La guerre de la Russie contre l’Ukraine va apparemment approfondir l’alliance des Etats-Unis avec l’UE à tous les niveaux : politique, économique et militaire.
Le président américain Donald Trump avait parlé de « freedom gas » [gaz de liberté] lorsqu’il avait commencé, il y a trois ans, à promouvoir énergiquement en Europe l’achat de gaz naturel liquéfié américain. Le secteur de la fracturation aux États-Unis était en plein essor, à la recherche de nouveaux débouchés – et en Europe, l’occasion semblait se présenter de profiter de la lutte de pouvoir de l’Occident contre la Russie pour œuvrer à l’éviction du gaz de pipeline russe. Au niveau des relations publiques, le terme de « freedom gas » a finalement vu le jour. Vendredi 25 mars, le successeur de Trump, Joseph Biden, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se sont rencontrés à Bruxelles pour négocier concrètement une extension rapide des livraisons de gaz naturel liquéfié américain vers l’Europe. La guerre en Ukraine, les sanctions occidentales draconiennes à l’encontre de la Russie et la volonté des puissances occidentales de nuire aussi massivement que possible à Moscou en la privant de ses revenus issus des matières premières avaient créé une nouvelle situation. Le gaz naturel liquéfié américain était désormais soudainement bienvenu sur le vieux continent, dans les plus grandes quantités possibles. Le secteur étasunien du fracking (fracturation hydraulique) semblait avoir atteint son but. Et, comme les observateurs l’ont souligné avec insistance : la réorientation complète de l’approvisionnement énergétique de l’Union – en passant des livraisons de la Russie à celles des États-Unis – renforce accessoirement, c’est évident, le bloc transatlantique.
La réorientation de l’approvisionnement énergétique de l’UE – passant des livraisons russes à celles des États-Unis – renforce le bloc transatlantique.
La guerre en Ukraine va-t-elle réellement relancer l’alliance transatlantique après les dissonances bruyantes de l’ère Trump et les efforts de coopération cahoteux du début de l’ère Biden ? Sur le plan militaire, cela ne fait guère de doute. Le réarmement musclé contre la Russie, le stationnement de nouvelles troupes en Europe de l’Est et du Sud – tout cela a lieu en grande partie dans le cadre de l’OTAN ; l’UE, qui n’a cessé de proclamer ces dernières années qu’elle aspirait à une « autonomie stratégique » sur le plan militaire, livre certes des armes à l’Ukraine, mais n’est pas présente d’une autre façon, par exemple avec ses propres troupes. En conséquence, la « boussole stratégique », le nouveau document stratégique de l’UE adopté formellement le 21 mars par les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’Union, stipule explicitement à plusieurs reprises que « le fondement de la défense collective » des États membres de l’UE n’est pas et ne sera jamais l’armée de l’UE, évoquée à maintes reprises depuis des années, ou une « armée des Européens » au sens plus large, mais l’OTAN, la puissance militaire transatlantique. Sur le plan militaire, les choses sont donc claires : le cadre pertinent est l’alliance avec les États-Unis.
Des relations commerciales approfondies
Mais qu’en est-il de la base économique, là où l’UE s’est constituée de manière autonome, là où elle est depuis toujours en concurrence avec les États-Unis ? Malgré la concurrence, les fondements économiques des liens transatlantiques restent stables, même si ces dernières années, les relations avec la Chine ont pris toujours plus d’importance. La République populaire est certes devenue le plus grand partenaire commercial de l’Allemagne et de l’UE en termes de commerce de marchandises, mais elle n’a pas encore atteint le seuil de rentabilité. Cependant, si l’on tient compte du commerce des services, les États-Unis restent en tête. Si l’on regarde les sommes investies par les entreprises allemandes ou européennes sur tel ou tel continent et dans tel ou tel pays, on constate que les États-Unis restent clairement le point fort. Nulle part ailleurs, les entreprises allemandes n’ont investi autant de capitaux que dans ce pays : selon les statistiques de la Bundesbank, les investissements directs et indirects aux États-Unis ont atteint 391 milliards d’euros en 2019, alors qu’en Chine, ils ne s’élevaient qu’à 90 milliards d’euros, malgré l’accroissement global. L’UE chiffre à 2,16 billions d’euros les investissements réalisés aux États-Unis par les entreprises de ses États membres, et à un peu moins de 200 milliards d’euros ceux réalisés en Chine. Il faut bien sûr tenir compte du fait que les relations économiques avec le marché en plein essor qu’est la Chine continuent de croître rapidement.
Les États membres de l’UE investissent 2,16 billions d’euros aux États-Unis, et un peu moins de 200 milliards d’euros en Chine.
Il est clair depuis longtemps que la guerre en Ukraine entraîne un profond bouleversement pour l’économie de l’Allemagne et de l’UE, et pas seulement pour le secteur de l’énergie, qui doit être complètement découplé de la Russie. De nombreuses entreprises, de la Deutsche Telekom à la Deutsche Bank, ont annoncé entretemps qu’elles allaient se retirer complètement de Russie. Ceux qui restent – parmi lesquels des groupes de distribution comme Metro ou Auchan en France – sont soumis à une pression considérable. L’expansion économique vers l’Est, qui revêt traditionnellement une grande importance, surtout pour l’économie allemande, a ainsi reçu un deuxième coup dur après la première vague de sanctions de 2014, dont elle aura sans doute du mal à se remettre. Cela n’affaiblit pas seulement l’économie de l’UE par rapport à la concurrence américaine, qui a toujours été moins orientée vers la Russie ; cela devrait également conduire à la recherche de nouvelles possibilités d’expansion. Toutefois, comme l’a récemment souligné Lars-Hendrik Röller, qui a été le principal conseiller économique de la chancelière allemande Angela Merkel de 2011 à 2021, il faut désormais tenir compte des «risques géopolitiques» actuels : La prudence est de mise lorsqu’il s’agit de faire des affaires avec le marché d’avenir qu’est la Chine – car le conflit avec la République populaire peut tôt ou tard s’aggraver de manière tout à fait similaire à ce qui se passe avec la Russie. Compte tenu de la grande importance que revêt déjà aujourd’hui le commerce avec la Chine, par exemple pour l’industrie automobile allemande, M. Röller a conseillé d’« éviter des dépendances aussi importantes ». « La bonne réponse aux développements actuels », a-t-il expliqué, n’est pas une ruée vers la Chine, mais « un nouvel accord commercial avec les États-Unis ».
La pensée de Röller, qui est partagée par un grand nombre de personnes, revient à un nouvel approfondissement de l’alliance transatlantique, y compris au niveau économique. De leur côté, les États-Unis se préparent actuellement sur le plan économique à la grande lutte de pouvoir contre la Chine. Pour ce faire, le gouvernement Biden a mis en place des programmes d’investissement d’une ampleur colossale. En novembre, Washington a adopté un programme d’infrastructure de 1,2 billion de dollars US visant à moderniser les routes et les ponts, l’infrastructure téléphonique et Internet et bien d’autres choses encore aux États-Unis : des autoroutes vétustes, des connexions en ligne insuffisantes et d’autres choses du même genre provoquent chaque année des pertes de plusieurs centaines de milliards, que l’on ne peut plus se permettre au vu de la rivalité avec la République populaire. Cette semaine, le Sénat a approuvé un nouveau programme de 52 milliards de dollars pour soutenir la production de semi-conducteurs et espère maintenant un « oui » de la Chambre des représentants. Seuls 12 % environ de toutes les puces sont encore fabriquées aux États-Unis, contre 40 % environ il y a deux décennies. Cette proportion doit maintenant être à nouveau nettement augmentée. Il s’agit, a expliqué Jennifer Psaki, porte-parole de la Maison Blanche à l’époque, après le vote du Sénat, de « renforcer nos chaînes d’approvisionnement, de produire davantage en Amérique » – « et de prendre l’avantage sur la Chine et le reste du monde pour les décennies à venir ».
Dans ce contexte, l’Europe pourrait jouer un rôle important, comme le publie une analyse complète par la Chambre de commerce américaine vers l’UE (AmCham EU), la Chambre de commerce Américaine, la Johns Hopkins School of Advanced International Studies de Baltimore et le Transatlantic Leadership Network, dont le siège est à Washington. Les auteurs de l’étude se sont notamment penchés sur l’importance des pays européens – et pas seulement de l’UE – pour l’économie américaine. Un des résultats : 59 % de tous les investissements étrangers américains sont – situation en 2020 – investis en Europe, quatre fois plus que dans la zone Asie-Pacifique en plein essor ; rien qu’au Royaume-Uni, les entreprises américaines ont investi 890 milliards de dollars, contre 124 milliards de dollars en Chine. Les filiales des entreprises américaines en Europe ont récemment produit près de 50 % de la production de toutes les entreprises américaines dans le monde en dehors des États-Unis ; en 2019, la production des entreprises américaines en Europe (686 milliards de dollars) était bien supérieure à la production des entreprises américaines dans la région Asie-Pacifique (396 milliards de dollars) et en Chine (81 milliards de dollars). Inversement, 64 % de tous les investissements étrangers aux États-Unis provenaient du continent européen. L’intensité et la rentabilité extraordinaires des relations économiques transatlantiques, concluent les auteurs de l’étude, sont évidentes.
La base géoéconomique
Il en résulte, a jugé mi-mars Daniel S. Hamilton, un expert de la Brookings Institution et l’un des deux auteurs : « L’Amérique du Nord et l’Europe ne sont pas seulement liées par l’alliance de défense de l’OTAN ; chacun des deux côtés de l’Atlantique Nord reste le partenaire économique le plus important de l’autre et sa base géoéconomique ». La guerre en Ukraine offrirait maintenant la chance de faire prendre conscience de cette « base géoéconomique », d’en tirer parti et de la renforcer ensuite de manière ciblée. Sur base de cette étude, les États transatlantiques pourraient « isoler et punir Poutine ». Après tout, grâce à la puissante économie transatlantique, ils seraient « bien mieux placés que l’économie russe pour résister à la douleur des sanctions ». En outre, ils pourraient également faire face ensemble aux « défis chinois » et s’affirmer ainsi, côte à côte, dans la rivalité mondiale. La croissance rapide des économies des deux côtés de l’océan Atlantique, après leur chute lors de la pandémie du Covid-19, serait un facteur favorable. En tant que « base géoéconomique » du déploiement de sa propre puissance, la coopération économique transatlantique serait la recette centrale du succès pour l’avenir, en particulier pour les États-Unis.
59 % des investissements américains à l’étranger sont investis en Europe, quatre fois plus que dans la zone Asie-Pacifique en plein essor.
Le gouvernement Biden s’emploie depuis longtemps à la consolider et à la développer. Le Conseil du commerce et de la technologie UE-USA (TTC), un organe de coopération créé par le gouvernement étasunien et la Commission européenne, qui s’est réuni pour la première fois le 29 septembre 2021 dans l’ancienne ville industrielle étasunienne de Pittsburgh, en est un exemple. Il doit ouvrir la voie à une coopération étroite dans des domaines importants, de la conception des chaînes d’approvisionnement aux technologies climatiques en passant par l’intelligence artificielle. Un élément central : les deux parties souhaitent définir au sein du TTC des normes et standards communs pour les secteurs clés de la haute technologie. Car celui qui fixe les normes a une longueur d’avance sur ses concurrents – et si les puissances transatlantiques parviennent à s’assurer cette avance sur l’industrie chinoise, elles auront de meilleures chances de s’imposer dans la concurrence mondiale acharnée dans les secteurs stratégiques de la haute technologie.
Les normes climatiques peuvent également être très utiles à cet égard. Ainsi, à l’occasion de la création du TTC, le commissaire européen au commerce Valdis Dombrovskis a fait savoir qu’il travaillait à l’élaboration de règles commerciales transatlantiques qui limiteraient l’accès au marché des entreprises « qui ne respectent pas les normes en matière de faibles émissions de CO2 ». Une pure conscience écologique ? Bien sûr : Le président étasunien Biden a commenté le plan en indiquant qu’il permettrait d’empêcher « l’acier sale de pays comme la Chine ». L’accent politique n’était certes pas mis sur « sale », mais sur « Chine ». Tyson Barker, un expert en technologie de la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), qui avait auparavant travaillé entre autres comme consultant pour le Département d’État américain, a été enthousiaste : le TTC constituerait le noyau d’une « alliance technologique euro-atlantique » et aurait l’étoffe d’un « G2 secret pour la gouvernance technologique » dans le monde entier. Pardon : « pour la gouvernance technologique démocratique », avait naturellement formulé Barker. Il s’agit en effet de se démarquer de la Chine.
Des corrections de trajectoire dans le secteur de l’énergie
Si le gouvernement Biden a posé depuis longtemps les jalons de l’extension de la « base géoéconomique » des États-Unis, la guerre en Ukraine offre la possibilité d’en rajouter à certains égards, voire d’imposer certaines corrections de trajectoire. Exemple le plus connu : le secteur de l’énergie, dans lequel l’UE et l’Allemagne en particulier coopéraient étroitement avec la Russie depuis des décennies. Il suffit de penser à la part importante du gaz russe dans les importations de gaz de l’UE jusqu’à présent ou aux gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, qui auraient pu servir de base – doit-on dire « base géoéconomique » ? – à une coopération germano-russe plus étroite et donc aussi à une politique étrangère indépendante des États-Unis. C’est notamment pour cette raison que ces pipelines ont toujours été pour Washington une épine dans le pied. Le fait que Berlin n’ait plus été en mesure, sur fond de guerre en Ukraine et d’escalade totalement débridée de la lutte pour le pouvoir contre Moscou, de s’en tenir à la coopération gazière germano-russe de longue tradition, qu’elle ait dû accepter de réduire au plus vite à zéro les importations de gaz naturel en provenance de Russie, prive la République fédérale d’un contrepoids aux liens transatlantiques.
Pour les États-Unis, la priorité va au réarmement contre la Chine
Dans le même temps, les portes d’une activité rentable s’ouvrent pour le secteur américain du gaz naturel liquéfié en Europe. Non pas que ces portes aient été fermées jusqu’à présent : depuis un accord conclu entre le gouvernement Trump et la Commission européenne en juillet 2018, les exportations de gaz liquéfié américain vers l’UE n’ont cessé d’augmenter. Selon les données de l’UE, leur part dans les importations totales de GNL de l’Union est passée d’environ 16 % en 2019 à 22 % en 2020 et à 28 % en 2021. Depuis l’automne dernier au moins, les pays de l’UE, qui commençaient alors à gémir sur une pénurie de gaz naturel menaçante, auraient probablement été prêts à acheter des quantités encore plus importantes – s’ils avaient pu les obtenir : comme le GNL peut être vendu à des prix plus élevés en Asie, c’était là que se rendaient le plus souvent les pétroliers étasuniens. Ce n’est que lorsque les prix du gaz liquide en Europe ont atteint le niveau asiatique que le « freedom gas » est soudainement arrivé en plus grandes quantités sur les rives de l’Europe.
A cet égard, l’accord sur le gaz naturel liquéfié conclu le 25 mars 2022 par le président Biden et la présidente de la Commission européenne von der Leyen est également révélateur. Il prévoit tout d’abord pour cette année la livraison de 15 milliards de mètres cubes de gaz liquide supplémentaires ; la matière première peut, mais ne doit pas nécessairement provenir des États-Unis – et si ce n’est pas le cas du fait que le « freedom gas » génère de plus grands profits en Asie, Washington veut aider Bruxelles à obtenir des livraisons d’autres pays. En outre, l’UE s’engage à acheter 50 milliards de mètres cubes de GNL aux États-Unis chaque année jusqu’en 2030 au moins. Il ne s’agit pas d’une garantie de livraison, mais d’une garantie d’acceptation des livraisons : si le « freedom gas » continue à coûter plus cher en Asie, il est probable qu’il continuera à être vendu là-bas à l’avenir également. L’UE doit donc faire un gros effort sur le prix. La garantie d’achat, cependant, est extrêmement utile pour le secteur étasunien de la fracturation : elle réduit considérablement les risques de vente liés à l’exploitation de nouveaux gisements de fracturation aux États-Unis.
Les armes étasuniennes
Une autre conséquence de la guerre en Ukraine : il apparaît d’ores et déjà que la nouvelle poussée de réarmement avec laquelle l’Occident réagit à la course aux armements conduira à un nouveau renforcement de l’industrie de l’armement étasunienne. Celle-ci profite de toute façon de l’augmentation continue du budget militaire étasunien, qui devrait à nouveau croître au cours de l’année budgétaire 2023 – selon le plan présenté cette semaine par le gouvernement Biden, d’environ 4 % pour atteindre quelque 813 milliards de dollars. Il s’agirait probablement du budget militaire le plus important depuis que les États-Unis ne sont pas directement impliqués dans une guerre majeure. Selon les indications étasuniennes, la priorité est donnée au réarmement contre la Chine ; les dépenses pour la militarisation de l’espace devraient augmenter de manière particulièrement importante. Les fabricants d’armes étasuniens qui en profitent ont en outre pu compter sur des exportations en plein essor ces dernières années. Selon les statistiques établies par l’institut de recherche SIPRI de Stockholm, la part des États-Unis dans les exportations mondiales d’armes est récemment passée de 32 % (2012-2016) à 39 % (2017-2021), soit deux fois plus que la part du numéro deux, la Russie – 19 % – et nettement plus que celle des six grands exportateurs d’armes d’Europe occidentale (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas), qui atteignent pour leur part 25,9 %.
Les exportations d’armement étasuniennes montrent des décalages révélateurs. La plupart des ventes (43 %) sont toujours destinées au Proche et au Moyen-Orient, et donc à la grande région de conflit, si l’on peut dire, des trois dernières décennies ; l’Arabie saoudite a reçu à elle seule près d’un quart du total des exportations étasuniennes de matériel de guerre. Toutefois, les fonderies d’armes étasuniennes ont récemment enregistré des taux de croissance particulièrement élevés dans le contexte de l’escalade des luttes de pouvoir de l’Occident contre la Chine et la Russie. Face à la Chine, elles arment par exemple la Corée du Sud (plus 66 %), mais aussi l’Australie (plus 78 %) et le Japon (plus 173 %). La lutte pour le pouvoir contre la Russie est également payante pour eux : le réarmement de l’Europe, qui s’est intensifié depuis l’escalade du conflit ukrainien en 2014 et qui a été cimenté dans l’objectif des deux pour cent de l’OTAN, a doublé les exportations d’armes étasuniennes vers le continent pour atteindre une part d’environ 18 %.
L’Arabie saoudite a reçu à elle seule près d’un quart du total des exportations étasuniennes de matériel de guerre.
Ce dernier point n’est pas sans importance économique pour le secteur étasunien, car le début du déclin des États-Unis sur la scène internationale se traduit par le fait que certains alliés proches et clients fidèles de la défense commencent à chercher ailleurs. Ainsi, les Émirats arabes unis et la Turquie, qui étaient encore les deuxième et troisième plus gros acheteurs de matériel de guerre étasunien entre 2012 et 2016, développent leur coopération avec la Russie et la Chine et commencent à y acheter également leurs armes en plus grande quantité. Ankara achète par exemple le système de défense antimissile S-400 à la Russie et a même accepté pour cela que les groupes turcs soient exclus de la production et de l’achat des avions de combat F-35, même si elle espère recevoir tôt ou tard les avions américains – des bombardiers furtifs de la dernière génération, la cinquième. De leur côté, les Émirats arabes unis ont interrompu fin 2021 les négociations sur l’achat de jusqu’à 50 avions F-35, car Washington, irrité entre autres par l’étroite coopération entre Abu Dhabi et Huawei, voulait assortir la livraison de restrictions trop sévères. De plus, les Émirats ont annoncé qu’ils allaient acheter pour la première fois un avion militaire chinois – douze exemplaires du jet d’entraînement L-15. En revanche, la Turquie et les Émirats ont perdu leur place de leader dans le classement des clients étasuniens en matière de défense.
La récente poussée de l’armement en Europe pourrait sans doute facilement remplacer ces pertes pour les fabricants d’armes étasuniens. Le doublement des importations européennes d’armement en provenance des États-Unis est dû en grande partie à l’achat de chasseurs F-35. Les avions militaires ont représenté 62 % des exportations étasuniennes d’armement entre 2017 et 2021, selon le SIPRI ; l’Europe joue un rôle important à cet égard : La Grande-Bretagne, la Norvège et les Pays-Bas ont acheté 71 F-35 endéans les cinq ans. En 2020 et 2021, des commandes de Finlande (64 unités), de Suisse (36 unités) et de Pologne (32 unités) sont venues s’ajouter, garantissant les futurs bénéfices des exportations étasuniennes. L’Allemagne va maintenant également acquérir 35 exemplaires coûteux du jet furtif à partir du nouveau « fonds spécial » de 100 milliards d’euros de la Bundeswehr. En outre, non seulement le «fonds spécial» allemand, mais aussi la poussée générale de réarmement en Europe devraient entraîner de nouveaux achats auprès des fonderies d’armes étasuniennes. Cela contribue à son tour à renforcer l’intégration transatlantique de l’UE – et ce à deux niveaux : sur la base militaire comme sur la « base géoéconomique » ou sur sa branche industrielle d’armement.