mis en évidence le manque de moyens de persuasion du Kremlin, et la force s’est subséquemment imposée comme un outil de politique étrangère parmi d’autres, entraînant un abaissement dangereux du seuil de recours à la puissance militaire. Pourtant, si la position de la Russie a visiblement changé, les paramètres globaux de la politique américaine sont restés les mêmes, rendant de nouveaux affrontements pratiquement inévitables.

Les manifestations de Maïdan étaient loin de constituer un phénomène national

Les manifestations de Maïdan en 2013-2014 et leurs suites ont cristallisé une polarisations extrême de la politique ukrainienne par rapport à des forces économiques et géopolitiques extérieures qui sont apparues comme des choix existentiels binaires : l’Occident ou la Russie, l’OTAN ou Poutine, l’UE contre l’Union eurasienne dirigée par la Russie, voire la civilisation ou la barbarie. Ces dichotomies se sont superposées à la carte politique, sociale et démographique inégale du pays, dans un contexte de stagnation économique. Après s’être fortement contractée au début de la crise économique mondiale (le PIB a reculé de 15 % en 2009), puis s’être brièvement redressée, la croissance était restée au point mort en 2013.

Les frustrations économiques avaient été aggravées par la corruption et le caractère autoritaire du régime de M. Ianoukovitch. Si l’ancien gouverneur de Donetsk et son clan étaient clairement enclins à favoriser les intérêts matériels russes — et bien sûr à en profiter personnellement —, les négociations avec l’UE en vue d’un accord d’association se sont cependant accélérées sous sa présidence, ce qui a permis au pays de poursuivre sa marche vers l’Ouest. Il était toutefois évident que les conditions de l’accord d’association causeraient de graves préjudices à de nombreuses industries nationales ukrainiennes, et même certains oligarques avaient des réserves, notamment quant à l’incompatibilité entre un rapprochement avec l’UE et la poursuite des échanges avec la Russie23.

C’est la volte-face de M. Ianoukovitch sur la signature de l’accord en décembre 2013, suivie d’une répression sévère des premières manifestations de l’Euromaïdan, qui a été à l’origine du mouvement de révolte plus large qui a conduit à son éviction au mois de février 2014. Le Maïdan a mis à nu bon nombre des dysfonctionnements du système, tout en démontrant la fragilité du soutien apporté aux politiciens pro-russes. Ianoukovitch et ses semblables étant profondément discrédités, la scène politique a rapidement été dominée par des personnalités pro-occidentales qui ont joué des coudes pour obtenir la faveur des manifestants du Maïdan. Le consensus apparent dans les rues de Kiev était cependant loin d’être un phénomène national. Les développements politiques dans la capitale ont ouvert un fossé avec l’Est russophone, fossé que le Kremlin a résolument élargi en annexant la Crimée et en armant les forces séparatistes dans le Donbass. Ces actions ont largement contribué à confirmer les vieilles allégations des nationalistes ukrainiens selon lesquelles la Russie représentait une menace pour l’intégrité territoriale de leur pays. La guerre dans le Donbass et l’annexion de la Crimée ont également contribué à produire le résultat qu’elles étaient censées éviter : la consolidation d’une Ukraine fermement pro-occidentale entretenant des liens croissants avec l’UE et l’OTAN.

Nationalisme russe de grande puissance

La crise ukrainienne de 2013-2014 a également marqué un tournant pour la Russie, tant au niveau de sa politique intérieure que de son positionnement international. Sur le plan extérieur, le résultat a sans aucun doute été une défaite géopolitique pour le Kremlin, cimentant l’orientation pro-occidentale de l’Ukraine et accentuant les hostilités avec les États-Unis et l’Europe. Sur le plan intérieur, cependant, l’annexion de la Crimée a été claironnée par le Kremlin comme un triomphe, marquant le retour dans le giron national d’un territoire qu’il considérait comme « une partie inaliénable de la Russie24 », selon les propos de Poutine.

Largement populaire à l’époque, l’annexion a généré un « consensus sur la Crimée » qui a permis à Poutine de surmonter facilement la confrontation subséquente avec l’Occident. Ce consensus était lui-même le signe d’un autre développement crucial : la nouvelle prééminence, dans l’idéologie et la pratique officielles, du nationalisme russe de grande puissance.

Pendant la majeure partie des années 1990, le nationalisme russe était resté singulièrement discret, déjouant les prédictions selon lesquelles une politique revancharde émergerait des humiliations de l’effondrement de l’URSS. Cela s’explique en partie par l’état de désarroi dans lequel se trouvait l’État, état qui, ajouté à l’anomie profonde de la société, rendait les mobilisations nationalistes à grande échelle aussi peu susceptibles d’être couronnées de succès que toute autre forme de politique de masse. Une autre raison de la faiblesse initiale du nationalisme russe tenait également au statut de la Russie en tant que fédération plurinationale, dans laquelle les Russes formaient la grande majorité — 80 % selon le premier recensement post-soviétique de 2002 — aux côtés de nombreux autres groupes ethniques, dont beaucoup étaient les « nationalités titulaires » de républiques ou de régions autonomes. Au sein d’une telle structure, un nationalisme russe ouvertement ethnicisé aurait été déstabilisant. D’où le recours à des termes distincts pour désigner les Russes ethniques — russkie — et les citoyens de la Fédération de Russie — rossiane —, les déclarations officielles prenant généralement soin d’utiliser ce dernier terme.

Les États-Unis, pour leur part, ont débloqué des apports massifs d’aide militaire, estimés à 2,5 milliards de dollars entre 2014 et 2021.

À partir de 2012, cependant, et avec le retour de Poutine à la présidence, des éléments de la pensée nationaliste ont été de plus en plus mis en avant dans les déclarations du Kremlin, formulées en termes « civilisationnels », qui attribuaient à la Russie un rôle de premier plan dans la défense des « valeurs traditionnelles » contre l’assaut libéral25. La répression de la dissidence après les manifestations de 2011-2012 a souvent pris la forme d’une guerre culturelle interne contre les éléments anti-nationaux. C’est également un nationalisme russe blessé qui a été mobilisé lors de la crise ukrainienne de 2013-2014, déployé pour justifier l’intervention russe aux côtés des russophones dans le Donbass.

L’amalgame entre la langue et l’appartenance civique qui en découle est le signe soit d’une instrumentalisation délibérée, soit d’un profond malentendu : les russophones ukrainiens se considèrent pour la plupart comme des Ukrainiens parlant le russe, plutôt que comme des Russes essentialisés mais en quelque sorte déplacés. La guerre du Donbass a également ouvert un ensemble de possibilités plus alarmantes : si la Russie est prête à remettre en cause les frontières de l’Ukraine au nom de la défense des « Russes », quelles autres frontières pourraient faire l’objet d’une révision, et sur quelle base ?

La nouvelle prééminence des motivations nationalistes dans la vision du Kremlin était en soi le signe d’un changement profond que la crise ukrainienne de 2013-2014 a rendu apparent et a exacerbé : une dissociation entre les logiques économiques et les logiques territoriales de la puissance russe26. Pendant le boom des ressources naturelles des années 2000, les priorités géopolitiques de la Russie et les intérêts de ses capitalistes étaient largement alignés. Le développement de sa puissance dans son « proche voisinage » était compatible avec une campagne d’investissement à l’étranger par les sociétés russes ; symptomatique de ce chevauchement étroit, un manifeste de 2003 signé Anatoli Tchoubaïs, maître d’œuvre des privatisations de l’ère Eltsine, appelait la Russie à forger un « empire libéral », en tant que puissance « unique et naturelle » dans les anciens pays soviétiques. En Ukraine, ces deux logiques se trouvaient imbriquées à un degré inhabituel, notamment en raison du rôle de ses gazoducs dans l’acheminement du gaz russe vers les marchés européens.

Après 2014, cependant, les deux logiques se sont disloquées : la guerre du Donbass a entraîné la destruction physique de nombreux actifs industriels appartenant à la Russie, tandis que l’annexion de la Crimée a donné lieu à des sanctions occidentales qui ont entravé les investissements intérieurs et extérieurs. Le fait que le Kremlin ait jugé que ces sanctions valaient la peine d’être supportées indique le changement sous-jacent de la nature du pouvoir russe.

Renforcement des mouvements nationalistes de droite

Les manifestations de Maïdan étaient symptomatiques d’une crise de longue date dans la représentation politique en Ukraine27. Loin de résoudre cette crise, le cours de la politique ukrainienne après le Maïdan n’a fait que l’approfondir, creusant davantage les clivages internes au sein du pays, alors même que ses gouvernements intensifiaient les intégrations géopolitiques et géoéconomiques parallèles du pays avec Washington et Bruxelles.

Petro Porochenko, élu en 2014, a signé un accord de libre-échange complet et approfondi avec l’UE, entré en vigueur en 2016, tandis que les États-Unis ont débloqué des flux d’aide massifs, quelque 4 milliards de dollars entre 2014 et 2021, dont environ 2,5 milliards de dollars d’aide militaire28. Les diplomates américains ont été étroitement associés aux négociations sur les premiers gouvernements de transition post-Maïdan et ont ensuite travaillé en étroite collaboration avec l’armée et les services de renseignement ukrainiens. Dans un contexte de contraction rapide du PIB et d’alourdissement de la dette du pays, Porochenko a également amorcé une restructuration néolibérale drastique par le biais de mesures d’austérité préconisées par le FMI.

Mais si, à ces égards, l’ordre post-Maïdan a entraîné une intensification des dynamiques préexistantes, l’un des traits distinctifs de la vie politique post-Maïdan a été le renforcement soudain du pouvoir des mouvements nationalistes de droite. Ayant constitué la force organisée prépondérante du Maïdan, ils ont conservé, dans son sillage, une capacité de mobilisation bien plus importante que celle de toute autre tendance. Les libéraux pro-occidentaux, bien que solidement ancrés dans les cercles politiques et les ONG, n’avaient pas un tel poids numérique.

Pendant ce temps en Ukraine, les formations paramilitaires d’extrême droite ont été intégrées dans l’appareil de sécurité de l’État.

L’absence, pour reprendre les termes de Volodymyr Ishchenko, d’une frontière politique et idéologique institutionnalisée entre l’aile libérale de la société civile et l’extrême droite a permis à cette dernière d’acquérir une influence idéologique et une emprise institutionnelle disproportionnées par rapport à sa force réelle et, surtout, à ses résultats électoraux29. Alors que des partis tels que Svoboda ont dégringolé dans les urnes, les slogans d’extrême droite se sont normalisés dans le discours public et des formations paramilitaires d’extrême droite ont été intégrées dans l’appareil de sécurité de l’État par le ministre de l’Intérieur Arsen Avakov au cours de son mandat de sept ans (2014-2021). C’est ce contraste entre la portée électorale limitée de la droite ukrainienne et le soutien important qui lui est apporté par l’État, ainsi que son accès à l’armement réel, qui la distingue des tendances néofascistes montantes ailleurs.

De plus, dans le contexte de la guerre dans le Donbass, la description, par la droite nationaliste, d’une Ukraine qui serait agressée en permanence par son voisin, a eu une résonance évidente. Les six premiers mois du conflit dans le Donbass ont été marqués par une forte augmentation du nombre de victimes et des déplacements massifs — quelque 4 000 morts des deux côtés en octobre 2014, près d’un demi-million de personnes déplacées en Ukraine et des dizaines de milliers d’autres ayant fui en Russie — alors que le bilan des victimes n’a cessé de s’alourdir par la suite30.

Le cessez-le-feu convenu à Minsk en février 2015 était théorique et a suscité un profond ressentiment de la part d’un nationalisme nouvellement habilité, qui considérait tout accord avec la Russie au mieux comme une imposition intolérable, au pire comme une trahison. À certains moments clés, un bloc important de l’opinion publique, allant des libéraux à l’extrême droite, s’est mobilisé pour bloquer des mesures considérées comme des concessions à la Russie. Cette dynamique explique en partie pourquoi les changements constitutionnels prévus par le deuxième protocole de Minsk de 2015 — décentralisation du pouvoir et octroi d’un statut spécial aux provinces de Donetsk et de Lougansk — n’ont pas été adoptés, ni sous Porochenko, ni sous son successeur, Volodymyr Zelensky, qui ont tous deux été élus avec des mandats importants pour la paix.

La victoire de Zelensky en 2019 a illustré la crise de représentation évoquée plus haut. Sa victoire écrasante au second tour du scrutin d’avril — 73 %, contre 24 % pour Porochenko — a été suivie d’une avalanche aux législatives de juillet, où son parti, Serviteur du peuple, qui tire son nom de sa série télévisée à succès et n’avait à ce moment-là que quelques mois d’existence, a remporté 43 % des voix et 254 sièges sur un total de 450. Le sentiment anti-establishment, né de la frustration liée à la stagnation économique et à la corruption oligarchique, est un élément central de la popularité de Zelensky. Cependant, ses promesses de paix dans le Donbass et sa position plus conciliante à l’égard des russophones — Porochenko avait supprimé les pensions et imposé une interdiction du commerce avec les zones tenues par les séparatistes, tout en limitant l’utilisation du russe dans la sphère publique — ont également joué un rôle central, en particulier dans les provinces orientales où il a obtenu des résultats encore plus élevés que Porochenko.

La disparition de ces promesses après l’entrée en fonction de Zelensky témoigne de la puissance du poids combiné des impulsions nationalistes et des impulsions pro-occidentales au sein du système politique ukrainien. L’absence de démarcation entre les libéraux et l’extrême droite a fait des accusations de « subordination » à la Russie une arme particulièrement efficace dans les luttes politiques internes. Elle a eu un effet de cliquet nationaliste, accentuant la polarisation tout en réduisant la marge de manœuvre du gouvernement.

L’Ukraine représente le plus grand marché potentiel pour tout projet économique régional dirigé par la Russie.

Si l’essence même de la politique ukrainienne a imposé des obstacles évidents aux initiatives visant à mettre en œuvre les accords de Minsk, elle n’a fait qu’accélérer la réorientation stratégique du pays vers l’Ouest. En février 2019, la Constitution ukrainienne a été modifiée afin de renverser son statut de « non-bloc » et d’affirmer « l’irréversibilité du cours européen et euro-atlantique de l’Ukraine » tout en consacrant son engagement à une future adhésion à l’OTAN. Alors même, qu’à l’époque, les sondages indiquaient qu’environ 45 % seulement de la population était favorable à l’adhésion à l’OTAN31.

L’état de crise militarisée qui s’est installé après 2014 a été un puissant accélérateur de la consolidation de l’identité nationale ukrainienne, de plus en plus définie par l’antagonisme avec son grand voisin. À l’instar de nombreuses conjonctures historiques antérieures, les processus de construction de la nation ukrainienne et de formation de l’État ont été dépassés par des forces extérieures et faussés par la guerre à partir de 2014.

La décision du Kremlin d’attaquer

Le discours télévisé de Poutine du 21 février 2022, destiné à légitimer l’invasion imminente, a révélé un mélange caractéristique d’attitudes envers l’Ukraine. Chacune d’entre elles a joué un rôle dans la décision du Kremlin d’attaquer son voisin ; nulle d’entre elles n’est l’apanage de Poutine. Ces attitudes sont ancrées dans différentes strates de pensée des élites russes et leur soudaine superposition permet d’expliquer en partie le mélange de calcul rationnel et de démesure impériale qui a présidé à l’invasion.

Une première strate de pensée est d’ordre strictement géopolitique, où l’Ukraine est perçue comme un emplacement stratégique vital qu’aucun gouvernement russe ne devrait céder de son plein gré à l’OTAN. Une deuxième strate, qui s’appuie à la fois sur les prémisses de l’ère soviétique et sur les ressorts du nationalisme russe, entretient la conviction que l’Ukraine n’est « pas un vrai pays », comme Poutine l’aurait dit à George W. Bush en 2008. Cette perception fondamentale de l’Ukraine d’aujourd’hui comme étant au mieux une construction historique contingente est largement partagée en Russie, par des personnalités allant de Gorbatchev à Soljenitsyne, qui s’appuient elles-mêmes sur de longs précédents impériaux32.

Enfin, une troisième strate d’idées reçues sur l’Ukraine est d’un cru plus récent et concerne son statut de pays apparenté mais distinct, qui évolue sur une trajectoire politique différente de celle de la Russie. Alors que la Russie a maintenu le système de « démocratie d’imitation », l’Ukraine l’a renversé à plusieurs reprises par des soulèvements populaires — le Maïdan évoquant le spectre d’un désordre politique qui constitue une menace directe pour le pouvoir du Kremlin. En quatrième lieu, il convient de mentionner le statut géoéconomique de l’Ukraine : elle est non seulement le site des gazoducs transportant le gaz russe vers ses principaux marchés européens, mais aussi le plus grand marché potentiel pour tout projet économique régional dirigé par la Russie.

Le scénario le plus désastreux pour l’Ukraine serait la prolongation indéfinie du conflit opposant l’armée russe aux forces ukrainiennes constamment réarmées.

Toutes ces motivations ont été réunies dans la décision d’envahir le pays. Dans son discours du 21 février, Vladimir Poutine a présenté une récapitulation familière des accusations portées contre l’expansion de l’OTAN et la politique de deux poids deux mesures de l’Occident, ainsi qu’une critique du « nationalisme agressif et du néonazisme » de l’Ukraine de l’après-Maïdan, amplifiant ainsi un thème cher aux médias russes sous contrôle gouvernemental. Cependant, l’essentiel de l’intervention a été consacré à une longue leçon d’histoire destinée à démontrer la nature artificielle des frontières actuelles de l’Ukraine. Poutine s’en est pris tout particulièrement à Lénine et à la politique des bolcheviks sur la question nationale : « Pourquoi était-il nécessaire de faire des dons aussi généreux, au-delà des rêves les plus fous des nationalistes les plus fanatiques ? »

Revenant au présent, Poutine a affirmé que, si ce que les nationalistes ukrainiens voulaient réellement, c’était la « décommunisation » — faisant principalement allusion à la législation de la Rada de 2015 qui interdisait les organisations et les symboles « communistes » et demandait le changement de nom de toutes les rues —, « cela nous convient parfaitement », étant sous-entendu que les Ukrainiens devraient être prêts à perdre les territoires dont les communistes avaient « fait don » à l’Ukraine. La reconnaissance de l’indépendance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk a constitué un premier pas en ce sens. Le fantasme historique en jeu ici n’était pas la restauration de l’Union soviétique et donc la réincorporation d’une Ukraine subordonnée et semi-souveraine ; il s’agissait plutôt du démantèlement de l’héritage soviétique et d’un retour aux frontières impériales, faisant surgir le spectre du démembrement de l’Ukraine.

Serait-ce là, en réalité, l’objectif de la politique russe depuis le début : un néo-impérialisme revanchard visant à assujettir sa périphérie, dissimulé pendant un certain temps derrière les objections à l’expansion de l’OTAN, mais finalement révélé par la destruction de l’Ukraine ? Pour de nombreux commentateurs libéraux, l’invasion russe a prouvé que l’expansion de l’OTAN n’était pas vraiment le problème, mais plutôt l’alibi de l’incapacité de la Russie à accepter une Ukraine souveraine, voire de son opposition à l’UE33.

Si l’intérêt de l’establishment américain et européen à effacer du tableau l’expansion de l’OTAN est manifeste, certains à gauche ont également repris une version de cet argument34. Pour d’autres, une attention insuffisante a été accordée au poids autonome du nationalisme dans les calculs du Kremlin et à sa dangereuse capacité à dépasser toute considération rationnelle des intérêts économiques ou politiques, ainsi qu’au rôle actif de la Russie dans l’exercice d’une pression néo-impériale sur son voisinage, plutôt qu’une simple réaction aux manœuvres occidentales 35.

Pourtant, l’apparente contradiction qui oppose actuellement deux schémas explicatifs — l’un mettant l’accent sur l’expansion de l’OTAN, l’autre sur la force longtemps cachée du nationalisme russe ; l’un étant censé disculper la Russie, l’autre atténuant le rôle de l’OTAN — n’a, en définitive, pas lieu d’être. Il n’existe pas de monde réel dans lequel l’expansion de l’OTAN n’a pas eu lieu, et l’émergence d’un nationalisme russe de plus en plus affirmé et militarisé est inextricable de ce processus, car il a été en grande partie propulsé et renforcé par celui-ci.

En ce qui concerne l’Ukraine, les fantasmes nationalistes russes ont constamment été liés à des calculs géostratégiques, à la promotion d’intérêts oligarchiques et à l’auto-préservation du système « démocratique d’imitation ». Le poids que nous accordons à ces facteurs peut être débattu, mais le fait qu’ils existent simultanément ne devrait pas l’être. La reconnaissance de leur existence ne diminue d’ailleurs en rien la responsabilité de la Russie dans l’invasion de l’Ukraine. Elle contribue plutôt à la clarifier, en nous permettant d’identifier les différents maillons de la chaîne de causalité qui nous ont conduits à ce moment, et de distinguer le degré de responsabilité de chaque acteur. Une politique anti-impérialiste conséquente exige non seulement la condamnation des guerres criminelles au moment où elles se déroulent, mais aussi une compréhension du champ de contestation entre les grandes puissances qui les engendre de manière récurrente.

Avenirs

Le pire scénario possible, à savoir une guerre totale entre les puissances de l’OTAN et la Russie, ne s’est pas encore matérialisé. Cependant, plus la guerre se prolonge, plus le risque d’une escalade aux conséquences potentiellement catastrophiques augmente. L’affirmation belliqueuse de M. Biden, lors d’une visite en Pologne fin mars, selon laquelle Poutine « ne peut pas rester au pouvoir », a accru les risques d’une telle issue. Déjà implicitement posé par la guerre économique coordonnée de l’Occident, sans précédent par son ampleur, le changement de régime est maintenant explicitement, bien qu’officieusement, posé comme objectif de la politique américaine.

Le scénario le plus désastreux pour l’Ukraine est la prolongation indéfinie du conflit, l’armée russe, largement plus nombreuse, faisant face aux forces ukrainiennes constamment réarmées par les États-Unis et les puissances européennes. Le résultat serait de faire de l’Ukraine le théâtre d’une guerre incessante par procuration, l’aide des États-Unis et de leurs alliés contribuant à entraver sans la neutraliser la puissance destructrice des armes russes. C’est sur ce point que porte actuellement la politique concertée des gouvernements occidentaux, et les implications de cette politique tournent en dérision leurs apparentes préoccupations pour le bien-être des Ukrainiens. Le 28 février, Hillary Clinton, sur MSNBC, a décrit l’Afghanistan des années 1980 comme « le modèle vers lequel les gens se tournent aujourd’hui », bien que « les similitudes ne sont pas celles sur lesquelles il faille compter ». L’exemple de la Syrie ne semble pas moins glaçant de pertinence.

Un scénario moins pessimiste implique un possible accord de paix. Quels que soient les contours d’un éventuel accord de paix concernant la neutralité, la Crimée et les provinces de Donetsk et de Lougansk, il semble y avoir un large consensus sur le fait que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN devrait être exclue. Étant donné le peu de protection que la possibilité d’adhérer à l’OTAN a offert à l’Ukraine, et le rôle joué par l’OTAN elle-même dans l’aggravation du conflit, la population ukrainienne pourrait considérer cette condition comme acceptable pour la paix.

Il est difficile d’imaginer qu’une telle augmentation des dépenses militaires en Europe ne se fasse pas au détriment des filets de sécurité sociale.

Une possibilité, entre les deux scénarios précédents, est qu’une impasse militaire conduise non pas à un accord de paix mais à une trêve armée. D’un côté, les troupes d’occupation russes pourraient finir par contrôler un territoire suffisant pour imposer une partition de facto, tandis que de l’autre, les forces ukrainiennes, soutenues par l’OTAN, seraient positionnées derrière des lignes de front s’étendant sur des centaines de kilomètres. Il s’agirait d’une variante à bien plus grande échelle de la ligne d’armistice fortifiée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, et cela impliquerait une militarisation permanente non seulement des territoires situés de part et d’autre de cette ligne de démarcation, mais aussi d’une grande partie de l’Europe.

Quelle que soit l’issue, il est probable qu’entre-temps, l’Europe se militarise davantage. L’annonce faite par l’Allemagne fin février de son intention de porter ses dépenses militaires à plus de 2 % du PIB est un sombre présage. Si l’ordre politico-économique régnant reste en place, il est difficile d’imaginer que cette augmentation des dépenses militaires ne se fasse pas au détriment du peu qui reste des filets de sécurité sociale. Les États sécuritaires néolibéraux échangeront la croissance contre encore plus de missiles et de barbelés.

En Russie même, la guerre a donné lieu à un virage plus ouvertement autoritaire. Le jaillissement de manifestations contre l’invasion a provoqué une vague de répression nationale, avec des milliers d’arrestations dans des dizaines de villes. Si l’appétit populaire pour la guerre reste faible, l’augmentation générale de la pression occidentale sur le régime et la militarisation européenne plus large qui découlera du conflit pourraient bien encourager un ralliement autour du drapeau, plutôt que des désertions massives ou une rébellion. Les vastes inégalités du modèle économique actuel risquent de s’aggraver alors même que les dépenses militaires absorbent une part croissante du revenu national décroissant de la Russie.

Il est difficile de ne pas voir ici des parallèles avec le crépuscule de la Belle Époque. À l’époque comme aujourd’hui, les tensions inter-impériales ont alimenté une course aux armements effrénée. À l’époque comme aujourd’hui, l’opinion publique se ralliait facilement aux gouvernements nationaux. En 1914, les partis parlementaires de gauche ont fait de même, en votant les crédits de guerre dans leurs législatures nationales et en permettant ainsi le bain de sang qu’ils s’étaient engagés à éviter deux ans auparavant. Il s’agit, bien sûr, d’un autre siècle, mais certains des vieux outils — l’internationalisme, la solidarité de classe, une clarté analytique féroce et sans compromis — seront nécessaires pour réarmer la gauche contre ce nouveau cycle de conflits inter-impériaux : contre les puissants, contre leurs guerres et pour la paix.

Version légèrement abrégée de Tony Wood, « Matrix of War », New Left Review, 133-134, 6 avril 2022.

Footnotes

  1. Pour un aperçu historique nuancé de ces époques, voir Orest Subtelny, Ukraine : A History, 4e édition, Toronto 2009, pp. 201-335 et 348-537.
  2. Données des comptes nationaux de la Banque mondiale, « PIB (dollars US constants 2015)-Ukraine ».
  3. Chiffre tiré de Ella Zadorozhniuk et Dmitri Furman, « Ukrainskie regiony i ukrainskaia politika », in Furman, ed., Ukraina i Rossiia : obshchestva i gosudarstva, Moscou 1997, p. 104, Tableau V.
  4. Chiffres tirés de Zadorozhniuk et Furman, « Ukrainskie regiony i ukrainskaia politika », p. 117, Tableau VIII.
  5. Subtelny, Ukraine, p. 598.
  6. Yuliya Yurchenko, Ukraine and the Empire of Capital, Londres 2018, p. 75-8.
  7. Il s’agissait notamment d’un exercice conjoint très provocateur avec les forces américaines au large de la Crimée en 1997, qui a provoqué des manifestations anti-OTAN dans la péninsule : Lieven, Ukraine and Russia, p. 120.
  8. « Kuchma asks parliament to send troops to Iraq », Kyiv Post, 3 juin 2003.
  9. Marko Bojcun, Towards a Political Economy of Ukraine : Selected Essays, 1990-2015, Stuttgart 2020, p. 211 ; et Yurchenko, Ukraine and the Empire of Capital, pp. 83-6.
  10. Sergei Kulik et al, Ekonomicheskie interesy i zadachi Rossii v sng, Moscou 2010, p. 97, Prilozhenie 11.
  11. Chiffres tirés de Harvard Atlas of Economic Complexity.
  12. « Démantelons l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Libérons vos alliés et les nôtres », avait suggéré le ministre des Affaires étrangères de l’URSS Édouard Chevardnadze au secrétaire d’État des États-Unis James Baker en septembre 1989, cité dans M. E. Sarotte, Not One Inch : America, Russia and the Making of Post-Cold War Stalemate, New Haven 2021, p. 29.
  13. Sarotte, Not One Inch, chapitres 2 et 3.
  14. Sarotte, Not One Inch, p. 191 ; voir aussi James Goldgeier, Not Whether But When : The US Decision to Enlarge NATO, Washington DC, 1999.
  15. Sarotte, Not One Inch, p. 128.
  16. « Putin Says “Why Not ?” to Russia Joining NATO », Washington Post, 6 mars 2000. [/nato] ». L’approbation occidentale de sa guerre contre la Tchétchénie en 1999 a été contrebalancée par le soutien russe à la « guerre contre la terreur » de Bush après le 11 septembre 2001. Les espoirs russes d’un partenariat plus approfondi, sans parler d’une redéfinition de l’architecture de sécurité mondiale, ont toutefois été déçus. Dans la seconde moitié des années 2000, en effet, il devenait de plus en plus évident que les intérêts russes et occidentaux étaient fondamentalement incompatibles — et les événements en Ukraine allaient jouer un rôle central en révélant et en approfondissant cette incompatibilité.

    Une embardée vers l’Ouest après la révolution orange

    La « révolution orange » de 2004-2005, au cours de laquelle des manifestations populaires ont porté au pouvoir le candidat pro-occidental Viktor Iouchtchenko à la place de Viktor Ianoukovitch, soutenu par la Russie, a engagé le pays sur une voie politique qui diverge désormais résolument de celle de la plupart de ses pairs post-soviétiques. Dmitri Furman a relevé de fortes ressemblances entre les régimes qui sont arrivés au pouvoir au début des années 1990, les qualifiant de « démocraties d’imitation16Dmitri Furman, Dvizhenie po spirali : politicheskaia sistema Rossii v riadu drugikh sistem, Moscou 2010 ; Traduction anglaise à paraître chez Verso sous le titre Imitation Democracy : The Development of Russia’s Post-Soviet Political System.

  17. Bojcun, Towards a Political Economy of Ukraine, pp. 137-8.
  18. Chiffres tirés des données des comptes nationaux de la Banque mondiale, « Foreign direct investment, net inflows (BoP, current US $) » ; et Bojcun, Towards a Political Economy of Ukraine, pp. 200-1.
  19. Bojcun, Towards a Political Economy of Ukraine, p. 201 ; Volodymyr Ishchenko, « Ukraine’s Fractures », NLR 87, mai-juin 2014.
  20. Rajan Menon et Eugene Rumer, Conflict in Ukraine : The Unwinding of the Post-Cold War Order, Cambridge, 2015, p. 39.
  21. « Déclaration du sommet de Bucarest », 3 avril 2008.
  22. Yurchenko, Ukraine and the Empire of Capital, pp. 155-6.
  23. « Discours du président de la Fédération de Russie », 18 mars 2014.
  24. Voir Ilya Budraitskis, « Putin Lives in the World that Huntington Built », dans Dissidents among Dissidents, Londres et New York 2022, pp. 7-11.
  25. Mon analyse s’appuie ici sur Ilya Matveev, « Between Political and Economic Imperialism : Russia’s Shifting Global Strategy », Journal of Labour and Society, 2021.
  26. Je m’appuie ici sur l’analyse de Volodymyr Ishchenko et Oleg Jouravlev, qui considèrent le Maïdan et ses suites comme une « révolution déficiente » : « How Maidan Revolutions Reproduce and Intensify the Post-Soviet Crisis of Political Representation », PONARS Eurasia Policy Memo n° 714, octobre 2021.
  27. Congressional Research Service, « Ukraine : Background, Conflict with Russia, and US Policy », 5 octobre 2021, p. 33 ; et données 2014-21 de ForeignAssistance.gov..
  28. Voir l’entretien avec Volodymyr Ishchenko dans ce numéro de Lava.
  29. Voir International Crisis Group, « Nobody Wants Us : The Alienated Civilians of Eastern Ukraine », Report n° 252, 1er octobre 2018, et International Crisis Group, « Peace in Ukraine : The Costs of War in Donbas », Report n° 261, 3 septembre 2020.
  30. Ce chiffre est basé sur des sondages effectués en amont et en aval de l’amendement constitutionnel : 44 % en décembre 2018 et 49 % en mai 2019. Les chiffres sont d’autant plus frappants que le sondage a été réalisé sous les auspices de l’usaid : « Public Opinion Survey of Residents of Ukraine », Center for Insights in Survey Research, 6–15 novembre 2021.
  31. En octobre 1991, Gorbatchev a déclaré à George Bush que « l’Ukraine, dans ses frontières actuelles, serait une construction instable si elle se séparait », et qu’ « elle n’avait vu le jour que parce que les bolcheviks locaux l’avaient à un moment donné dessinée ainsi pour assurer leur propre pouvoir » : Sarotte, Not One Inch, p. 127. Soljenitsyne, pour sa part, a reproché aux nationalistes ukrainiens d’avoir « accepté avec empressement les fausses frontières léninistes de l’Ukraine » : Lieven, Ukraine and Russia, p. 150.
  32. Pour Sam Greene, « malgré toute la rhétorique sur l’Otan, le problème de Moscou est fondamentalement l’Union européenne » : « Here’s looking at EU », 10 février 2022, tldrussia.substack.com.
  33. Greg Afinogenov, « The Seeds of War », Dissent, 2 mars 2022.
  34.  Volodymyr Artiukh, « US-plaining is not enough. To the Western left, on your and our mistakes », Commons.ua, 1er mars 2022.