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Le rétrécissement de l’océan atlantique

Jörg Kronauer

—22 juin 2022

La guerre de la Russie contre l’Ukraine va apparemment approfondir l’alliance des Etats-Unis avec l’UE à tous les niveaux : politique, économique et militaire.

Le président américain Donald Trump avait parlé de « freedom gas » [gaz de liberté] lorsqu’il avait commencé, il y a trois ans, à promouvoir énergiquement en Europe l’achat de gaz naturel liquéfié américain. Le secteur de la fracturation aux États-Unis était en plein essor, à la recherche de nouveaux débouchés – et en Europe, l’occasion semblait se présenter de profiter de la lutte de pouvoir de l’Occident contre la Russie pour œuvrer à l’éviction du gaz de pipeline russe. Au niveau des relations publiques, le terme de « freedom gas » a finalement vu le jour. Vendredi 25 mars, le successeur de Trump, Joseph Biden, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se sont rencontrés à Bruxelles pour négocier concrètement une extension rapide des livraisons de gaz naturel liquéfié américain vers l’Europe. La guerre en Ukraine, les sanctions occidentales draconiennes à l’encontre de la Russie et la volonté des puissances occidentales de nuire aussi massivement que possible à Moscou en la privant de ses revenus issus des matières premières avaient créé une nouvelle situation. Le gaz naturel liquéfié américain était désormais soudainement bienvenu sur le vieux continent, dans les plus grandes quantités possibles. Le secteur étasunien du fracking (fracturation hydraulique) semblait avoir atteint son but. Et, comme les observateurs l’ont souligné avec insistance : la réorientation complète de l’approvisionnement énergétique de l’Union – en passant des livraisons de la Russie à celles des États-Unis – renforce accessoirement, c’est évident, le bloc transatlantique.

Jörg Kronauer est un journaliste et auteur allemand spécialisé dans les relations internationales et le néo-fascisme. Il contribue régulièrement à la revue Junge Welt.

La réorientation de l’approvisionnement énergétique de l’UE – passant des livraisons russes à celles des États-Unis – renforce le bloc transatlantique.

La guerre en Ukraine va-t-elle réellement relancer l’alliance transatlantique après les dissonances bruyantes de l’ère Trump et les efforts de coopération cahoteux du début de l’ère Biden ? Sur le plan militaire, cela ne fait guère de doute. Le réarmement musclé contre la Russie, le stationnement de nouvelles troupes en Europe de l’Est et du Sud – tout cela a lieu en grande partie dans le cadre de l’OTAN ; l’UE, qui n’a cessé de proclamer ces dernières années qu’elle aspirait à une « autonomie stratégique » sur le plan militaire, livre certes des armes à l’Ukraine, mais n’est pas présente d’une autre façon, par exemple avec ses propres troupes. En conséquence, la « boussole stratégique », le nouveau document stratégique de l’UE adopté formellement le 21 mars par les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’Union, stipule explicitement à plusieurs reprises que « le fondement de la défense collective » des États membres de l’UE n’est pas et ne sera jamais l’armée de l’UE, évoquée à maintes reprises depuis des années, ou une « armée des Européens » au sens plus large, mais l’OTAN, la puissance militaire transatlantique. Sur le plan militaire, les choses sont donc claires : le cadre pertinent est l’alliance avec les États-Unis.

Des relations commerciales approfondies

Mais qu’en est-il de la base économique, là où l’UE s’est constituée de manière autonome, là où elle est depuis toujours en concurrence avec les États-Unis ? Malgré la concurrence, les fondements économiques des liens transatlantiques restent stables, même si ces dernières années, les relations avec la Chine ont pris toujours plus d’importance. La République populaire est certes devenue le plus grand partenaire commercial de l’Allemagne et de l’UE en termes de commerce de marchandises, mais elle n’a pas encore atteint le seuil de rentabilité. Cependant, si l’on tient compte du commerce des services, les États-Unis restent en tête. Si l’on regarde les sommes investies par les entreprises allemandes ou européennes sur tel ou tel continent et dans tel ou tel pays, on constate que les États-Unis restent clairement le point fort. Nulle part ailleurs, les entreprises allemandes n’ont investi autant de capitaux que dans ce pays : selon les statistiques de la Bundesbank, les investissements directs et indirects aux États-Unis ont atteint 391 milliards d’euros en 2019, alors qu’en Chine, ils ne s’élevaient qu’à 90 milliards d’euros, malgré l’accroissement global. L’UE chiffre à 2,16 billions d’euros les investissements réalisés aux États-Unis par les entreprises de ses États membres, et à un peu moins de 200 milliards d’euros ceux réalisés en Chine. Il faut bien sûr tenir compte du fait que les relations économiques avec le marché en plein essor qu’est la Chine continuent de croître rapidement.

Les États membres de l’UE investissent 2,16 billions d’euros aux États-Unis, et un peu moins de 200 milliards d’euros en Chine.

Il est clair depuis longtemps que la guerre en Ukraine entraîne un profond bouleversement pour l’économie de l’Allemagne et de l’UE, et pas seulement pour le secteur de l’énergie, qui doit être complètement découplé de la Russie. De nombreuses entreprises, de la Deutsche Telekom à la Deutsche Bank, ont annoncé entretemps qu’elles allaient se retirer complètement de Russie.

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