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Il n’y a qu’une crise : celle du coût de la vie pour les travailleurs

Grace Blakeley

—24 mars 2022

La hausse des prix et la stagnation des salaires poussent des millions de travailleurs dans la pauvreté. Et comme d’habitude, des multinationales profitent du chaos.

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Le Royaume-Uni traverse actuellement une crise profonde du coût de la vie, d’une ampleur inégalée depuis les années 1970. L’inflation se situe à 5,5 % selon les données disponibles les plus récentes. 81 % adultes interrogés ont déclaré à l’Office national des Statistiques du Royaume-Uni que le coût de la vie avait augmenté au cours du mois précédent. Ce nombre a donc augmenté de 19 points de pourcentage par rapport à novembre 2021.

  1. Les chiffres de cet article concernent le Royaume-Uni. Mais la Belgique pourrait se trouver dans une situation encore pire. Le taux d’inflation y est de 8,04 %, le plus élevé depuis quarante ans. En particulier, l’énergie, les denrées alimentaires et les transports deviennent plus chers.

Une énergie plus chère, des actionnaires plus riches

Cette crise inflationniste est largement alimentée par la hausse des prix de l’énergie. Celle-ci est un héritage des confinements, au cours desquels l’activité économique a chuté, parallèlement à la demande d’énergie. Les prix des combustibles fossiles avaient alors plongé à un niveau proche de zéro, décourageant toute nouvelle exploration et extraction.

Grace Blakeley est économiste et écrit régulièrement pour le magazine britannique de gauche Tribune. Elle anime le podcast hebdomadaire « A World to Win ». Elle est également l’auteur de The Corona Crash (Verso, 2020), entre autres ouvrages.

Lorsque les prix ont commencé à augmenter, beaucoup de grandes compagnies pétrolières ont choisi de distribuer de l’argent à leurs actionnaires, plutôt que d’investir dans la production ou de diversifier leurs activités en dehors des combustibles fossiles (alors que beaucoup avaient promis de le faire). Après avoir annoncé une année record en termes de bénéfices en 2021, Exxon Mobil s’est lancée dans un programme de rachat d’actions de 10 milliards de dollars.

La hausse des prix de l’énergie s’est répercutée sur l’ensemble des prix, car les combustibles fossiles sont nécessaires pour produire et transporter presque tous les produits de base. L’effet de cette inflation est particulièrement évident dans les économies fortement dépendantes des importations, comme celle du Royaume-Uni. Par ailleurs, les hydrocarbures présents dans les combustibles fossiles sont également utilisés directement dans la production de nombreux produits de base comme les plastiques et, surtout, dans l’agriculture. La plupart des engrais sont dérivés du gaz naturel, ce qui explique en partie la forte hausse des prix des denrées alimentaires, observée ces derniers mois.

Lorsque les prix ont commencé à augmenter, beaucoup de grandes compagnies pétrolières ont choisi de distribuer de l’argent à leurs actionnaires, plutôt que d’investir.

D’autres facteurs, notamment les blocages de la chaîne d’approvisionnement, exacerbent le problème. Le système complexe et hautement interconnecté du transport maritime mondial s’est arrêté pendant la pandémie, entraînant une pénurie de conteneurs et l’accumulation de centaines de navires devant les ports, incapables d’accoster. Ajoutez à cela la guerre et la dégradation du climat, qui rendent toutes deux plus difficiles la production et l’exportation de produits de base comme les céréales et le pétrole, et vous obtenez une tempête parfaite.

La spéculation crée le chaos crée l’inflation

Comme le souligne Rupert Russel dans son dernier livre Price Wars, si ces événements se traduisent par une hausse des prix, ce n’est pas par un mécanisme de transmission naturel et incontrôlable. Les prix des produits de base sont en hausse depuis des mois, les spéculateurs de Londres et de New York prévoyant – et profitant – des pénuries post-confinements et des tensions géopolitiques croissantes.

Les prédictions des négociants en matières premières créent une boucle de rétroaction positive, par laquelle la hausse des prix des matières premières crée les troubles économiques et politiques prédits par les spéculateurs. Par exemple, à cause de la hausse des prix de l’énergie, il est beaucoup plus difficile pour les États occidentaux de sanctionner les exportations énergétiques russes.

La plupart des engrais sont dérivés du gaz naturel, ce qui explique en partie la forte hausse des prix des denrées alimentaires, observée ces derniers mois.

Alors que les dirigeants des entreprises de combustibles fossiles et les négociants en matières premières profitent de la volatilité et de l’incertitude omniprésentes sur les marchés des matières premières et les marchés financiers, des millions de personnes dans le monde luttent pour leur survie.

Depuis de nombreuses années, l’inflation semble être un sujet de préoccupation théorique. Dans la zone euro, les responsables politiques ont été plus préoccupés par la déflation que par la hausse des prix. Ainsi, les débats sur la hausse des prix qui suivrait le confinement ont souvent semblé assez abstraits. Mais l’inflation est maintenant de retour avec fracas, et elle plonge des millions de personnes dans la pauvreté. Au Royaume-Uni, 22 % de personnes admettent avoir puisé dans leur épargne pour payer des produits de première nécessité, et 21 % des personnes de moins de 50 ans disent avoir contracté des dettes supplémentaires par carte de crédit simplement pour s’en sortir. Les données de l’enquête reflètent la situation macroéconomique : les ménages indiquent que la hausse des prix de l’alimentation, de l’électricité et des carburants est le principal facteur d’augmentation des coûts.

Appauvrir les plus pauvres

La situation est encore pire pour les jeunes, qui ont été plus touchés par la stagnation des salaires et la hausse du chômage, parce qu’ils sont plus susceptibles de travailler et de dépendre de revenus salariaux (plutôt que d’actifs). Ceux qui entrent sur le marché du travail pendant une récession telle que celle-ci sont confrontés à des premières années de travail beaucoup plus difficiles et subissent de ce fait une « cicatrice » à vie sur leurs revenus.

Ils sont également plus susceptibles de vivre dans un logement locatif coûteux, qui absorbe en moyenne environ un tiers de leur salaire net (et bien plus à Londres). Les jeunes sont moins susceptibles d’avoir des économies dans lesquelles ils peuvent puiser pour couvrir ces coûts, ce qui les rend dépendants de crédits pour joindre les deux bouts. Si les taux d’intérêt augmentent en réponse à la hausse de l’inflation, ces jeunes seront encore plus pénalisés.

Les riches vont continuer à profiter du chaos, tandis que les médias nous distraient avec des cartes blanches affirmant que nous devrions interdire Tchaïkovski et bombarder l’Europe de l’Est.

Néanmoins, ce sont les pauvres, quel que soit leur âge, qui seront les plus touchés par la hausse des prix. Nombreux sont ceux qui vivent dans des logements locatifs précaires, occupent des emplois précaires et mal rémunérés, et qui, pour s’en sortir, dépendent de la sécurité sociale et de dettes à taux d’intérêt élevé. Le Premier ministre Rishi Sunak a mis fin à l’augmentation de 20 £ du Crédit universel alors que les taux d’intérêt sont en augmentation. Beaucoup seront dès lors poussés vers la pauvreté et le sans-abrisme.

Et si l’on tient compte du caractère mondial de ces pressions, le tableau est encore plus sombre. En effet, le FMI a constaté que l’inflation moyenne des denrées alimentaires atteignait près de 7 % en décembre. La hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants va enfoncer encore davantage dans la pauvreté les personnes les plus pauvres de la planète. Selon le Programme alimentaire mondial, au cours de l’année 2021, la faim dans le monde et les prix des denrées alimentaires ont connu une augmentation sans précédent.

Les politiciens croient peut-être maintenant qu’ils peuvent imputer à la guerre en Ukraine la responsabilité de la hausse des prix et encourager une sorte d’esprit blitz qui ferait accepter aux populations un certain degré de souffrance, en solidarité avec « l’effort de guerre ». Cependant, comme c’est toujours le cas en temps de guerre, seules les classes travailleuses vont être appelées à faire des sacrifices. Les riches vont continuer à profiter du chaos, tandis que les médias nous distraient avec des cartes blanches affirmant que nous devrions interdire Tchaïkovski et bombarder l’Europe de l’Est.

Cet article a été initialement publié dans Tribune. Traduction et adaptation par Lava.