Le 12 décembre 2023 a marqué le 160e anniversaire de la naissance d’Edvard Munch, et le 23 janvier 2024 le 80e anniversaire de sa mort. Le Cri (1893) nous parle aujourd’hui encore avec une grande intensité. Comment ce tableau a-t-il vu le jour?
En septembre 1892, à Christiana (Oslo), Munch consigne dans son journal une expérience éprouvante: «Un soir, je marchais sur un sentier vallonné près de Christiana, avec deux amis. C’était a une époque où la vie avait déchiré mon âme. Le soleil se couchait, laissant des langues de feu au-dessus de l’horizon. C’était comme une épée flamboyante de sang qui tranchait la concavité du ciel. Le ciel était comme du sang, tranché par des langues de feu. D’un bleu profond, le fjord était découpé par les collines bleues, jaunes et rouges. Le ciel devint rouge sang. Sur le sentier et la clôture, mes amis apparurent d’un jaune blanc éclatant. Je sentis passer un cri dans la nature, un grand cri. Les couleurs brisaient les lignes de la nature. Les lignes et les couleurs vibrèrent: ces oscillations de la vie faisaient osciller non seulement mes yeux, mais aussi mes oreilles. J’avais bel et bien entendu un cri: c’est devenu le tableau Le Cri».
Le tableau mondialement connu de Munch est basé sur cette expérience. Son personnage emblématique entend un cri déchirant. Mais pourquoi ce tableau s’est-il inscrit de manière aussi indélébile dans la mémoire collective de la communauté humaine? Comment l’horreur est-elle retranscrite dans le tableau?
Nous ne savons pas si le personnage entend seulement le fameux cri ou s’il crie également de désespoir, ce qui semble aussi probable. Il se couvre les oreilles pour se protéger du cri, mais ce geste manifeste aussi sa propre horreur. Comme l’affirme l’artiste, ce cri trouve son origine dans la nature; il s’agit donc de quelque chose de profondément élémentaire.
La description dans le journal de Munch est vivante et contient déjà certains aspects du tableau. Le rouge et le sang sont mentionnés à plusieurs reprises. Il est également question de flammes, de feu, et même le fjord et les montagnes sont baignés dans «le ciel devenu rouge sang». Le ciel, empreint de sang, de feu et de violence, occupe un tiers de l’image et rayonne sur les montagnes sombres et sur le fjord, qui reflète principalement la couleur jaune du ciel enflammé et est encadré par les montagnes et la ville de Christiana dans des tons brun-rouge et bleus. La ville elle-même n’est qu’évoquée.