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Le sexe sous le socialisme

Kristen R. Ghodsee

—25 mars 2020

Quel est le meilleur aphrodisiaque, le chocolat ou la garde d’enfants socialiste? Extrait du livre Why women have better sex under socialism.

Après de nombreuses années, cela l’a passionné, mais au début, cela dérangeait Ken que je ne sois pas d’accord avec lui sur ce que les femmes veulent vraiment. À ses yeux, je n’étais d’abord qu’une obsédée des statistiques. Mais de nombreuses années plus tard, quand j’ai commencé à approfondir la relation entre la dépendance économique des femmes et la sexualité, j’aurais aimé lui dire que sa vision des femmes coïncidait remarquablement avec le capitalisme. Ce qu’il considérait comme «naturel» était en réalité le résultat d’une manière spécifique d’organiser la société.

Le «scénario sexuel d’amitié» est différent de ce que nous appellerions des «amis avec un petit plus».

Pour le prouver, je lui ai d’abord présenté une étude de cas de l’Union soviétique qui montrait que les idées d’Alexandra Kollontaï sur la morale sexuelle socialiste se sont finalement concrétisées derrière le rideau de fer au cours des années 1970-1980. Deux sociologues russes, Anna Temkina et Elena Zdravomyslova, ont mené une étude approfondie auprès de deux groupes de femmes russes de la classe moyenne par le biais d’entretiens biographiques en 1997 et en 2005. Elles ont étudié les changements générationnels dans la manière dont les femmes décrivaient leur vie amoureuse, tant pendant qu’après la période de l’Union soviétique. L’étude a fait émerger cinq histoires fondamentales que les femmes utilisaient pour discuter de leurs relations hétérosexuelles. Elles ont inventé le terme «scénarios sexuels» pour: le prénatal, le romantique, l’amical, l’hédoniste et l’instrumental. Les entretiens de 1997 ont montré que la «génération soviétique silencieuse» (les personnes nées entre 1920 et 1945) se reconnaissait principalement dans le scénario prénatal. Pour elles, le sexe était une chose qu’il fallait subir dans une relation conjugale si on voulait un enfant. L’amour et le plaisir en étaient tout à fait exclus. Et bien que les femmes aient de nouveau eu accès à l’avortement après 1955, le manque de moyens de contraception et le double fardeau du travail et des responsabilités domestiques étouffaient l’expérience sexuelle. Il n’y a donc aucun doute: au départ, le sexe soviétique ne valait rien1.

L’amour comme élément central

Mais cela a commencé à changer après la mort de Staline. Malgré l’absence constante d’intimité due au manque de logements, l’absence d’éducation sexuelle et l’absence totale de toute forme d’érotisme (toutes les formes de pornographie étaient interdites), Temkina et Zdravomyslova ont remarqué que le récit des femmes de la classe moyenne nées entre 1945 et 1965 s’écartait nettement du scénario prénatal. Si celui-ci restait d’usage, il était complété par deux nouvelles manières de parler de la sexualité: la romantique et l’amicale. L’émergence du scénario romantique résultait d’un changement général dans la manière de parler de la sexualité en Union soviétique. À la fin de la période soviétique, des médecins, psychologues et autres experts ont commencé à souligner le rôle du «véritable amour», des «intérêts communs» et de la «communauté d’esprit» comme base d’un mariage réussi. «Le scénario romantique implique que la vie sexuelle soit considérée comme une partie intégrante des émotions et des sentiments forts», écrivent les chercheuses russes. Le sexe est décrit comme une partie de l’amour, de la romance et de la passion. L’amour est l’élément central dans le récit relatif à l’expérience sexuelle. Ce scénario romantique à propos de la sexualité est exactement ce que les premiers socialistes comme August Bebel et Alexandra Kollontaï avaient à l’esprit pour une société où les considérations économiques auraient moins d’influence sur le choix d’un partenaire amoureux2.

Un autre scénario qui a émergé parmi les femmes de la classe moyenne soviétique est celui de l’amitié. Contrairement à ce que nous appellerions des «amis avec un petit plus» (relations sexuelles libres et récréatives avec un partenaire du sexe opposé), le scénario d’amitié soviétique décrit la forme de sexualité qui s’inscrit dans une relation significative entre deux personnes qui travaillent ensemble ou qui ont un cercle social commun et dans laquelle les partenaires ont des relations sexuelles pour se montrer leur affection et leur respect mutuels. Ce scénario d’amitié est probablement né du fait que les femmes avaient leurs propres moyens de subsistance et ne dépendaient plus des hommes pour leurs besoins matériels. Comme certaines femmes soviétiques urbaines se sentaient en sécurité sur le plan économique, la sexualité a perdu sa valeur d’échange et a pu être partagée3.

La théorie de l’échange sexuel

Donnons la parole aux défenseurs de la théorie de l’échange sexuel: «On peut échanger un large éventail de biens de valeur contre des faveurs sexuelles. En échange de relations sexuelles, les femmes reçoivent par exemple de l’amour, un engagement, du respect, de l’attention, une protection, des avantages matériels, des opportunités, de bons résultats aux examens, des promotions professionnelles, etc. Le fait qu’un homme s’engage à long terme à fournir à la femme un soutien matériel (souvent grâce aux fruits de son travail) en échange de relations sexuelles – ou plus souvent et plus précisément d’un accès sexuel exclusif à la sexualité féminine – constitue un des moyens standard. Qu’on soit ou non en faveur de ce type de troc est sans importance. Le nœud du problème réside dans le fait que ces possibilités se présentent presque exclusivement aux femmes. En général, les hommes ne peuvent pas échanger de relations sexuelles contre d’autres avantages.» 4

La commercialisation de la sexualité

Si la théorie de l’échange sexuel (voir cadre) est sur la bonne voie, on s’attendrait à ce que l’introduction du marché libre et le démantèlement rapide de l’Etat-providence social après la chute de l’Union soviétique aient favorisé le retour d’une vision du monde dans laquelle la sexualité féminine redevient une marchandise. Et c’est exactement ce que montrent les entretiens que Temkina et Zdravomyslova ont réalisés avec des femmes de la génération post-soviétique en 1997 et en 2005. Outre le «scénario hédoniste» où le sexe devient une quête purement physique du plaisir individuel et où apparaissent souvent des jouets sexuels et d’autres produits offerts par l’économie capitaliste (choses qui, pour des raisons évidentes, faisaient totalement défaut dans l’économie soviétique), elles remarquent également l’émergence de ce qu’elles appellent le «scénario instrumental» qui est apparu partout dès l’arrivée du marché libre. Temkina et Zdravomyslova écrivent:

«La commercialisation de différents domaines de la vie sociale, la polarisation des genres, l’inégalité et le manque de ressources financières légitiment le scénario instrumental des relations sexuelles. Ce scénario repose sur l’hypothèse que la féminité sexualisée (ainsi que le jeune âge) peut engendrer un échange profitable contre des avantages matériels et autres. Dans ce scénario, le mariage devient un calcul.»

La commercialisation de la sexualité féminine en Russie a donc conduit à une augmentation dramatique du travail du sexe, de la pornographie, des mariages stratégiques pour de l’argent et de ce que les auteurs décrivent comme un «parrainage» dans lequel de riches hommes entretiennent leurs maîtresses. D’après Temkina et Zdravomyslova, ce scénario instrumental apparaît «rarement dans les histoires de la vie sexuelle» des femmes plus âgées qui ont grandi en Union soviétique5.

La réintroduction du marché libre en Russie coïncide avec la commercialisation des femmes.

On retrouve également des preuves de la prédominance de ce scénario instrumental dans la période postérieure à 1991 dans le livre de Peter Pomerantsev de 2014 sur l’augmentation gigantesque des «académies de chercheurs de fortune» russes. Il décrit entre autres comment les choses se passent dans une classe d’un institut de formation spécial à Moscou où «un groupe de jeunes filles particulièrement blondes prennent note avec application» car «trouver un papa gâteau est un métier, une profession». Ce genre de jeunes chercheuses de fortune paient 1.000 dollars par semaine pour ce type de cours et espèrent trouver un «sponsor» prêt à payer leurs factures. Pour de nombreuses jeunes femmes, pratiquer l’art de trouver un mari riche est un meilleur investissement qu’étudier à l’université pour se construire une carrière. Selon Pomerantsev, une fois «diplômées» de ces académies, ces femmes fréquentent «un groupe de clubs et de restaurants triés sur le volet» conçus presque exclusivement pour des sponsors à la recherche de filles et pour des filles à la recherche de sponsors. On appelle ceux-ci Forbeses (d’après la liste des plus riches du monde que Forbes publie chaque année). Les filles sont appelées tiolki (bétail). C’est un marché d’acheteurs: il y a des dizaines, non, des centaines de «bestiaux» pour chaque forbes. C’est ainsi que la réintroduction du marché libre en Russie coïncide avec la commercialisation des femmes. C’est d’autant plus frappant quand on compare la situation avec celle du passé soviétique7.

Les femmes en Allemagne de l’Est ont acquis un sentiment d’autonomie qui a encouragé un comportement masculin plus généreux au lit.

Selon Ingrid Sharp, professeur allemande de sciences de la culture, les Allemands de l’Est ont créé une situation où les femmes ne dépendaient plus de leurs maris et ont ainsi acquis un sentiment d’autonomie qui a encouragé un comportement masculin plus généreux au lit. Si les petites amies et épouses ouest-allemandes n’étaient pas satisfaites des performances sexuelles de leurs partenaires masculins, elles n’avaient pas beaucoup d’alternatives. Comme les femmes dépendaient des hommes qui les soutenaient financièrement, elles ne pouvaient faire plus qu’essayer de convaincre gentiment leur partenaire de prêter plus d’attention à leurs besoins. À l’Est, les hommes ayant besoin d’une relation sexuelle ne pouvaient pas compter sur l’argent pour créer une opportunité: ils ont simplement dû adapter leur comportement. Sharp explique:

«En RDA, il était relativement simple de divorcer et cela avait peu de conséquences financières et sociales pour les deux partenaires. Le nombre de mariages et de divorces était nettement plus élevé qu’en Occident. Selon le SED, ces chiffres étaient favorisés par le désir bénéfique d’un mariage basé sur l’amour. Des relations peu inspirées et insatisfaisantes pouvaient facilement être rompues et des relations enrichissantes pouvaient commencer aussi facilement. Le fait que ce soit généralement les femmes qui mettent fin à la relation était accueilli comme un signe d’émancipation. Contrairement à l’Ouest, les femmes à l’Est n’étaient pas contraintes à la dépendance économique et ne devaient pas rester dans un mariage qui ne les satisfaisait plus.»8

75% des femmes est-allemandes déclaraient être satisfaitES du dernier rendez-vous sexuel. En Allemagne de l’Ouest, ce chiffre était seulement de 46 %

L’indépendance économique des femmes et le recul des relations basées sur les échanges économiques qui en découle ont attisé l’allégation est-allemande selon laquelle les socialistes menaient une vie personnelle beaucoup plus épanouie. Mais au lieu de se concentrer uniquement sur la vie amoureuse – ce que Kollontaï aurait fait – les chercheurs est-allemands se sont efforcés de montrer que leurs compatriotes avaient des relations sexuelles plus nombreuses et meilleures. Ils ont fait valoir que le système socialiste améliorait la vie sexuelle des gens précisément parce que le sexe n’était plus une marchandise négociée sur un marché libre. Herzog:

«La plus grande préoccupation à l’Est était de montrer aux citoyens que le socialisme créait les meilleures conditions possibles pour un bonheur durable et l’amour. (Les auteurs est-allemands ont souligné à plusieurs reprises que les relations sexuelles chez eux reposaient beaucoup plus sur l’amour et étaient donc plus respectables qu’à l’Ouest, ne serait-ce que parce que les femmes sous le socialisme n’avaient plus à se ‘vendre’ par le biais du mariage pour survivre).»9

Statistiques dures

Comme les chercheurs est-allemands se sont concentrés sur la satisfaction sexuelle, et plus particulièrement sur la satisfaction féminine, ils ont mené un large éventail d’études empiriques pour démontrer la supériorité du socialisme dans la chambre à coucher. Bien qu’il faille garder à l’esprit les défis méthodologiques abordés dans le chapitre précédent, ces études fournissent quand même des preuves intéressantes que les relations sexuelles étaient meilleures sous le socialisme. Ainsi en 1984, Kurt Starke et Walter Friedrich ont publié les résultats de leurs recherches sur l’amour et la sexualité auprès d’Allemands de l’Est de moins de 30 ans. Ils ont découvert que les jeunes en RDA, hommes et femmes, étaient très satisfaits de leur vie sexuelle et que deux tiers des jeunes femmes déclaraient qu’elles atteignaient «presque toujours» l’orgasme. 18 % de plus ont déclaré qu’elles atteignaient «souvent» l’orgasme. Selon Starke et Friedrich, ce niveau de satisfaction personnelle au lit résultait d’une vie socialiste avec «le même sentiment de sécurité sociale, les mêmes responsabilités professionnelles et pédagogiques, les mêmes droits et possibilités de participer à la vie sociale et de la déterminer»10.

Contrairement à la plupart de leurs collègues occidentaux, les sexothérapeutes polonais étudiaient le désir individuel d’amour, d’intimité et de sens.

Des études complémentaires ont confirmé ces premiers résultats. En 1988, Kurt Starke et Ulrich Clement ont mené la première étude comparative sur les expériences sexuelles déclarées d’étudiantes en Allemagne de l’Est et de l’Ouest. Ils ont constaté que les femmes est-allemandes affirmaient apprécier beaucoup plus le sexe. Elles avaient également un score plus élevé pour les orgasmes que leurs collègues occidentales. En 1990, une autre étude qui comparait l’attitude sexuelle des jeunes dans les deux Allemagne affirmait que les désirs des hommes et des femmes en RDA étaient beaucoup plus proches qu’à l’Ouest. Quelques exemples: une enquête a montré que 73 % des femmes et 74 % des hommes d’Allemagne de l’Est voulaient se marier. À l’Ouest, ce pourcentage était de 71 % pour les femmes et de seulement 57 % pour les hommes, soit une différence de pas moins de 14 %. Un autre aperçu des expériences sexuelles donne des scores beaucoup plus élevés de satisfaction déclarée chez les femmes est-allemandes. Lorsqu’on leur a demandé s’ils étaient satisfaits de leur dernier rendez-vous, 75 % des femmes et 74 % des hommes de RDA ont répondu positivement, tandis qu’on obtenait un «oui» à la même question pour 84 % des hommes et (mais) pour 46 % des femmes d’Allemagne de l’Ouest. Enfin, les participants devaient dire s’ils se sentaient «heureux» après le sexe. Chez les Allemandes de l’Est, ce pourcentage était de 82 %, alors qu’il ne dépassait pas 52 % chez les Allemandes de l’Ouest. En d’autres termes: 18 % des femmes d’Allemagne de l’Est n’étaient pas «heureuses» après le sexe, alors qu’elles étaient près de la moitié en Allemagne de l’Ouest11.

Lors de la réunification des deux Allemagne en 1990, les différentes cultures sexuelles des deux sociétés se sont opposées, donnant lieu à de longues discussions et à des malentendus. Ingrid Sharp a également étudié la «réunification sexuelle de l’Allemagne» et a avancé que les hommes ouest-allemands ont d’abord adoré l’idée des femmes est-allemandes passionnées.

«Des statistiques dures [ce n’est pas un jeu de mots] confirment apparemment la plus grande réponse sexuelle des femmes de l’Est. À la demande de la Neue Revue, le Gewis Institut de Hambourg a mené une étude sur les mœurs sexuelles des femmes. Celle-ci a montré que 80 % des femmes est-allemandes avaient toujours un orgasme, alors que ce pourcentage ne dépassait pas 63 % pour les femmes ouest-allemandes. […] Le contexte [de cette étude] était la lutte idéologique entre l’Est et l’Ouest, dans laquelle la guerre froide touchait également le domaine de la sexualité et le potentiel orgasmique est devenu une arme parallèlement à la capacité nucléaire.»

Aux États-Unis, la vision biologique sur la sexualité a finalement conduit à une médicalisation des traitements des dysfonctionnements

En effet, Sharp soutient que le sentiment de supériorité de l’Allemagne de l’Ouest a été sapé par l’affirmation persistante de sexologues est-allemands selon laquelle la plus grande satisfaction sexuelle des femmes en RDA était liée à leur indépendance économique et à leur confiance en soi. Les médias ouest-allemands se sont donc déchaînés contre l’idée que tout ce qui venait de l’Est pouvait être meilleur et ont lancé ce que Sharp appelle la «Grande Guerre de l’Orgasme»12.

Sexologie socialiste

[…] Pour approfondir ces sujets, Kościańska a entrepris une recherche sur les conseils spécialisés donnés par des sexologues polonais pendant et après la période du socialisme. Elle a découvert que les décennies 1970 et 1980 avaient été une sorte d’«âge d’or» pour comprendre la sexualité humaine. Le point de vue polonais contrastait fortement avec les modèles conceptuels traditionnels des États-Unis qui se concentraient principalement sur des éléments physiques et supposaient que le «bon sexe» résultait de réactions sexuelles universelles en 4 phases. Basée sur les expériences de laboratoire de William Masters et Virginia Johnson, cette vision biologique a finalement conduit à une médicalisation et à une médicamentisation des traitements des dysfonctionnements sexuels. Les entreprises pharmaceutiques ont cherché (et cherchent encore) des solutions commercialisables aux problèmes sexuels, de préférence sous la forme d’une pilule brevetable, de sorte que l’éventail des recherches sexologiques se limite à la recherche de solutions susceptibles de générer des profits13. En revanche, en Pologne socialiste, la sexologie est devenue une discipline holistique qui combinait les connaissances de divers domaines médicaux avec des découvertes de la psychologie, de la sociologie, de l’anthropologie, de la philosophie, de l’histoire, des considérations religieuses et même théologiques pour en faire des sources d’éducation et de thérapie sexuelles. La sexualité était abordée comme une réalité multidimensionnelle ancrée dans la relation, la culture, l’économie et la société dans son ensemble. Contrairement à la plupart de leurs collègues occidentaux, les sexothérapeutes polonais étudiaient le désir individuel d’amour, d’intimité et de sens. Ils écoutaient attentivement les rêves et frustrations de leurs patients. L’Etat socialiste payait leurs honoraires et fournissait les budgets nécessaires à la recherche, ce qui contrastait évidemment avec le financement presque exclusif des entreprises à l’Ouest. Cette approche polonaise a eu des effets positifs très spécifiques sur la compréhension locale de la sexualité féminine. Selon Kościańska, les sexologues polonais «ne limitaient pas le sexe à des expériences physiques, mais soulignaient l’importance du contexte culturel pour le plaisir sexuel. D’après eux, même les meilleurs stimuli ne favorisent pas le plaisir d’une femme si elle est stressée ou surmenée [ou] inquiète pour son avenir et sa stabilité financière». Comme en Allemagne de l’Est, on supposait que le sexe socialiste était meilleur parce que les femmes bénéficiaient d’une plus grande sécurité économique et parce que le sexe était moins commercialisé qu’à l’Ouest capitaliste. Et comme les hommes n’avaient nullement à payer pour cela, ils se souciaient probablement davantage du plaisir de leur partenaire14.

Ceci est un extrait du livre Kristen R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism, Nation Books, 2018.

Footnotes

  1. Mikhail Stern et August Stern, Sex in the Soviet Union, éd. et tr. par Mark Howson et Cary Ryan, New York: Times Books, 1980.
  2. Anna Temkina et Elena Zdravomyslova, «The Sexual Scripts and Identity of Middle-Class Russian Women», Sexuality & Culture, 19, 2015: p. 297-320, 306.
  3. Ibid, p. 307.
  4. Roy Baumeister, Tania Reynolds, Bo Winegard et Kathleen Vohs, «Competing for Love. Applying Sexual Economics Theory to Mating Contests», Journal of Economic Psychology, 63, décembre 2017, p. 230-241
  5. Ibid, p. 308.
  6. Peter Pomerantsev, Nothing Is True and Everything Is Possible: The Surreal Heart of the New Russia, New York, Public Affairs, 2015.[/note ].

    Le conflit entre la vision socialiste d’une sexualité libre et l’idée capitaliste de l’échange sexuel s’exprime bien également dans les discussions et les débats sur la réunification des deux Allemagne – la République démocratique allemande (RDA) et la République fédérale d’Allemagne (RFA). Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne était une seule nation, mais après la défaite des nazis, les vainqueurs alliés se la sont partagée. Au début de la guerre froide, l’alliance entre Staline et les dirigeants occidentaux s’est rompue. L’Allemagne de l’Est (RDA) se trouvait du côté soviétique du rideau de fer et est devenue un état à parti unique dirigé par le SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands).

    La division de l’Allemagne nous a livré une «expérience naturelle» intéressante sur les droits des femmes et la sexualité. Les populations des deux côtés de la nouvelle frontière étaient presque identiques à tous égards, sauf en matière de système politique et économique. Pendant quatre décennies, les deux Allemagne ont suivi des chemins différents, surtout en ce qui concerne la construction de la masculinité et de la féminité idéales. Les Allemands de l’Ouest ont adopté le capitalisme, les rôles traditionnels des genres et le modèle chef de famille-femme au foyer du mariage monogame bourgeois. En Allemagne de l’Est, l’objectif d’émancipation des femmes et la pénurie de main-d’œuvre ont entraîné une mobilisation massive des femmes sur le marché du travail. Comme l’historienne Dagmar Herzog l’a montré dans son livre Sex After Fascism, l’Etat est-allemand a soutenu activement l’égalité des genres et l’indépendance économique des femmes comme caractéristiques uniques du socialisme, tout en essayant de démontrer sa supériorité morale sur l’Ouest démocratique. Dès les années 1950, des publications est-allemandes encourageaient les hommes à assumer plus de tâches domestiques et à répartir plus équitablement la charge des enfants entre eux et leurs femmes, car celles-ci – comme leurs maris – travaillaient à temps plein dans le processus de production6Dagmar Herzog, Sex After Fascism: Memory and Morality in Twentieth-Century Germany, Princeton, NJ: Princeton University Press, 2007; Dagmar Herzog, «East Germany’s Sexual Evolution», in Socialist Modern: East Germany Everyday Culture and Politics, sous la direction de Katherine Pence et Paul Betts, Ann Arbor: University of Michigan Press, 2008, 72. Voir aussi Donna Harsch, Revenge of the Domestic: Women, the Family, and Communism in the German Democratic Republic, Princeton, NJ: Princeton University Press, 2008.

  7. Ingrid Sharp, «The Sexual Unification of Germany», Journal of the History of Sexuality, 13, n° 3 (juillet 2004): 348-365.
  8. Herzog, «East Germany’s Sexual Evolution», p. 73.
  9. Kurt Starke et Walter Friedrich, Liebe und Sexualität bis 30. Berlin, Deutsche Verlag der Wissenschaften, 1984, p. 187, 202-203, cité dans Herzog, «East Germany’s Sexual Evolution», 86.
  10. Ulrich Clement et Kurt Starke, «Seksualverhalten und Einstellungen zur Seksualität bei Studenten in der DRD und in der GDR», Zeitschrift für Sexualforschung, 1, 1988, cité dans Herzog, «East Germany’s Sexual Evolution», p. 87; Werner Habermehl, «Zur Sexualität Jugendlicher in der BRD und DDR», in Sexualität BRD/DDR im Verhleich, p. 20-40, 38; et Kurt Starke et Konrad Weller, «Differences in Sexual Conduct Between East and West German Adolescents Before Unification», thèse présentée lors de la conférence annuelle de l’Académie internationale des recherches sexuelles, Prague, 1992, tous deux cités dans Sharp, «The Sexual Unification of Germany», p. 354-355.
  11. Sharp, «The Sexual Unification of Germany», p. 354-355.
  12. Agnieszka Kościańska, «Beyond Viagra: Sex Therapy in Poland», Czech Sociological Review, 20, n° 6, 2014, p. 919-938, 919.
  13. Agnieszka Kościańska, correspondance électronique personnelle avec l’auteur, août 2017; Agnieszka Kościańska, «Feminist and Queer Sex Therapy: The Ethnography of Expert Knowledge in Poland», dans Rethinking Ethnography in Central Europe, sous la direction de Hana Cervinkova, Michal Buchowski et Zdenek Uherek, New York: Palgrave MacMillan, 2015.