L’éducation devrait être gratuite et financée par des impôts équitables. Les autres solutions ne permettent tout simplement pas de remédier aux inégalités.
Par an, un étudiant débourse entre 8.000 et 12.000 euros1. Cela comprend le minerval, le matériel de cours, le logement, les transports, les charges utilitaires, etc. Ceux qui s’en sortaient tout juste se retrouvent maintenant dans la précarité, mais nous n’avons plus de mots pour décrire la situation alarmante des 80 000 étudiants2 qui étaient déjà en situation précaire.
Dans les écoles, les tarifs dans les cantines augmentent et les étudiants sautent des repas ou s’alimentent mal3. Au niveau des logements, la pénurie de kots persiste depuis trop longtemps et rend les loyers impayables. Pour un prix « correct », soit vous avez un kot délabré soit introuvable. Les étudiants se voient contraints de faire des trajets fatigants et évidemment de plus en plus chers tous les jours. Quelle solution pour eux à part enchaîner les jobs étudiants ?
Étudier : un droit ou un privilège ?
L’enseignement supérieur actuel reproduit les inégalités. Un étudiant qui n’a pas assez de ressources financières va enchaîner les jobs étudiants et, comme cela a déjà été démontré plusieurs fois, ses chances de réussite vont dès lors se réduire car il croule sous la fatigue et sa concentration aux cours diminue. En auditoire, il se retrouve face à un étudiant qui, en comparaison, aura le privilège de se concentrer uniquement sur ses études car il est soutenu financièrement par son entourage. Les étudiants ne sont donc pas égaux face à leurs cours. À ce sujet, les propos de la Ministre Valérie Glatigny (MR) sont alarmants : « L’enseignement supérieur est une école de vie où tout le monde ne gagne pas à la fin »4. Qui est ce « tout le monde » ? Ce sont les plus démunis qui n’ont pas l’opportunité de travailler dur à l’école car ils travaillent dur pour survivre. Or l’objectif de l’enseignement n’est pas d’être un jeu avec des gagnants et des perdants mais est de former tous les futurs acteurs de la société. Le droit aux savoirs et à l’émancipation intellectuelle ne se limite pas aux jeunes qui ont des origines socio-économiques privilégiées.
Pourquoi notre gouvernement ne cherche pas à amener vers l’avant toute sa population ? La crise sanitaire a bien montré l’importance de tous les métiers pour faire fonctionner une société qui profite à tous. Nous avons besoin d’infirmiers, d’avocats, d’éducateurs spécialisés, de professeurs, de scientifiques…
L’enseignement est un investissement : on investit pour un enseignement de qualité sur les générations futures pour notre futur à tous. C’est pourquoi il est financé de manière publique par les impôts des citoyens et doit être gratuit. La gratuité de l’enseignement supérieur implique un réinvestissement de l’Etat dans tous les secteurs concernés par cette formation. Comme nous l’avons dit précédemment, les coûts directs et indirects sont autant d’entraves à l’accessibilité de tous à l’enseignement. C’est pourquoi la FEF, le syndicat étudiant francophone, se bat depuis une vingtaine d’années pour la gratuité de l’enseignement, pilier fondamental de ses combats et de ses campagnes actuelles.
On se demande pourquoi le gouvernement n’a toujours pas instauré cette gratuité. On peut distinguer deux raisons : une vision élitiste et un refus d’allouer plus de budget à la formation de la société future.
L’objectif de l’enseignement n’est pas d’être un jeu avec des gagnants et des perdants mais est de former tous les futurs acteurs de la société. Le droit aux savoirs et à l’émancipation intellectuelle ne doit pas se limiter aux jeunes qui ont des origines socio-économiques privilégiées.
Avoir ce débat encore aujourd’hui est inquiétant car l’histoire, à maintes reprises, et certains pays voisins nous montrent la route à prendre. Lorsqu’il fut question de rendre l’enseignement secondaire obligatoire, des voix se sont élevées contre cette proposition, prétextant qu’un plus haut niveau d’instruction pour tous ne pouvait être un bienfait pour la société. Le système éducatif obligatoire jusqu’aux 18 ans formerait beaucoup trop d’intellectuels par rapport au besoin du monde du travail. Moins de cerveaux et plus de bras dans les usines. Pourtant, les évolutions historiques prouvent au contraire que l’accession d’une plus grande partie de la population à un niveau d’enseignement supérieur comporte de nombreux bienfaits, tant par l’augmentation du niveau de vie et des savoirs que par l’émancipation individuelle et collective qui en découle. L’enseignement est un droit, et il devrait être ouvert à tous sans différence d’accessibilité. Nous sommes déjà en retard.
La gratuité, la bonne option
On peut se demander si la gratuité est la solution ultime ? D’autres mesures sont souvent présentées pour rendre l’enseignement supérieur plus accessible. Les plus fréquentes sont les jobs étudiants, les bourses, la mise en place d’un minerval progressif. Mais est-ce que ces mesures permettent vraiment de faire de l’enseignement supérieur un droit et non plus un privilège ?
Le job étudiant n’est pas la solution. Comme nous l’avons vu plus tôt, au lieu d’étudier et de se rendre en cours, les étudiants doivent jobber pour faire face au coût d’une année d’étude. 1 étudiant sur 4 jobbe pour payer ses études. Pourtant, les étudiants qui jobbent ont 43% de chance en moins de réussite5. L’étudiant précaire rentre ainsi dans un cercle vicieux d’un job pénible le menant à l’échec ou l’exclusion.
Le système de bourse actuel est insuffisant et inefficace. Le montant des bourses d’études ne permet pas de couvrir les besoins essentiels des étudiants. En moyenne, un étudiant perçoit 1172 euros6 or, rappelons-le, une année coûte entre 8 000 et 12 000 euros tous frais compris. En plus d’être insuffisantes, les bourses sont versées trop tardivement pendant l’année, obligeant des étudiants à faire des prêts et donc à s’endetter le temps d’y avoir accès. Sans parler de nombreux étudiants dans le besoin qui se voient refuser l’octroi à cause de critères trop contraignants, car leurs parents gagnent quelques euros au-dessus du plafond légal.
Le minerval progressif c’est-à-dire faire contribuer chaque étudiant en fonction de « ses » moyens. Ce système nie le fait que le système fiscal belge est déjà caractérisé par un impôt progressif sur les revenus du travail des parents. Un double système serait un gaspillage de ressources administratives, humaines et financières. De plus, seuls les revenus du travail risquent d’être pris en compte laissant les autres revenus et patrimoines sans contrôle.
Pour la FEF c’est clair : il faut rendre l’enseignement supérieur gratuit et financer cette gratuité par une imposition juste (plus hauts impôts sur les grands revenus, taxes sur les grosses fortunes, taxes des surprofits). Les autres options sont inefficaces pour faire baisser drastiquement l’inégalité dans l’enseignement supérieur.
La gratuité, un choix politique
Selon les détracteurs d’un enseignement supérieur gratuit, la gratuité entraînerait la baisse de la qualité causée par une surcharge d’étudiants. Ils avancent donc l’idée de généraliser la sélection à l’entrée par les examens en début d’année.
La baisse de qualité est une crainte légitime et qui existe déjà avec la logique d’enveloppe fermée de l’enseignement supérieur. Un système de financement depuis 1998 qui n’évolue pas en fonction du nombre d’étudiants. Pour un enseignement supérieur digne et de qualité, il faut le refinancer à la hauteur de ses besoins et permettre ainsi d’avoir plus de professeurs et d’encadrements, ainsi que des locaux avec de la place suffisante et des aides à la réussite systématiques pour aider les plus faibles, etc. C’est pourquoi il est indispensable de mener de front les débats sur la gratuité et sur la qualité sous peine de voir l’enseignement supérieur ne plus servir les besoins de la société.
Il faut rendre l’enseignement supérieur gratuit et financer cette gratuité par une imposition juste. Les autres options sont inefficaces pour faire baisser drastiquement l’inégalité dans l’enseignement supérieur.
De plus, un service gratuit n’est pas forcément de moindre qualité. Est-ce que les soins dentaires gratuits pour les enfants sont de moins bonne qualité que les soins dentaires des adultes ? Non. Il y a là un choix politique d’investir pour offrir des soins dentaires à tous les enfants en considérant l’accès aux soins dentaires comme un droit et pas un privilège. Il en va de même pour l’enseignement.
Si l’enseignement n’est pas refinancé de manière publique à la hauteur de ses besoins, la sélection et les examens d’entrée viendront barrer l’accès aux études pour tous et produiront un vrai filtre social en cachant le sous-financement.
Il faut donc aller chercher l’argent là où il est. La Belgique est un des pays les plus riches du monde7. Investir pour la gratuité dans l’enseignement supérieur est d’abord une décision politique en faveur de l’égalité. Persister dans le sous-financement est aussi un choix politique, le choix d’un enseignement élitiste, une prétendue école de la vie.
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Footnotes
- Cabinet du Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et des Médias, « Etude sur les conditions de vie des étudiants de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles », avril 2019.
- Idem
- Enquête sur les ressources économiques des étudiant·es, L’Observatoire de la vie étudiante de l’ULB, novembre 2020.
- Eric Burgraff et Charlotte Hutin, Valérie Glatigny sur le Décret Paysage : «Cette réforme est dans l’intérêt des étudiants», Le Soir, 14 septembre 2021.
- Magali Beffy, Denis Fougère et Arnaud Maurel, « L’impact du travail salarié des étudiants sur la réussite et la poursuite des études universitaires », www.insee.fr, Economie et statistique n°422, 19 novembre 2019.
- « Allocations d’études : les demandes pour l’année 2021-2022 peuvent être introduites », www.rtbf.be, 6 juillet 2021.
- « Rapport Oxfam: la Belgique est un pays parmi les plus égalitaires du monde », www.rtbf.be, 21 janvier 2020.