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David Hollanders

David Hollanders doceert politieke economie bij Europese Studies, aan de Universiteit van Amsterdam.

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    De l’argent, il y en a assez — mais pour qui ?

    David Hollanders

    La théorie monétaire moderne permet de voir qu’il y a toujours suffisamment d’argent, mais qu’il n’y en a jamais pour tout le monde, parce que les banquiers (centraux) décident qu’il n’y en a que pour eux.

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  • « Si j’ai le contrôle de la planche à billets, alors je me fiche complètement de celui qui fait les lois ». Ces paroles sont attribuées – probablement à tort – au banquier allemand du 18e siècle Nathan Mayer Rothschild. Que ces paroles aient, ou non, été prononcées par un banquier qui a réellement existé importe peu, ce qui est sûr c’est que cette phrase illustre à merveille le secteur bancaire actuel. Elle caractérise également le fonctionnement antidémocratique de la Banque centrale européenne ( BCE). Une banque proclamée indépendante par beaucoup, y compris par elle-même. Une banque qui officiellement élabore la politique monétaire, mais ne s’occupe pas de politique ( budgétaire). Cette façon de présenter les choses a toujours posé problème, mais depuis 2010 c’est devenu une véritable farce. En effet, depuis la crise de l’euro, la BCE impose de plus en plus et de manière toujours plus radicale et antidémocratique sa volonté aux gouvernements. Sa technique consiste à arrêter de faire tourner la planche à billets des états qui hésitent à assouplir les règles sur le licenciement ou à diminuer les allocations. La politique monétaire est devenue synonyme de chantage, tandis que la planche à billets, ou « l’injection de liquidités » comme on dit, est devenue une véritable arme de chantage. Sans liquidités propres ( ou monnaie propre), les états n’ont d’autre choix que d’obéir à la BCE1. Or les défis lancés par la BCE conduisent à la faillite du système bancaire et par conséquent à la faillite de l’état, ce qui revient à un suicide économico-financier. Et même si les parlements et gouvernements nationaux continuent de faire les lois, cela a de moins en moins d’impact puisque c’est la BCE qui contrôle la planche à billets. Et comme le dit le sociologue allemand Wolfgang Streeck, la BCE n’étant soumise à aucun contrôle démocratique, « elle est devenue le gouvernement de facto de la plus grande économie au monde, un gouvernement complètement hermétique à une démocratie pluraliste » 2. Comment la position dominante de la BCE fonctionne-t-elle concrètement ? Comment la BCE exerce-t-elle son monopole sur l’émission de liquidités ? Ce qui s’est produit le 28 juin 2015 est probablement l’exemple le plus éloquent. Ce jour-là, la BCE a privé la Grèce des liquidités dont elle avait besoin pour empêcher l’effondrement de ses banques. La veille, le Premier ministre de gauche, Alexis Tsipras, avait annoncé la tenue d’un référendum le 5 juillet suivant sur les conditions imposées à la Grèce par la troïka ( FMI, Commission européenne et BCE). Les jours précédant le référendum, les retraits aux distributeurs automatiques de billets avaient été limités à soixante euros maximum, confrontant la population à la douloureuse réalité d’une éventuelle renonciation à la souveraineté monétaire. Le 16 juillet, la BCE a finalement octroyé à la Grèce les liquidités qu’elle lui avait refusées les jours précédant le référendum. La population grecque avait en effet massivement voté contre les dictats de la troïka, mais Tsipras n’avait pas tenu compte de ce résultat le 8 juillet. Le gouvernement Syriza a néanmoins le mérite d’avoir révélé au monde les agissements de la BCE lorsque les gouvernements ne marchent pas au pas. Auparavant, cela ne se savait pas vraiment. En novembre 2010, par exemple, le président de la BCE de l’époque, Jean-Claude Trichet, avait adressé au ministre des Finances irlandais un courrier dans lequel il menaçait ouvertement le gouvernement irlandais de stopper la planche à billets s’il refusait de sauver ses banques au détriment du contribuable. Le Premier ministre italien, Silvio Berlusconi, et le Premier ministre espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero, avaient eux aussi reçu une lettre de chantage de la BCE. Ce n’est que plus tard que l’existence de ces lettres a été divulguée. Comme les gouvernements irlandais, espagnol et italien avaient accepté « délibérément » et en silence, il a fallu attendre 2015 pour qu’on réalise l’ampleur du pouvoir de la BCE. Dans cet article, je m’intéresse à la position de pouvoir institutionnel de la BCE au cours de l’été 2015 en Grèce et à l’automne 2010 en Irlande. Ces deux périodes ont en commun le fait que la politique imposée par la BCE favorise ceux que Streeck appelle « les gens de marché » ( les banques, les investisseurs et les créanciers ) au détriment des citoyens, des travailleurs et des pensionnés3. Le second point commun c’est que la BCE n’a finalement recours qu’aux moyens dont elle dispose. La BCE tire son pouvoir de sa position institutionnelle, qui pour cette raison est extrêmement difficile à renverser. Réformer la zone euro dans une optique de gauche est impossible si on ne commence pas par la BCE. Le troisième élément commun c’est que la politique n’a pas été mise en place à l’initiative des parlements. Et dans les cas où l’approbation du parlement était nécessaire, pressions et contraintes ont été exercées. Bref, le pouvoir de la BCE n’est pas soumis au contrôle des parlements et est, pour cette raison, antidémocratique. La BCE elle-même est antidémocratique en ce sens qu’elle ne respecte ni le parlement ni le gouvernement, y compris en dehors de la sphère monétaire. Ce qui précède concerne également les pays qui, comme les Pays-Bas et la Belgique, n’ont pas encore subi d’ingérence directe de la BCE. Cependant, tout gouvernement, belge ou hollandais, aspirant à une politique sociale trouvera inévitablement la BCE sur son chemin. La position dominante de la Banque centrale européenne De l’indépendance de la BCE La BCE4 jouit d’un statut à part au sein de l’Union économique et monétaire européenne ( UEM). L’indépendance politique de la BCE est entérinée à l’article 130 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ( TFUE)5. Cet article stipule que la BCE ne peut accepter les instructions d’un gouvernement ni « de tout autre organisme » , ce qui implique les parlements nationaux également. Le terme « tout autre organisme » constitue le cœur même de cette « indépendance » antidémocratique de la BCE. L’article 130 interdit également aux gouvernements d’exercer une quelconque influence sur la BCE : « Les institutions, organes ou organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des États membres s’engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la Banque centrale européenne ou des banques centrales nationales dans l’accomplissement de leurs missions ». Le terme « organismes de l’Union » est une fois de plus un terme ouvert et donc global. L’indépendance politique de la BCE est délimitée. La BCE n’est indépendante que dans « l’exercice des compétences et dans l’accomplissement des tâches et devoirs » qui lui sont imposés par le Traité. Cette indépendance est justifiée d’un point de vue fonctionnel et est, selon le site web de la BCE, au service de la stabilité des prix, le principal objectif de la politique monétaire selon le TFUE. La stabilité des prix couvre cependant plusieurs niveaux, et la BCE peut donc décider librement quels sont les prix qui doivent rester stables et dans quelle mesure et de quelle manière ils doivent le rester. La stabilité des prix, à quel prix ? L’article 127 du TFUE stipule que : « L’objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé « SEBC » , est de maintenir la stabilité des prix ». La stabilité des prix elle-même n’est cependant pas définie. Son interprétation est donc ( implicitement ) laissée à la BCE, pour qui la stabilité des prix consiste à « maintenir l’inflation à moyen terme en dessous, mais proche des 2 % ». Plus important encore que ce seuil totalement arbitraire de 2 %, c’est que la BCE s’intéresse exclusivement aux prix des biens ( de consommation ) et services. La BCE ne cherche donc pas à freiner la hausse des prix des avoirs ( immeubles ou actions, par exemple). Ce qui serait parfaitement défendable si l’on considère que la hausse des prix des actions ou habitations, par exemple, peut avoir des conséquences catastrophiques si ces achats sont financés par la dette. Ne pas empêcher l’apparition de bulles sur les marchés du logement et les marchés boursiers c’est tout simplement avantager les nantis et les spéculateurs. Influencer l’inflation, mais comment ? La BCE ne peut directement déterminer l’inflation ( la hausse des prix des biens et services). La BCE cherche avant tout à influencer l’inflation en manipulant le taux d’intérêt, notamment via ce qu’on appelle les open market operations. Il s’agit principalement de programmes de prêt, dont le Main Refinancing Operation ( MRO ) est le plus important. La BCE peut également racheter des actifs, aux banques notamment. Toutes ces opérations monétaires se font par l’intermédiaire de banques privées. Les MRO sont des prêts de quelques mois accordés aux banques par la BCE. C’est la BCE qui fixe le taux d’intérêt, les exigences en matière de garanties ( sur lesquelles nous reviendrons plus loin), la durée du prêt ainsi que le volume. Les banques quant à elles sont libres d’y souscrire ou non. Après 2008, la BCE est passée au full allotment : la banque pouvait souscrire autant d’emprunts qu’elle le souhaitait pour autant que les conditions ( élargies ) en matière de sûreté étaient respectées6. Le taux fixé par la BCE dans les MRO est appelé le taux repo, dans les médias mieux connu sous le nom de « taux BCE ». Le taux repo est progressivement passé de plus de 4 % en 2008 à pratiquement 0 % en 2015. Les banques empruntent donc sans intérêt à la BCE. En théorie, le taux repo fixe un plancher sous le taux d’intérêt à court terme. Autrement dit, les banques peuvent à leur tour prêter les fonds empruntés à la BCE, avec une majoration. Le taux d’intérêt à court terme et les faibles taux d’intérêt de marché qui y sont liés influencent à la fois le niveau de consommation et le niveau d’investissements. Les faibles taux d’intérêt ont un effet dissuasif sur l’épargne et, au contraire, stimulent les dépenses et les investissements ( financés par la dette). Ce qui a pour effet d’accroître la demande, qui à son tour – tant que la capacité de production maximale n’est pas atteinte – accroît surtout la production et l’emploi. Une fois que la capacité de production maximale est ( pratiquement ) atteinte, un accroissement de la demande entraînera l’inflation. Le taux repo influence donc les taux de marché qui, à leur tour, influencent l’inflation. Depuis 2010, on recourt de plus en plus souvent aux achats d’actifs. Cela se fait dans le cadre des open market operations, comme le Securities Markets Programme ( depuis 2010), les Outright Monetary Transactions ( 2012 ) et l’assouplissement quantitatif ( 2015). Dans tous ces programmes, la BCE rachète les titres financiers, de banques notamment, au « prix du marché » ( l’acheteur étant la BCE, il n’a y cependant plus de marché au sens où les économistes l’entendent habituellement). Avec l’assouplissement quantitatif, lancé en 2015, la créance est émise par les états membres de l’UEM ( à l’exception de la Grèce ) et achetée par les entreprises. L’assouplissement quantitatif est justifié par le fait que l’achat d’obligations avec hausse des prix exerce une pression sur le taux d’intérêt à long terme. Si la BCE a commencé à influencer le taux d’intérêt à long terme c’est parce que le taux ( repo ) à court terme était pratiquement égal à zéro et ne pouvait donc plus être diminué ( zero bound). Tous ces programmes, aussi bien les programmes de prêts que les programmes d’achats, sont avantageux pour les banques. Elles empruntent à de faibles taux ( pour ensuite prêter à des taux plus élevés, notamment aux états membres qui se portent garants pour ces mêmes banques ) ou procèdent à la vente d’actifs. Ce bénéfice des banques est le véritable motif de l’assouplissement quantitatif. En effet, un assouplissement quantitatif en guise de mesure anticrise aurait aussi bien pu se faire en investissant directement dans l’économie réelle, par exemple. Les relations entre la BCE et les états membres de l’UEM sont fixées par deux articles du traité. L’article 130 que l’on a déjà cité plus haut. Et un autre article qui interdit à la BCE de prêter aux états7. Autrement dit, la BCE doit prêter aux banques privées, mais ne peut pas prêter aux états. Ces deux articles confèrent à la BCE une position dominante dans un rapport de forces compliqué, et en fin de compte inéquitable. La BCE contrôle la planche à billets. La BCE ne peut pas aider les états financièrement. Les états ne peuvent pas influencer la BCE. La BCE ne peut se préoccuper des états. Peu importe ce qu’il en coûte ? Depuis 2010, l’euro, les états membres de l’UEM ( et en particulier, Chypres, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande et l’Italie ) et l’UEM elle-même connaissent une crise permanente. Dans ce contexte de crise permanente, qui dure depuis huit ans déjà, la BCE s’est proclamée gardienne de l’euro. La déclaration du président de la BCE, Mario Draghi, en 2012 est un moment clé puisqu’il promettait de sauver l’euro “ whatever it takes ”. Ce qui signifie clairement que la BCE agit à sa guise. Si la BCE a « sauvé » l’euro à l’époque, elle a aussi favorisé les banques et mis les états sous pression. Dans ce contexte exceptionnel, la BCE utilise toujours plus souvent et toujours plus ouvertement son monopole d’émission monétaire pour imposer sa politique. En situation d’illiquidité, est souverain celui qui contrôle la planche à billets. En temps de crise, la BCE peut pousser les banques et ( par la même occasion ) les états à la faillite. Un refus de liquidités suffit à mettre en faillite un secteur bancaire national8. Puisqu’en principe les états se portent garants de leurs banques too-big-to-fail, il suffit de les déstabiliser financièrement9. La BCE peut alors augmenter le taux sur les obligations d’état en excluant qu’elles puissent servir de garanties dans ses programmes de prêts. Depuis 2010, la BCE utilise son monopole d’émission monétaire pour imposer ses choix politiques, comme le démontrent les exemples ci-dessous. Ce qui n’exclut pas que certains ( segments d’ ) états acceptent délibérément ce chantage en appliquant, par exemple, une politique qui n’aurait pu, ou du moins aurait eu du mal à être appliquée si on avait suivi une voie démocratique. Exemple 1. Recours stratégique au dépôt de garanties MRO Les banques ne peuvent emprunter qu’avec les garanties demandées par la BCE. Il est fondamental pour un état membre de l’UEM que les banques puissent utiliser leurs obligations comme garanties. Primo, les banques nationales occupent en principe la position la plus importante en ce qui concerne leurs propres obligations d’état. Si les banques « propres » ne peuvent pas utiliser ces obligations comme garanties, elles se retrouvent plus vite confrontées à des problèmes ( de liquidité). Secundo, un pays peut emprunter à un taux d’intérêt moins élevé et les banques peuvent utiliser les obligations achetées comme garanties dans le cadre d’opérations BCE et acceptent pour cette raison ce taux d’intérêt moins élevé. La BCE peut imposer des conditions en matière de garantie10. Elle détermine elle-même quelles sont les garanties adéquates, ce qui lui confère un pouvoir quasi législatif. Auparavant, les obligations d’état de tous les états membres de l’UEM étaient jugées adéquates. Ce qui est logique puisque si la BCE avait refusé les obligations d’un certain état membre de l’UEM, cela aurait signifié qu’elle n’avait ( ouvertement ) pas confiance dans la solvabilité de cet état11. C’est concrètement une invitation à vendre les obligations en question, alors qu’en cas de problèmes, l’achat d’obligations d’état par une banque centrale ne doit avoir lieu qu’en ultime recours ( c’est ce qu’on appelle le financement monétaire). Les banques centrales sont donc les lenders of last resort ( les prêteurs de dernier recours). En novembre 2005, les choses ont changé. Les obligations d’état doivent désormais répondre à une notation minimum attribuée par des agences de notation de crédit privées12. L’ancien gouverneur de la banque centrale chypriote, Athanasios Orphanides, a déclaré à ce propos : « Le changement de politique a immédiatement été perçu comme la réponse de la BCE au relâchement du pacte de stabilité et de croissance, une tentative de développer une discipline de marché en punissant les gouvernements dont on pensait qu’ils auraient tendance à appliquer une politique fiscale laxiste. […] Par cette décision, la BCE a révélé sa volonté d’intervenir arbitrairement en ce qui concerne le système de garanties, et ce, afin d’imposer sa discipline aux gouvernements des états membres 13 ». La BCE a recours au dépôt de garanties pour contraindre les états à marcher au pas. Depuis 2010, la BCE recourt à ces garanties pour envoyer un signal politique sans équivoque. En mai 2010, l’obligation imposée au gouvernement grec de Giorgos Papandreou de répondre à la notation de crédit minimum ( sa notation était inférieure à la limite BCE ) a été levée. Cette dérogation ( waiver ) a été renforcée après que le gouvernement grec ait accepté d’emprunter des milliards à l’UEM14. Ces emprunts ont été utilisés pour régler les créances des banques étrangères ( en particulier les banques françaises et allemandes). Des dettes privées ont ainsi été transformées en dettes publiques. Depuis, les états membres de l’UEM ( via le Mécanisme européen de stabilité, MES ) et la BCE ( via SMP ) sont devenus les créanciers de la Grèce. Cette dérogation a été retirée au cours des années qui ont suivi ( février 2012), puis à nouveau accordée ( mars 2012 ) et finalement une nouvelle fois retirée ( juillet 2012). En décembre 2012, la dérogation a à nouveau été accordée après que le gouvernement ait, sur ordre de la troïka, procédé à des privatisations et mesures d’austérité15. Le ٤ février 2015, la dérogation a été retirée : Syriza avait gagné les élections le 25 janvier. À compter de ce moment, les banques grecques sont devenues dépendantes de l’Emergency Liquidity Assistance ( ELA), l’antichambre de l’enfer financier dans lequel la Grèce risquait de sombrer à tout moment. L’ELA, qui avait déjà été utilisé au Portugal, Chypres et Irlande, est devenu le moyen de pression ultime de la BCE. Exemple 2. Recours stratégique à l’ELA Pour les banques, qui en l’absence de garanties ( solides ) ne peuvent pas emprunter via le programme ordinaire de la BCE ( MRO), il existe un mécanisme spécial : la fourniture de liquidités d’urgence ( Emergency Liquidity Assistance). Les liquidités sont octroyées par les banques centrales nationales, mais sous le contrôle de la BCE. Les banques solvables confrontées à des problèmes de liquidité peuvent emprunter auprès de leur banque centrale jusqu’à un montant plafond fixé par la BCE. Le taux ELA est plus élevé que le taux repo. C’est l’état concerné ( et non la BCE ) qui se porte garant en cas de pertes. Autrement dit, le prêteur en dernière instance des banques n’est pas la BCE, mais les 19 états membres de l’UEM ( via leur banque centrale). C’est pourtant la BCE qui décide du maintien des banques tributaires de l’ELA. Les banques nationales doivent au préalable soumettre les opérations ELA à la BCE, qui peut les bloquer16. Les opérations ELA sont approuvées par la BCE à certaines conditions imposées aux états ( qui encourent seuls les risques). Ces conditions sont imposées dans le secret, elles ne sont soumises à aucun contrôle, elles ne respectent pas les conventions relatives au droit du travail et avantagent systématiquement les plus nantis. C’est notamment le cas des conditions imposées à la Grèce et à l’Irlande. Le 25 juin, après des négociations inéquitables avec le gouvernement Syriza de février à juin 2015, la troïka a définitivement imposé ses conditions pour l’octroi de nouveaux prêts au gouvernement grec ( destinés à rembourser les anciens prêts). Le 27 juin, le Premier ministre Tsipras déclare vouloir soumettre ce Memorandum of Understanding au peuple grec dans un référendum. Le lendemain, la BCE décide alors de ne pas augmenter l’ELA pour la Grèce, comme elle l’avait toujours fait jusque-là. Résultat : contrôle de capitaux – retrait de 60 euros maximum par personne et par jour– et files d’attente aux distributeurs automatiques de billets. Le 5 juillet, le mémorandum est rejeté ( Oxi ) par plus de 61 % des électeurs. Le 8 juillet, Tsipras demande l’octroi de nouveaux prêts à des conditions pires encore que les précédentes. Le 16 juillet, la BCE augmente à nouveau l’ELA. Un an plus tard, en juin 2016, la BCE accorde à nouveau une dérogation pour le MRO et félicite « la détermination du gouvernement grec à exécuter le programme SME en cours17 ». La Grèce ne peut cependant toujours pas bénéficier de l’assouplissement quantitatif lancé en mars 201518. La BCE avait déjà eu recours au mécanisme ELA pour faire appliquer sa politique en Irlande. L’affaire a été révélée suite à la publication dans l’Irish Times d’une lettre adressée en 2010 au ministre irlandais des Finances, Brian Lenihan, par le président de la BCE de l’époque, Jean-Claude Trichet19. En 2010, les banques irlandaises étaient en faillite sur le plan économique et avaient pu bénéficier d’un programme ELA pour éviter une faillite sur le plan juridique. À compter de ce moment, c’est donc la BCE – et non plus le gouvernement irlandais ou le parlement – qui décide ( fixe les conditions pour ) le maintien du secteur bancaire irlandais. Dans un courrier du 19 novembre 2010, Trichet écrit que la solvabilité des banques irlandaises suivra uniquement si les quatre conditions sont respectées, dont la fiscal consolidation ( autrement dit, moins de sécurité sociale et augmentation des impôts sur la consommation et le travail ) et les reforms ( autrement dit, un assouplissement de la législation relative au licenciement). La BCE exige également des transferts financiers de l’état aux banques irlandaises, de manière à ce que les détenteurs d’obligations ( qui sont principalement français et allemands ) n’aient pas à participer pas aux pertes. C’est donc à l’état de payer pour les investisseurs étrangers. Ainsi, pas besoin d’augmenter les impôts sur la fortune et les droits de succession ni d’augmenter l’impôt sur les sociétés irlandaises ( le plus bas en UE avec 12,5 % ) et pas besoin non plus d’imposer ( ni même de demander ) une diminution des salaires et/ou primes des banquiers irlandais. Trichet ajoute : « Je suis certain que vous êtes tout à fait conscient qu’une réponse urgente s’impose et qu’elle doit nous parvenir avant l’ouverture des marchés ». Trichet fait aussi clairement comprendre que la réponse en question doit être conforme à ce qui est demandé, sous peine de provoquer la faillite des banques irlandaises. Monsieur Trichet, président non élu de la BCE, a clairement fait chanter le gouvernement irlandais20. La BCE au service du secteur financier C’est aux états que la BCE a imposé les conditions à satisfaire pour qu’une aide soit octroyée aux banques privées de ces états. En 2010, elle n’a imposé aucune condition aux banques irlandaises ni à leurs obligataires ou actionnaires. En 2015, elle n’a pas non plus imposé de conditions aux banques grecques. Cela fait en effet partie de sa politique favorable aux banques. Depuis 2010, la BCE a ainsi diminué les taux d’intérêt pour les banques, assoupli les conditions relatives aux garanties, et augmenter le volume des prêts. L’économiste Paul De Grauwe dit à ce sujet ( 2016 ) : « Alors que la BCE s’est farouchement opposée à l’octroi de liquidités sur le marché des obligations d’État […], elle s’est empressée d’octroyer aux banques les liquidités nécessaires 21 ». Le programme de prêt LTRO ( Long-Term Refinancing Operations ) lancé en 2011 est un parfait exemple des bonnes dispositions de la BCE à l’égard des banques. Il s’agit de prêts à long terme ( jusqu’à trois ans ) accordés par la BCE à un faible taux d’intérêt ( 1 %). Les banques peuvent à leur tour prêter aux états membres les fonds empruntés à des taux d’intérêt plus élevés. Selon les calculs de l’économiste Willem Buiter, « il ne fait aucun doute que ces LTRO représentent une aide importante de la BCE aux banques emprunteuses, de l’ordre d’au moins 3 % par an. Avec plus d’un 1 billion de LTRO souscrits, l’aide annuelle doit s’élever à 30 milliards d’euros. Avec un taux d’escompte de 4 %, la valeur actualisée de l’aide sur une période de trois ans devrait s’élever à pratiquement 86 milliards 22 ». Avec le LTRO, la BCE favorise de manière flagrante les gens de marché. Il n’y a rien d’étonnant à ce que la BCE favorise les banques. Les liens entre la BCE et le secteur financier sont étroits. Nombreux sont les administrateurs de la BCE qui, une fois leur mandat terminé, se retrouvent dans le secteur de la finance23. Et durant leur mandat déjà, les administrateurs entretiennent des liens étroits avec les banquiers. Ainsi, les administrateurs Cœuré et Mersch avaient rencontré les banquiers de la banque suisse UBS juste avant une assemblée de la BCE au cours de laquelle elle s’est prononcée en faveur d’une spectaculaire diminution du taux d’intérêt24. Plus récemment, il est apparu que le président de la BCE, Mario Draghi, un ancien de Goldman Sachs, était membre du G30, un club de banquiers très fermé. La médiatrice européenne Emily O’Reilly estime que cette affiliation n’est pas compatible avec les normes de transparence européenne, mais à ce jour son appel invitant monsieur Draghi à renoncer à sa participation au G30 est resté sans suite25. Conclusion En adhérant à l’euro, les gouvernements et parlements nationaux ont renoncé à leur souveraineté monétaire26. Avec des implications de plus en plus manifestes au cours de ces dernières années. C’est la BCE qui contrôle la planche à billets, et elle n’hésite pas à recourir à ce contrôle pour imposer une politique en sa faveur. Les états qui ne se conforment pas risquent la banqueroute de l’état et du secteur bancaire. La BCE l’a récemment reconnu : « Si l’euro est une monnaie-fiat, les autorités fiscales des états membres de l’euro ont renoncé à la possibilité d’émettre des obligations sans risque débiteur 27 ». Pour éviter la banqueroute, les états sont tributaires de la BCE. La BCE est par conséquent ouvertement antidémocratique. Elle est considérée comme « indépendante » , hermétique aux parlements et gouvernements. La légitimation démocratique de la BCE est ancrée dans les traités européens adoptés par les parlements. Au cours de ces dernières années, la BCE a également eu recours à son monopole sur les liquidités pour imposer une politique dépassant le domaine monétaire. La BCE subordonne en effet son aide monétaire ( y compris en faveur des banques ) à l’application d’une certaine politique ( budgétaire ) dans les états. En témoignent l’interprétation unilatérale de la stabilité des prix, les conditions fixées par courrier secret pour l’octroi d’une aide de liquidité d’urgence à l’Irlande en 2010, l’activation et la désactivation pour motifs politiques d’une fourniture de liquidités d’urgence aux banques grecques et l’exclusion de la Grèce du programme d’assouplissement quantitatif. On pourrait citer d’autres exemples encore. Le programme Outright Monetary Transactions, annoncé par Draghi en 2012 et pour l’heure toujours pas mis en application, prévoyant le rachat d’un nombre illimité d’obligations par la BCE, n’est disponible que pour les états qui se soumettent à la troïka via le MES. Les OMT sont selon le chercheur allemand, Christian Kreuder-Sonnen, un « sous-système légal autoritaire au sein du système économique de l’UE 28 ». L’Espagne et l’Italie n’ont pu bénéficier du programme SMP lancé en 2010 ( rachat limité d’obligations par la BCE ) qu’après avoir accepté les conditions qui leur avaient été imposées par courrier secret29. Dans tous les cas, la politique imposée de manière antidémocratique par la BCE vise à avantager les banques et les investisseurs. Et cela n’a rien de surprenant puisqu’il existe des liens étroits entre la BCE et le secteur de la finance. Que peuvent faire les partis de gauche contre cela ? Il convient tout d’abord de ne pas se leurrer sur le pouvoir et le rôle de la BCE. La BCE a les moyens de contrecarrer la politique sociale ( augmentation de l’impôt sur la fortune et les sociétés, diminution de l’impôt sur les salaires, plus grande sécurité sociale, augmentation des pensions ) et n’hésitera pas à le faire. Une politique de gauche est dès lors impossible sans que la possibilité de quitter la zone euro soit envisagée. Le gouvernement qui ne dispose pas d’une monnaie propre finira par se plier aux volontés de la troïka et de la BCE. Hélas, quitter la zone euro n’est pas une condition suffisante pour garantir une politique de gauche, y compris dans son propre pays. Le pays risque en effet de se retrouver sous le feu des critiques étrangères tant sur le plan juridique ( par les investisseurs), que sur le plan économique ( par le FMI et les multinationales ) et sur le plan politique ( par l’UE). Les grandes multinationales menaceront certainement de quitter le pays, des barrières commerciales seront érigées, et les poursuites juridiques se succèderont. Le tout coordonné par une opposition au niveau national, formé par les grandes entreprises et les banques. Ce n’est pas nouveau. Une politique sociale/socialiste ne peut être efficacement menée dans un seul pays, et encore moins dans des pays aussi petits que les Pays-Bas et la Belgique, coincés entre l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. L’alternative consiste à tenter de réformer la BCE. Or, il est impossible de réformer la BCE, du moins dans le sens de sa démocratisation. Le TFUE est pour ainsi dire immuable, tout changement nécessitant le consentement des 28 états membres ( y compris les états non membres de l’UEM). Et vu que la sphère d’influence de la BCE s’étend bien au-delà du domaine monétaire, où selon le TFUE elle est effectivement « indépendante » , et qu’elle dépasse par conséquent le mandat qui lui a été conféré par le traité, il est peu probable que la BCE se préoccupe d’éventuelles modifications apportées au traité30. Et si ce n’était pas le cas, les administrateurs de la BCE, nommés par le Conseil de l’Europe, ne pourront être démis de leur fonction par le Parlement européen puisque seule la Cour européenne de Justice peut éloigner un banquier de la BCE pour comportement abusif. La gauche se trouve donc dans une impasse. La BCE peut grâce au monopole qu’elle exerce sur les liquidités peut mettre à genoux n’importe quel gouvernement. Seules la démocratisation de la BCE ou la réintroduction d’une monnaie nationale pourront mettre fin à cette menace. Réformer la BCE semble impossible. Quitter la zone euro est dès lors la stratégie la moins repoussante, toutefois si la Belgique ou les Pays-Bas déclaraient vouloir faire cavalier seul, cela déclencherait tant sur le plan national qu’international une opposition politique, économique et juridique que les partis de gauche ne pourraient affronter. Pour l’heure il importe donc de révéler au grand jour la position antidémocratique de la BCE et de la troïka, d’être solidaire avec les pays qui en souffrent le plus et de ne pas succomber à la tentation de légitimer cette politique en participant à un gouvernement au sein duquel on sait d’avance que la gauche ne pourra pas faire grand-chose. Ce n’est peut-être pas beaucoup, mais c’est toujours mieux que rien.
    Article

    Est souverain celui qui contrôle la planche à billets

    David Hollanders

    Les pouvoirs de la Banque Centrale Européenne lui permettent aujourd’hui de mettre a genoux n’importe quel gouvernement.
    Mais peut-elle seulement être réformée ?

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