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25 milliards de surprofits en Belgique

Olivier Malay

—29 décembre 2022

En cette période de crise économique, certains secteurs réalisent des profits supérieurs à ceux de 2019. Des moyens conséquents qui pourraient être mobilisés afin de soutenir les ménages et les entreprises qui souffrent de la crise.

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Quand un secteur comme l’aviation ou la boulangerie est en difficulté, cela se sait. Ses représentants tirent la sonnette d’alarme afin que tout le monde le sache et que l’État apporte son aide. Lors de l’épidémie de coronavirus, Brussels Airlines, filiale de la première compagnie européenne, Lufthansa, a bénéficié de 290 millions d’euros d’aides d’état de la part de la Belgique. Mais dans la situation inverse, quand un secteur réalise des bénéfices records, c’est le silence radio. Ainsi, le géant mondial de l’alimentaire Cargill a cessé de publier son rapport financier depuis qu’il a augmenté le prix des denrées de base en 2020.

Or, dans la période que nous traversons, beaucoup d’entreprises réalisent des surprofits, bien au-delà des producteurs de gaz et d’électricité. Pouvoir les identifier est crucial. Car la crise devra être payée par quelqu’un. Et ce sera soit par des gens qui n’ont rien demandé et qui ne sont en rien responsables de son déclenchement, soit par ceux qui en bénéficient par inadvertance ou en étant a l’origine d’une partie de l’inflation.

Un surprofit est ici défini comme un supplément de profit par rapport a ce qui était réalisé fin 2019, qui était une très bonne année pour les entreprises. Cela permet de donner un aperçu des secteurs qui réalisent des bénéfices records. L’indicateur des profits utilisé est l’excédent brut d’exploitation, qui correspond au bénéfice avant investissement, résultat financier et versement des impôts. Il est mis en parallèle avec l’évolution de la masse salariale, à des fins de contraste et pour remettre en cause le discours patronal pointant l’indexation des salaires comme cause de l’inflation.

Dans la plupart des secteurs, les profits augmentent entre début 2021 et mi-2022 par rapport aux niveaux de 2019. Ils augmentent de 5 milliards € dans l’industrie manufacturière (metal, pharma, alimentaire…), de 4 milliards € dans le secteur de l’énergie et de l’immobilier, et de 3 milliards € dans la finance et les activités de soutien aux entreprises (consultance, nettoyage, sécurité, intérim…). Notons que ces records de profits ne subissent pas un biais post-covid puisque l’année de comparaison est 2019.

Au total, les surprofits par rapport à 2019 s’élèvent à 25 milliards €. C’est une somme énorme, elle correspond à dix années de financement de la SNCB. Il y a donc des moyens conséquents qui pourraient être ponctionnés afin de soutenir les ménages et les entreprises qui souffrent de la crise. C’est une question de choix politique. Le gouvernement s’est penché sur une taxe des surprofits dans le secteur énergique, mais il faudrait taxer les surprofits partout où il y en a.

D’où viennent ces surprofits ?

Dans certains secteurs, ils proviennent d’une hausse de la production, c’est notamment le cas du secteur intérim qui se porte bien. Mais dans la plupart des secteurs, la hausse des profits vient d’une hausse du prix à la vente. De nombreuses entreprises ont profité des hausses de prix un peu partout pour augmenter massivement les leurs, bien au-delà d’une simple répercussion des hausses de leurs coûts.

Dans l’industrie, la finance ou la construction, les surprofits sont quasi totalement dus à des hausses de prix à la vente. En fait, sur les 25 milliards € de surprofits entre le début 2021 et la mi-2022, 18 milliards proviennent de hausses de prix. Ces surprofits ont donc été réalisés en augmentant les factures payées par la population belge, européenne ou autre qui a acheté des biens et services auprès des entreprises belges.

L’inflation que nous connaissons n’est donc pas un simple appauvrissement général, c’est un transfert massif de richesses. Entre pays (vers les pays producteurs de gaz), entre entreprises (vers celles qui peuvent augmenter leurs prix au détriment des autres) et, aussi, du travail vers le capital. Pendant la crise de 1974, le monde du travail a obtenu une hausse de salaire de 25% alors qu’il y avait 16% d’inflation. Le rapport de force était bien différent. Mais un rapport de force qui s’en rapproche est aujourd’hui nécessaire si l’on veut éviter un transfert de richesse massif du travail vers le capital sur fond de crise économique.