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La santé ou la bourse

Marie Noël

—4 juin 2025

Les inégalités de genre et de sexe structurent la recherche dans le domaine de la santé. Ces inégalités sont produites par une industrie pharmaceutique qui ne répond pas aux besoins réels de la population, mais à la soif de profits de ses actionnaires.

On lit souvent dans la littérature scientifique que “les femmes vivent plus longtemps, mais en plus mauvaise santé”. Cela est vrai, les femmes passent, en moyenne, plus d’années de vie en mauvaise santé1 que les hommes, du fait de certaines pathologies chroniques (dépression, douleurs articulaires chroniques, Alzheimer). Il n’existe pas assez de recherches qui prendraient en charge l’étude de la manière dont ces pathologies affectent les femmes et la raison pour laquelle ces dernières sont davantage affectées. Ces pathologies ne sont pas les seules à ne pas être suffisamment étudiées au sein du domaine de la recherche, tandis qu’on ne manque pas de projets de recherches sur l’hypertrophie prostatique. Les données qui existent peuvent par ailleurs être source de questionnement, sachant qu’il n’existe pas de mesure spécifique pour mesurer la morbi-mortalité2 liée à des affections typiquement féminines (endométriose, ovaires polykystiques).3

Ces exemples sont le reflet d’un non-sens dans la recherche clinique ; on ne s’intéresse pas, ou pas assez, à la santé des femmes, et encore moins au fait de répondre à leurs besoins spécifiques en matière de santé. Cela coûte cher aux individus et à la société, mais profite à l’industrie pharmaceutique, comme le montrent les chiffres d’affaires annuels des grosses entreprises pharmaceutiques. Les profits records observés lors de la pandémie de la COVID-194 constituent un exemple concret de la manière dont les recherches dans le domaine de la santé sont menées aujourd’hui. En effet, les décisions des laboratoires scientifiques ne sont plus dictées par les besoins de la population, mais par leurs actionnaires.

Marie Noël a 30 ans, elle est médecin généraliste chez “Médecine pour le peuple” et engagée dans le mouvement féministe “Zelle”.

La commercialisation des médicaments est un objectif qui répond aux attentes de rentabilité espérées par les grosses entreprises pharmaceutiques et leurs actionnaires. En effet, l’industrie pharmaceutique ne rate pas une occasion de générer du profit : au cours des années 70, elle investit massivement dans des recherches liées à la réduction des doses d’hormones contenues dans les pilules afin de s’assurer que celles-ci ne soient pas délaissées par les femmes à cause des effets secondaires très importants5, s’assurant ainsi la préservation des recettes très importantes provenant de la vente de ces médicaments.

Pas de données, pas de recherche

Les inégalités de genre et de sexe s’expriment de bien des manières tout au long du processus de recherche et de pratique clinique. L’absence ou la non-systématicité de la notification/identification systématique du genre et du sexe dans la recherche, dans les études, dans la récolte de données empêchent les spécialistes de posséder une base matérielle concrète pour mener des recherches à propos des pathologies touchant spécifiquement les femmes6. Ce qui rend une interprétation et une compréhension des besoins de la population impossible. Sans bon recensement, sans base réelle (matérielle), impossible de répondre aux besoins de la population.

La santé des femmes ne devrait pas appartenir aux actionnaires des grandes entreprises pharmaceutiques.

Si la recherche ne se développe pas davantage en ayant à l’esprit l’attention spécifique qu’elle doit porter aux femmes en matière de récolte des données, leurs besoins ne seront jamais recensés et encore moins traités, ce contre quoi nous devons lutter. Des guidelines7 ont été développées en 2016 pour permettre aux chercheurs d’uniformiser leurs pratiques8, ce qui illustre la volonté du monde scientifique d’agir.

L’endométriose est un cas d’école lorsqu’il s’agit de montrer la manière dont le manque de recherche dans le domaine de la santé pénalise les femmes. Un rapport récent du KCE9 montre bien que, malgré la lutte pour la reconnaissance de l’endométriose menée depuis des décennies, nous ne possédons que des chiffres très vagues à propos de la maladie, sur le nombre de consultations liées à l’endométriose ou encore sur le nombre de personnes recevant un traitement. Notre ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a raison d’insister sur le fait que nous devons aider ces patientes10, mais pour cela, il faut plus d’investissements afin de pouvoir mener des recherches sur cette pathologie et rendre le diagnostic plus accessible. Concernant la santé des femmes (et la santé de manière générale), il faut encourager une médecine axée sur la prévention plus que sur le curatif. Chose qui ne risque pas d’arriver puisque le gouvernement Arizona, selon les tableaux budgétaires, veut économiser 523 millions d’euros dans le domaine des soins de santé.11

L’Arizona ne répond pas, dans le domaine de la santé, aux besoins réels de la population et en particulier des femmes.

Une partie du problème est aussi liée au fait que les modèles utilisés dans la recherche n’incluent pas systématiquement des femelles ou n’étudient pas la différence femelle/mâle. Les raisons évoquées sont les changements fréquents au sein des cycles hormonaux des femmes – et surtout leur méconnaissance – mais également le coût (il serait plus coûteux d’inclure des modèles féminins dans les études cliniques – ce qui n’est pas prouvé par ailleurs).12 On voit donc que les intérêts économiques déterminent la manière dont les recherches vont être effectuées à propos des pathologies proprement féminines. De plus, les femmes ont longtemps été considérées comme de “petits hommes”. Par exemple, ce n’est qu’en 1993 qu’elles furent incluses dans les essais cliniques aux Etats-Unis13. Nous savons à présent que certaines pathologies s’expriment différemment en fonction du sexe et du genre14, mais les déterminants de la santé spécifiques au genre et au sexe demeurent méconnus.

Les actionnaires nuisent gravement à notre santé

Les financements dans la recherche liée à la santé des femmes sont largement insuffisants, mais également non proportionnels vis-à-vis du nombre de cas très importants touchés par certaines pathologies. À l’échelle mondiale, le financement (de la recherche, du développement de pratiques, etc.) est majoritairement attribué à l’amélioration de la santé sexuelle et reproductive des femmes.15 Les femmes ont aujourd’hui besoin de guidelines spécifiques portant sur la prise en charge des pathologies dont le taux de mortalité est le plus élevé, comme les douleurs de dos chroniques, les AVC ou encore les troubles dépressifs majeurs. Plus d’attention est nécessaire à l’analyse de données et à la recherche concernant la santé des femmes, ainsi qu’au développement de politiques/guides de financement. Il nous faut utiliser les avis d’experts dans ce secteur particulier16 et militer pour une transparence sur la distribution des ressources et des financements dans le domaine de la santé. La santé des femmes ne devrait pas appartenir aux actionnaires des grandes entreprises pharmaceutiques.

Il faut que notre société puisse répondre aux besoins réels de la population en matière de santé, à l’inverse des intentions clairement exprimées par le gouvernement Arizona. Aujourd’hui, les ambitions dévorantes des actionnaires des grandes firmes pharmaceutiques empêchent une prise en charge réelle des besoins des femmes dans le domaine de la santé. Une santé équitable demande davantage de transparence dans les financements accordés à la recherche et à tout projet tendant à soutenir et promouvoir la santé des femmes. Il faut militer pour des entreprises pharmaceutiques publiques œuvrant pour le bien de la population. Loin d’être un outil d’enrichissement industriel, ces entreprises seraient au service de la population. Nous avons besoin d’une politique en matière de santé qui serait bénéfique à toute notre société, en formant mieux les prestataires en soins de santé, en reconnaissant les spécificités liées à la santé des femmes et en investissant, avec des plans concrets qui servent à la population.

Cet article parait dans Magma, la rubrique jeune de Lava Media. Retrouvez tous les articles de la rubrique: https://lavamedia.be/fr/category/articles-fr/magma-fr/

Footnotes

  1. https://www.sciensano.be/fr/coin-presse/comment-se-porte-la-population-feminine-en-belgique
  2. Morbi-mortalité : taux de mortalité pour une maladie donnée
  3. Nature Reviews Bioengineering volume 2, pages797–798 (2024)
  4. https://medecine-pour-le-peuple.be/storage/media/texte-de-vision-fr.pdf /
    https://www.bastamag.net/webdocs/pharmapapers/le-megabusiness-des-labos/1000-milliards-d-euros
    -de-profits-en-vingt-ans-comment-les-labos-sont-devenus-des-monstres-financiers
  5. https://books.openedition.org/editionsmsh/58170?lang=fr
  6. Women’s health: a new global agenda | BMJ Global Health
  7. Guideline : Ligne directrice, consigne
  8. https://researchintegrityjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s41073-016-0007-6
  9. KCE : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé
  10. https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2024/02/28/minister-vandenbroucke-wil-betere-behandeling-voor-endom
    etriose/
  11. https://www.ptb.be/actualites/comment-larizona-casse-aussi-les-soins-de-sante
  12. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC6294461/ (Inclusion of females does not increase variability in rodent research studies. Annaliese K Beery / Women’s health: a new global agenda | BMJ Global Health
  13. https://www.mc.be/en-marche/sante/medecine/essais-cliniques-ou-sont-les-femmes
  14. Sex and gender reporting in global health: new editorial policies. Sanne A E Peters,, Robyn Norton
  15. Women’s health research lacks funding – in a series of charts – PubMed
  16. Nature Reviews Bioengineering volume 2, pages797–798 (2024)