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L’Union européenne sur le chemin de la guerre

Ozlëm Demirel

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André Crespin

—18 juin 2025

Avec le programme ReArm / Readiness 2030, l’UE convoite une puissance géopolitique sous couvert de paix. La députée européenne Demirel retrace l’historique de la militarisation européenne, qui rend le monde plus dangereux.

L’analyse et la dénonciation de la nouvelle course aux armements qui se déroule sous nos yeux monopolisent l’agenda d’Özlem Demirel, députée européenne de Die Linke. Elle a néanmoins trouvé le temps pour cet échange éclairant, où elle nous explique comment la peur est instrumentalisée parmi la population pour justifier une augmentation démesurée des dépenses militaires, objectivement superflues. Özlem s’oppose à la fois à l’OTAN et à la militarisation de l’Europe, tout en militant pour une paix incluant la sécurité sociale. Elle en appelle à la classe ouvrière pour refuser d’être des pions sacrifiés sur l’échiquier géopolitique. Inspirée par Karl Liebknecht, elle encourage les militants pacifistes à adopter une position plus ferme contre la militarisation en cours.

André Crespin En tant que députée européenne, comment avez-vous vu évoluer la militarisation de l’Union européenne ces dernières années, et son accélération ces derniers mois ?

Özlem Demirel La militarisation de l’Union européenne est un processus de longue date. Beaucoup estiment qu’elle s’est accélérée avec la guerre en Ukraine, mais cette analyse est réductrice. Le vrai tournant, c’est le Brexit. Le Royaume-Uni a toujours fait pression pour que les pays européens restent pleinement alignés sur l’OTAN et a bloqué d’autres initiatives européennes. C’est seulement après le départ du Royaume-Uni, que les puissances dirigeantes de l’UE — notamment l’Allemagne, et surtout la France — ont redoublé d’efforts pour construire une union de défense européenne.

Tout a commencé par la mise en œuvre de la Coopération structurée permanente ( PESCO), une collaboration militaire systématique prévue dans les traités, mais n’avait pas été mise en œuvre auparavant. Ces mécanismes ont été réactivés, étoffés avec de nouveaux outils et davantage de financements.

Özlem Demirel est députée européenne pour Die Linke depuis 2019. À Bruxelles et Strasbourg , elle suit de près les travaux de la commission « Sécurité et défense », dont elle est membre. Elle contribue également régulièrement au débat public sur ce sujet. Sa dernière étude, « Frieden schaffen mit Angriffswaffen ? » ( « Construire la paix avec des armes offensives ? ») , a été publiée en février 2025.

Ensuite sont arrivés des projets comme la « mobilité militaire », le « Fonds européen de défense », ou la « Facilité européenne pour la paix » – un dispositif dont le nom évoque la paix, mais qui sert surtout à financer des livraisons d’armes partout dans le monde. Ces instruments se sont multipliés, et leur déploiement s’est accéléré après que la Russie ait envahi l’Ukraine.

Les populations européennes ont traditionnellement manifesté des réticences envers les projets militaristes, marquées par les leçons sanglantes du XXe siècle. Pourtant, les partisans du réarmement ont habilement exploité les violations du droit international par la Russie pour semer un sentiment d’insécurité et justifier leurs plans. Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, le retour de Trump au pouvoir aux États-Unis ne fait qu’accentuer cette dynamique de militarisation européenne. La différence d’approche entre les administrations Biden et Trump révèle une vérité crue : si la première gardait toujours les intérêts américains à l’esprit tout en maintenant un certain partenariat avec l’Europe, la seconde ignore ouvertement et totalement les intérêts européens.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne déploie son discours alarmiste : face à la montée des régimes autoritaires et à la résurgence de l’impérialisme, nous serions contraints de développer une industrie militaire toujours plus puissante et d’accélérer la militarisation – le tout au nom de la défense de nos valeurs démocratiques.

Cette rhétorique ne résiste pas à l’examen. La course aux armements que nous observons – en Europe comme ailleurs – ne fait qu’exacerber la compétition globale entre puissances économiques, politiques et militaires. Cette dynamique contribue à redessiner la carte géopolitique mondiale. Loin d’œuvrer pour la paix, ils préparent la guerre. En tant que forces de gauche en Europe, nous devons dénoncer cette évolution et rappeler que l’UE participe pleinement à cette compétition et lutte impérialiste.

Pouvez-vous développer cette question de la compétition mondiale ? Quels sont les objectifs de l’Union européenne ?

Les déclarations de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, révèlent une orientation stratégique claire. Elle a déclaré ouvertement que l’UE devait non seulement développer des capacités militaires, mais aussi montrer sa volonté de les utiliser pour défendre ses intérêts sur la scène internationale, c’est-à-dire dans un monde façonné par la concurrence des grandes puissances. Bien que l’Allemagne et la France semblent souvent avoir des points de vue divergents, elles se rejoignent progressivement sur ce point également. L’Europe tente de se positionner en tant que puissance impérialiste par rapport aux États-Unis et à la Chine, tandis que la Russie, bien que militairement forte, a un poids économique moindre.

L’impérialisme d’aujourd’hui montre plus clairement son côté plus robuste, dans lequel ce n’est plus seulement la force politique et économique, mais aussi la dynamique de la puissance militaire qui détermine l’accès aux marchés et aux ressources. Les mutations technologiques et industrielles accélèrent cette concurrence et sont devenues un champ de bataille dans cette guerre économique mondiale, tout comme la lutte pour l’accès au lithium, aux terres rares et au contrôle des voies maritimes mondiales.

L’industrie militaire européenne se consolide rapidement , concentrant le pouvoir entre les mains de quelques grandes entreprises nationales.

Cette ambition européenne se matérialise par des réformes structurelles profondes, telles que l’assouplissement des règles budgétaires comme le Pacte de stabilité et de croissance, permettant aux États membres d’augmenter leurs dépenses militaires.

Le « Fonds européen de défense » illustre parfaitement cette dynamique. Initialement contesté par plusieurs pays craignant qu’il ne profite principalement aux grands fabricants d’armes en Allemagne, en France et en Italie, le mécanisme a ensuite été ajusté pour inclure officiellement les petites et moyennes entreprises ( PME). Toutefois, cette inclusion ne modifie guère la tendance générale : l’industrie militaire européenne fait l’objet d’une consolidation rapide, concentrant et monopolisant le pouvoir entre les mains de quelques champions nationaux. Les petites entreprises, par exemple de Croatie ou de Belgique, sont de plus en plus reléguées au rôle de sous-traitants dans cette nouvelle architecture ; leurs bénéfices industriels seront marginaux – si tant est qu’ils existent.

La situation économique de l’Europe est compliquée. Nous assistons à une perte d’emplois industriels sans précédent sur tout le continent. Que pensez-vous des voix qui s’élèvent pour dire que le développement des usines d’armement offre des opportunités d’emploi aux travailleurs européens ?

Aujourd’hui, en Allemagne, en Belgique ou ailleurs, on dit aux travailleurs de ne pas s’inquiéter de perdre leur emploi dans des secteurs comme l’industrie automobile : « Des emplois vous attendent dans l’industrie de l’armement, votre avenir est assuré ». Mais les emplois dans l’industrie de l’armement ne sont jamais sauvés, car ils dépendent de la continuation de la guerre. Les armes et les munitions produites doivent inévitablement être utilisées avant que de nouvelles ne soient fabriquées. Et soyons clairs : lorsque ces armes seront utilisées, ce sont les travailleurs qui seront envoyés mourir sur les champs de bataille. Il n’y a pas d’emplois sûrs dans un monde dangereux – et en même temps, nous devons penser à la paix également du point de vue de la sécurité sociale.

On critique l’OTAN pour son caractère agressif, ses interventions en Afghanistan ou en Libye … mais le développement d’une armée européenne – à vocation défensive, basée sur la coopération – serait-il une option viable ? La Belgique, par exemple, coopère déjà militairement avec les Pays-Bas et la France.

Ce débat reste largement théorique, car, pour être honnête, aucun pays au monde, et encore moins un État membre de l’UE, n’est prêt à renoncer à son armée nationale ou à transférer l’ensemble de ses capacités militaires et de ses pouvoirs de décision au niveau européen.

En d’autres termes, ce qui est proposé n’est pas l’abolition des armées nationales au profit d’une armée européenne unique. Il s’agit plutôt de maintenir les armées nationales en l’état, tout en ajoutant des structures militaires supplémentaires au niveau européen – ce que l’on appelle les « groupements tactiques », ou d’autres mécanismes conjoints.

André Crespin est conseiller politique pour le groupe « The Left » au Parlement européen. Il suit les travaux des commissions « Sécurité et Défense » et « Affaires Etrangères ».

Au niveau européen, cela va de pair avec un contrôle démocratique moindre. Par exemple, en Allemagne, toute décision impliquant le déploiement de nos forces armées relève de l’autorité du parlement national. Aucun gouvernement ne peut décider unilatéralement d’entrer en guerre. Seul le Parlement allemand a ce pouvoir, et seulement après un débat approfondi.

Au niveau européen, la question est différente : qui décide vraiment ? Je travaille intensivement sur cette question au Parlement européen et je dois dire que le Parlement européen n’a pas les mêmes pouvoirs que les parlements nationaux ni le même niveau de transparence. Nous risquons de créer des unités de combat qui pourraient être déployées dans le monde entier sans même que les citoyens européens en soient informés. C’est une perspective inacceptable.

Mais l’idée d’une collaboration entre pays européens n’est-elle pas finalement plus économique ? Ne peut-on pas réaliser des économies d’échelle dans un secteur aussi coûteux ?

Certains groupes politiques, comme les Verts européens, promeuvent l’idée d’une coopération militaire renforcée au nom de la rationalisation budgétaire. Leur argumentation repose sur trois piliers : la mise en commun du développement des armes, les synergies attendues et les économies supposées qui permettraient de réorienter des fonds vers d’autres priorités.

Mais cette rhétorique ne résiste pas à un examen plus approfondi. Comme je l’ai dit précédemment, le projet d’intégration militaire européenne n’est pas celui d’une rationalisation des capacités existantes. Il s’agit plutôt d’une superposition structurelle, d’une expansion massive des capacités. Il s’agit d’un jet de sable dans les yeux de la population et nous devrions veiller à ce que les choses soient claires.

Quant à l’argument de la réduction des coûts, il s’agit d’une tromperie flagrante. Les systèmes d’armes développés conjointement représentent des investissements colossaux. L’industrie de l’armement promeut activement cette « coopération » européenne précisément parce qu’elle ouvre la voie à des mégaprojets qui seraient inabordables pour les seuls budgets nationaux.

La dynamique actuelle révèle une logique inquiétante : sous couvert d’efficacité budgétaire, on assiste à une surenchère militariste. Chaque nouvelle structure commune devient un prétexte à des investissements supplémentaires, créant une spirale de dépenses dont les seuls véritables bénéficiaires sont les consortiums militaro-industriels. Les soi-disant économies promises se transforment en factures exorbitantes pour les contribuables européens sous la forme de coupes sociales. Je suis très critique à l’égard de cette situation. Mon message est clair : nous voulons la paix en Europe. En tirant les leçons de nos deux guerres mondiales, nous devons rompre avec la logique de l’armement et construire un système de sécurité qui englobe tous les pays européens, c’est-à-dire un système beaucoup plus large que l’Union européenne.

Certains justifient la fièvre militariste actuelle en disant que nous ne pouvons plus compter sur la protection de l’OTAN – du moins tant que Trump est au pouvoir aux États-Unis. Que leur répondez-vous ?

Certains prétendent même que l’OTAN n’existe plus. C’est un mensonge – c’est tout simplement faux. Il existe certes des divergences entre l’administration Trump et les dirigeants européens, notamment sur les intérêts commerciaux et économiques. Mais l’OTAN est loin d’être morte aujourd’hui : elle maintient de nombreuses bases militaires à travers l’Europe, stocke des armes dans tous les pays européens et reste l’alliance militaire la plus puissante au monde.

L’idée est d’ajouter , aux armées nationales , des structures militaires au niveau européen , ce qui va de pair avec un contrôle démocratique moindre.

La poussée actuelle en faveur d’une défense européenne intégrée est davantage motivée par des intérêts géopolitiques et des logiques industrielles et commerciales que par le besoin d’une véritable sécurité, c’est-à-dire de la paix. Le développement de nouveaux systèmes d’armes de haute technologie – en particulier ceux qui intègrent l’intelligence artificielle – nécessite des marchés importants et stables. C’est cet impératif économique qui est à l’origine de la création d’un marché européen de l’armement.

Il ne s’agit pas de notre besoin de sécurité, de liberté et de paix, comme ils le prétendent. Créer les conditions pour le développement de systèmes d’armes toujours plus sophistiqués nécessite la création d’une base industrielle durable et la garantie de marchés sûrs.

Cette réalité doit être clairement exposée : la rhétorique des « économies » et de la « mutualisation » sert d’écran de fumée à une relance artificielle du complexe militaro-industriel. Ce à quoi nous assistons n’est pas une rationalisation des dépenses militaires, mais la création d’une nouvelle course aux armements à l’échelle continentale, servant les intérêts d’une poignée d’acteurs industriels et au détriment des contribuables et des besoins réels de sécurité collective.

La Russie a agressé l’Ukraine et a porté atteinte à son intégrité territoriale, ce qui constitue une violation du droit international. Comment soutenir le peuple ukrainien si ce n’est militairement ?

Le discours de l’UE sur les conflits internationaux révèle une approche profondément inégale. Si la condamnation de l’agression russe en Ukraine est légitime et nécessaire, elle s’accompagne d’une instrumentalisation politique troublante. La solidarité sincère des citoyens européens envers le peuple ukrainien est systématiquement détournée pour justifier une escalade militaire plutôt que des solutions diplomatiques.

Par ailleurs, l’engagement supposé de l’UE en faveur du droit international montre rapidement ses limites lorsque l’on observe d’autres zones de conflit. Au Moyen-Orient, les violations répétées du droit international par Israël ne suscitent pas la même indignation institutionnelle. Que ce soit à Gaza, au Mali, en République démocratique du Congo ou ailleurs, les guerres ne reçoivent souvent qu’une attention marginale de la part des capitales européennes. Cette sélectivité démontre que derrière les grands principes affichés, ce sont les intérêts géopolitiques et économiques qui guident véritablement l’action européenne. Même des États membres comme l’Allemagne continuent de fournir des armes à Israël. Dans d’autres guerres, ce sont eux qui tirent discrètement les ficelles dans les coulisses.

La rhétorique de la solidarité avec l’Ukraine, aussi justifiée soit-elle, sert en réalité de couverture à des calculs stratégiques plus vastes : renforcer l’industrie européenne de l’armement et consolider la position de l’UE en Europe ou, par exemple, en Afrique, en concurrence avec la Russie ou la Chine. Cette réalité n’enlève rien à la nécessité de soutenir l’Ukraine face à l’agression, mais elle nous oblige à faire face à l’hypocrisie d’un système qui prétend défendre des valeurs universelles tout en les appliquant de manière aussi sélective.

Dans ce contexte, il est essentiel de réaffirmer notre solidarité avec le peuple ukrainien, tout en rejetant l’escalade militaire promue par l’UE. La véritable solidarité devrait s’exprimer par des initiatives diplomatiques fortes visant à mettre fin à la guerre, et non par une course aux armements qui ne fait qu’alimenter le conflit.

Les sondages d’opinion montrent que les citoyens européens craignent que la Russie n’envahisse bientôt un autre pays européen. Est-ce une raison valable pour réarmer et construire une armée européenne capable de faire face ?

La prolongation de la guerre contre l’Ukraine n’est pas accidentelle : elle a été activement encouragée par les pays de l’OTAN, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, jusqu’à ce qu’ils commencent à considérer que l’investissement en valait moins la peine. Aujourd’hui, l’Union européenne prend le relais, mue par ses propres intérêts géopolitiques. On nous vend deux récits contradictoires : d’une part, on nous dit qu’en envoyant toujours plus d’armes, l’Ukraine peut « gagner » cette guerre ; d’autre part, on nous prévient d’une invasion russe imminente jusqu’à Berlin. Ainsi, dans le premier cas, l’armée russe semble assez faible, dans le second, elle est si forte qu’elle pourrait se mesurer à l’OTAN. Ces récits, à la fois alarmistes et incohérents, servent avant tout à justifier une escalade militaire qui profite à l’industrie de l’armement et aux puissances impérialistes.

L’industrie de l’armement promeut cette « coopération » européenne car elle ouvre la voie à des mégaprojets inabordables à l’échelle nationale.

Le fait est que l’OTAN et les États membres de l’UE veulent faire grimper le prix pour un rival impérialiste, la Russie. Il ne s’agit pas de souveraineté ni des intérêts du peuple ukrainien. Et le fait est que plus cette guerre durera, plus le militarisme se renforcera et plus le risque de guerre augmentera.

Je ne me fais pas d’illusions sur la démocratie libérale en tant que forme de régime capitaliste. En tant que socialiste, je me bats pour un système qui va bien au-delà de la démocratie libérale. En même temps, je défendrai toujours la démocratie libérale contre l’autocratie. Mais aujourd’hui, on me demande d’accepter la militarisation de la société allemande au nom de la défense de cette même démocratie. Cette logique est profondément erronée. En effet, la réalité montre que la militarisation nourrit le nationalisme et érode les libertés démocratiques.

Cette contradiction doit être clairement exposée : ces guerres ne sont pas celles de la classe ouvrière et ne servent pas ses intérêts. Si nous voulons éviter une nouvelle guerre dans 2, 5 ou 10 ans, la seule réponse efficace est la montée d’un vaste mouvement pour la paix – en Europe, mais aussi aux États-Unis, en Chine, en Russie et en Ukraine. Les peuples doivent refuser d’être des pions sacrifiés sur l’échiquier géopolitique.

En Belgique, beaucoup de gens sont inquiets. Ils ont vu la vidéo de la commissaire européenne Hadja Lahbib recommandant de préparer un kit de survie, entendu le ministre Théo Francken suggérer de faire des réserves à la maison, ou écouté les responsables militaires dire que nous ne sommes pas en guerre, mais pas en paix non plus. Que pouvons-nous leur répondre ?

Nous devons être honnêtes et leur dire clairement : si nous ne construisons pas un vaste mouvement pour la paix, la politique actuelle de militarisation ne fera qu’accroître le danger de guerre et multiplier les conflits mondiaux. Si nous voulons éviter ce résultat, notre seule option – en tant que peuple, en tant que classe ouvrière résistant à ces politiques d’escalade – est de maintenir une véritable solidarité avec tous les peuples touchés par la guerre, que ce soit à Gaza, en Ukraine ou ailleurs. Notre objectif doit être de mettre fin aux guerres, et non de les prolonger. Cette position doit être clairement énoncée.

D’autre part, on nous présente un nouveau récit qui dépeint la Russie comme la plus grande menace mondiale. Mais soyons lucides : le réarmement actuel de l’Union européenne n’est pas justifié par un besoin réel de se défendre contre la Russie. Dans la plupart des domaines – forces navales, aviation, armement – les capacités militaires de l’Europe dépassent déjà celles de la Russie. Cette course aux armements est motivée par d’autres raisons que la simple défense. Il s’agit de renforcer nos arsenaux militaires pour mener des guerres en dehors de l’Union européenne. C’est cette réalité qu’il faut avant tout dénoncer.

Le seul domaine dans lequel nous sommes plus faibles que la Russie, c’est l’armement nucléaire. Mais voulons-nous vraiment nous engager dans cette voie ? Dans le passé, ce sont les peuples d’Europe et du monde qui ont déclaré : « Nous ne voulons plus d’armes nucléaires. Nous devons choisir une autre voie. » Si nos dirigeants étaient vraiment honnêtes – s’ils croyaient sincèrement à la nécessité de s’armer – ils demanderaient également un déploiement massif d’armes nucléaires en Europe. Il est clair que cela ne rendrait pas le monde plus sûr, bien au contraire.

Moi aussi, je crains que mes enfants ne grandissent pas en paix. Mais si je veux changer les choses, la seule voie viable – et j’aimerais qu’elle soit plus simple – est de lutter contre ce système. Nous n’avons peut-être pas les solutions les plus faciles, mais nous avons les réponses les plus honnêtes, les analyses les plus claires, et nous devons trouver le courage de les défendre avec plus de force.

Nous sommes bombardés de récits fabriqués, répétés à l’infini pour justifier l’injustifiable. On nous raconte toujours la même histoire : « L’Ukraine doit continuer à se battre, elle peut gagner cette guerre ». Mais cette affirmation est tout simplement fausse. Le problème, c’est que lorsqu’on entend quelque chose matin, midi et soir, jour après jour, on finit par y croire.

C’est à nous de rappeler constamment que la réalité contredit fortement ces affirmations.

Enfin, quels conseils donneriez-vous aux lecteurs de Lava qui veulent lutter contre la militarisation en Belgique et en Europe ?

Il n’a jamais été facile de s’opposer à la guerre et à la militarisation en période de guerre, mais avec le temps, les gens finissent par se rendre compte que ce qu’on leur a dit était faux. La guerre en Afghanistan en est l’exemple le plus clair.

Si nous voulons éviter une nouvelle guerre , les peuples doivent refuser d’être des pions sacrifiés sur l’échiquier géopolitique.

Je me souviens qu’au début, lorsque les mouvements pacifistes et de gauche s’y opposaient, on nous demandait : « Soutenez-vous les Talibans ? » Vingt ans de guerre plus tard, tout le monde admet que c’était une erreur. C’est un rappel important lorsque nous luttons contre les guerres – et cela devrait peut-être nous donner le courage de résister plus fermement aujourd’hui.

D’ailleurs, la guerre en Ukraine n’a pas marqué le début des rivalités géopolitiques, mais elle a été un tournant où leurs conséquences sont devenues plus visibles. Peut-être devrions-nous nous pencher à nouveau sur l’histoire du mouvement ouvrier avant la Première Guerre mondiale, sur l’histoire du mouvement socialiste : comment ont-ils réagi à l’époque ? Quels étaient leurs arguments ? Karl Liebknecht, par exemple, éminent antimilitariste et socialiste, a voté en sa qualité de membre du parlement allemand du parti social-démocrate historique, contre les crédits de guerre au début de la Première Guerre mondiale. Il soutenait que la guerre contribuait à briser le début de la mobilisation des travailleurs et qu’elle n’était donc pas dans l’intérêt du peuple. Il s’est ainsi positionné contre tous les autres membres du parlement, y compris de son propre parti, et a encouragé un mouvement socialiste.

L’histoire ne se répète jamais exactement de la même manière – ne vous méprenez pas – mais nous pouvons observer des arguments similaires, des dynamiques parallèles … et nous devrions probablement étudier notre propre histoire beaucoup plus que nous ne l’avons fait au cours des dix dernières années. Nous aurions beaucoup à en apprendre.