Article

Le danger du gaz de schiste des USA pour le climat et nos factures

Amaury Laridon

—26 février 2024

L’année 2023 s’est terminée avec la COP28 à Dubaï, la conférence annuelle des Nations Unies sur le climat. L’un des enjeux clés de cette COP était la décision de sortir ou non de l’exploitation des énergies fossiles, une histoire qui se répète et qui se confronte aux intérêts américains.

Shutterstock

Il était une fois l’histoire d’une énergie fossile trop chère et jugée incompatible avec les objectifs climatiques mais qui, en l’espace de quelques années, est devenue une énergie d’avenir. À tel point qu’on signe des contrats d’importation sur trente ans à plusieurs milliards d’euros. Ce récit est celui du gaz de schiste étasunien.  L’exemple parfait pour démontrer à quel point l’impérialisme étasunien constitue la plus grande menace mondiale pour le climat.

En réalité, les États-Unis sont assez pauvres en gaz naturel “facile” à trouver dans le sol. Celui qu’on appelle gaz conventionnel. Par contre, ils possèdent d’importantes réserves de gaz plus difficile à extraire, et donc beaucoup plus cher, que l’on appelle du gaz non conventionnel dont le plus connu est le gaz de schiste. Celui-ci nécessite l’utilisation de technologies lourdes comme la fracturation hydraulique pour fissurer les roches de schiste dans lesquelles le gaz est contenu.

Entre impérialisme et crise climatique : le gaz de schiste des États-Unis.

À partir des années 70, le gaz de schiste a commencé à être extrait par quelques petites compagnies qui osaient investir dans cette exploitation risquée. Cette production, restée marginale aux États-Unis jusqu’au début des années 2000, a connu un véritable essor en 2008 grâce à Wall Street. Pour éteindre l’incendie de la crise des subprimes, la politique financière de quantitative easing ou grosso modo d’inondation de l’économie américaine de millier de milliards de dollars issus de la banque centrale étasunienne a été rapidement mise en place. Cet argent “gratuit” à disposition des entreprises a permis au privé d’investir massivement dans des technologies jugées  risquées, comme celles de l’exploitation du gaz de schiste. 1

Ainsi, les USA sont passés de plus gros pays importateur de gaz à l’indépendance grâce à une production de gaz de schiste qui a été multipliée par 12 entre les années 2000 et 2010. 2  Sans cet argent facile octroyé par l’État, l’essor de cette exploitation fossile n’aurait sans doute pas eu lieu. 3 Puisque les États-Unis ont commencé à produire beaucoup plus de gaz que ce dont ils avaient eux-mêmes besoin, ils ont cherché à le vendre ailleurs dans le monde et d’en dégager le plus de profit possible. Mais ils ont été confrontés à trois gros problèmes. Le premier est le prix plus élevé du gaz de schiste sur le marché par rapport au gaz conventionnel, le deuxième est la très mauvaise presse au plan climatique et environnemental et le troisième, le souci du transport de ce gaz.

La production de gaz de schiste des États-Unis a été multipliée par 12 entre les années 2000 et 2010.

Acheminer du gaz depuis les puits du Texas jusqu’à nos logements, voici le premier défi. Le moyen de transport le plus simple et donc le moins cher est de garder cette énergie sous forme de gaz et de la déplacer par des immenses tuyaux qu’on appelle communément des gazoducs. C’est de cette manière que le gaz russe était importé en Europe notamment via le célèbre Nord Stream, saboté en septembre 2022. Les gazoducs ne nécessitent pas d’infrastructure de transformation majeure entre la production et la consommation, le gaz naturel une fois importé peut-être directement introduit dans le réseau. L’autre technologie de transport est celle du Gaz Naturel Liquifié (GNL) qui consiste à refroidir et compresser le gaz naturel pour le rendre liquide. Ensuite, il est embarqué dans des bateaux spécialisés, des méthaniers, jusqu’au client pour y être décompressé et injecté dans le réseau de distribution. Contrairement aux gazoducs, le GNL peut donc être transporté dans le monde entier, au gré des commandes. La contrainte est de disposer de terminaux de compression et décompression du gaz aux points de départ et d’arrivée et de méthaniers. Ceci n’est pas un détail pour la facture du GNL puisqu’il n’existe pas de gazoduc qui traverse l’Atlantique ou encore le Pacifique. La solution était donc d’utiliser le GNL pour les exportations de gaz étasunien en développant des terminaux sur les côtes.

La deuxième épine dans les pieds pour vendre ce GNL, ce sont les effets environnementaux et climatiques de l’exploitation de gaz de schiste bien documentés et mis en avant par de nombreuses recherches scientifiques et ONG. 4En effet, la fracturation hydraulique nécessite l’utilisation de beaucoup d’eau ainsi que de produits chimiques. Elle cause des pollutions majeures dans les nappes phréatiques et les environnements marins. L’exploitation de gaz de schiste va même jusqu’à provoquer des séismes.5 Cela a déjà des effets concrets sur la santé de milliers personnes. C’est par exemple le cas pour les 420.000 personnes exposées aux émissions toxiques des forages de gaz de schiste de TotalEnergies au Texas. Les habitants s’organisent depuis des années contre la mise en place de puits de forage à quelques mètres de crèches et d’écoles publiques qui provoquent de nombreux symptômes de vertiges, maux de têtes ou encore saignement de nez. 6

En plus des impacts environnementaux, l’exploitation du gaz de schiste renforce le réchauffement climatique. Lors de la fracturation de la roche, des pertes de méthane (un gaz à effet de serre au pouvoir de réchauffement global 25x plus important que le CO2) sont fréquentes. Si, en plus, on prend en compte les quantités d’énergie nécessaires pour extraire ce gaz du sol, on estime qu’il est jusqu’à deux fois plus néfaste que le gaz conventionnel. Au point d’avoir un impact climatique plus mauvais encore que le charbon. 7

La sortie du charbon a été pointée comme une priorité lors de la COP28 ; C’est une grande victoire des producteurs de gaz, et donc des États-Unis, qui a fait reconnaître le gaz comme une “énergie de transition” pour remplacer le charbon. L’expert en énergie de Bloomberg, Javier Blas, affirme cette vision : “Ne parlons plus de Gaz Naturel Liquifié mais bien de Carburant Liquifié de Transition”. Les mots sont bien choisis mais la réalité est que la transition engagée par le GNL est celle vers une énergie plus polluante encore.

L’expert en énergie, Javier Blas, propose de ne plus parler de « Gaz Naturel Liquifié » mais plutôt de « Carburant Liquifié de Transition ».

Malgré son impact climatique et environnemental désastreux, les profits gigantesques qu’engendre à présent le gaz de schiste pour la classe capitaliste étasunienne justifient sa croissance et son exploitation de plus en plus importante. Bien évidemment, cette trajectoire est en rupture complète avec la transition climatique, qui nécessiterait d’arrêter immédiatement tout investissement dans les énergies fossiles d’après l’Agence Internationale de l’Energie (IEA). La même agence signale que, dès 2030, les USA à eux seuls seraient responsables du dépassement mondial des volumes mondiaux de GNL estimés acceptables dans les scénarios permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.

Restait à trouver un client fidèle pour ce gaz. Or, les acheteurs européens ne voulaient pas de cette énergie qui en plus d’être plus chère que le gaz issus des gazoducs provenant de Norvège ou de Russie, avait une image environnementale très mauvaise. Mais ça, c’était avant le 24 février 2022…

La guerre en Ukraine, la nouvelle ruée vers l’or pour les Big Oil

L’Europe est très fortement dépendante d’autres pays pour s’approvisionner en gaz. En 2021, elle importait 83% de son gaz naturel. 8Jusqu’en 2021, les importations de gaz de l’UE étaient issues pour près de la moitié de la Russie. C’était un choix des autorités et du patronat européen, justifié notamment par le fait que ce gaz abondant et acheminé par gazoduc était moins cher. De son côté, Gazprom, la compagnie publique russe qui a le monopole sur les exportations de gaz, effectuait un lobbying intense auprès des autorités européennes. Rappelons par exemple que l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder avait été engagé comme représentant de commerce par l’entreprise russe.

Le 24 février 2022 un évènement brisa en éclat les plans stratégiques d’approvisionnement de l’UE. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a, du jour au lendemain, crée la panique. Les européens ont alors tenté de se passer au plus vite du gaz russe. Ainsi, en Novembre 2022, la part d’importation de Russie du gaz de l’UE n’était plus que de 12,9% alors qu’elle était de 51,9% une année plus tôt. 9 Mais si près de 40% de l’approvisionnement en gaz a disparu sans qu’on ait eu de pénurie, c’est que quelqu’un d’autre a pu en profiter pour remplir ce marché…

Amaury Laridon est étudiant en master en physique et climatologie à l’UCLouvain. Il est également activiste climatique.

Les États-Unis et leurs compagnies gazières sont les premiers profiteurs, et de loin ! Comme l’explique un article du magazine Forbes 10, les exportations de gaz des États-Unis vers l’UE sont devenues une nouvelle ruée vers l’or. Ainsi, entre 2021 et 2022, les exportations de gaz des États-Unis vers l’Europe ont augmenté de 119%, faisant de l’Europe le premier marché d’exportation  11Cette hausse s’est poursuivie en 2023. 12

Cette ruée vers l’or est le fruit d’une stratégie planifiée de longue date. Depuis plusieurs années, les autorités américaines mènent un lobbying intense pour ouvrir le marché européen à leurs exportations. D’abord, en soutenant la libéralisation du marché du gaz européen pour casser les contrats d’approvisionnement à long terme avec la Russie ou la Norvège. Ensuite, sous Trump puis Biden, en sanctionnant les entreprises qui participaient à la construction de nouveaux gazoducs reliant la Russie à l’UE. La diplomatie étasunienne a été particulièrement active, notamment en Europe de l’Est, pour retourner la situation en sa faveur 13. Un autre exemple de ce lobbying actif : lors du huitième Conseil de l’énergie entre les États-Unis et la Commission Européenne en 2018, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président Trump ont convenu de renforcer la coopération stratégique entre l’Union européenne et les États-Unis dans le domaine de l’énergie. L’objectif était d’augmenter les importations de GNL au nom de la sécurité énergétique européenne.

De son côté, l’Europe, encouragée par les géants du secteur et par l’Oncle Sam, voit une échappatoire simple à la crise du gaz russe. En développant de nouveaux terminaux de GNL dans les ports européens, on pourra réceptionner du gaz venant de partout dans le monde. Le plan REPowerEU, la réponse de l’UE à la crise du gaz, prévoit un financement d’environ 10 milliards d’euros pour les infrastructures gazières. Alors qu’il existait 38 terminaux de GNL en Europe en 2021, huit nouveaux terminaux de gaz liquéfié sont aujourd’hui en cours de construction et 38 autres ont été proposés. Cela correspond à  doubler la capacité d’importation européenne. 14 L’explosion de la demande de GNL alimente aussi les investissements du côté des producteurs. Les experts du secteur estiment que la demande de gaz européenne explique à elle seule l’ensemble de la croissance mondiale des investissements dans la production de GNL 15.

Le plan REPowerEU, la réponse de l’UE à la crise du gaz, prévoit un financement d’environ 10 milliards d’euros pour les infrastructures gazières.

Pour justifier ces investissements, l’Union européenne, tout comme les grandes entreprises gazières européennes avancent la question de la sécurité d’approvisionnement. Ces nouveaux terminaux seraient nécessaires pour ne pas manquer de gaz en cas de coupure complète des approvisionnements russes. Mais on peut émettre des doutes sur ce narratif 16. Tout d’abord, les terminaux européens actuels ne sont utilisés qu’à hauteur de 60% de leur capacité, il y a donc une marge très large pour accueillir de nouvelles cargaisons de gaz si nécessaires. Si l’Europe respecte ses engagements climatiques, les besoins gaziers, y compris en GNL, devraient commencer à baisser dès 2024, même en tenant compte d’une interruption complète des importations russes. Le risque est donc grand que ces infrastructures soient très au-dessus des capacités effectivement nécessaires. Les entreprises gazières, comme Fluxys en Belgique, profitent de la situation de crise pour faire approuver en urgence des investissements collectivement inutiles et qui risquent ensuite de nous enfermer dans une dépendance longue vis-à-vis d’une source d’énergie polluante. D’ailleurs, toujours au nom de cette crise, plusieurs pays européens ont signé des contrats d’approvisionnement en GNL américain sur 25, voire sur 30 ans. C’est donc au-delà de 2050, date à laquelle nous devrions être complètement sortis des énergies fossiles pour respecter les objectifs climatiques.

Tous les scrupules environnementaux sur le gaz de schiste semblent s’être rapidement évanouis en Europe. Le 28 février 2022, soit 4 jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Robert Habeck, Vice-Chancellier de l’Allemagne déclarait encore fièrement dans la presse : “Il y a différents fournisseurs [de gaz], cela ne doit pas être les États-Unis […] L’UE va se fournir en gaz naturel ailleurs dans le monde, on ne veut pas du gaz issue de la fracturation hydraulique des États-Unis17 Le lobby des États-Unis passant par-là, les convictions du Vice-Chancelier n’auront pas tenu 6 mois puisque le 16 août il annonça la signature d’un mémorandum pour maximiser l’utilisation des capacités d’importations de GNL du pays.

Les États-Unis récoltent les fruits de leur politique et apparaissent comme des sauveurs. Alors qu’il participait à un sommet de l’UE à Bruxelles en mars 2022, le président américain Joe Biden a annoncé que 15 milliards de mètres cubes de GNL étasunien, devenu entre-temps le « Freedom gas », seraient livrés à l’UE pour l’aider à remplacer le gaz russe. Les États-Unis et l’Union européenne ont lancé une « task force commune sur la sécurité énergétique ». Un extrait des textes communs donne une idée des objectifs :

La Commission européenne “travaillera avec les États membres de l’UE pour garantir une demande stable de GNL américain supplémentaire jusqu’en 2030 au moins”. Pour s’assurer de la fidélité de ce nouveau client modèle, les États-Unis ont aussi lancé en novembre 2023 un nouveau train de sanctions, visant les exportations de GNL russe, qui représentent toujours 12% des importations de GNL de l’Europe. Ces sanctions seront même soutenues par l’Union européenne.

Ainsi, l’Union européenne substitue en catastrophe sa dépendance au gaz russe à une nouvelle dépendance, cette fois au gaz américain, avec des conséquences environnementales et sociales dramatiques. Ce choix n’est pas le fruit du hasard, ou de la main invisible du marché, mais bien d’un lobbying intense, d’une stratégie en cours depuis une vingtaine d’années. Les États-Unis tirent profit de l’isolement de la Russie et du contexte de nouvelle guerre froide dont ils sont les protagonistes pour inonder le monde avec leur gaz de schiste et ils visent l’Europe en premier lieu. Cette nouvelle ruée vers l’or les pousse à développer de manière faramineuse leurs capacités de production de gaz de schiste. Ils prévoient de tripler leurs capacités d’exportations d’2030 et ainsi d’écraser la concurrence mondiale.

Ces importations de gaz de schiste américain en Europe se font au prix fort, et c’est la classe travailleuse qui paye la facture. Suite à la libéralisation du marché du gaz, son prix d’achat est maintenant fixé par les bourses. Or, la guerre en Ukraine a fait exploser les cours de ces bourses. Le prix du gaz a été multiplié par  dix par rapport au niveau moyen des années précédentes. Vendre du gaz étasunien en Europe est ainsi devenu incroyablement rentable. Au pic de la crise, chaque bateau rempli de gaz US et traversant l’Atlantique pour vendre sa cargaison en Europe rapportait entre 80 et 100 millions de dollars à son propriétaire. 18 850 bateaux ont fait cette traversée en 2022. De l’or en barre pour les vendeurs de gaz étasuniens dont les coûts de production n’ont pas augmenté, mais qui ont pu écouler leur GNL en Europe à un prix bien plus élevé qu’aux États-Unis. Début 2024, les prix européens du gaz restent quatre fois au-dessus du prix américain. 19

Chaque bateau rempli de gaz traversant l’Atlantique pour vendre sa cargaison en Europe rapportait entre 80 et 100 millions de dollars à son propriétaire.

En Europe, la facture mensuelle des importations de gaz est passée d’environ 5 milliard d’euros par mois en 2019 à près de 27 milliards en 2022 au pic de la crise et 12 milliards aujourd’hui. 20  Bien sûr, tous les fournisseurs de gaz à l’Europe en ont profité, de la Norvège au Qatar, en passant par la Russie. Mais avec le tarissement des exportations russes et la montée du GNL étasunien, les États-Unis se profilent comme le premier profiteur de cette hausse des prix. 21

Ces profits démesurés alimentent la machine capitaliste du secteur pétrolier. Jusqu’il y a une dizaine d’années, de nombreux experts gaziers estimaient que cette technologie n’avait pas d’avenir, en raison de son bilan environnemental, mais aussi de son coût, plus élevé que celui des forages traditionnels. Mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. D’une part, car la demande renouvelée, en particulier européenne, alimente des prix élevés à l’exportation. D’autre part, car les technologies se sont standardisées et améliorées, faisant baisser fortement les coûts de production du gaz de schiste. Par le jeu des fusions et acquisitions, les plus petites entreprises qui avaient commencé l’exploitation du gaz de schiste aux USA et qui deviennent aujourd’hui très rentables se sont muées en nouveaux géants du secteur, comme ConocoPhillips. D’autres ont été rachetées par les géants “traditionnels” comme ExxonMobil ou Chevron. La production de gaz de schiste représente maintenant un lobby puissant, qui fait pression sur l’administration Biden pour accélérer les procédures d’autorisation de construction de nouveaux puits et de nouveaux terminaux de GNL pour exporter le gaz produit.

Le profit d’abord, les dégâts environnementaux et les factures pour la classe travailleuse ensuite, telle est la logique du capitalisme. Mais une alternative est possible.

Gestion public, paix et coopération internationale

L’histoire du gaz de schiste américain est une nouvelle démonstration de la contradiction profonde entre le capitalisme et les intérêts de la vaste majorité de la planète. Que ce soit la classe travailleuse américaine qui finance par ses impôts l’exploitation de cette énergie fossile à la place du renouvelable dans leurs pays et subit les conséquences environnementales ou la classe travailleuse européenne forcée de payer des factures hors de prix, nous buttons sur une première contradiction importante. Tant que l’une des deux sources fondamentales de développement de nos économies, à savoir l’énergie, sera pilotée par logique de profit à court-terme d’une poignée de multinationales, nous pouvons mettre à la poubelle toute transition énergétique et climatique.

Comme ne cessent de le répéter les climatologues, chaque dixième de degré compte et dès lors chaque dixième de dépendance en moins des énergies fossiles aussi. Les inondations à Verviers en juillet 2021 l’ont rappelé, nous ne sommes pas non plus à l’abri des conséquences du réchauffement climatique qui touchent déjà sévèrement depuis des années les pays du Sud. La transition à effectuer pour ne plus émettre de gaz à effet de serre et minimiser les impacts du réchauffement climatique est colossale. Concrètement, pour une Belgique neutre en émission de CO2 d’ici 2050, on parle de l’installation nécessaire de près de mille éoliennes aussi bien en Mer du Nord que sur terre ainsi que de milliers de panneaux solaires. Or, les milliards d’investissements dans le gaz de schiste et les infrastructures pour l’importer sont des milliards d’investissement en moins dans le renouvelable. Pour prendre en main ce chantier gigantesque de la transformation du secteur énergétique et de l’utilisation de l’énergie dans notre économie, une gestion publique planifiée qui met les besoins des gens d’abord et pas le profit est urgente.

Partageons les technologies de la transition sans brevets, vendons des éoliennes et des panneaux solaires et non pas des énergies fossiles et des armes.

La deuxième contradiction fondamentale est celle entre le défi climatique et les intérêts impérialistes. Les scénarios du GIEC qui permettent de limiter le plus possible le réchauffement climatique se basent sur des choix de société basés sur une très forte coopération internationale. Or la paix, condition nécessaire avant de pouvoir coopérer, est sans cesse mise à mal par les intérêts impérialistes, notamment ceux des États-Unis. Les milliards qui vont dans la guerre ne vont pas dans le climat. Les conflits et leur renforcement sous couvert d’intérêts économiques ne font que retarder la transition climatique nécessaire et servent de prétexte pour les Big Oil afin de nous enchaîner encore plus longtemps aux énergies fossiles. En plus de détruire des vies maintenant, la guerre détruit les vies de demain en raison des conséquences du réchauffement climatique qu’elle aggrave.

Au-delà de la paix, la coopération internationale est fondamentale dans la lutte contre le réchauffement climatique comme le démontrent les connaissances scientifiques synthétisées dans les rapports du GIEC. Étant donné que l’atmosphère n’a pas de frontière, il n’y aura pas de transition climatique tant que celle-ci ne sera pas mondiale. Chaque État doit participer à réduire la dépendance mondiale aux énergies fossiles, en partageant ses connaissances et ses technologies. Les États du Nord historiquement responsables de la crise climatique, qui ont aussi le plus de moyens et tirent profit de l’exploitation des ressources des pays du Sud, doivent assumer leur part. En premier lieu en aidant financièrement le Sud à mener sa transition et à se protéger des conséquences déjà visibles du réchauffement climatique. La création d’un fonds international de dédommagement des dommages causés par le réchauffement climatique lors de la COP 28 est une bonne nouvelle. Mais l’Union européenne et les États-Unis, si prompts à augmenter leurs dépenses militaires, ont tout fait pour réduire leur participation financière à ce fond de solidarité.

Amorcer une politique mondiale de lutte contre le changement climatique et ses conséquences implique de mettre fin à l’hypocrisie des classes dominantes des pays du Nord, sans cesse mise en lumière lors des différentes COP. Partageons les technologies de la transition sans brevets, vendons des éoliennes et des panneaux solaires et non pas des énergies fossiles et des armes. Reprenons notre avenir énergétique et donc climatique des mains des Big Oils. Telle devrait être la nouvelle ligne directrice des relations internationales. L’Europe et la Belgique pourront être des exemples de transitions qu’en remplaçant leur dépendance à l’agenda des États-Unis par une gestion publique de l’énergie qui planifie la transition et par une diplomatie indépendante, qui promeut la coopération internationale.

Footnotes

  1.   M. Auzanneau et H. Chauvin, Pétrole, le déclin est proche, Seuil. in Reporterre. 2021.
  2. Q. Wang, X. Chen, A. N. Jha, et H. Rogers, « Natural gas from shale formation – The evolution, evidences and challenges of shale gas revolution in United States », Renew. Sustain. Energy Rev., vol. 30, p. 1‑28, févr. 2014, doi: 10.1016/j.rser.2013.08.065.
  3. P. Brouillard, « Is monetary policy (carbon) neutral ? », The Shift Project. [En ligne]. Disponible sur: https://theshiftproject.org/en/article/is-monetary-policy-carbon-neutral/
  4.   J. Cooper, L. Stamford, et A. Azapagic, « Environmental Impacts of Shale Gas in the UK: Current Situation and Future Scenarios », Energy Technol., vol. 2, no 12, p. 1012‑1026, 2014, doi: 10.1002/ente.201402097.
  5. Q. Wang, X. Chen, A. N. Jha, et H. Rogers, « Natural gas from shale formation – The evolution, evidences and challenges of shale gas revolution in United States », Renew. Sustain. Energy Rev., vol. 30, p. 1‑28, févr. 2014, doi: 10.1016/j.rser.2013.08.065.
  6. « Gaz de schiste : la France et TotalEnergies au coeur d’un scandale sanitaire et environnemental au Texas », Greenpeace France. [En ligne]. Disponible sur: https://www.greenpeace.fr/espace-presse/gaz-de-schiste-la-france-et-totalenergies-au-coeur-dun-scandale-sanitaire-et-environnemental-au-texas/
  7.   R. W. Howarth et M. Z. Jacobson, « How green is blue hydrogen? », Energy Sci. Eng., vol. 9, no 10, p. 1676‑1687, 2021, doi: 10.1002/ese3.956.
  8. European Council, « Where does the EU’s gas come from? ». [En ligne]. Disponible sur: https://www.consilium.europa.eu/en/infographics/eu-gas-supply/
  9. European Council, « Where does the EU’s gas come from? ». [En ligne]. Disponible sur: https://www.consilium.europa.eu/en/infographics/eu-gas-supply/
  10. I. Palmer, « The Golden Age For Liquefied Natural Gas (LNG). », Forbes. [En ligne]. Disponible sur: https://www.forbes.com/sites/ianpalmer/2023/03/01/the-golden-age-for-liquefied-natural-gas-lng/
  11. « Europe was the main destination for U.S. LNG exports in 2022 ». [En ligne]. Disponible sur: https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=55920
  12. « The United States exported more LNG than any other country in the first half of 2023 ». [En ligne]. Disponible sur: https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=60361
  13. P. Szalai, « US gas lobby chief: A lot of LNG can come to Europe through Poland », www.euractiv.com. [En ligne]. Disponible sur: https://www.euractiv.com/section/energy/interview/us-gas-lobby-chief-a-lot-of-lng-can-come-to-europe-through-poland/
  14. « Comment l’industrie du gaz tire profit de la guerre en Ukraine ? », Greenpeace France. [En ligne]. Disponible sur: https://www.greenpeace.fr/gaz-a-qui-profite-la-guerre/
  15. opisteam, « Europe Continues to be the Main Destination for U.S. LNG Supply Exports », OPIS, A Dow Jones Company. [En ligne]. Disponible sur: https://www.opisnet.com/blog/europe-to-continue-to-pull-most-us-lng-supply/
  16. « Europe heading for huge excess LNG import capacity, experts warn », Policito, 21 mars 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://www.politico.eu/article/europe-huge-excess-lng-liquefied-natural-gas-import-capacity-expert-warn/
  17. N. J. Kurmayer, « As imports of US gas surge, so does concern over its environmental impact », www.euractiv.com. [En ligne]. Disponible sur: https://www.euractiv.com/section/energy/news/as-imports-of-us-gas-surge-so-does-concern-over-its-environmental-impact/
  18. « Why cheap US gas costs a fortune in Europe », POLITICO. [En ligne]. Disponible sur: https://www.politico.eu/article/cheap-us-gas-cost-fortune-europe-russia-ukraine-energy
  19. C. Williams, « US November LNG exports approach record levels amid higher output », Reuters, 1 décembre 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://www.reuters.com/business/energy/us-november-lng-exports-approach-record-levels-amid-higher-output-2023-12-01/
  20. C. Williams, « US November LNG exports approach record levels amid higher output », Reuters, 1 décembre 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://www.reuters.com/business/energy/us-november-lng-exports-approach-record-levels-amid-higher-output-2023-12-01/
  21. R. Bousso et R. Bousso, « Big Oil doubles profits in blockbuster 2022 », Reuters, 8 février 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://www.reuters.com/business/energy/big-oil-doubles-profits-blockbuster-2022-2023-02-08/