Le 25 février 2021, le gouvernement chinois annonçait que l’extrême pauvreté avait été éradiquée en Chine. C’est l’aboutissement d’un long processus qui a débuté avec la révolution chinoise de 1949.
Les bases ont été posées au cours des premières décennies de la construction socialiste, puis approfondies pendant la période de réforme et d’ouverture. Dans ce laps de temps, 850 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté. 70% de la réduction totale de la pauvreté dans le monde a eu lieu en Chine. Au cours de la dernière phase «ciblée», qui a débuté en 2013, le gouvernement chinois a dépensé 1 600 milliards de yuans (246 milliards de dollars) pour construire 1,1 million de kilomètres de routes rurales, amener Internet dans 98% des villages pauvres, rénover 25,68 millions logements et en construire 9,6 millions. Depuis 2013, des millions de personnes, des entreprises publiques et privées et de larges secteurs de la société se sont mobilisés pour que les 98,99 millions d’habitants restants provenant de 832 comtés et 128 000 villages sortent de la pauvreté absolue1.
En 2019, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré: «Chaque fois que je visite la Chine, je suis stupéfait par la rapidité des changements et des progrès réalisés. Vous avez créé l’une des économies les plus dynamiques du monde, tout en aidant plus de 800 millions de personnes à sortir de la pauvreté: c’est la plus grande réussite de l’Histoire en matière de lutte contre la pauvreté2.»
Tandis que la Chine luttait contre la pauvreté, le reste du monde, en particulier les pays du Sud, régressait. Selon les Nations unies, en dehors de la Chine, on assiste à une inversion de la tendance: en 2020, plus de 71 millions de personnes (majoritairement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud) sont retombées dans la pauvreté, ce qui constitue la première augmentation de la pauvreté dans le monde depuis 19983. On estime que la crise économique, accélérée par la pandémie, fera basculer 251 millions de personnes dans l’extrême pauvreté d’ici à 2030, ce qui en portera le nombre total à plus d’un milliard4. Le fait que la Chine ait réussi à combattre la pauvreté dans une telle période n’est ni un miracle ni une coïncidence, mais bien le reflet de son engagement socialiste. Cela contraste avec l’indifférence des sociétés capitalistes aux besoins des personnes pauvres et des classes travailleuses, dont la situation n’a cessé d’empirer pendant la pandémie.
- 1 Répondre aux besoins de la population pour une vie meilleure
- 2 Théorie et pratique de la lutte contre la pauvreté
- 3 Réduction ciblée de la pauvreté
- 4 Qui se charge de la mobilisation?
- 5 Un front uni pour réduire la pauvreté
- 6 Méthodologie: comment la Chine réduit la pauvreté?
- 7 Les défis et la voie à suivre
Répondre aux besoins de la population pour une vie meilleure
Ma mère a travaillé très dur pour financer les études de ses trois enfants. Elle-même n’a pas été au-delà de la deuxième année de primaire et a commencé à travailler peu après en vendant des légumes. On mangeait seulement du gruau de maïs, jamais de riz.
He Ying, présidente de la Fédération des femmes de Chine.
La mère de He Ying, une cadre du parti, a soixante-neuf ans, soit à peine trois ans de moins que la révolution chinoise. Sa vie retrace la lutte contre la pauvreté que le pays a entreprise, toutes générations confondues. Quelques jours avant la proclamation officielle de la République populaire de Chine (RPC), le 1er octobre 1949, le président Mao Zedong déclarait ceci: «Le peuple chinois, qui représente un quart de l’humanité, s’est levé5.» La libération nationale de la Chine est intervenue après un «siècle d’humiliation» aux mains des puissances coloniales européennes, suivi d’une guerre civile sanglante avec les forces nationalistes et de quatorze années de résistance contre le fascisme japonais qui avaient coûté la vie à 35 millions de Chinois6. Le parti nationaliste, les seigneurs de la guerre et les propriétaires féodaux avaient alors privilégié leurs intérêts de classe au détriment du bien-être du peuple et du pays.
La réduction de la pauvreté en Chine s’est appuyée sur la combinaison de la «main visible» et de la «main invisible».
La Chine était alors passée du statut de première économie mondiale à celui de onzième nation la plus pauvre du monde. Alors qu’elle représentait un tiers de l’économie mondiale au début du 19e siècle, son PIB est tombé à moins de 5% au moment de la fondation de la RPC. Lorsque les communistes sont arrivés au pouvoir, ils ont dû s’atteler au défi d’inverser le déclin économique et social du pays, en commençant par répondre aux besoins fondamentaux des paysans et des ouvriers.
De 1949 à 1976, sous la direction de Mao, le gouvernement chinois s’est employé à améliorer la qualité de vie de sa population, qui est alors passée de 542 à 937 millions d’habitants7. Au cours des premières années de cette période, il a organisé le transfert de la propriété privée des moyens de production en propriété publique ainsi que la redistribution des terres des propriétaires fonciers et des seigneurs de guerre aux paysans pauvres. En 1956, 90% des paysans du pays possèdent un lopin de terre à cultiver, 100 millions de paysans sont organisés en coopératives agricoles et l’industrie privée est concrètement abolie. Les communes populaires organisent la propriété collective de la terre et des moyens de production et distribuent la richesse collective, ce qui a permis d’investir les surplus agricoles dans le développement industriel et le bien-être social8.
Au cours de la période de vingt-neuf ans précédant la réforme (1949-1978), l’espérance de vie a augmenté de trente-deux ans: chaque année, plus d’une année a donc été ajoutée à la vie du Chinois moyen. En 1949, la population comptait 80% d’analphabètes, pourcentage qui, en moins de trois décennies, a été ramené à 16,4% dans les zones urbaines et à 34,7% dans les zones rurales; le taux de scolarisation des enfants en âge d’aller à l’école est passé de 20 à 90% et le nombre d’hôpitaux a triplé. La décentralisation des systèmes de santé et d’éducation des centres urbains élitistes vers les zones rurales pauvres a été un élément clé de ce processus, avec notamment la création de collèges destinés aux ouvriers et aux paysans et l’envoi de millions de médecins dans les campagnes. Des avancées significatives ont été réalisées en termes de participation des femmes à la société, grâce à l’abolition des coutumes matrimoniales patriarcales et à l’amélioration de l’accès à l’enseignement, aux soins de santé et à la garde des enfants9.
De 1952 à 1977, le taux de croissance annuel moyen de la production industrielle était de 11,3%10. En termes de capacité de production et de développement technologique, la Chine, qui était encore incapable de fabriquer une voiture sur son territoire en 1949, a envoyé son premier satellite dans l’espace en 1970. Il est alors devenu évident que l’économie chinoise avait besoin d’une injection de technologies et de capitaux et qu’elle devait sortir de son isolement et entrer sur le marché mondial. Comme l’écrira plus tard le dirigeant chinois Deng Xiaoping, «le paupérisme n’est pas le socialisme, et encore moins le communisme11». Le gouvernement a alors introduit une série de réformes économiques, notamment l’ouverture de l’économie au marché mondial, mais le secteur public est resté prépondérant et libre de tout contrôle étranger.
Entre 1978 et 2017, l’économie chinoise a progressé à un rythme inédit dans l’Histoire, avec un taux de croissance annuel moyen de 9,5%12. On soulignera toutefois que la croissance économique n’a pas été une fin en soi, mais un moyen d’améliorer la vie de la population: entre 1978 et 2011, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue est passé de 770 millions (80% de la population) à 122 millions (9,1%), sur la base d’un seuil de pauvreté établi à 2 300 yuans par an13.
Cette croissance économique rapide a toutefois entraîné des coûts environnementaux et sociaux importants. La migration massive vers les villes a creusé l’écart entre les zones rurales et les zones urbaines, et l’accent mis sur les industries de la côte orientale a laissé les régions occidentales et centrales fortement sous-développées. Selon la Banque mondiale, le coefficient de Gini de la Chine (une mesure de l’inégalité basée sur le revenu) est passé de 29% en 1981 à 49% en 2007, pour retomber à 47% en 201214. Sur le plan social, cette période s’est traduite par un accès inégal à des services publics tels que les pensions, la sécurité sociale, l’enseignement et les soins de santé. Sur le plan environnemental, ce développement rapide a fait des ravages sur la qualité de l’air, de l’eau et du sol du pays.
Trois millions de cadres soigneusement sélectionnés ont été déployés dans des villages pauvres pour former 255 000 équipes constituées de résidents.
Il est donc logique que la lutte contre les inégalités soit devenue une des tâches principales de la présidence de Xi Jinping (depuis 2013). En 2017, lors du dix-neuvième Congrès du PCC, qui a lieu une fois tous les cinq ans et détermine les objectifs de la politique nationale et l’élection des hauts dirigeants, Xi a évoqué comme suit la nouvelle ère du socialisme et, avec elle, l’évolution de la principale contradiction à laquelle est confrontée la société chinoise :
«La contradiction principale à laquelle fait face la société chinoise a évolué, alors que le socialisme à la chinoise est entré dans une nouvelle ère. […] C’est celle entre l’aspiration croissante de la population à une vie meilleure et un développement déséquilibré et insuffisant. La Chine a répondu aux besoins fondamentaux de plus d’un milliard de ses citoyens, a garanti en général une vie décente à son peuple et réalisera bientôt l’édification intégrale de la société de moyenne aisance. Les besoins pour une vie meilleure se diversifient, et la population devient de plus en plus exigeante non seulement à l’égard de la vie matérielle et culturelle, mais aussi de la démocratie, de la légalité, de l’équité, de la justice, de la sécurité et de l’environnement… Alors que les forces productives sociales en Chine se trouvent dans leur ensemble à un niveau beaucoup plus élevé et que notre pays est au premier rang mondial dans de nombreux domaines en termes de capacités de production, le problème du développement déséquilibré et insuffisant se pose avec acuité et est considéré de surcroît comme le principal handicap pour satisfaire l’aspiration croissante de la population à une vie meilleure15.»
La période de réforme et d’ouverture est donc considérée comme la condition préalable à l’édification d’un pays socialiste moderne. C’est au cours de cette période que deux des trois objectifs stratégiques officiels ont été atteints: satisfaire les besoins fondamentaux de la population et lui assurer un niveau de vie décent. Au cours des années qui ont suivi le discours de Xi, la poursuite de la réduction de la pauvreté et l’assurance que tous les pauvres entrent bien dans une «société de moyenne aisance» (xiaokang) constituent l’étape finale d’une période pendant laquelle la Chine a mobilisé sa population (en particulier les personnes pauvres elles-mêmes), ainsi que le gouvernement et le marché, pour éliminer l’extrême pauvreté, marquant ainsi une phase clé de la transition vers le socialisme.
Théorie et pratique de la lutte contre la pauvreté
Cette éradication de l’extrême pauvreté a une dizaine d’années d’avance sur l’agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable, qui a fixé comme principal objectif «l’éradication de la pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, y compris l’extrême pauvreté16».
Bien que ce soit au cours de la phase de croissance économique rapide que des millions de Chinois sont sortis de la pauvreté, la croissance à elle seule ne suffit pas à expliquer cette réussite. Le concept global de réduction ciblée de la pauvreté (officiellement engagé en 2015 et achevé fin 2020) a été élaboré et innové sur la base de décennies d’expériences nationales et internationales. «La réduction de la pauvreté en Chine, résume Justin Yifu Lin, économiste en chef de la Banque mondiale, est une stratégie axée sur la croissance et pilotée par le gouvernement, qui repose sur la combinaison de l’aide sociale et des efforts des paysans eux-mêmes. Elle se caractérise par un modèle créateur d’énergie et orienté vers le développement, et elle garantit les besoins de base grâce à la sécurité sociale». Il souligne le rôle de leadership du gouvernement: «Contrairement au reste du monde, le gouvernement chinois a joué un rôle crucial. La seule intervention du marché n’aurait pas permis d’éradiquer la pauvreté si le gouvernement n’avait pas accordé une telle attention à ce problème.» En d’autres termes, au cours de cette phase ciblée, la réduction de la pauvreté en Chine s’est appuyée sur la combinaison de la «main visible» et de la «main invisible», ainsi que sur la mobilisation de vastes secteurs de la société.
Le programme chinois de réduction ciblée de la pauvreté peut se résumer en un slogan: un revenu, deux assurances et trois garanties. En ce qui concerne le revenu, le seuil de pauvreté international est fixé par la Banque mondiale à 1,90 dollar par jour, mesuré aux prix de 2011 et basé sur le seuil de pauvreté moyen des quinze pays les plus pauvres du monde. En Chine, ce seuil a été relevé pour la dernière fois à 2 300 yuans par an en 2011 (fixé aux prix de 2010), ce qui représente 2,30 dollars par jour lorsqu’il est ajusté à la parité de pouvoir d’achat, dépassant ainsi le seuil de la Banque mondiale. Ajusté aux prix de 2020, le revenu minimum annuel est de 4 000 yuans, tandis que le revenu par habitant dans le cadre du programme de réduction ciblé de 10 740 yuans par an est beaucoup plus élevé17.
Outre le revenu minimum, le programme chinois de réduction de la pauvreté garantit le respect de cinq autres indicateurs: les «deux assurances» en matière de nourriture et de vêtements et les «trois garanties» de services médicaux de base, de logements sûrs avec eau potable et électricité, et d’un enseignement gratuit et obligatoire, qui dure neuf ans.
Réduction ciblée de la pauvreté
Le programme de réduction ciblée de la pauvreté a été présenté pour la première fois en novembre 2013 lors de la visite du président Xi dans le village de Shibadong, dans la province du Hunan. Xi a conseillé ainsi les autorités locales: «On ne tue pas une puce avec une grenade.» Il leur a dit de procéder plutôt comme une brodeuse face à un motif complexe de broderie. Cette approche a été mise en œuvre en 2015 en tant que stratégie gouvernementale et articulée autour de quatre questions: qui doit-on sortir de la pauvreté? Qui va s’en charger? Quelles mesures faut-il prendre? Comment évaluer la situation afin de s’assurer que les gens ne retombent pas dans la pauvreté?
Dans un pays de 1,4 milliard d’habitants, identifier les pauvres est une tâche herculéenne. Consciente des limites d’une méthode statistique fondée sur des échantillons de données, la Chine s’est orientée vers un système d’identification des ménages permettant de connaître chaque pauvre, sa situation et ses besoins. Pour ce faire, le gouvernement a combiné l’envoi de personnes dans les villages, la pratique de la démocratie de proximité et le déploiement de technologies numériques. En 2014, 800 000 cadres du Parti ont été formés pour aller enquêter sur chaque foyer du pays, ce qui a permis d’identifier 89,62 millions de pauvres dans 29,48 millions de foyers et 128 000 villages. Plus de deux millions de personnes ont ensuite été chargées de vérifier les données, puis de retrancher les cas identifiés de manière inexacte et d’en ajouter de nouveaux18.
Des ateliers de lutte contre la pauvreté ont contribué à presque tripler le revenu par habitant des ménages pauvres de 2015 à 2019.
Si le revenu est le premier facteur déterminant, le logement, l’éducation et la santé entrent aussi en ligne de compte pour établir la liste des «ménages pauvres». Les comités de village, les autorités cantonales et les villageois eux-mêmes ont été mobilisés pour évaluer la situation de chaque ménage. Des réunions publiques d’évaluation démocratique, par exemple, ont été organisées pour faciliter les discussions entre les membres de la communauté sur la situation de chaque famille et sur l’opportunité de la retirer ou de l’ajouter à la liste d’enregistrement des personnes pauvres19. Ce processus de terrain a été couplé à la création d’un système avancé d’information et de gestion, qui couvre toutes les parties du processus et qui est utilisé pour suivre la situation de chacun des près de 100 millions d’individus. Ce système facilite la circulation des informations entre les services gouvernementaux et permet d’identifier les tendances et les causes majeures de pauvreté20. La mobilisation de la population et l’obtention du soutien du public sont au cœur des efforts déployés pour mener à bien ce travail.
Qui se charge de la mobilisation?
En juin 2021, le PCC comptait plus de 95,1 millions de membres. Si le PCC était un pays, il serait le seizième pays le plus peuplé du monde.
La phase ciblée de réduction de la pauvreté a nécessité de créer une relation de confiance entre le Parti et la population rurale, ainsi que le renforcement de l’organisation du Parti au niveau de la base. Les secrétaires du Parti ont été chargés de superviser la lutte contre la pauvreté à cinq niveaux de gouvernement, de la province au village en passant par la ville, le comté et le canton. Trois millions de cadres soigneusement sélectionnés ont notamment été déployés dans des villages pauvres pour former 255 000 équipes constituées de résidents21. Vivant dans des conditions modestes pendant généralement un à trois ans, les équipes ont travaillé aux côtés de paysans pauvres, de fonctionnaires locaux et de bénévoles jusqu’à ce que chaque ménage soit sorti de la pauvreté. Au cours de ce processus, de nombreux cadres n’ont pas pu rentrer chez eux pour rendre visite à leurs familles pendant de longues périodes. Certains sont tombés malades dans les conditions naturelles difficiles des zones rurales et plus de 1 800 membres du Parti et fonctionnaires ont perdu la vie22. Les premières équipes ont été envoyées en 2013; en 2015, tous les villages pauvres avaient une équipe résidente, et chaque ménage pauvre avait un cadre assigné pour l’aider à s’en sortir23. Fin 2020, l’objectif d’éliminer l’extrême pauvreté avait été atteint.
Liu Yuanxu fait partie des secrétaires du Parti qui ont été envoyés en 2018 à Danyang, un village de 2 855 habitants dans la province du Guizhou (sud-ouest). Liu décrit son arrivée à Danyang, dont il ne parle pas le dialecte local, et où 137 des 805 ménages du village ont été identifiés comme pauvres. Il était l’un des 52 cadres affectés au village, chacun avec des responsabilités différentes. Il nous parle de son travail au quotidien :
J’étais responsable de cinq ménages pauvres, aujourd’hui de quatre car il y a eu un décès. À l’époque, je rendais visite à chaque famille sur un vélo électrique et je m’occupais de tout. Je suis resté en contact avec les jeunes sur WeChat et avec les anciens par téléphone. Ils pouvaient m’appeler pour n’importe quoi. Je suis allé dans chaque groupe de villageois pour voir qui allait bien me recevoir et qui allait me créer des difficultés. J’ai résolu les problèmes en buvant un verre et en discutant avec les villageois qui s’entendent maintenant très bien avec moi. Aujourd’hui, le gouvernement tient un registre des ménages pauvres, des ménages marginaux et des ménages clés. Les outils numériques aident le gouvernement à savoir si les gens tombent malades ou si ceux qui sont en mesure de travailler ont un emploi. Nous rendons également visite aux villageois tous les mois pour mieux comprendre la réalité de leur situation.
Contrairement à des modèles qui s’appuient largement sur des organisations non gouvernementales et sur l’aide internationale, le programme chinois de réduction de la pauvreté tire sa force de la mobilisation de ses citoyens. Des cadres comme Liu sont le lien essentiel permettant la mise en œuvre de la politique gouvernementale ainsi que la compréhension de la situation et des demandes concrètes de la population. Les plus de dix millions de cadres et de fonctionnaires qui se sont mobilisés dans les campagnes ont joué un rôle clé pour renforcer le soutien et la confiance de la population dans le Parti et le gouvernement.
Un front uni pour réduire la pauvreté
Le gouvernement a encouragé la collaboration entre la partie orientale du pays, industrialisée, et les régions occidentales, moins développées, afin d’homogénéiser le développement dans l’ensemble du pays. Ge Wen est originaire de la ville de Suzhou, dans l’est du pays, où elle est directrice adjointe des ventes pour une entreprise culturelle et touristique. L’entreprise pour laquelle Ge travaille a été associée à un village isolé de la province de Guizhou, dans le sud-ouest de la Chine, pour y développer un centre d’écotourisme et stimuler le secteur touristique. Ge fait partie des huit employés désignés par l’entreprise pour déménager de Suzhou et mener à bien ce projet. La tâche ne fut pas aisée. Outre le fait qu’elle n’est pas rentrée souvent chez elle durant les trois années de son mandat, elle a dû faire face à des différences culturelles, linguistiques et climatiques. «Je ne suis pas habituée à l’humidité», nous a-t-elle confié; en effet, dans les montagnes du Guizhou, il peut pleuvoir pendant des mois.
Au-delà du soutien du Parti et de la population, la campagne de réduction de la pauvreté a mobilisé de larges secteurs de la société dans un front de solidarité. «Il faut mobiliser tout le Parti, tout le pays et toute la société, afin d’apporter une assistance ciblée aux démunis et de réaliser l’élimination ciblée de la pauvreté», a déclaré le président Xi dans son discours au dix-neuvième Congrès national. «Nous nous attacherons en particulier à aider les gens à prendre confiance dans leur propre capacité à sortir de la pauvreté.»
L’objectif de parvenir à une prospérité commune en attendant que ceux qui s’enrichissent – en particulier dans les zones côtières orientales industrialisées – tirent les autres vers le haut est un élément central de cette approche, qui se trouve au cœur de la citation de Deng, souvent mal interprétée: «Que quelques-uns s’enrichissent d’abord.» La campagne de lutte contre la pauvreté a suivi ce principe et elle a utilisé une stratégie de mobilisation de masse destinée à établir une coopération est-ouest, rappelant celle de l’ère Mao. De 2015 à 2020, neuf unités administratives au niveau des provinces de l’est, représentant 343 comtés, ont investi 100,5 milliards de yuans dans l’aide gouvernementale et sociale aux régions de l’ouest, mobilisé plus de 22 000 entreprises locales pour investir 1,1 milliard de yuans supplémentaires et échangé 131 000 fonctionnaires et personnels techniques24.
En 2013, la ville de Tongren, dans la province du Guizhou (sud-ouest), a été jumelée avec Suzhou, le centre économique de la province côtière orientale du Jiangsu. Les échanges menés dans le cadre de cette coopération ont été de nature économique, infrastructurelle, éducative et technique. D’avril 2017 à 2020, Suzhou a fourni 1,71 milliard de yuans d’aide financière et 240 millions de yuans d’aide sociale pour mettre en œuvre 1 240 projets. En outre, 285 entreprises orientales ont développé des projets à Tongren, investissant 26,41 milliards de yuans et créant des emplois pour 44 400 personnes. Durant ce processus, 19 parcs industriels et agricoles ont été créés et des projets ciblés ont engendré une croissance de 30% du tourisme local. Pour approfondir les échanges politiques et éducatifs, 5 345 cadres du Parti, fonctionnaires et personnels techniques ont été transférés de Suzhou à Tongren, y compris le maire-adjoint de Tongren, Zha Yingdong, qui a dirigé les opérations25. Par le biais de la campagne «Dix mille entreprises aident dix mille villages», 127 000 entreprises privées ont participé au soutien de 139 100 villages pauvres qui a bénéficié à 18 millions de personnes26.
Parallèlement, 94 entreprises d’État ont investi plus de 13,5 milliards de yuans dans 246 comtés, mettant en œuvre près de 10 000 projets d’assistance. L’armée a aidé 924 000 personnes dans 4 100 villages pauvres et contribué à la construction d’écoles, d’hôpitaux et de projets industriels spéciaux. Le ministère de l’Éducation a organisé la participation à la campagne de 44 collèges et universités, qui ont mené des projets de recherche et ont envoyé des équipes d’experts et de formateurs dans les domaines de l’agriculture, de la santé, de la planification urbaine et rurale, et de l’éducation, entre autres.
Le nombre de personnes ayant suivi un enseignement supérieur a presque doublé, passant de 8 930 à 15 467 pour 100 000 habitants entre 2010 et 2020.
L’une de ces collaborations, appelée l’expérience Hebian27, a amené des experts et des étudiants universitaires dans le village de Hebian, dans la province du Yunnan, où vit une communauté composée principalement de membres de la minorité ethnique Yao. Dirigée par Li Xiaoyun, professeur titulaire à l’université agricole de Chine, l’équipe a participé à la recherche, à la collecte de fonds et à l’élaboration de projets touristiques, éducatifs et agricoles visant à accroître et à diversifier les revenus de la communauté. Dans un entretien qu’il nous a accordé, Li Xiaoyun a commenté cette mobilisation de masse :
Il est très difficile pour les personnes extérieures à la Chine de comprendre la campagne de réduction de la pauvreté de ces huit dernières années, notamment la façon dont elle a été organisée et encore plus particulièrement la remarquable mobilisation de tous. La question la plus difficile qu’un ami m’a posée était la suivante: «Comment le gouvernement a-t-il pu convaincre tout le monde de contribuer matériellement et de se rendre dans les régions pauvres? » […] La société chinoise est différente des sociétés occidentales car elle est fondée sur le collectif et non sur l’individu. Cela se reflète dans la manière dont la société est organisée et c’est dû aux institutions politiques spéciales propres à la Chine. Le gouvernement travaille avec des organisations sociales, où les réseaux politiques et sociaux fusionnent en un tout, constituant ainsi une force dirigeante, organisée verticalement et horizontalement, qui permet à chacun de s’impliquer dans une campagne sociale.
En bref, le programme de réduction de la pauvreté a touché pratiquement tous les pans de la société. La victoire contre l’extrême pauvreté ne peut donc être considérée comme un programme adopté par le Parti et par le gouvernement de façon isolée. Elle doit plutôt être considérée comme une mobilisation de masse qui a utilisé des méthodes diverses, décentralisées et à une échelle sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Méthodologie: comment la Chine réduit la pauvreté?
Cinq méthodes clés ont été développées pour sortir les pauvres de la pauvreté ou, plus exactement, pour les aider à s’en sortir par eux-mêmes: l’industrie, la relocalisation, la compensation écologique, l’éducation et l’assistance sociale.
L’industrie
La première de ces méthodes consiste à développer la production locale en permettant aux populations pauvres d’accéder aux financements (prêts, subventions et microcrédits), aux formations techniques, aux équipements et aux marchés. Ce programme a touché 98% des ménages pauvres et a permis d’établir 300 000 bases industrielles pour la production agricole ainsi que pour l’élevage et pour la transformation des produits animaux dans chacun des 832 comtés pauvres. Plus de 22 millions de pauvres ont trouvé un emploi dans ces bases et plus de 13 millions dans des entreprises rurales. Des ateliers de lutte contre la pauvreté (petits centres de production organisés sur des friches ou chez les gens) ont contribué à presque tripler le revenu par habitant des ménages pauvres de 2015 à 2019, pour atteindre 9 808 yuans par an28. Cela a aussi permis de développer de nouveaux modèles de lutte contre la pauvreté, liés au tourisme et à l’économie verte.
Les transferts et les réimplantations
Atule’er est un village situé dans les montagnes de la province du Sichuan dont les origines remontent à la dynastie Yuan (1271-1368), lorsqu’il était jugé stratégique de cultiver dans les montagnes en temps de guerre. Situé à 1 400 mètres d’altitude, le village n’était encore récemment accessible qu’au moyen de 800 mètres d’échelles en rotin qui pendaient du bord d’une falaise. Les trajets vers les écoles, les marchés locaux, les services de santé et les transports en commun étaient longs et dangereux. Il y a quatre ans, le gouvernement a dépensé un million de yuans pour remplacer l’échelle par une structure en acier plus sûre. Quatre-vingt-quatre familles d’Atule’er s’y sont réinstallées en mai 2020 pendant la campagne de lutte contre la pauvreté29.
Pour d’autres familles qui vivent dans des régions extrêmement isolées ou exposées à de fréquentes catastrophes naturelles, il est quasiment impossible de briser le cycle de la pauvreté sans se déplacer vers des environnements plus habitables. Au total, 9,6 millions de personnes (soit environ 10% des personnes sorties de la pauvreté) ont quitté les zones rurales pour s’installer dans des communautés urbaines nouvellement construites. De nouveaux logements y ont été construits ainsi que 6 100 écoles maternelles, primaires et secondaires. De plus, 12 000 hôpitaux et centres de santé communautaires, 3 400 établissements de soins pour personnes âgées et 40 000 centres et lieux culturels y ont été construits ou agrandis.
Le principal défi lors de la transition de la campagne à la ville est de trouver un emploi. Pour ce faire, le gouvernement a développé des programmes de formation et de nouvelles industries. En conséquence, 73,7% de toutes les personnes relocalisées qui sont en mesure de travailler ont trouvé un emploi, ce qui touche 94,1% des familles relocalisées.
La compensation écologique
La conservation et la restauration écologiques, en particulier dans les zones identifiées comme pauvres, ont figuré parmi les principales méthodes de lutte contre la pauvreté, principalement grâce à leur faculté à créer des emplois dans le secteur écologique. Depuis 2013, 4,97 millions d’hectares de terres agricoles dans les régions pauvres ont été restaurés en forêts ou en prairies. Au cours de ce processus, 1,1 million de personnes pauvres ont été employées comme gardes forestiers, tandis que 23 000 coopératives de lutte contre la pauvreté et équipes de reboisement ont été formées30. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre des efforts continus de la Chine en matière d’écologie au cours des deux dernières décennies, efforts entrepris non seulement par le gouvernement, mais aussi par des initiatives du secteur privé. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Chine se classe comme leader mondial du reboisement et représentait 25% de la croissance totale de la surface foliaire entre 1990 et 202031.
L’éducation
L’éducation a joué un rôle central pour rompre le cycle de la transmission de la pauvreté d’une génération à l’autre. Pour garantir le volet éducatif du programme, des efforts conséquents ont été faits pour s’assurer que les 200 000 enfants en décrochage scolaire issus de familles pauvres (en 2013) bénéficient d’un soutien adéquat en vue de leur retour à l’école. En 2020, 99,8% des écoles primaires et secondaires chinoises répondaient aux exigences éducatives de base, et 95,3% des écoles bénéficiaient d’une connexion à Internet et de salles de classe multimédias. D’importants programmes de financement gouvernementaux ont permis d’offrir une assistance éducative à 640 millions de personnes et d’améliorer l’alimentation dans les écoles, au bénéfice de 40 millions d’élèves chaque année32.
La formation d’éducateurs de qualité était également une priorité: 950 000 enseignants ont été recrutés par le biais du programme de postes spéciaux afin d’enseigner dans des zones défavorisées une fois leur diplôme obtenu. Le programme national de formation a permis d’ajouter 17 millions d’enseignants supplémentaires dans les régions centrales et occidentales rurales moins développées, dont 190 000 ont été envoyés spécifiquement dans les régions pauvres et dans les zones de minorités ethniques isolées. Conformément à la tradition socialiste, ces efforts permettent aux jeunes d’acquérir une connaissance directe de la vie à la campagne, tout en formant la prochaine génération d’éducateurs.
Ces progrès sur le plan éducatif se sont reflétés non seulement dans les villages, mais aussi dans tout le pays. Lors du septième recensement national de 2020, le nombre moyen d’années d’études est passé de 9,08 à 9,91, tandis que le nombre de personnes ayant suivi un enseignement supérieur a presque doublé, passant de 8 930 à 15 467 pour 100 000 habitants entre 2010 et 202033. Le profil des personnes pouvant accéder à l’enseignement supérieur a également évolué. Selon l’enquête sur les étudiants chinois de l’université Tsinghua, entre 2011 et 2018, plus de 70% de tous les étudiants de première année dans les universités chinoises étaient les premiers de leur famille à fréquenter l’université, et près de 70% de ces étudiants provenaient de zones rurales34. Dans le Global Gender Gap Report 2020 du Forum économique mondial, la Chine se classait au premier rang en ce qui concerne les inscriptions de femmes dans l’enseignement supérieur, ainsi que dans la proportion de travailleuses professionnelles et techniques35.
La dernière des cinq méthodes employées était axée sur la mise à disposition d’aides sociales. Le premier filet de sécurité sociale de la Chine remonte au système de garantie du minimum vital urbain (dibao) de Shanghai mis en place en 1993, étendu à toutes les zones urbaines en 1999 et aux zones rurales en 200736. Dans le cadre de ce programme, tout ménage dont le revenu par habitant était inférieur au seuil de pauvreté local avait le droit de demander une aide sociale. Ce programme est considéré comme le plus grand programme d’assistance sociale en espèces au monde37. Le dibao a été complété par d’autres programmes pour l’éducation, les soins de santé, le logement, les handicaps et l’aide temporaire, tandis qu’un système de retraite a été mis en place dans les zones rurales en 2009 et dans les zones urbaines en 2011.
L’allocation de subsistance rurale est passée de 2 068 yuans à 5 962 yuans par an entre 2012 et 202038; 9,36 millions de personnes ont bénéficié soit de ces fonds, soit des fonds d’aide à l’extrême pauvreté, et 60,98 millions de personnes reçoivent une pension de base. Ces programmes englobent pratiquement tous les habitants des zones rurales et les chômeurs des zones urbaines39.
Cependant, le système social chinois est soumis à de fortes pressions. Confrontée à la baisse du taux de natalité (1,3 enfant par femme selon le dernier recensement) et au vieillissement de la société, la Chine a enregistré l’an dernier son premier déficit en matière d’assurance sociale. Le nombre d’aînés (personnes âgées de plus de 60 ans) devrait atteindre 300 millions d’ici 2025, et la population chinoise devrait commencer à diminuer d’ici 2050. La Chine procède actuellement à des réformes du système de retraite des travailleurs urbains afin de combler le déficit des retraites, qui pourrait atteindre 8 000 milliards de yuans au cours de la prochaine décennie40.
Étant donné que la maladie et la mauvaise santé sont des facteurs importants de la pauvreté rurale, l’amélioration de l’offre des soins de santé dans les campagnes a été un élément clé du programme. 1 007 grands hôpitaux ont été jumelés avec 1 172 hôpitaux de comté, qui ont envoyé 118 000 professionnels de santé mettre en place 53 000 projets dans tout le pays. Ces médecins ont traité 55 millions de patients externes et effectué 1,9 million d’actes chirurgicaux. Parallèlement, 60 000 étudiants en médecine ont reçu une formation gratuite en échange d’un poste dans des institutions médicales rurales une fois leur diplôme obtenu41.
Mesurer la réduction de la pauvreté
Des étudiants et des professeurs de l’université de Chongqing ont parcouru 300 kilomètres pour se rendre dans la région rurale du Sichuan. Ils ont été formés et chargés par le gouvernement d’évaluer les succès et les échecs des efforts locaux de réduction de la pauvreté. Ils effectuent des contrôles aléatoires: ce n’est que la veille de leur inspection qu’ils en informent les responsables locaux des villages. Les étudiants se rendent alors dans les foyers, enregistrent leurs réponses au questionnaire dans une application centralisée, examinent les relevés bancaires et les certificats d’évaluation des logements, étudient les conditions de logement et vérifient si les indicateurs ont été respectés42.
La réalisation d’un programme de cette envergure nécessite un système sophistiqué de contrôles et d’équilibrages à tous les niveaux et dans toutes les régions. Depuis 2016, une évaluation est réalisée chaque année au niveau national, sous la direction du Bureau pour la réduction de la pauvreté du Conseil d’État, du Département de l’organisation centrale et des unités membres du Groupe directeur du Conseil d’État pour la réduction de la pauvreté et pour le développement43. Leur tâche consiste à évaluer l’efficacité de la réduction de la pauvreté dans une zone donnée, notamment en confirmant l’exactitude des informations sur les ménages, l’adéquation des mesures prises et l’utilisation appropriée des fonds, parmi d’autres facteurs. L’évaluation s’effectue de trois façons: l’évaluation interprovinciale croisée, l’évaluation par des tiers et le suivi social.
Évaluation croisée interprovinciale. Vingt-deux provinces du centre et de l’ouest de la Chine ont signé un accord dont le but est d’examiner mutuellement leur travail, leurs progrès et la crédibilité de leurs résultats44. Chaque province envoie des dizaines de cadres du Parti pour effectuer des évaluations sur place afin de vérifier si les ménages ont été correctement ajoutés ou retirés de la liste, si une assistance adéquate a été fournie, quels problèmes ont été rencontrés et quels enseignements ont été tirés.
Évaluation par des tiers. Le Bureau du groupe pilote pour la réduction de la pauvreté et pour le développement a chargé les institutions de recherche scientifique et les organisations sociales concernées de vérifier qu’un comté est effectivement exempt de pauvreté une fois la déclaration faite par les autorités locales. Vingt-deux organismes tiers ont été sélectionnés par le biais d’un appel d’offres public45. Ils ont mené des enquêtes et des vérifications sur le terrain pour évaluer la fiabilité des données dans 531 comtés, plus de 3 200 villages et 116 000 ménages sur le terrain46.
Le suivi social. Au-delà des évaluations officielles et de celles effectuées par des tiers, le travail de lutte contre la pauvreté a également été évalué lors de contrôles aléatoires effectués par des cadres chez les ménages pauvres pour vérifier si leur situation était correctement rapportée, entre autres en vérifiant leurs sources de revenus47.
Résultats de l’évaluation. Les processus d’évaluation systématique ont révélé des problèmes dans le programme, notamment l’incapacité à atteindre les objectifs annuels de réduction de la pauvreté, la mauvaise gestion des fonds, la falsification des données, l’inexactitude dans l’ajout et la suppression des familles pauvres de la liste d’enregistrement, et des violations disciplinaires48. Parmi ces problèmes figure la corruption, que le Parti a ouvertement abordée et critiquée. En 2018, la Commission centrale d’inspection de la discipline, l’organe disciplinaire suprême de la Chine, a mis en place une campagne de lutte contre la corruption dans le programme de lutte contre la pauvreté. Depuis son entrée en fonction en 2013, Xi a fait de la lutte contre la corruption une priorité absolue, en ciblant non seulement les «puces», mais aussi les «tigres». De 2012 au premier semestre 2020, plus de 3,2 millions de fonctionnaires ont été sanctionnés pour des délits liés à la corruption49. De janvier à novembre 2020, le gouvernement a constaté qu’un tiers des 161 500 affaires de corruption traitées (dont 18 fonctionnaires avec de hautes responsabilités) étaient liées à la lutte contre la pauvreté50. Dans le processus de construction du socialisme, la lutte contre la corruption fait partie du travail continu de la lutte des classes. Sans surprise, la campagne de lutte contre la corruption a bénéficié d’un large soutien populaire, renforçant la confiance dans le Parti et le gouvernement.
Les défis et la voie à suivre
Vaincre l’extrême pauvreté en Chine a été un exploit d’une ampleur inédite dans l’Histoire. Mais il ne s’agit que d’une phase de la construction du socialisme, phase qui doit être approfondie et étendue. Afin de consolider et d’étendre les résultats déjà obtenus, le gouvernement a mis en place un programme de revitalisation des zones rurales, avec comme objectifs la modernisation de la production agricole, la protection de la sécurité alimentaire nationale, le développement de terres arables de qualité et la réduction du fossé entre les villes et les campagnes51.
La Chine est en passe de devenir un pays à haut revenu d’ici 2025, à la fin de la période du quatorzième plan quinquennal.
La Chine est en passe de devenir un pays à haut revenu d’ici 2025, à la fin de la période du quatorzième plan quinquennal (un pays à haut revenu est défini par la Banque mondiale comme un pays dont le revenu national brut par habitant est supérieur à 12 696 dollars selon les normes de 2020) 52. Le PIB par habitant de la Chine a franchi le seuil des 10 000 dollars pour la première fois en 2019, seuil qu’il a maintenu en 2020 malgré la pandémie53, ce qui représente une multiplication par dix au cours des vingt dernières années. Mais, alors qu’elle accède au statut de pays à revenu élevé et construit une société modérément prospère (xiaokang), la Chine est confrontée à une nouvelle période de difficultés. Le pays doit non seulement veiller à ce que les personnes sorties de la pauvreté n’y retombent pas et à dépasser ainsi l’extrême pauvreté, mais aussi à créer un meilleur niveau de vie pour tous.
Le pays est désormais passé de l’extrême pauvreté à la pauvreté relative, ce qui permet à un plus grand nombre de personnes de participer à la vie sociale et économique et d’en bénéficier. La lutte contre la pauvreté relative a été l’une des priorités de la quatrième session plénière du dix-neuvième Comité central du Parti communiste chinois en 2019, pour qui l’amélioration de l’aide sociale et des services publics tels que l’accès aux soins des enfants et des personnes âgées, l’éducation, l’emploi, les services médicaux et le logement sont essentiels à cet objectif à long terme et au processus continu d’élimination de la pauvreté54.
L’éradication historique de l’extrême pauvreté et l’efficacité des mesures prises lors de la pandémie de COVID-19 ne constituent pas un modèle pouvant être directement appliqué à d’autres pays, chacun ayant une histoire spécifique et un parcours distinct. L’expérience de la Chine offre plutôt des enseignements et une inspiration pour le monde entier, en particulier pour les pays du Sud. L’amélioration de la situation des pauvres dans le monde est un pilier essentiel de la proposition chinoise de construire un «avenir partagé pour l’humanité55». Cette vision, défendue par le président Xi, imagine un avenir fondé sur le multilatéralisme et la prospérité partagée face à l’hégémonie occidentale.
Dans ses relations internationales, la Chine a montré qu’elle privilégiait la construction de ponts plutôt que les interventions militaires, l’internationalisme médical plutôt que la privatisation, ainsi que les investissements dans les infrastructures et l’aide financière sans condition. Elle offre une perspective aux pays du Sud que cinq cents ans d’impérialisme et de capitalisme occidentaux n’ont pas réussi à fournir. Selon la Banque mondiale, l’initiative historique de la Nouvelle route de la soie contribuera directement à sortir de l’extrême pauvreté 7,6 millions de personnes des pays participants et de la pauvreté modérée 32 millions d’autres. La Chine promeut des centaines d’autres projets basés sur la coopération multilatérale dans les domaines du commerce, des infrastructures, de l’industrie verte, de l’éducation, de l’agriculture, des soins de santé et des échanges entre les peuples. Tous ces projets participent au développement des pays du Sud56.
Cet article a été rédigé par Tings Chak et publié par le Tricontinental Institute. Il a été traduit et adapté par Lava.
Footnotes
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