Le mouvement climatique estime qu’il est plus facile de faire campagne contre l’industrie fossile qu’en faveur d’une industrie verte. Cette dernière est toutefois nécessaire pour mener à bien une transition écologique.
La faillite du constructeur d’autobus Van Hool
Chez Van Hool, 2 500 emplois se sont retrouvés sur la sellette pendant des semaines. La nouvelle est finalement tombée début avril : l’ensemble des travailleurs sont licenciés, et peuvent tous aller postuler pour les 650 à 950 emplois que les repreneurs de la société d’autobus souhaitent conserver.
Le gouvernement flamand a placé l’avenir de ce maillon majeur de l’industrie belge, ainsi que le sort de 2 500 travailleurs et de leur famille, entre les mains de banques et de repreneurs privés. Pour ces derniers, seule la rentabilité financière compte. L’importance sociale des emplois et le climat n’ont guère d’intérêt à leurs yeux.
Les différents syndicats ont évoqué à juste titre les conséquences sociales d’une éventuelle vague de licenciements ou d’un redressement conséquent, mais l’aspect écologique n’a pas été abordé dans les médias, ou à peine. Les décennies de savoir-faire et d’expertise des travailleurs de Van Hool constituent pourtant un atout potentiel considérable pour la production locale de bus écologiques destinés à nos transports publics. Comme l’a annoncé en 2018 Ben Weyts, le ministre flamand de la Mobilité, De Lijn devra trouver au moins 1 200 bus verts lors des prochaines années.1 Avec un appel d’offres plus conséquent chez Van Hool, le gouvernement flamand aurait pu faire d’une pierre deux coups. Il s’agit d’une occasion manquée pour le mouvement climatique de s’impliquer davantage dans le débat sous cet angle particulier.
Une politique industrielle défaillante est néfaste pour le climat
Van Hool n’est pas le seul acteur industriel qui risque de disparaître partiellement ou totalement de notre pays dans les années à venir, que ce soit à cause de redressements, de faillites ou de délocalisations. Les investissements dans l’avenir de l’industrie belge et, par extension, européenne, se retrouvent de plus en plus sous pression. Dans ces conditions, les gouvernements s’affrontent dans une guerre des subsides, où les grandes multinationales imposent leur soif de profit, et ce au détriment de la population et du climat.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les prix de l’énergie ont augmenté de façon spectaculaire. Les sanctions empêchent l’industrie européenne d’accéder au gaz russe bon marché et l’obligent à importer un gaz nettement plus coûteux et polluant des États-Unis. Ceux-ci profitent d’ailleurs de la situation pour renforcer leur propre compétitivité industrielle : ils distribuent des centaines de milliards de subsides directs et indirects à des acteurs industriels par le biais de l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation). Notre premier ministre, Alexander De Croo, s’est déjà plaint du fait que les États-Unis attirent l’industrie européenne sur leur sol de façon délibérée et agressive.2
En raison d’une crise énergétique (provoquée par l’homme) et d’une guerre commerciale plus ou moins déguisée, il est désormais de moins en moins intéressant pour les entreprises industrielles d’investir en Europe. Le fait que l’Allemagne traverse une récession économique en raison de l’abandon de son industrie relève par exemple du secret de polichinelle.3 Le résultat pervers de cette situation est que les différents États membres se mènent une guerre des subsides : ils sont habilement montés les uns contre les autres par les multinationales, qui brandissent la menace d’une délocalisation sur un autre continent.
Récemment, par exemple, la direction européenne du géant de l’acier ArcelorMittal a laissé entendre qu’elle préférait investir dans de nouvelles usines vertes là où l’énergie est moins coûteuse. Ainsi, l’écologisation d’une aciérie d’ArcelorMittal située au port de Gand et employant 5 000 personnes est désormais menacée, parce qu’il est devenu plus intéressant d’investir dans des usines allemandes et françaises. En effet : dans ces pays, les autorités sont davantage disposées à accorder des fonds publics à la multinationale, qui a tout de même réalisé près de 5 milliards d’euros de bénéfices l’an dernier.
Les gouvernements s’affrontent dans une guerre des subsides, où les grandes multinationales imposent leur soif de profit, et ce au détriment de la population et du climat.
Pour l’instant, seules les grandes entreprises ont formulé une réponse unifiée à l’échelle européenne : plus de 729 des plus grands acteurs de 25 secteurs différents ont récemment soumis une liste d’exigences conjointe à la Commission européenne.4 Le signal est clair : selon eux, une dérégulation majeure est nécessaire, des investissements doivent être massivement « encouragés » par le biais d’aides publiques, et les entreprises doivent être « protégées » du désavantage concurrentiel qu’elles subiraient du fait d’investissements verts. La question climatique est omniprésente : à la base de la guerre commerciale réside la question de savoir où et à quel prix nous achetons notre énergie, et donc également si elle est respectueuse du climat ou non. Le gaz que nous importons massivement des États-Unis est, bien souvent, à peine moins nocif pour le climat que le charbon.
Les multinationales tirent habilement parti de cette situation : le fait d’investir ou non dans la transition écologique est utilisé comme une monnaie d’échange supplémentaire dans les négociations menées avec les gouvernements. La liste d’exigences des grandes entreprises que nous avons évoquée précédemment est émaillée de termes tels que « faible teneur en carbone », « zéro net », etc. Mais le message est limpide : si l’Union européenne n’est pas disposée à faire payer la transition écologique à ses citoyens en distribuant des millions d’euros de recettes fiscales, les multinationales industrielles iront voir ailleurs.5
Le mouvement climatique et les conflits sociaux dans l’industrie
Des investissements publics sont indispensables pour l’écologisation de notre économie : il est désormais clair que, sans intervention, le marché sera loin d’investir au rythme nécessaire dans la production de produits résistants au changement climatique. Des luttes sociales seront nécessaires pour que l’investissement vert ne se limite pas à une vulgaire opération de « greenwashing » menée dans le cadre d’un jeu de pouvoir pervers des multinationales avec les autorités.
La lutte climatique est bénéfique, mais elle demeure encore trop éloignée de la réalité sociale de la classe travailleuse. Les scientifiques du climat peuvent faire pression sur les autorités et les entreprises, constituer des groupes d’experts intergouvernementaux et crier jusqu’à en être aphones. Les étudiants et les militants peuvent sensibiliser les gens, les mobiliser et manifester en masse. Il s’agit de missions importantes. Mais le pouvoir de demander, mais aussi d’exiger la transition écologique, repose principalement entre les mains de ceux qui font tourner les usines, à savoir la classe travailleuse industrielle. Les concessions structurelles ne sont obtenues, tant du côté des autorités que des grandes entreprises, que lorsque les travailleurs mènent des actions sociales, et particulièrement en cas de grève.6
Si l’Union européenne n’est pas disposée à faire payer la transition écologique à ses citoyens en distribuant des millions d’euros de recettes fiscales, les multinationales industrielles iront voir ailleurs.
L’exemple de l’aciérie néerlandaise Tata Steel IJmuiden l’illustre parfaitement.7 En réponse à l’intention de la direction de licencier 1 200 travailleurs, le syndicat FNV (Confédération syndicale des Pays-Bas) a organisé une grève. La FNV a décidé d’associer la viabilité de l’usine et la sécurité de l’emploi de ses travailleurs à l’exigence de s’engager dans la transition écologique : en concertation avec diverses organisations de défense du climat, elle a élaboré un plan ambitieux visant à rendre la production d’acier de l’usine plus verte. Après 24 jours de grève, Tata Steel a cédé : il n’y a eu aucun licenciement, et les projets d’écologisation de la production ont été adoptés par la direction.
La nécessité économique créée par la guerre commerciale avec les États-Unis et la hausse des prix de l’énergie oblige l’Europe à adopter une politique industrielle plus active. Il nous appartient, en tant qu’activistes climatiques, d’associer cet impératif économique à l’impératif écologique. Les appels d’offres publics peuvent être assortis de conditions. Le gouvernement peut s’impliquer dans les secteurs stratégiques afin de veiller à ce que des investissements soient consentis dans des infrastructures vertes comme la production d’hydrogène.
La nécessité sociale d’une politique industrielle plus active est ici indispensable : sans intervention, des dizaines de milliers d’emplois manufacturiers risquent de disparaître rien que dans notre pays. Le conflit social qui s’est déroulé chez Van Hool ces dernières semaines est annonciateur d’une période de conflits sociaux qui sera inévitable si l’Europe poursuit sa politique industrielle défaillante. À cela s’ajoutent les plans d’austérité massifs que l’Europe impose à ses États membres et qui, dans les années à venir, exerceront une pression supplémentaire sur toutes les formes d’investissements publics et sur le pouvoir d’achat de la classe travailleuse.
Sans lutte sociale et sans changement de cap de la part des gouvernements, la droite utilisera volontiers ce terreau pour diviser la classe travailleuse et la monter contre le mouvement climatique. La N-VA est passée maître en la matière dans notre pays : elle présente les exigences climatiques comme étant déconnectées de la réalité, et comme une menace pour le portefeuille de personnes dont le pouvoir d’achat est déjà sous pression. Cette vision est basée sur des mensonges, mais dans un climat politique toujours plus à droite, notre réponse doit en tenir compte.
Dans les prochaines années, la tâche du mouvement climatique sera d’ancrer ses revendications et son combat dans la lutte pour le pouvoir d’achat et le maintien de l’emploi. Lorsqu’un constructeur de bus menace de fermer ses portes, il doit se tenir à la porte de l’usine pour écouter et s’asseoir avec les syndicats. De cette manière, la réponse de la gauche au libre marché, qui est prêt à piétiner les gens et le climat au nom des profits à court terme, pourra consister en des propositions offensives et ambitieuses, salutaires pour l’emploi et le climat. De cette manière, les travailleurs et les activistes climatiques pourront unir leurs forces, et le mouvement climatique pourra s’assurer d’un large soutien vis-à-vis des exigences climatiques qui seront nécessaires pour garantir une transition socialement juste.
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Footnotes
- https://www.benweyts.be/nieuws/1200-groene-bussen-voor-de-lijn
- https://www.belganewsagency.eu/belgium-accuses-the-us-of-aggressive-play-to-attract-european-companies
- https://www.reuters.com/markets/europe/germany-likely-recession-bundesbank-says-2024-02-19/
- https://antwerp-declaration.eu/
- https://lavamedia.be/europees-industriebeleid-de-staat-in-dienst-van-multinationals/
- https://lavamedia.be/hoe-kan-de-klimaatbeweging-winnen/
- https://lavamedia.be/klimaatneutraal-met-groen-staal/