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Une histoire de la résistance palestinienne

Tanguy Masson

—17 novembre 2023

Dans les débats, beaucoup parlent d’un conflit entre le Hamas et Israël. Mais peut-on réellement limiter la situation et la résistance palestinienne à cette simple opposition ?

Le peuple palestinien vit depuis des années sous un régime d’apartheid1 et est aujourd’hui géographiquement divisé entre la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est2.

En Cisjordanie, l’apartheid prend la forme de 645 checkpoints israéliens3 pour se rendre au travail ou pour voir sa famille. Elle prend la forme d’un mur illégal qui découpe le paysage palestinien et sépare les paysans palestiniens de leurs terres cultivables. Elle prend la forme de la destruction de villages palestiniens pour y installer 279 colonies, illégales au regard du droit international, et 700.000 colons israéliens4. Elle prend la forme de la violence quotidienne de ces colons sous le regard des soldats israéliens5. Elle prend finalement la forme de 7000 prisonniers, parfois sans jugement, politiques palestiniens y compris 200 enfants6.

A Gaza, pas de colonie, mais une prison à ciel ouvert où l’accès aux biens les plus basiques comme l’eau, l’électricité et la nourriture dépend de la bonne volonté d’Israël qui peut, à tout moment, fermer les robinets.

Lorsque le moindre aspect de la vie du peuple palestinien est quotidiennement contrôlé par une armée d’occupation, la lutte devient nécessaire et légitime pour regagner sa dignité en tant que victime du dernier régime colonial au monde.

Et lors d’une lutte de libération coloniale, c’est l’occupant qui fixe les conditions et les formes de la lutte. Dans le cas de la Palestine, cette résistance est multiforme et a évolué à travers les époques.

L’histoire de la Palestine ou la nécessité de lutter contre l’injustice

L’histoire de la résistance palestinienne commence avant l’indépendance d’Israël en 1948.  Ce n’est cependant qu’après l’indépendance de cette dernière, ainsi qu’après la défaite de la coalition arabe lors de la première guerre arabo-israélienne, qu’elle s’organise sous les formes que nous connaissons aujourd’hui.

Suite à la défaite arabe, la résistance palestinienne va commencer à se développer dans les territoires palestiniens occupés. Ce n’est cependant qu’à partir de 1961 que la résistance va s’organiser en un mouvement uni. D’abord par la création du Fatah, parti nationaliste et laïc palestinien, mais surtout, en 1964, par la création de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), qui voit le jour grâce à l’initiative de la Ligue Arabe et à travers le projet panarabiste promu par le président égyptien Nasser. L’OLP vise la libération de la Palestine au sein de la patrie arabe, mais inclut également les juifs de Palestine comme citoyens à part entière7.

Lorsque le moindre aspect de la vie du peuple palestinien est quotidiennement contrôlé par une armée d’occupation, la lutte devient nécessaire et légitime.

En 1967, après sa création, le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), parti marxiste-léniniste, rejoint également l’OLP et reste jusqu’à aujourd’hui la deuxième plus grande force de l’organisation.

La même année Israël attaque l’Égypte avec l’accord préalable des États-Unis. Cette guerre sera connue sous le nom de guerre de six jours et se soldera par une nouvelle défaite arabe, Israël en profitant pour annexer le Sinaï, le Golan et la Cisjordanie. L’objectif premier des dirigeants israéliens était de contrer l’unité arabe et empêcher la création d’un grand état arabe.

La guerre du Kippour de 1973, également perdue par la coalition arabe va radicalement changer la donne. L’Égypte, défaite dans la guerre, se mettra à la table des négociations avec Israël. Elle regagne le contrôle du Sinaï en échange de la reconnaissance d’Israël. Cette reconnaissance brisera l’unité du camp arabe et sera le dernier clou sur le cercueil du panarabisme promu par Nasser. Pour le mouvement de résistance palestinien, cela signifie le passage d’une perspective de lutte panarabiste à une perspective avant tout palestinienne.

En 1987, alors que l’OLP continue sa lutte politique, ce sera finalement un mouvement spontané de la population palestinienne, l’Intifada (signifiant littéralement “soulèvement”) qui va rebattre les cartes dans la région et donner une nouvelle tournure au conflit.

Tanguy Masson est étudiant en Relations Internationales à l’ULB. Il est également activiste chez Intal, un mouvement de solidarité internationale belge.

Pendant six ans, les Palestiniens vont utiliser tous les outils à leur disposition pour chasser l’armée d’occupation : désobéissance civile, manifestations, grèves, jets de pierre contre les soldats, etc. Face à eux, un état violent et répressif qui déploiera tout son arsenal pour mettre fin à la mobilisation, sans succès. Pendant six ans, les Palestiniens connaissent donc une répression des plus brutale composée de couvre-feux, tortures physiques, déportations et arrestations sans procès.

En 1993, Israël, voyant que la répression n’arrive pas à mettre fin à la mobilisation, accepte de se mettre à la table des négociations avec l’OLP. Le résultat de ces négociations sera la reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP ainsi que la création d’une Autorité palestinienne (AP) ayant le contrôle de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Cette dernière sera divisée en trois zones donnant plus ou moins d’autonomie à l’Autorité palestinienne. Malgré tout, les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie vont continuer à fleurir dans les années qui suivront, passant de 116.300 colons en 1993 au double dix ans plus tard8.

Le Hamas, entre unité et division du mouvement palestinien

Dès lors, qu’en est-il du Hamas qui est aujourd’hui au centre des préoccupations? D’où vient-il ? Comment se positionne-t-il par rapport à l’OLP ? Mais surtout comment en est-il arrivé là où il en est aujourd’hui?

Le Hamas voit le jour dans les années 1980 à Gaza. À l’époque, les territoires palestiniens occupés étaient sous loi martiale et les partis politiques palestiniens étaient interdits. C’est pourquoi il verra d’abord le jour comme organisation religieuse islamiste, à priori apolitique, reliée aux Frères Musulmans d’Égypte.

C’est dans la tempête de la première Intifada, en 1987, que l’organisation va prendre un tournant différent et s’organiser en un parti politique antisioniste, antijuif, mais également anti-Fatah. Ce ne sera cependant qu’après les accords d’Oslo qu’elle va commencer à prendre de l’influence.

Tout d’abord parce qu’une grande partie des Palestiniens sont déçus de l’AP qui s’est avérée être un outil corrompu et incapable de régler les problèmes des Palestiniens, voir d’administrer la poursuite de l’apartheid. Cela va largement affecter la crédibilité du Fatah et de l’OLP. Ensuite, le FPLP est visé par une campagne de répression féroce qui limite grandement ses capacités à organiser les gens et  à leur proposer une alternative de gauche contre l’islamisme du Hamas et le colonialisme d’Israël. Enfin, les accords d’Oslo seront sabotés par des groupes sionistes d’extrême-droite qui iront jusqu’à commettre un massacre contre les Palestiniens à Hébron et assassiner Yitzhak Rabin, le premier ministre israélien ayant signé les accords. Le Hamas, quant à lui, s’oppose également aux accords et effectue une série d’attentats dans les années 1990. Cette situation tendue bénéficiera au parti de droite nationaliste israélien, le Likoud, qui remportera les élections générales de 1996.

Ainsi, alors que le Fatah est décrédibilisé et le FPLP maté, il n’est pas étonnant de voir le Hamas se développer jusqu’à remporter les élections législatives de l’AP à Gaza en 2006, 13 ans après les accords d’Oslo.

Nous ne devons donc pas tomber dans le piège d’analyser le conflit actuel comme un conflit entre le Hamas et Israël.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le développement du Hamas dans la bande de Gaza sera bien accueilli par le gouvernement de droite de Netanyahou qui voit d’un bon oeil la division du mouvement palestinien entre Hamas et Fatah. Le Hamas est également moins fréquentable que le Fatah ou l’OLP et sa présence en bande de Gaza permet à Israël de légitimer la prise de mesures répressives au lieu des négociations et de la désescalade. En 2015, lors d’une interview à la télévision israélienne, le député Bezalel Smotrich, aujourd’hui Ministre des Finances et président du Parti sioniste religieux, un parti d’extrême-droite du gouvernement Netanyahou, annonce que « Sur la scène internationale, l’Autorité palestinienne est un fardeau et le Hamas un atout. Je préfère que le Hamas gouverne la Cisjordanie. »9.

En 2019, le gouvernement israélien autorise le transfert de fonds du Qatar vers Gaza, décision très critiquée dans le pays car favorisant le financement du Hamas. Netanyahou répond là-dessus que « quiconque est contre un état palestinien devrait soutenir le financement Qataris »10.

Certaines forces israéliennes semblent donc avoir joué la division entre Fatah et Hamas, en laissant ce dernier se développer au détriment des autres partis historiques tels que le FPLP et le Fatah.

Aujourd’hui plus que jamais, unité et solidarité internationale

Ainsi, l’unité autour des droits inaliénables du peuple palestinien semble avoir été le premier facteur ayant permis aux Palestiniens de faire des avancées au fil du temps. L’unité du peuple palestinien, l’unité de l’OLP et l’unité du mouvement de solidarité internationale.

On aura besoin de cette unité si on veut arrêter la guerre d’agression actuelle que mène le gouvernement nationaliste d’extrême-droite de Netanyahou qui dirige Israël depuis 20 ans. Mais plus encore pour vaincre la logique profonde qui a toujours guidé l’État d’Israël, une logique coloniale, expansionniste et d’apartheid dont Netanyahou n’est finalement que le porte-parole.

Aujourd’hui nous ne devons donc pas tomber dans le piège d’analyser le conflit actuel comme un conflit entre le Hamas et Israël, ce serait effacer les racines profondes du conflit ainsi que la riche histoire de la résistance palestinienne.

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Footnotes

  1. Définition de l’Apartheid selon Amnesty International : Un système d’oppression et de domination d’un groupe racial sur un autre, institutionnalisé à travers des lois, des politiques et des pratiques discriminatoires. Par ailleurs, le crime d’apartheid suppose la commission d’actes inhumains, dans l’intention de maintenir cette domination.
  2. Sans compter les palestiniens vivant en Israël et dans la diaspora.
  3. UNOCHA, Fact Sheet: Movement and Access in the West Bank, August 2023 , 25 août 2023, consulté le 20 octobre 2023.
  4. ONU, Human Rights Council Hears that 700,000 Israeli Settlers are Living Illegally in the Occupied West Bank – Meeting Summary (Excerpts), 28 mars 2023, consulté le 20 octobre 2023.
  5. Nicolas Rouger, « En Cisjordanie, la guerre libère la violence des colons: “Ils ont échangé les pierres contre les balles” », La Libre, 21 octobre 2023, consulté le 1 novembre 2023.
  6. Addameer, Statistics of palestinian political prisoners, consulté le 6 novembre 2023.
  7. The Palestinian National Charter: Resolutions of the Palestine National Council, Conseil National Palestinien, juillet 1968, consulté le 25 octobre 2023
  8. Pierre Breteau,« Cinquante ans d’occupation illégale en- Cisjordanie : comment la colonisation n’a cessé de s’étendre », Le Monde, 22 novembre 2018, consulté le 24 octobre 2023
  9. https://www.youtube.com/watch?v=pB16PMEPuiM, 7 octobre 2015, consulté le 12 octobre 2023 & Gershom Gorenberg, « Netanyahu Led Us to Catastrophe. He Must Go. », The New York Times, 18 octobre 2023, consulté le 20 octobre 2023.
  10. Lahav Harkov,  « Netanyahu: Money to Hamas part of strategy to keep Palestinians divided »,The Jerusalem Post, 12 mars 2019, consulté le 12 octobre 2023.