Alerta Arizona

« Les femmes seront en première ligne de la réforme du chômage »

Apolline Dupuis

—2 juillet 2025

Alerta Arizona n*5 – Retrouvez les opinions enflammées contre le désert social de De Wever et Bouchez de notre série Alerta Arizona.

Apolline Dupuis est assistante et doctorante au Service des Sciences Politiques de l’UMONS.

L’accord de Pâques du gouvernement fédéral Arizona introduit une réforme particulièrement sévère du régime des allocations de chômage en Belgique, en limitant leur durée à un maximum de deux ans. Cette mesure, qualifiée de « radicale », repose sur un mécanisme de droits différenciés selon l’ancienneté professionnelle. Pour bénéficier des deux années d’indemnisation complètes, les travailleuses et travailleurs devront justifier de cinq années de cotisation. En dessous de ce seuil, les droits sont strictement réduits : aucune allocation ne sera versée à celles et ceux ayant travaillé moins d’un an, et un barème progressif est appliqué à partir d’un an, ajoutant un mois d’indemnisation pour chaque période de quatre mois travaillés.

Le ministre de l’Emploi, David Clarinval (MR), a défendu cette réforme en arguant que « le chômage ne peut pas être un plan de carrière ». « Maintenant, tout le monde au boulot ! »[1], a-t-il affirmé. Mais qui se cache derrière ce « tout le monde » ?

En 2023, les statistiques de l’Inami font état de 502.580 personnes en incapacité de travail, un chiffre bien supérieur à celui des demandeuses et demandeurs d’emploi (319.000 selon Statbel). Ce différentiel est d’autant plus significatif que les statistiques d’incapacité sont elles-mêmes sous-évaluées. En effet, nombre de travailleuses et travailleurs sans emploi, mais en situation réelle de maladie ou d’invalidité ne sont pas reconnus comme tels, et sont dès lors comptabilisés dans les chiffres du chômage. Cette invisibilisation des incapacités découle notamment d’une faible reconnaissance des maladies professionnelles depuis les années 1980, en particulier dans les secteurs féminisés.

Dans ce contexte, l’impact de la réforme se révèle profondément genré. Les femmes sont non seulement surreprésentées parmi les personnes éloignées durablement de l’emploi, mais elles le sont également dans les métiers physiquement exigeants, précaires et exposés aux risques psychosociaux : soins, titres-services, enseignement, etc. Elles sont de plus confrontées à un équipement professionnel inadapté à leur morphologie, aggravant les risques de blessures et de douleurs chroniques.

Les femmes sont surreprésentées parmi les personnes éloignées durablement de l’emploi et dans les métiers physiquement exigeants, précaires et exposés aux risques psychosociaux

Les chiffres de l’Inami illustrent clairement cette tendance. En 2021, 250.000 femmes étaient en incapacité de travail, contre 200.000 hommes. Depuis 1996, cette augmentation est de 345 % chez les femmes, contre 71 % chez les hommes. Près de 60 % des personnes en incapacité prolongée sont des femmes, notamment pour des pathologies psychiques comme le burn-out, la dépression ou les troubles anxieux. Ces troubles, dont la reconnaissance comme maladies professionnelles est récente (2006 pour le burn-out), nécessitent souvent des périodes de convalescence longues — jusqu’à cinq ans selon certaines études — et peuvent empêcher un retour à l’emploi dans 10 à 15 % des cas.

Au-delà des seules pathologies mentales, les femmes sont également touchées par des affections chroniques spécifiques (endométriose, fibromyalgie, arthrite) et peinent à accéder à des dispositifs de prévention ou d’adaptation en entreprise. Cette situation est aggravée par la charge mentale et physique induite par les tâches domestiques et de soins, prises en charge très majoritairement par les femmes, qui représentent environ deux tiers des aidantes proches.

Ainsi, la réforme actuelle ne saurait être réduite à une simple question budgétaire ou de responsabilisation individuelle. Elle révèle, en creux, une conception gestionnaire du travail aveugle aux limites corporelles, psychiques et sociales des individus. Les exigences croissantes en matière de disponibilité à l’emploi, combinées à la réduction des protections sociales, configurent un modèle de carrière inaccessible pour une large partie de la population active — en particulier les femmes vieillissantes, usées par des parcours professionnels et familiaux pénibles.

En définitive, ce projet de réforme s’inscrit dans une dynamique plus large de désolidarisation sociale, où les normes de performance, de disponibilité et de santé sont inadaptées à la réalité vécue par une majorité de travailleuses et travailleurs. Le durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation du chômage risque d’accentuer encore la mise à l’écart des plus fragilisés, tout en occultant les logiques structurelles qui sous-tendent leur éloignement du marché du travail.

Le projet politique de l’Arizona est un accord historique contre la classe travailleuse et d’autant plus contre les femmes. La reconnaissance des maladies professionnelles est une nécessité parallèle à la construction d’un modèle sociétal qui cesse de marchandiser les corps épuisés sous couvert de compétitivité économique.