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Les mythes de l’OTAN perdent de leur éclat

Sevim Dagdelen

—11 octobre 2024

L’auto-déni est une caractéristique essentielle de l’OTAN. Depuis 75 ans, l’alliance militaire n’est pas ce qu’elle prétend être, affirme l’autrice et députée allemande Sevim Dagdelen. 

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L’histoire des Lumières nous enseigne qu’il faut toujours se méfier de l’image qu’une personne ou une organisation donne d’elle-même. Les Grecs de l’Antiquité l’avaient déjà compris ; au-dessus du temple d’Apollon, on pouvait lire la maxime « Connais-toi toi-même ».

La connaissance de soi, qualité humaine essentielle, devrait également valoir pour les organisations. Pour l’OTAN, ce n’est apparemment pas le cas.

Plus encore, le déni de sa véritable nature fait partie de l’essence même de l’organisation. Autrement dit, l’alliance militaire promeut activement une image favorable, mais trompeuse. Étonnamment, la question de savoir si celle-ci reflète la réalité est très rarement posée.

En fait, les 75 années d’existence de l’OTAN équivalent à 75 années de déni, avec toutefois une expansion spectaculaire de son échelle et de sa portée au cours des dernières années.

Une organisation défensive ?

Tout d’abord, il y a le mythe central de l’OTAN en tant qu’organisation défensive : une communauté d’États de droit dont le seul but est de défendre le territoire de ses membres dans le respect du droit international.

L’histoire raconte un récit bien différent. En 1999, en violation du droit international, l’OTAN a elle-même mené une guerre d’agression contre la République fédérale de Yougoslavie. Parmi les crimes de guerre commis par l’OTAN figurent le bombardement d’une station de télévision à Belgrade et un bombardement présumé accidentel de l’ambassade de Chine, qui a tué trois journalistes chinois.

Carte de l’intervention de la coalition en Libye. (Jolly Janner, Wikimedia Commons, CC0)

En Afghanistan, elle s’est engagée à partir de 2003 dans une guerre qui dépassait largement le territoire de l’alliance. Vingt ans plus tard, le pouvoir a été remis aux talibans, alors que leur renversement était justement l’objectif déclaré de l’invasion.

Cette guerre de 20 ans en Afghanistan a été marquée par de nombreux crimes de guerre qui sont restés impunis. On peut citer par exemple la frappe aérienne étasunienne d’octobre 2015 sur un hôpital de Médecins sans frontières à Kunduz.

L’OTAN a adopté la devise des mousquetaires : un pour tous et tous pour un. Dans la pratique, cela signifie que les actes individuels de membres de l’OTAN doivent également être attribués à l’organisation elle-même.

L’institut Watson de l’université Brown aux États-Unis estime à 4,5 millions de personnes le nombre de victimes des guerres menées par les États-Unis au Moyen-Orient au cours des 20 dernières années. Les guerres, comme celle d’Irak, étaient des violations flagrantes du droit international, fondées sur des mensonges.

L’OTAN n’est pas une organisation défensive, mais une organisation d’illégalité et de violation du droit international qui, séparément ou en tant qu’organisation, mène des guerres d’agression sur une base politiquement opportuniste.

Des États de droit démocratiques ?

Un deuxième mythe, peut-être celui qui a été inculqué avec le plus d’insistance, est que l’OTAN serait une communauté de démocraties, ancrée dans l’État de droit. Mais une fois de plus, l’histoire dément cette présentation flatteuse. 

Jusqu’en 1974, le Portugal, membre de l’OTAN, était dirigé par une dictature fasciste qui a mené des guerres coloniales sanglantes en Angola et au Mozambique. Les combattants de la résistance ont été conduits dans des camps de concentration tels que Tarrafal au Cap-Vert, où nombre d’entre eux ont été torturés à mort.

Comme le Portugal fasciste, la Grèce et la Turquie étaient toutes deux membres de l’OTAN au lendemain de leurs coups d’État militaires respectifs.

C’est l’OTAN elle-même qui a lancé l’Opération Gladio, une organisation clandestine en Europe occidentale qui devait être activée lorsque des majorités démocratiquement élues menaçaient de voter contre l’adhésion à l’OTAN. En Italie, des attentats terroristes ont par exemple été perpétrés au nom de groupes d’extrême gauche pour discréditer le Parti communiste italien lorsqu’il tentait de former un gouvernement.

On pourrait objecter que nous évoquons ici une époque révolue et que l’OTAN est désormais prête à être sollicitée dans la lutte mondiale des démocrates contre les autocrates. Or même sur ce point, tout observateur sérieux doit conclure qu’il y a quelque chose d’inexact dans cet aspect de l’image que l’alliance du 21e siècle donne d’elle-même.

Prenons l’exemple de la Turquie sous le président Recep Erdogan. Le pays a mené des guerres illégales à plusieurs reprises contre l’Irak et la Syrie, a soutenu des groupes terroristes islamistes en Syrie et, selon l’estimation du gouvernement allemand en 2016, est un tremplin pour les islamistes. Pourtant, il est et reste à ce jour un membre important de l’OTAN.

Il existe des accords de sécurité bilatéraux, comme celui conclu avec l’Espagne de Franco, avec l’Arabie saoudite et le Qatar, alors que ces États sont ouvertement antidémocratiques. Le seul critère valable pour traiter avec l’Alliance est un avantage géopolitique évident. L’OTAN n’est pas une communauté de démocraties et elle n’existe pas non plus pour défendre la démocratie.

Respect des droits humains ?

Sevim Dagdelen est députée au Bundestag allemand et autrice de « NATO: A Reckoning with the Atlantic Alliance » (Leftword Books, 2024).

Troisièmement, l’OTAN affirme qu’elle protège les droits humains. Même si on passe au-dessus du fait que les actions de l’OTAN bafouent sans cesse le droit au travail, aux soins de santé et à un logement adéquat, cet élément de l’identité qu’elle propage ne correspond pas non plus à la réalité.

Aujourd’hui, les prisonniers de la guerre mondiale contre le terrorisme menée par les États-Unis croupissent toujours à Guantanamo Bay, où ils sont détenus sans procès depuis près d’un quart de siècle. Telle est la réalité des « droits humains » dans le premier pays de l’OTAN. Quant aux 14 années de calvaire de Julian Assange, elles en disent long sur le respect de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.

Son « crime » a été de révéler au public les crimes de guerre commis par les États-Unis. Une campagne de dénigrement a été lancée contre lui où Hillary Clinton et Mike Pompeo ont ouvertement envisagé son assassinat. Cela fait partie de la réalité de la relation de l’OTAN avec les droits humains. La campagne internationale pour défendre Assange a heureusement été couronnée de succès et il est aujourd’hui un homme libre. La lutte pour sa libération illustre le nécessaire combat pour la liberté en tant que telle au cœur du système de l’OTAN.

L’orgueil avant la chute ?

Vu la propagande incessante du mythe de l’OTAN, il est presque miraculeux que non seulement le soutien à l’organisation s’érode dans le monde entier, mais que ce soit précisément les personnes les plus exposées à cette propagande qui sont de plus en plus sceptiques à l’égard du pacte militaire.

Aux États-Unis, l’approbation de l’OTAN par l’opinion publique n’a cessé de diminuer ces dernières années, tandis qu’en Allemagne, la majorité des citoyens doutent du principe de défense de tous les membres. En d’autres termes, ils ne sont plus disposés à s’engager à respecter l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Les gens sentent bien que les apparences sont trompeuses.

Alors que ses défenseurs parlent de l’alliance comme si elle était éternelle, l’OTAN commet une erreur dans l’escalade en Ukraine et dans l’expansion de ses opérations en Asie. 

Comme la plupart des empires, l’OTAN tombe dans le piège de la sur-extension. L’OTAN semble répéter les erreurs de calcul de l’Empire allemand lors de la Première Guerre mondiale, mais cette fois à l’échelle mondiale.

À l’époque, l’Empire allemand pensait pouvoir mener une guerre sur deux fronts. Aujourd’hui, une croyance similaire gagne du terrain au sein de l’OTAN, selon laquelle elle devrait non seulement affronter la Russie et la Chine, mais aussi s’engager au Moyen-Orient. Il s’agit d’une prétention orgueilleuse à l’hégémonie mondiale.

Trois fronts et trois réunions 

L’OTAN se considère visiblement comme menant une guerre sur trois fronts. Mais si elle le faisait, sa défaite serait certaine dès le départ.

Dans ce contexte, il est logique que trois réunions spécifiques aient été prévues lors du sommet de l’OTAN. 

La première était une session de travail consacrée à la poursuite du réarmement de l’alliance. 

La deuxième était le Conseil OTAN-Ukraine, où l’on a discuté des moyens d’étendre le soutien de l’OTAN à l’Ukraine, en augmentant les livraisons d’armes et en permettant à l’Ukraine d’adhérer à terme à l’OTAN. 

Enfin, une troisième session a été organisée avec les partenaires de l’Asie-Pacifique (ou l’AP4, qui comprend l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud) et une rencontre avec les dirigeants de l’UE.

Septante-cinq ans après sa création, l’OTAN s’efforce de renforcer la volonté de combattre en Ukraine et de s’étendre vers l’Asie, avec l’intention d’y promouvoir l’« Otanisation » de la région et d’y mettre en œuvre la stratégie qu’elle estime avoir déjà déployée avec succès contre la Russie.

Actuellement, l’objectif principal dans le Pacifique n’est pas l’adhésion directe des pays asiatiques à l’OTAN, mais l’élargissement de la sphère d’influence de l’OTAN par le biais d’accords de sécurité bilatéraux. Et pas seulement avec l’AP4, mais aussi avec les Philippines, Taïwan et Singapour.

Tout comme l’Ukraine est considérée comme un État en première ligne face à la Russie, l’OTAN espère faire de pays asiatiques comme les Philippines des États challengers face à la Chine. L’objectif initial est de participer à une guerre froide par procuration, tout en se préparant à une « guerre chaude » par procuration des États-Unis et de l’OTAN en Asie.

L’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie a suivi le principe de la « grenouille bouillie ». Progressivement, de nouveaux États d’Europe de l’Est sont devenus membres afin de ne pas trop éveiller les soupçons de la Russie. C’est également de la sorte que les choses se passent aujourd’hui en Asie. Pour contenir la Chine, l’OTAN resserre un à un ses liens avec les pays qui l’entourent et construit une phalange prête à la guerre. 

Comme toujours, l’objectif est d’éviter de devoir mener soi-même une telle guerre et d’avoir accès aux ressources des alliés pour mener ces guerres froides, puis chaudes. Cette évolution s’accompagne d’une guerre économique, désormais également dirigée contre la Chine, dont le fardeau le plus lourd est supporté par les économies des États clients des États-Unis.

Les États-Unis et l’OTAN suivent une méthode de guerre définie par l’ancien stratège militaire chinois Sun Tzu, qui conseillait à un État d’essayer de mener une guerre sans ses propres ressources.

Le problème pour les stratèges de l’OTAN n’est pas seulement leur volonté de mettre le feu au monde entier, mais aussi le risque d’intensifier la construction d’alliances parmi les États qui rejettent l’OTAN. Pour ces États, le regroupement devient une nécessité pour protéger leur propre souveraineté. Ainsi, la politique de l’OTAN encourage la montée en puissance des pays du BRICS et d’autres alliances dans le Sud global…

Paradoxalement, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN promeuvent un monde multipolaire. Avec son soutien inconditionnel au gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahu, l’OTAN perd désormais toute légitimité morale dans le Sud, puisqu’elle est considérée comme complice des crimes de guerre israéliens.

Les mythes de l’OTAN perdent de leur éclat.

Les stratégies de l’alliance s’écroulent en raison de sa propre sur-extension impériale. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’un cessez-le-feu et de l’ouverture de négociations en Ukraine. Les politiques agressives en Asie doivent également cesser. En fin de compte, la lutte contre l’OTAN est également une lutte pour sa propre souveraineté. Au lieu d’une alliance d’États clients des États-Unis, l’Europe doit suivre sa propre voie. Un premier pas serait de ne plus se laisser berner par une alliance militaire qui finance sa stratégie agressive en réduisant les dépenses sociales et les services publics des États membres.

Cet article est une version légèrement modifiée du discours prononcé par Sevim Dagdelen lors du symposium « No to NATO, Yes to Peace » qui s’est tenu à Washington DC le 6 juillet 2024.