L’université n’est pas une institution neutre, la lutte des classes est partout ; dans nos bibliothèques, nos salles de cours et nos syllabi. Organisons-nous pour faire vivre cette lutte sur nos campus !

Les Chicago Boys : le cercle des étudiants néolibéraux
Au cours de l’histoire, la bourgeoisie a produit un grand nombre d’intellectuels qui se sont mis à son service. Durant les années 1950-1960, une collaboration entre l’université pontificale catholique du Chili et l’université de Chicago permit à toute une génération d’économistes d’être formée aux doctrines libérales les plus dures. Privatisation des secteurs publics, retraite par capitalisation, libre marché ouvert à la concurrence, etc. Ils seront appelés les Chicago boys. Une fois leur apprentissage terminé, ils vont porter un discours sur la voie qu’ils aimeraient que le Chili suive en fondant des centres de recherche et vont établir des liens avec des hommes d’affaires et des politiques.1Ils vont conseiller le candidat de droite, Jorge Alessandri, à l’élection présidentielle de 1970 contre le candidat socialiste, Salvador Allende.2Mais c’est ce dernier3 qui l’emporte. Allende nationalise des usines dans des domaines stratégiques et fait des réformes agraires. Ces mesures vont à l’encontre des volontés des Chicago boys, de la bourgeoisie chilienne et des impérialistes américains.
Personne n’échappe à la lutte des classes, pas même les universitaires. Ils doivent s’organiser pour produire un savoir qui aidera à lutter contre les idées néolibérales.
Le 11 septembre 1973, un coup d’État militaire est organisé par le général Pinochet avec l’appui des États-Unis. Le lendemain du coup d’État, les Chicago boys apportent leur programme économique à Pinochet. Deux jours plus tard, Pinochet invite Sergio de Castro, le chef de file des Chicago boys, au poste de conseiller du ministre de l’Économie, et des dizaines d’autres occupent des places importantes dans le gouvernement chilien tout au long de la dictature.4Le régime chilien s’appuie sur un pouvoir militaire ultra-violent et sur des mesures économiques qui le sont tout autant. Les Chicago boys sont chargés de détruire l’État-providence, en privatisant les secteurs publics et en ouvrant violemment le marché chilien à la concurrence internationale. L’économiste américain Milton Friedman, grand penseur du néolibéralisme et maître à penser des Chicago Boys nommera le régime de Pinochet et ses mesures néolibérales “le miracle chilien”. Ce “miracle” coûta la vie à des milliers de travailleurs et permit surtout à l’impérialisme étasunien de dominer le Chili.
Qu’est-ce qu’un intellectuel ?
Un jour, tandis que des militants pro-palestiniens tractaient à l’ULB pour dénoncer le génocide à Gaza, des agents de la sécurité sont venus leur demander de retirer leur stand, qu’ils ont qualifié de “pas très catholique”. Cet exemple montre que, malgré le fait que les universités puissent se présenter comme progressistes, valorisant la mixité sociale et la contestation étudiante, l’institution universitaire est toujours une usine à produire une élite intellectuelle favorable à la bourgeoisie, comme le montre l’exemple des Chicago Boys.

En effet, une grande partie du monde intellectuel et universitaire se trouve du côté de la classe dominante et produit du savoir qui profite à cette classe. C’est ce que Gramsci, philosophe et militant marxiste italien, appelle des « intellectuels organiques« . L’intellectuel organique appartient à une classe (la classe dominante ou la classe dominée) et va produire du savoir qui va permettre à cette classe de se renforcer. Par exemple, un professeur d’université pourrait défendre dans un travail universitaire que, naturellement, certains étudiants ne sont pas faits pour l’université. Il serait alors ce que Gramsci nomme un “intellectuel organique” appartenant à la classe dominante, car il légitime, par sa production de savoir, l’exclusion, des universités, des étudiants issus de la classe travailleuse. Il renforce la conscience que la classe dominante possède de sa force et de son emprise sur le monde. Il lui donne confiance et, par là, renforce également l’oppression de la classe travailleuse par cette même classe dominante. C’était aussi le cas des économistes chiliens dans les années 70.
Quand la bourgeoisie est devenue une classe dominante, elle s’est attelée à la formation d’intellectuels qui ont légitimé son pouvoir. Des écrivains, des philosophes, des économistes, des peintres, et d’autres, ont façonné la culture bourgeoise et rendu leur vision du monde hégémonique. On ne compte plus les histoires racontées par la bourgeoisie à propos des self-made men et des patrons d’entreprises. Ainsi, la bourgeoisie ne domine pas uniquement grâce à ses forces politiques, ses matraques ou ses prisons, mais aussi grâce à ses livres et ses cinémas. Le révolutionnaire burkinabé, Thomas Sankara disait à propos de l’impérialisme “qu’il est plus utile pour lui de nous dominer culturellement, beaucoup plus que militairement.”5 Dans cette domination, les universités, qui sont un des grands centres de production intellectuelle, jouent un rôle de premier plan.
En Israël les militaires font la classe
Les universitaires et les membres des institutions universitaires jouent également un rôle à notre époque. Les mouvements étudiants contre le génocide à Gaza et le mouvement BDS6ont mené un travail de recherche important sur les liens entre les universités et le régime colonial et d’apartheid israélien. Au sein même des milieux universitaires, la contestation s’organise. Les liens entre les universités israéliennes et l’armée israélienne, soutenue par un gouvernement génocidaire d’extrême-droite au service des plus riches, sont de plus en plus clairs.
Les liens qui existent entre les universités et le régime colonial d’apartheid israélien est un exemple frappant de la manière dont le savoir peut servir les intérêts d’une idéologie conservatrice et d’extrême-droite. Ces liens entre les universités israéliennes et l’armée ne datent pas d’hier. Le secteur militaire représente 25% des exportations et Israël s’est appuyé sur les universités pour développer son industrie de la mort. En 2008, l’université de Tel-Aviv a conduit pas moins de 55 projets avec l’armée qui, quelques mois plus tard, bombardera la bande de Gaza.7C’est loin d’être le seul exemple de collaboration de l’armée avec des universités : l’université Bar-Ilan, l’institut polytechnique du Technion, l’institut Weizmann et bien d’autres travaillent avec l’armée. Celle-ci s’invite même au conseil d’administration des universités ; depuis la création d’instituts d’études stratégiques affiliés aux universités dirigés par des militaires dans les années 1990, ces derniers, ainsi que des industriels de l’armement, possèdent une place de choix dans les conseils d’administration des universités.
Les liens qui existent entre les universités et le régime colonial d’apartheid israélien montrent comment le savoir peut servir directement une politique impérialiste et d’extrême-droite.
Ce n’est pas seulement au sein du domaine des sciences appliquées que les militaires possèdent une place de choix dans les universités. Elle s’ingère également dans le domaine des sciences humaines, à travers des doctrines telles que la doctrine Dahiya et le Code éthique de la lutte antiterroriste, inventée dans les universités et légitimant le meurtre de civils.8Les universités étrangères collaborant avec les universités israéliennes ont donc une responsabilité dans les crimes commis par Israël, les universités américaines et européennes en tête. Par exemple, les “Accords Horizon” rendent la collaboration entre les États de l’UE et Israël plus étroite dans le domaine universitaire.9 Le mouvement étudiant en solidarité avec la Palestine, conscient de son importance au sein des universités et conscient du rôle des universités européennes dans le génocide en cours en Palestine, demande, entre autres, l’expulsion d’Israël de cet accord.10Il ne veut plus être complice du génocide contre le peuple palestinien.
Servir le peuple
Comme nous l’avons vu, l’université produit des canons. Au sens figuré, en élaborant des doctrines économiques antisociales détruisant la vie de millions de personnes ou en aidant directement à l’effort de guerre, de génocide. Ce n’est pas une fatalité. Les universités, les étudiants, les assistants et les professeurs n’échappent pas à la lutte des classes. Un choix s’impose aux intellectuels : qui soutenir dans cette lutte ? Les universitaires progressistes doivent s’organiser pour produire un savoir au service de la classe travailleuse, un savoir qui aidera à lutter contre les idées néolibérales. Les étudiants progressistes doivent investir la vie étudiante quelle qu’elle soit : politique, culturelle, folklorique ou sportive. Ils ont un rôle dans l’Histoire, comme le montre l’exemple palestinien et chilien ou encore les luttes contre l’apartheid ou la guerre du Vietnam. Il en est de même pour le mouvement de solidarité contre le génocide à Gaza : des milliers d’étudiants partout dans le monde se sont mobilisés et ont mis leur savoir au service de la lutte pour le boycott académique, en prouvant les liens entre leurs universités et l’état génocidaire d’Israël. Ils ont su créer des fronts larges réunissant des dizaines de cercles et ,ensemble, ont fait plier la direction de leur université. Cette dernière lutte montre que les étudiants ont le pouvoir de changer les choses.11Mobilisons-nous dans nos universités, écrivons et pensons politiquement, en faveur des luttes progressistes.
Footnotes
- Stéphane BOISARD et Mariana HEREDIA, « Laboratoires de la mondialisation économique Regards croisés sur les dictatures argentine et chilienne des années 1970», 20 & 21.Revue d’histoire,2010.
- Michel FAURE, Augusto Pinochet, Perrin, 2020.
- Coalition des partis de centre gauche et de gauche pour l’élection présidentielle chilienne de 1970.
- Olivier IHL, «Objetividad de Estado. Sur la science de gouvernement des Chicago Boys dans le Chili de Pinochet», Revue internationale de politique comparée, 2012.
- https://www.youtube.com/watch?v=5v6AS14JG5E
- Boycott, Désinvestissement, Sanction est une campagne internationale luttant contre la colonisation israélienne et pour le droit au retour des Palestiniens fondé par Omar Barghouti en 2005.
- Eyal SIVAN et Armelle LABORIE, Un boycott légitime. Pour le BDS universitaire et culturel de l’État d’Israël, La Fabrique Éditions, 2016.
- Respectivement inventés par le général Gadi Eizenkot et le général Yadlin avec le philosophe Asa Casher.
- https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A22022A0323%2810%29
- https://www.comac-etudiants.be il_est_temps_d_exclure_isra_l_des_accords_de_recherche_europ_ens
- https://lavamedia.be/fr/les-lecons-a-tirer-des-occupations-pour-la-palestine/