80% des Berlinois sont locataires, mais, victimes de la soif de profit du privé, ils peinent à payer leurs loyers. Mais une initiative populaire déterminée à prendre le contrôle du marché locatif est en train de gagner du terrain.
Le logement est un droit humain. C’est ce qu’affirment la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies, et Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies de 1966. En Europe, l’article 31 de la Charte sociale européenne ne dit pas autre chose, stipulant, entre autres : « Toute personne a droit au logement. » La version révisée est en vigueur depuis le 1er juillet 1999. Et à Berlin, après le succès de la manifestation du 6 avril 2019 contre la hausse délirante des loyers, une vaste initiative sociale s’est engagée à socialiser les groupes immobiliers comptant plus de 3 000 appartements dans leur portefeuille. Le mouvement est né en 2018, en réaction à l’explosion des loyers berlinois. Les loyers de la majorité des locataires, qui représentent encore 80 % de la population berlinoise, a plus que doublé en l’espace de dix ans. Récemment, la ville a rejoint les rangs des agglomérations allemandes et européennes où les salariés et leurs familles doivent dépenser jusqu’à un tiers, parfois même plus, de leur salaire uniquement pour se loger. L’initiative berlinoise est soutenue par le Paritätischer Wohlfahrtsverband, le BUND, les syndicats Verdi et GEW, l’Union des locataires et de très nombreux comités de quartier, eux-mêmes soutenus par des membres du parti Die Linke et du mouvement de jeunesse des Verts, ainsi que par certains sociaux-démocrates de droite. Elle invoque l’article 15 de la Constitution, qui prévoit que : « Le sol, les ressources naturelles et les moyens de production peuvent être placés, aux fins de socialisation, sous un régime de propriété collective ou d’autres formes de gestion collective par une loi qui fixe le mode et la mesure de l’indemnisation. »
« En socialisant le parc de logements, Berlin peut résoudre des problèmes par rapport auxquels les responsables politiques n’ont aujourd’hui aucun levier d’action », indique l’initiative. La propriété publique permet non seulement de proposer des loyers abordables, mais aussi de fournir un toit à de petites entreprises, des logements décentralisés pour les réfugiés, des espaces pour l’art et la culture alternative des jeunes, ou encore des refuges pour les victimes de violences domestiques. L’autonomie démocratique signifie que la mise en œuvre de ces options peut être décidée directement dans les arrondissements et les quartiers. Au lieu de considérer la participation citoyenne comme un frein à la construction de nouveaux biens, la socialisation considère la démocratie comme une chance. Dans un Berlin marqué depuis trente ans par la privatisation et une politique d’urbanisme axée exclusivement sur les investisseurs, c’est une occasion d’ouvrir un espace d’expression politique, muselée depuis trop longtemps. Pour l’initiative, la socialisation signifie donc, premièrement, le transfert de la propriété privée vers la propriété publique ; deuxièmement, la gestion de la propriété dans l’intérêt commun ; et troisièmement, la gouvernance démocratique de l’ensemble.
La collecte de signatures a commencé fin février, et après seulement quatre (!) mois, l’initiative « Expropriez Deutsche Wohnen & Co. » déposait, le 25 juin, un total de 359 063 signatures. Jamais à Berlin, autant de signatures n’avaient été recueillies pour réclamer un référendum. Les bureaux d’arrondissement de Berlin ont vérifié 272 941 signatures ; 183 711 d’entre elles étaient valides, soit plus que le nombre requis. Selon le réglement de la loi électorale, les bureaux d’arrondissement ne devaient contrôler qu’un certain nombre de signatures, jusqu’à ce que le quorum soit atteint. Les autres soutiens ont seulement été comptabilisés. Toutefois, l’initiative a soulevé le problème suivant : l’administration électorale du Land a déclarées invalides des dizaines de milliers de signatures parce qu’elles provenaient de Berlinois ne disposant pas d’un passeport allemand. On voit ainsi que l’initiative a également impliqué les résidents étrangers de Berlin, qui représentent une part importante des habitants de la ville, dans la collecte de signatures.
Le site web de « Deutsche Wohnen & Co enteignen » (« Exproprier Deutsche Wohnen & Co ») est d’ailleurs écrit en 12 langues, de l’arménien au vietnamien. L’initiative a ainsi déclaré : « Les Berlinois ne disposant pas d’un passeport allemand constituent une part importante de notre communauté, et ont construit leur vie dans cette ville. C’est un scandale que ces Berlinois n’aient pas le droit de s’exprimer. » Cette critique a été formulée par Jane Plett, active dans le groupe de travail « Droit à la ville » de l’initiative.
« Le nombre record de signatures recueillies a permis de clarifier une chose : les Berlinois veulent un changement radical du marché du logement. Pour eux, cette collecte de signatures n’était qu’un début. Grâce à ce soutien massif, les responsables politiques, quel que soit leur parti, ne peuvent plus nous ignorer. Maintenant, nous reconquérons la ville », a annoncé Moheb Shafaqyar, porte-parole de l’initiative.
Leonie Heine, qui participe au groupe de travail de l’initiative en charge de la collecte de signatures, a déclaré lors de la remise des signatures à l’administration électorale du Land de Berlin : « Au cours des nombreuses discussions collectives, je me suis rendu compte que le référendum touche une corde sensible dans la ville. Presque toutes les discussions ont été très positives et ont abouti à des signatures. Je suis très heureuse que nous ayons remporté ce pari, malgré les conditions difficiles que nous a imposées le coronavirus. »
Après 4 mois, l’initiative « Deutsche Wohnen & Co. enteignen » comptait un total de 359.063 signatures. Jamais à Berlin, autant de signatures n’avaient été recueillies pour réclamer un référendum.
Après cette première phase réussie, l’initiative s’est immédiatement préparée pour le vote à venir : « Compte tenu de la situation désastreuse du marché du logement, le logement sera l’un des principaux thèmes de la campagne électorale. Nous informerons les Berlinois afin qu’ils votent “oui” à la construction de logements abordables à long terme dans la ville », explique M. Shafaqyar. « Grâce aux discussions que nous menons avec les gens en porte à porte et dans les rues, nous informons tout Berlin de la manière dont nous pouvons garantir à long terme des logements de qualité et abordables pour de nombreux Berlinois, en socialisant les entreprises à but lucratif, qui deviendront alors un deuxième pilier aux côtés des coopératives », ajoute Leonie Heine.
« Deutsche Wohnen & Co enteignen » exhorte, dans son référendum, le Sénat à prendre toutes les mesures nécessaires pour placer les biens immobiliers et les terrains sous un régime de propriété collective à des fins de socialisation, conformément à l’article 15 de la Constitution. Si le référendum aboutit sur un “oui”, le Sénat devra adopter une loi en ce sens, mais l’initiative a déjà introduit sa propre proposition de loi dans le débat. Un porte-parole de l’initiative a expliqué que l’objectif était d’ouvrir un « débat public et juridique sur le fond ». En outre, si l’initiative rencontre le succès, cette proposition permet de « lancer la mise en œuvre immédiatement ». La proposition de l’initiative établit que plus de 240 000 appartements doivent être transférés à une institution de droit public, appelée « Gemeingut Wohnen », et gérés de manière démocratique, transparente et dans l’intérêt général. Afin d’inverser la logique néolibérale des accords de libre-échange tels que le CETA ou le TTIP, selon laquelle une fois que des biens sont privatisés, on ne peut plus revenir en arrière, la proposition de loi stipule que les logements socialisés ne pourront plus jamais être privatisés. Ce ne sont pas les sociétés elles-mêmes qui doivent être socialisées, mais les terrains et les logements qui s’y trouvent.
Cette socialisation vise les entreprises privées possédant 3 000 logements ou plus dans la ville à la date de référence du 26 septembre, jour de l’éventuel référendum. Les entreprises doivent coopérer à l’enregistrement de leurs propriétés, sous peine de lourdes sanctions en cas de non-respect. Sont explicitement exclues les coopératives et les associations de logement appartenant à l’État. Si le règlement mentionne la date de référence du 26 septembre, c’est dans le but d’empêcher « les entreprises de contourner la socialisation par des restructurations et autres manœuvres », explique Sebastian Schneider, qui a joué un rôle important dans la rédaction de la proposition de loi de l’initiative. La loi prévient également la division d’un groupe en petites sous-unités, en considérant toutes ces sociétés comme une seule entité, dans laquelle le groupe exerce une « influence significative », c’est-à-dire qu’il en détient au moins 20 % des actions ou des droits de vote. Ainsi, les entreprises ne devraient pas pouvoir se cacher derrière des « structures d’entreprise imbriquées ».
Pour ce qui est de la question de la compensation, les initiateurs de la pétition berlinoise en faveur d’un référendum se montrent également intraitables et mettent une nouvelle idée sur la table. Contrairement à ce qui était d’usage jusqu’à présent, les entreprises ne devront pas être indemnisées en une seule fois et par des paiements en espèces, mais par le biais d’obligations transférables, appelées actions de compensation. Le montant total de la compensation fixé au départ doit être remboursé sur une période de 40 ans. Toutefois, les entreprises peuvent échanger et revendre ces obligations pour obtenir le montant total plus rapidement. Dans ce modèle, l’institution publique paierait la compensation grâce aux revenus locatifs qu’elle percevrait annuellement, sans devoir contracter de prêts. Cela n’aurait aucun impact sur le budget de l’État, ni donc sur sa capacité de construction de nouveaux logements. La campagne répond ainsi aux contre-arguments les plus répandus, selon lesquels la socialisation serait trop coûteuse et n’entraînerait pas la création de nouveaux logements.
Cette socialisation vise les entreprises privées possédant 3 000 logements ou plus dans la ville à la date de référence du 26 septembre, jour de l’éventuel référendum.
En termes de logement social, il manque à Berlin environ 350 000 logements à loyer abordable (soit inférieur à six euros par mètre carré). En outre, Berlin compte environ 90 000 ménages de bénéficiaires d’allocations de transfert, dont le loyer réel est supérieur au coût du logement payé par l’État. Échec du plafonnement des loyers, lenteur excessive du renouvellement des logements, restrictions financières à l’achat, préemption par les sociétés de logement de l’État : tous ces instruments utilisés jusqu’à présent dans le cadre de la politique du logement rouge-rouge-verte n’ont pas été en mesure de relever les défis d’une politique de logement social.
En revanche, l’initiative « Deutsche Wohnen & Co enteignen » vise à socialiser les propriétés résidentielles de grandes entreprises, soit environ 240 000 logements. Avec plus de 550 000 logements publics, environ un tiers de tous les logements locatifs passeraient ainsi sous contrôle public et pourraient servir de logements sociaux. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’initiative a bénéficié d’un tel soutien de la population au cours des derniers mois.
La socialisation doit s’articuler autour des quatre principes suivants :
1. La spéculation sur l’augmentation des loyers ne peut être récompensée. Pour cela, la compensation doit être largement inférieure à la valeur du marché.
2. Une mise en œuvre constitutionnelle de la socialisation selon l’article 15 de la Constitution inclut une reconnaissance des intérêts économiques, qui doivent être pris en compte pour déterminer le montant de la compensation.
3. La socialisation (c’est-à-dire le transfert à la propriété collective) n’est pas une fin en soi, mais vise à permettre le développement durable d’un système locatif social. Les compensations qui ne peuvent être refinancées que par des augmentations de loyer sont contraires aux objectifs de la politique en matière de logement.
4. La socialisation ne doit pas devenir une subvention permanente et, en période de restrictions budgétaires, elle reste en concurrence avec d’autres stratégies en matière de logement et de dépenses liées à la politique sociale. Les modalités de compensation d’une socialisation relevant de l’article 15 de la Constitution n’ont pas encore été fixées. On part du principe que, comme le prévoit l’article 14, l’indemnisation doit être déterminée « au terme d’une prise en compte équitable des intérêts du public en général et des parties concernées ». L’intérêt du grand public pour un logement durablement abordable doit donc peser dans la balance.
Dans ce contexte, Andrej Holm, ancien secrétaire d’État au développement urbain du Sénat, et le consultant indépendant en éducation Sebastian Gerhardt ont examiné quatre modèles permettant de justifier le montant d’une compensation :
– les crédits sur les biens à socialiser (23 milliards d’euros) ;
– les investissements des entreprises pour l’achat et la modernisation des biens (16 milliards d’euros) ;
– un calcul de la valeur du bénéfice capitalisé basé sur les loyers perçus par les agences de l’État (17 milliards d’euros) ; et
– un calcul de la valeur du bénéfice capitalisé basé sur des loyers abordables pour les ménages à faibles revenus (14,5 milliards d’euros).
Avec chacun de ces modèles, ils aboutissent à un résultat nettement inférieur à l’estimation officielle des coûts (publiée par le Sénat) allant de 29 à 39 milliards d’euros.
Un aspect essentiel : la capacité du secteur du logement public de construire du neuf
Un refinancement (sans augmentation de loyer et sans financement complémentaire) à partir des revenus locatifs actuels est possible jusqu’à un montant de compensation d’environ 17 milliards d’euros. Des montants plus élevés nécessitent de lever chaque année des fonds publics supplémentaires sur une plus longue période. Une compensation nettement inférieure à la valeur marchande actuelle est non seulement possible au regard de la loi, mais aussi nécessaire pour atteindre l’objectif de la socialisation (à savoir fournir des logements abordables de manière permanente).
On entend dire que la socialisation ne créera pas de nouveaux logements. C’est vrai. Mais il est également vrai que, lorsque des entreprises à but lucratif construisent des logements neufs, ils ne sont pas pour autant abordables. C’est la capacité du secteur du logement public à construire de nouveaux bâtiments qui peut changer la donne. Malheureusement, les sociétés de logement public ne sont pas parvenues jusqu’ici à construire les 7 000 logements par an requis. Leurs résultats plafonnent à 2 500 par an.
Une fondation pour le logement public peut réduire considérablement les coûts de construction en développant la capacité nécessaire pour construire des ensembles de logements, sans lésiner sur la qualité de chaque logement individuel.
Cet élargissement des capacités de nouvelles constructions, pour espérer porter ses fruits, doit toutefois s’accompagner d’un programme de logement public à long terme qui garantit qu’elles seront effectivement utilisées. En fonction de la production de bâtiments voulue, il faudra réunir chaque année environ 250 millions (pour 7 000 logements par an) à 350 millions d’euros (pour 10 000 logements par an).
Les bénéfices engrangés par les entreprises publiques, qui sont passés de 352 millions d’euros en 2015 à 259 millions d’euros en 2019, ne suffiront pas à réunir ce montant. Même des astuces comptables telles que l’adoption du référentiel comptable applicable aux sociétés cotées sur un marché européen (IFRS) ne sont pas en mesure de lisser les performances économiques réelles des entreprises publiques.
Pour atteindre les objectifs du plan de développement urbain « Logement 2030 », les entreprises dépendront à l’avenir d’injections d’argent public supplémentaire, si elles ne veulent pas voir augmenter davantage encore leur ratio d’endettement et leur charge financière. Une politique de logement social a un coût, tant pour la socialisation que pour la construction de logements neufs.
Les initiateurs estiment le montant des compensations à environ dix milliards d’euros, tandis que le Sénat tablait plutôt sur 28 milliards dans ses prévisions. Les critiques, quant à elles, avancent sans cesse un chiffre de 36 milliards d’euros, qui reflète la valeur des logements sur le marché. La Constitution ne prévoit pas de compensation obligatoire, mais bien une compensation « prenant en compte équitablement les intérêts du public en général et des personnes concernées ». En clair, cela signifie que le montant de la compensation doit encore être débattu en profondeur.
Lors du référendum 57,6% des Berlinois·es –plus d’un million de personnes– se sont prononcés en faveur de la socialisation des grandes sociétés de logement.
Le 27 septembre dernier, l’initiative « Deutsche Wohnen & Co enteignen » annonçait avoir gagné le référendum sur la socialisation des grandes sociétés de logement. Au décompte final, le pour l’emporte de 17,8 (ou 18,2) pour cent, avec 57,6 % de votes (ou 59,1 % des votes valides), contre 39,8 % de votes contre (ou 40,9 %). Cela signifie que plus d’un million de Berlinois ont voté en faveur du référendum, soit trois fois le nombre de signatures recueillies par les volontaires pour la pétition en faveur d’un référendum. Des milliers de militants se réjouissent de ce vote historique en faveur d’une politique de logement social à Berlin. Le futur Sénat est maintenant appelé à rédiger une loi relative à l’expropriation et à la socialisation des grandes sociétés de logement détenant plus de 3 000 logements à Berlin. Plus de 240 000 logements seront à l’avenir gérés par un organisme de droit public, dans l’intérêt public. « Ensemble, nous avons fait bouger la ville et secoué la politique. C’est ce que nous célébrons aujourd’hui. Des milliers de personnes sont entrées en action avec nous. Avec nos structures, nous avons des ancrages dans tous les quartiers de la ville. Nous avons affronté des adversaires de taille et nous avons gagné. On entendra encore parler de nous pendant longtemps », affirme Joanna Kusiak, porte-parole de l’initiative.
« Quelle que soit sa composition, le futur gouvernement de coalition devra mettre en œuvre la socialisation des sociétés de logement. Cet appel à la socialisation a recueilli bien plus de voix que n’importe quel parti. Plus d’un million de Berlinois ont décrété que personne n’avait le droit de spéculer sur nos logements », poursuit Joanna Kusiak. L’initiative annonce qu’elle suivra attentivement les prochaines négociations de coalition : « nous ne transigerons sur aucune tactique de diversion ou d’arnaque. Nous connaissons toutes les astuces. Ignorer le référendum serait un scandale politique. Nous ne lâcherons rien tant que la socialisation des sociétés de logement ne sera pas mise en œuvre », affirme Kalle Kunkel, porte-parole de l’initiative.
Avec Franziska Giffey (SPD) à la manœuvre, les négociations de coalition sont menées par quelqu’un qui, dès le départ, a rejeté l’initiative sur l’expropriation. Les Verts de la capitale ont également d’autres projets, notamment leur « parapluie des loyers ». Lors de la campagne électorale, ils ont présenté l’initiative comme un « ultime recours ». Die Linke a été le seul parti à soutenir le référendum jusqu’au bout, ce qui a valu au parti un résultat électoral plus de deux fois supérieur à son score au niveau national.
Quel est le secret du succès de l’initiative « Deutsche Wohnen & Co enteignen » ?
« Deutsche Wohnen & Co enteignen » est née du combat des locataires et de la mise sur pied de réseaux dans les quartiers. Son évolution, si elle n’a pas été un long fleuve tranquille, a été suffisamment solide pour faire face aux revers. Le référendum n’aurait jamais pu l’emporter sans avoir, dès le début, bénéficié d’un certain soutien au sein de la société, qu’il restait à élargir.
« Deutsche Wohnen & Co enteignen » serait difficilement reproductible telle quelle, mais on peut en tirer des enseignements également valables en dehors de Berlin. Il s’agit avant tout de mettre sur pied un plan concret pour régler un problème de société collectif. Un plan radical, qui semble en même temps réalisable. Par ailleurs, les militants ne se sont pas contentés de faire campagne en ligne ; ils se sont rendus dans les quartiers, et pas seulement de gauche. Leurs gilets violets sur le dos, ils ont frappé à des milliers de portes, notamment de logements où vivent des personnes à faibles revenus et marginalisées. Tout le monde était invité à participer, et ceux qui n’osaient pas ont eu l’occasion d’apprendre.
La dynamique de la campagne tient au fait que de nombreuses personnes s’y organisent. Le message n’a jamais été : votez pour nous et on va tout arranger, mais bien : nous devons prendre nous-mêmes les choses en main et, pour cela, nous avons besoin de vous. Il ne s’agit pas de déléguer la politique à des députés, mais de la déterminer nous-mêmes. Une enquête révèle que jusqu’à 30 % des électeurs de la CDU ont voté pour le référendum. Ce comportement de vote montre bien à quel point tous les ménages vivant dans de grands quartiers résidentiels sentent leur pouvoir d’achat de plus en plus sous pression. La force qui émane de cette expérience partagée doit se maintenir afin de continuer à faire pression pour mettre le résultat du référendum en œuvre. Mais la confiance pour y arriver est immense et c’est extrêmement important.
Ceux qui se concentrent sur un projet social commun, qui s’appuient sur l’auto-organisation et qui touchent ainsi un large spectre social, ceux-là peuvent vraiment gagner quelque chose.
À Berlin, où Die Linke est le seul parti à soutenir pleinement le référendum, la gauche radicale n’a accusé qu’un faible recul lors des élections de la Chambre des députés et a obtenu directement deux sièges avec Gregor Gysi et Gesine Lötzsch. Pendant la campagne électorale, les principaux représentants du parti ont répété leur détermination à faire de la socialisation une réalité.
Non, des revendications radicales seules ne font pas une campagne réussie, pas plus qu’un bon programme et des déclarations d’intention ne suffisent à faire un parti de gauche fort. Mais ceux qui se concentrent sans fausse modestie sur un projet social commun, qui s’appuient sur l’auto-organisation comme stratégie d’application et qui touchent ainsi un large spectre social, ceux-là peuvent vraiment gagner quelque chose.
Le prochain Sénat devra prendre position par rapport à « Deutsche Wohnen & Co enteignen ». een houding moeten aannemen. L’économiste du SPD et directeur de l’Institut allemand de recherche économique (DIW), Marcel Fratzscher, donne le ton : « n’importe quel tribunal va probablement déclarer ces expropriations générales inconstitutionnelles et y mettre un terme. » Le gouvernement de Berlin compte utiliser cet argument juridique pour enterrer la demande d’ expropriation et mettre fin à cette discussion « une fois pour toutes, on l’espère ».
À cet égard, le SPD et die Linke ne se distinguentmalheureusement l’un de l’autre que par des nuances. Franziska Giffey, la bourgmestre en place, veut soumettre le référendum à une « enquête juridique sérieuse ». Pour la dirigeante du parti die Linke, Katina Schubert, la question juridique doit être « pesée très soigneusement ». Il y a toutefois une différence : die Linke s’est associée à nous sur nos affiches, tandis que le SPD nous a brutalement rejetés lors de la campagne électorale. Die Linke campera-t-elle sur ses positions (bien qu’à Berlin, le parti ait déjà montré à plusieurs reprises que la participation au gouvernement lui semble plus importante que la mise en œuvre des principes de son programme)? C’est là une question ouverte qui ne pourra trouver de réponse que dans le futur.
« Deutsche Wohnen & Co enteignen » continuera à lutter pour ses revendications : « Le mandat est clair et sans ambiguïté », a déclaré le porte-parole de l’initiative, Rouzbeh Taheri, le lendemain de la décision. On peut négocier le « comment » de la socialisation, mais pas le « si ». « Nous devons maintenir la pression, car le nouveau Sénat fera certainement tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas appliquer la décision », a déclaré Taheri. En mai de cette année, l’initiative a déjà présenté une proposition de loi pour la socialisation, qui a été rédigée par des juristes experts. Ce plan est prêt à être mis en œuvre. L’admissibilité juridique de la socialisation a été confirmée par sept expertises indépendantes. Celles-ci ont été largement élaborées par les départements scientifiques du Bundestag et de la Chambre des représentants.
On peut négocier le « comment » de la socialisation, mais pas le « si ».
C’est pourquoi l’initiative invite les futurs partis au pouvoir à inclure la formulation contraignante suivante dans l’accord de coalition : « La coalition respecte le référendum et l’appliquera au cours du prochain mandat. Afin d’initier une loi nécessaire au transfert des biens immobiliers en copropriété, un groupe de travail sera créé au premier ou au deuxième trimestre 2022 avec la participation de l’initiative « Deutsche Wohnen & Co enteignen », d’initiatives en matière de politique des loyers, de juristes, d’associations de locataires et d’autres représentants de la société urbaine pour rédiger une loi dans l’esprit de la requête. Cette loi reprend les points clés suivants :
1. Les sociétés immobilières privées à but lucratif possédant plus de 3000 logements à Berlin seront expropriées en vertu de l’article 15 de la Constitution afin que leurs biens passent à la propriété collective. Les coopératives ne sont pas expropriées.
2. Les entreprises concernées sont indemnisées bien en dessous de la valeur marchande.
3. Un organisme de droit public (AöR) est créé pour gérer les immeubles. Les statuts de l’AöR consacrent le fait que les immeubles de l’AöR ne peuvent être privatisés.
4. L’AöR gère les immeubles qui sont passés aux mains de la communauté avec la participation démocratique de la communauté urbaine, des locataires, des travailleurs et du Sénat.
Les partis du Sénat de Berlin reportent la mise en œuvre du référendum
« Le nouveau gouvernement du Land respecte le résultat du référendum et le traitera de manière responsable », peut-on lire dans la note exploratoire de la nouvelle coalition rouge-vert-rouge au Sénat de Berlin. Ils veulent également impliquer les initiateurs dans le processus. Le premier candidat de gauche, Klaus Lederer, présente la procédure comme quelque chose d’inévitable. « C’est un nouveau territoire juridique dans lequel nous entrons ici », a déclaré le sénateur pour la Culture, toujours en fonction, lundi 18 octobre sur la chaîne d’information rbb.
L’article en question n’a jamais été appliqué auparavant. « Bien sûr, cela ne tombe pas du ciel, mais un processus de travail est nécessaire. »“ Aux manifestants présents lors du congrès spécial de die Linke, qui s’est tenu le lendemain et s’est prononcé en faveur de la poursuite des négociations de coalition, il a déclaré : « Nous pouvons totalement laisser tomber l’affaire… ou nous pouvons essayer d’atteindre les objectifs du référendum ! ».
« Deutsche Wohnen & Co enteignen » dénonce toutefois des « tactiques dilatoires évidentes ». Après tout, la faisabilité juridique de la socialisation a « déjà été confirmée par la Chambre des représentants de Berlin et le Bundestag [dans des avis d’experts] à plusieurs reprises ».
Nos deux dernières assemblées plénières ont été très bien suivies, avec entre 130 et 150 participants.
« Dans une démocratie, il est nécessaire que les représentants du peuple respectent la volonté de leur peuple – et dans le cas présent, cela signifie respecter le peuple quand il exige la socialisation maintenant ». Toutefois, le Sénat n’est pas obligé de le faire. Avec le succès du « référendum décisionnel », le peuple souverain ne fait qu’exprimer une volonté politique, qui ne doit toutefois pas être exécutée de manière contraignante.
L’affaire serait différente si les Berlinois avaient voté sur un projet de loi finalisé. L’initiative avait déjà soumis une telle proposition en mai, mais sur le conseil exprès de Die Linke, elle n’a pas été soumise au vote, car cela aurait pu légalement inhiber le référendum à l’avance. Le porte-parole de l’alliance, Ralf Hoffrogge, a lancé le 19 octobre un appel aux partis du Sénat pour qu’ils incluent l’objectif de socialisation dans l’accord de coalition et prévoient un calendrier pour l’élaboration d’une loi en ce sens. Il a déclaré : « l’initiative et la ville en ont assez de ces loyers exorbitants et suivront de près la manière dont la mise en œuvre concrète du référendum sera établie lors des négociations de coalition. » La réunion plénière de l’initiative et la journée stratégique de l’équipe de quartier du 14 novembre ne sont que deux des événements concernant cette question.
Nos deux dernières assemblées plénières ont été très bien suivies, avec entre 130 et 150 participants. Beaucoup d’entre nous oscillent entre l’énergie que nous a donnée le succès du 26 septembre et un certain épuisement au bout de presque quatre ans de campagne. Nous ne devons pas laisser nos structures s’endormir, mais nous devons aussi nous accorder du repos. Une chose que personne ne pourra jamais nous enlever : notre campagne est perçue comme un signe d’espoir non seulement à Berlin, mais aussi dans toute l’Allemagne et maintenant même au niveau international. Nous avons montré qu’il est possible d’organiser des majorités pour une politique qui s’attaque aux problèmes à la racine. Nous sommes radicaux dans le meilleur sens du terme, car nous apportons une réponse réaliste à un problème radical : la pression insupportable exercée sur les nombreuses personnes qui rendent Berlin vivable, pour étancher la soif de profits d’une poignée d’entreprises. Travaillons maintenant ensemble pour faire en sorte que ces majorités politiques se traduisent aussi par des politiques tangibles.
L’initiative de la campagne « RWE & Co enteignen. » démontre entre-temps elle aussi que la demande de propriété collective est très suivie. Berlin a pris la tête d’une bataille féroce entre les locataires et le capital. L’onde de choc de cette première victoire peut se propager dans toute l’Europe. Partout où l’on sait que le logement n’est pas une marchandise. Le fatalisme ne peut être d’aucune utilité à cet égard. Puissent de nombreuses autres initiatives réussir qui placent la question de la propriété, et donc du pouvoir, au centre de leurs activités ! Je vous souhaite également beaucoup de succès dans cette optique.