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Il est temps de procéder au désarmement nucléaire

Kate Hudson

—17 mars 2022

L’invasion de l’Ukraine a fait resurgir le spectre de la guerre nucléaire pour la première fois depuis une génération. Elle illustre pourquoi nous avons besoin d’une vaste campagne pour le désarmement nucléaire.

Quelques semaines seulement après le déclenchement de la guerre, les armes nucléaires sont à l’ordre du jour. Les gros titres des journaux crient aux armes nucléaires de Poutine et à la troisième guerre mondiale et, cette fois, ils n’exagèrent pas lorsqu’ils évoquent cette possibilité. Poutine a, en effet, placé les forces nucléaires russes en état d’alerte et il a menacé, de façon à peine voilée, de recourir à la bombe atomique. La communauté internationale tire donc la sonnette d’alarme.

Avant même l’invasion odieuse de l’Ukraine par la Russie, les aiguilles de l’horloge de l’apocalypse étaient réglées à 100 secondes avant minuit, l’heure la plus proche et jamais atteinte, même au plus fort de la guerre froide. Elles doivent maintenant être encore bien plus proches de l’heure fatidique que symbolise cette catastrophe existentielle. Les événements de ces terribles journées prouvent certainement que les armes nucléaires sont tout simplement trop dangereuses pour être conservées dans l’arsenal d’un très petit nombre de pays, qui mettent délibérément en péril l’avenir de l’humanité.

L’absence de la volonté de négocier

Kate Hudson est la Secrétaire générale de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND).

Les commentateurs ont établi des parallèles entre les risques actuels et la crise des missiles de Cuba en 1962, à l’époque où le monde semblait au bord de la catastrophe nucléaire. La principale différence entre ces événements réside dans le fait qu’aucune guerre ne faisait rage en 1962, et que les deux dirigeants, Kennedy et Khrouchtchev, ont eu la sagesse de négocier pour parvenir à une solution répondant aux préoccupations des deux parties en matière de sécurité. L’Union soviétique a retiré les missiles nucléaires qu’elle avait installés à Cuba en échange de la promesse des États-Unis de ne pas envahir Cuba et d’un accord secret visant le retrait des armes nucléaires américaines de Turquie. Ces armes ont d’ailleurs été discrètement retirées du pays en 1963. La situation était sans aucun doute incertaine, mais la sagesse et le dialogue ont prévalu et la guerre nucléaire a été évitée. Cette retenue et cette volonté de négocier sont clairement absentes aujourd’hui, d’autres facteurs rendent la guerre nucléaire beaucoup plus probable.

Premièrement, une guerre terrible et de plus en plus brutale se déroule en Ukraine : des personnessont tués, les maisons et les infrastructures sont détruites. Dans une guerre comme celle-ci, les armes nucléaires pourraient constituer une future étape de l’escalade militaire. De plus, beaucoup de voix lancent des appels irréfléchis dans ce sens qui pourraient conduire à une guerre nucléaire. Pendant la crise des missiles de Cuba, le général Curtis LeMay avait plaidé en faveur de frappes aériennes contre Cuba, pour détruire les sites où se trouvaient les missiles. Fort heureusement, Kennedy a refusé, évitant ainsi un échange nucléaire. Il nous faut espérer que les dirigeants de l’OTAN continuent de résister aux appels en faveur d’une zone d’exclusion aérienne. En effet, cela constituerait précisément un acte de guerre et inciterait à l’utilisation du nucléaire, à l’instar de la proposition de LeMay en son temps : abattre un avion russe dans une zone d’exclusion aérienne imposée par l’OTAN équivaudrait à déclarer la guerre. Un de nos amis du mouvement pacifiste ukrainien a écrit depuis Kiev ce week-end : « Nous pensons que cette invasion brutale doit être arrêtée, mais nous nous opposons fermement aux demandes irréfléchies de fermeture du ciel. » En effet, dans un tel scénario, les 12 000 ogives nucléaires que possèdent au total les forces de l’OTAN et la Russie pourraient rapidement entrer en jeu.

En 1962, Kennedy et Khrouchtchev ont eu la sagesse de négocier pour atteindre une solution répondant aux préoccupations de sécurité des deux parties.

Deuxièmement, comme l’a récemment souligné la revue Foreign Policy, une grande partie du cadre façonné par les traités élaborés pendant la guerre froide a été abandonnée au cours des deux dernières décennies. Ainsi, sous la présidence de Bush, en 2002, les États-Unis se sont retirés du traité interdisant les missiles antibalistiques. En 2007, c’est au tour de la Russie de se retirer du traité sur les Forces conventionnelles en Europe. Et Donald Trump s’est lui aussi retiré de plusieurs accords, notamment du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, en 2019. Peu importent les failles et les lacunes de ce cadre conventionnel, celui-ci offrait au moins de multiples contraintes à l’engagement militaire. En son absence, le nombre d’obstacles à l’émergence d’un conflit est réduit. La probabilité d’un affrontement devient donc d’autant plus grande, de même que le risque d’escalade vers une guerre nucléaire.

Sous la présidence de Bush, en 2002, les États-Unis se sont retirés du traité interdisant les missiles antibalistiques.

Les politiques qu’ont appliquées les États dotés d’armes nucléaires ces dernières années ne facilitent évidemment pas la réduction des risques nucléaires. Pendant plusieurs décennies, nous avons assisté à des réductions significatives de l’arsenal nucléaire mais, aujourd’hui, des programmes de modernisation voient le jour de tous les côtés. Le remplacement du programme Trident par la Grande-Bretagne en est un exemple. Dans certains cas, nous assistons même à des augmentations de l’arsenal nucléaire, comme au Royaume-Uni l’année dernière, sous l’impulsion de Boris Johnson.

Un monde sans armes nucléaires

Le pire de tout reste cependant la banalisation de l’idée de recourir à l’arme atomique. Trump porte une grande part de responsabilité à cet égard : il a non seulement parlé d’armes nucléaires « utilisables » mais il en a aussi produites et déployées au cours de la dernière année de son mandat. Désormais, l’idée selon laquelle de telles armes ne seront jamais utilisées – la théorie de la destruction mutuelle assurée de la guerre froide – a donc disparu. D’aucuns parlent d’armes nucléaires tactiques, comme si l’on pouvait en utiliser une petite sur un champ de bataille et que tout irait bien ailleurs. C’est un non-sens total, et c’est criminellement dangereux.

« Nous pensons que cette invasion brutale doit être arrêtée, mais nous nous opposons fermement aux demandes irréfléchies de fermeture du ciel. »

Au moins 75 000 personnes ont perdu la vie dans les premières heures qui ont suivi l’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima en 1945, et environ 140 000 avaient succombé en décembre de la même année. Le nombre de décès dus à l’empoisonnement par radiations a atteint environ 200 000 à la fin de 1950, et les cancers et anomalies fœtales se sont poursuivies bien au-delà. Néanmoins, la bombe d’Hiroshima était toute petite en comparaison avec ce qui existe aujourd’hui et on comprend beaucoup mieux l’impact de l’utilisation des armes nucléaires sur la santé et l’environnement. Il n’est donc pas étonnant qu’une grande partie de la communauté mondiale les ait rejetées et que de nombreux États se battent aux Nations unies pour les faire interdire.

Plus de la moitié du monde s’est déjà organisée en zones exemptes d’armes nucléaires. En plus de mettre ces armes nucléaires hors la loi sur leurs propres territoires et sur des continents entiers dans le Sud, ces pays refusent, à juste titre, de subir les conséquences d’une guerre nucléaire dans le Nord. C’est pourquoi le traité des Nations unies sur l’interdiction des armes nucléaires est entré en vigueur l’année dernière. Bien que notre gouvernement [du Royaume-Uni, n.d.t.] refuse de s’y engager, le Parlement gallois a adopté cette semaine une motion reconnaissant que ce conflit accroît le risque d’une guerre nucléaire, et appelant tous les États à ratifier le traité pour prévenir une telle menace à l’avenir. Certains le qualifieront sans doute d’utopique ou d’irréaliste, mais l’alternative est la possibilité d’une guerre nucléaire.

Le pire de tout reste cependant la banalisation de l’idée de recourir à l’arme atomique. Trump porte une grande part de responsabilité à cet égard.

Les quelques États qui insistent pour conserver leurs armes nucléaires jouent avec l’avenir de l’humanité. Il est temps de procéder au désarmement nucléaire.

Cet article a été initialement publié dans Tribune. Traduction par Lava.