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La classe au cœur de la politique gay

Roger Lancaster

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Daniel Zamora

—22 mars 2024

Les dynamiques de classe continuent de dicter qui a accès à une identité gay non stigmatisée — et d’exclure de nombreux membres de la classe ouvrière de la participation à une vie gay normale. Rencontre avec l’anthropologue Roger Lancaster pour en parler.

Au cours des dernières décennies, près d’un cinquième des pays du monde ont légalisé le mariage entre personnes du même sexe et, désormais, moins d’un tiers d’entre eux ont des lois qui criminalisent explicitement l’homosexualité. Cela montre indéniablement que, d’une part, de réels progrès ont été accomplis dans la lutte contre l’homophobie et que, d’autre part, d’importants bastions conservateurs restent incontestés dans une grande partie du monde.

Dans les années 1970 et 1980, les luttes de libération gay ont souvent pris des formes radicales, s’alignant sur les mouvements socialistes et pacifistes. Ce lien entre la politique gay et le radicalisme politique est aujourd’hui presque complètement rompu. Dans un entretien accordé au magazine étasunien Jacobin, Roger Lancaster, anthropologue et auteur du livre The Struggle to Be Gay — in Mexico, for Example (University of California, 2024), fait valoir que l’un des problèmes fondamentaux que pose la façon dont la vie homosexuelle est abordée dans les milieux universitaires et militants est l’absence de prise en compte de la dimension de classe.

Dans The Struggle to Be Gay — in Mexico, for Example, l’auteur propose une sociologie de la vie gay dans la classe ouvrière, en se concentrant tout particulièrement sur les Mexicains de peau foncée et les indigènes. Ce qu’il constate, c’est qu’aux États-Unis, les discussions sur la vie homosexuelle font souvent abstraction de l’influence de la classe sociale sur les espaces auxquels les gens peuvent se permettre d’avoir accès. Cette attitude a empêché de nombreux membres de la gauche de voir à quel point l’insécurité économique exclut une grande partie de la classe ouvrière de la participation à la vie gay.

DANIEL ZAMORA Pour commencer, je voulais vous demander ce qui vous a amené à écrire ce livre. Y a-t-il eu un mécontentement spécifique sur la façon dont la question de l’homosexualité sous le capitalisme a été traitée au cours des dernières décennies?

ROGER LANCASTER Il y a certainement de quoi être mécontent si l’on pense que les conditions matérielles, en particulier la dynamique de classe, devraient faire partie du cadre de référence. Cependant, l’engagement dans l’économie politique a pratiquement disparu des études LGBTQ et, dès les origines de la théorie queer, le concept de classe disparaît en tant que sujet d’intérêt pérenne aux États-Unis. Ainsi, dans l’introduction de Fear of a Queer Planet (1993), l’auteur Michael Warner a expressément exclu les perspectives de classe du champ d’étude. La «classe», écrit-il, «est ostensiblement inutile… inintelligible» pour les théorisations queer du social. Cette déclaration remarquable résumait le consensus émergeant.

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