L’ordre mondial est en train de basculer. Ces basculements signifient la fin d’anciennes certitudes, mais aussi de nouvelles possibilités politiques. Celles-ci profiteront-elles aux classes populaires et au Sud ?
Nous entrons actuellement dans une phase qualitativement nouvelle de l’histoire mondiale. Des changements mondiaux significatifs sont apparus au cours des années qui ont suivi la grande crise financière de 2008. Cela se traduit aujourd’hui par une nouvelle phase de l’impérialisme contemporain et une évolution des huit contradictions politiques majeures qui caractérisent cet impérialisme.
- 1 Un impérialisme moribond et l’émergence de la Chine
- 2 Les classes dirigeantes du G7 et l’élite des pays capitalistes du Sud
- 3 La classe ouvrière du Sud global et l’élite du pouvoir impérial dirigé par les États-Unis
- 4 Le capital financier avancé et les besoins sociaux des classes populaires
- 5 La contradiction entre les classes populaires du Sud et leurs élites nationales
- 6 L’impérialisme dirigé par les États-Unis et la souveraineté nationale périphérique
- 7 Les millions de travailleurs du Nord dans la précarité et leur bourgeoisie
- 8 Le capitalisme occidental et la planète
Un impérialisme moribond et l’émergence de la Chine
Cette contradiction s’est intensifiée en raison de l’émergence pacifique du socialisme aux caractéristiques chinoises. Pour la première fois depuis 500 ans, les puissances impérialistes atlantiques sont confrontées à une grande puissance économique non blanche capable de les concurrencer. Cette situation est apparue clairement en 2013 lorsque le PIB de la Chine en parité de pouvoir d’achat (PPA) a dépassé celui des États-Unis. La Chine est parvenue à ce niveau de développement dans un laps de temps beaucoup plus court que l’Occident, avec une population nettement plus importante et sans colonies, ni asservissement, ni conquête militaire. Alors que la Chine prône des relations pacifiques, les États-Unis sont devenus de plus en plus belliqueux.
Les États-Unis dirigent le camp impérialiste depuis la Seconde Guerre mondiale. Après qu’Angela Merkel a achevé son mandat de chancelière et avec l’avènement de l’opération militaire en Ukraine, ils ont stratégiquement subordonné des sections dominantes de la bourgeoisie européenne et japonaise. Cela a eu pour effet d’affaiblir les contradictions intra-impérialistes. Les États-Unis ont d’abord autorisé, puis exigé que le Japon (troisième économie mondiale) et l’Allemagne (quatrième économie mondiale) augmentent considérablement leurs dépenses militaires. Ce tournant s’est aussi traduit par la fin des relations économiques de l’Europe avec la Russie, un affaiblissement de l’économie européenne et des avantages économiques et politiques pour les États-Unis.
La Russie et les pays du Sud représentant désormais 65 % du PIB mondial. Entre 1950 et aujourd’hui, la part des États-Unis dans le PIB mondial (en PPA) est passée de 27 % à 15 %.
Malgré la capitulation de la majeure partie de l’élite politique européenne face à la subordination totale aux États-Unis, certaines grandes parties du capital allemand dépendent fortement du commerce avec la Chine, bien plus que leurs homologues états-uniens. Toutefois, les États-Unis font actuellement pression sur l’Europe pour qu’elle réduise ses liens avec la Chine.
Plus important encore, la Chine et le camp socialiste sont désormais confrontés à une entité encore plus dangereuse : la structure consolidée de la Triade (États-Unis, Europe et Japon). La décomposition sociale interne croissante des États-Unis ne doit pas masquer l’unité quasi absolue de son élite politique en matière de politique étrangère. Nous voyons la bourgeoisie états-unienne faire passer ses intérêts politiques et militaires avant ses intérêts économiques à court terme.
Le centre de l’économie mondiale se déplace, la Russie et les pays du Sud (y compris la Chine) représentant désormais 65 % du PIB mondial (mesuré en PPA). Entre 1950 et aujourd’hui, la part des États-Unis dans le PIB mondial (en PPA) est passée de 27 % à 15 %. La croissance du PIB des États-Unis est également en baisse depuis plus de cinq décennies et n’est plus que d’environ 2 % par an. Les États-Unis n’ont pas de nouveaux marchés importants sur lesquels s’étendre. L’Occident souffre d’une crise générale du capitalisme et des conséquences de la baisse tendancielle du taux de profit sur le long terme.
Les classes dirigeantes du G7 et l’élite des pays capitalistes du Sud
Cette relation a connu un changement majeur depuis les années 1990, période faste où le pouvoir unilatéral et l’arrogance des États-Unis étaient à leur apogée. Aujourd’hui, l’alliance entre le G7 et les élites du Sud se fissure de plus en plus. Mukesh Ambani et Gautam Adani, les plus grands milliardaires indiens, ont besoin du pétrole et du charbon de la Russie. Le gouvernement d’extrême droite dirigé par Modi représente la bourgeoisie monopoliste indienne. Ainsi, le ministre indien des Affaires étrangères fait désormais des déclarations occasionnelles hostiles à l’hégémonie américaine en matière de finances, de sanctions et d’autres domaines.
L’Occident n’a pas la capacité économique et politique de toujours fournir ce dont les élites au pouvoir en Inde, en Arabie saoudite et en Turquie ont besoin.
L’Occident n’a pas la capacité économique et politique de toujours fournir ce dont les élites au pouvoir en Inde, en Arabie saoudite et en Turquie ont besoin. Cette contradiction ne s’est toutefois pas aiguisée au point de devenir le point de convergence d’autres contradictions, contrairement à la contradiction entre la Chine socialiste et le bloc du G7 dirigé par les États-Unis.
La classe ouvrière du Sud global et l’élite du pouvoir impérial dirigé par les États-Unis
Cette contradiction s’accentue lentement. L’Occident dispose d’un grand avantage en termes de pouvoir d’attraction dans le Sud, toutes classes confondues.
Pourtant, pour la première fois depuis des décennies, les jeunes Africains ont soutenu l’expulsion des troupes françaises au Mali et au Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest. Pour la première fois, les classes populaires de Colombie ont pu élire un nouveau gouvernement qui refuse que leur pays demeure un avant-poste des forces militaires et de renseignement américaines. Les femmes de la classe ouvrière sont à l’avant-garde de nombreuses batailles cruciales à travers le monde, tant pour la classe ouvrière que pour la société dans son ensemble. Les jeunes s’élèvent contre les crimes environnementaux du capitalisme.
Un nombre croissant de membres de la classe ouvrière identifient leurs luttes pour la paix, le développement et la justice comme étant explicitement anti-impérialistes.
Un nombre croissant de membres de la classe ouvrière identifient leurs luttes pour la paix, le développement et la justice comme étant explicitement anti-impérialistes. Ils sont désormais capables de voir clair dans les mensonges de l’idéologie américaine des « droits de l’homme », dans la destruction de l’environnement par les entreprises énergétiques et minières occidentales, et dans la violence des guerres hybrides et des sanctions américaines.
Le capital financier avancé et les besoins sociaux des classes populaires
Cette contradiction résulte de la baisse du taux de profit et de la difficulté pour le capital d’augmenter le taux d’exploitation de la classe ouvrière à un niveau suffisant pour financer les besoins croissants d’investissement et rester compétitif. En dehors du camp socialiste, la quasi-totalité des pays capitalistes avancés et la plupart des pays du Sud — à quelques exceptions près, notamment en Asie — connaissent une crise de l’investissement.
De nouveaux types d’entreprises ont vu le jour, notamment des fonds spéculatifs tels que Bridgewater Associates et des sociétés de capital-investissement telles que BlackRock. Les « marchés privés » contrôlaient 9 800 milliards de dollars d’actifs en 2022. Les produits dérivés, une forme de capital fictif et spéculatif, représentent aujourd’hui 18 300 milliards de dollars en valeur « marchande », mais leur valeur notionnelle s’élève à 632 000 milliards de dollars, soit une valeur plus de cinq fois supérieure au PIB réel total du monde.
L’intensification de la phase d’accumulation spéculative et monopolistique du capital renforce la grève du capital en matière d’investissements sociaux nécessaires.
Une nouvelle classe de monopoles basés sur les technologies de l’information et les effets de réseau, dont Google, Facebook/Meta et Amazon — tous sous le contrôle total des États-Unis — a émergé pour attirer les rentes de monopole. Les monopoles numériques américains, sous la supervision directe des agences de renseignement américaines, contrôlent l’architecture de l’information du monde entier, à l’exception de quelques pays socialistes et nationalistes. Ces monopoles sont à la base de l’expansion rapide du soft power américain au cours des 20 dernières années. Le complexe militaro-industriel, les marchands de mort, attire également des investissements croissants.
Cette intensification de la phase d’accumulation spéculative et monopolistique du capital renforce la grève du capital en matière d’investissements sociaux nécessaires. L’Afrique du Sud et le Brésil ont connu des niveaux dramatiques de désindustrialisation sous le néolibéralisme. Même les pays impérialistes avancés ont ignoré leurs propres infrastructures, telles que le réseau électrique, les ponts et les chemins de fer. L’élite mondiale a organisé une grève des impôts en offrant d’énormes réductions des taux d’imposition et des taxes, ainsi que des paradis fiscaux légaux aux capitalistes individuels et à leurs entreprises, afin d’accroître leur part de la plus-value.
L’évasion fiscale du capital et la privatisation de larges pans du secteur public ont réduit la disponibilité des biens publics de base tels que l’éducation, les soins de santé et les transports pour des milliards de personnes. Elles ont contribué à accroître la capacité du capital occidental à manipuler et à tirer des intérêts élevés de la crise de la dette « fabriquée » à laquelle sont confrontés les pays du Sud. Au plus haut niveau, les profiteurs des fonds spéculatifs comme George Soros spéculent et détruisent les finances de pays entiers.
L’impact sur la classe ouvrière est grave, car le travail de cette dernière est devenu de plus en plus précaire et le chômage permanent détruit de larges pans de la jeunesse mondiale. Sous le capitalisme, une partie croissante de la population est superflue. Les inégalités sociales, la misère et le désespoir sont omniprésents.
La contradiction entre les classes populaires du Sud et leurs élites nationales
Cette contradiction se manifeste de manière très différente selon les pays et les régions. Dans les pays socialistes et progressistes, les contradictions entre les peuples sont résolues de manière pacifique et variée.
Toutefois, dans plusieurs pays du Sud où l’élite capitaliste s’est entièrement ralliée au capital occidental, la richesse est détenue par un petit pourcentage de la population. La misère est généralisée parmi les plus pauvres et le modèle de développement capitaliste ne parvient pas à servir les intérêts de la majorité.
Le modèle de développement capitaliste ne parvient pas à servir les intérêts de la majorité.
En raison de l’histoire du néocolonialisme et du soft power de l’Occident, il existe un consensus de la classe moyenne résolument pro-occidental dans la plupart des grands pays du Sud. Cette hégémonie de classe de la bourgeoisie locale et de la couche supérieure de la petite bourgeoisie est utilisée pour empêcher les classes populaires (qui constituent la majeure partie de la population) d’accéder au pouvoir et d’accroître leur poids politique.
L’impérialisme dirigé par les États-Unis et la souveraineté nationale périphérique
Les nations qui défendent leur souveraineté se répartissent en quatre catégories principales : les pays socialistes, les pays progressistes, les autres pays rejetant le contrôle des États-Unis et le cas particulier de la Russie.
Les États-Unis ont créé cette contradiction antagoniste par des méthodes de guerre hybrides telles que les assassinats, les invasions, les agressions militaires menées par l’OTAN, les sanctions, la guerre juridique, la guerre commerciale et une guerre de propagande désormais incessante basée sur des mensonges purs et simples.
La Russie fait partie d’une catégorie à part, puisqu’elle a subi plus de 25 millions de morts contre les envahisseurs fascistes européens durant la Seconde Guerre mondiale alors qu’elle était un pays socialiste. Aujourd’hui, la Russie, qui dispose notamment d’immenses ressources naturelles, est à nouveau la cible de l’OTAN, qui souhaite l’anéantir en tant qu’État.
L’objectif des États-Unis est d’achever ce qu’ils ont commencé en 1992 : au minimum, détruire définitivement la capacité militaire nucléaire de la Russie et installer un régime fantoche à Moscou afin de démembrer la Russie à long terme et de la remplacer par une multitude d’États vassaux de l’Occident, plus petits et perpétuellement faibles.
Les millions de travailleurs du Nord dans la précarité et leur bourgeoisie
Ces travailleurs montrent quelques signes de rébellion contre leurs conditions économiques et sociales. Cependant, la bourgeoisie impérialiste joue la carte de la suprématie de la race blanche pour empêcher une plus grande unité des travailleurs de ces pays. À l’heure actuelle, les travailleurs ne sont pas toujours en mesure d’éviter d’être la proie de la propagande de guerre raciste. Le nombre de personnes présentes aux manifestations publiques contre l’impérialisme a fortement diminué au cours des trente dernières années.
Le capitalisme occidental et la planète
Le chemin inexorable de ce système est de détruire la planète et la vie humaine, de les menacer d’anéantissement nucléaire et de travailler contre les besoins pour l’humanité de récupérer collectivement l’air, l’eau et la terre et d’arrêter la folie militaire nucléaire des États-Unis. Le capitalisme rejette la planification et la paix. Le Sud global (y compris la Chine) peut aider le monde à construire et à étendre une « zone de paix » et s’engager à vivre en harmonie avec la nature.
Sans une meilleure alternative, le monde sombrera dans un chaos encore plus grand. Les luttes actuelles ont ravivé l’espoir que quelque chose d’autre que ce tourment social est possible.
Avec ces changements dans le paysage politique, nous assistons à la montée d’un front informel contre le système impérialiste dominé par les États-Unis. Ce front est constitué par la convergence des éléments suivants :
– Le sentiment populaire que ce système violent est le principal ennemi des peuples du monde.
– Le désir populaire d’un monde plus juste, plus pacifique et plus égalitaire.
– La lutte des gouvernements et des forces politiques socialistes ou nationalistes pour leur souveraineté.
– Le désir des autres pays du Sud de réduire leur dépendance à l’égard de ce système.
– Les principales forces contre le système impérialiste dominé par les États-Unis sont les peuples du monde et les gouvernements socialistes et nationalistes. Toutefois, il faut prévoir un espace pour l’intégration des gouvernements qui souhaitent réduire leur dépendance à l’égard du système impérialiste.
Le monde se trouve actuellement au début d’une nouvelle ère dans laquelle nous assisterons à la fin de l’empire mondial des États-Unis. Le système néolibéral se détériore sous le poids de nombreuses contradictions internes, d’injustices historiques et d’une non-viabilité économique. Sans une meilleure alternative, le monde sombrera dans un chaos encore plus grand. Les luttes actuelles ont ravivé l’espoir que quelque chose d’autre que ce tourment social est possible.