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Génocide ambiant

Daniel Zamora

—12 août 2024

Daniel Zamora revient sur ce “brillant échec” de Jonathan Glazer qu’est “The Zone of Interest”. Se voulant aux antipodes des traitements spectaculaires ou esthétisants de la Shoah, le film semble malgré tout pris en étau entre esthétique et politique.

« Messieurs, dans cent ans, un autre film sera tourné en couleur, montrant les jours terribles que nous devons endurer. Voulez-vous jouer un rôle dans ce film qui nous fera revivre dans cent ans ? … Je peux vous assurer que ce sera un grand film, passionnant et magnifique, qui vaut la peine d’être défendu. Soyez patients ! »

Joseph Goebbels, à propos du film Kolberg, 1945

Dans sa critique acerbe du film Kapo (1960) de Gillo Pontecorvo, le réalisateur et critique de cinéma Jacques Rivette affirmait qu’il était impossible de représenter un camp de concentration en s’engageant dans la voie du réalisme. Toute tentative de recréer son horreur était, dès le départ, vouée à l’échec, car elle devait être « physiquement supportable pour le spectateur ». De ce point de vue, « toute approche traditionnelle », écrit-il, « relève du voyeurisme et de la pornographie ». Rivette, qui allait devenir l’une des figures de proue de la Nouvelle Vague française, était particulièrement sévère à l’égard d’une séquence dans laquelle l’un des personnages se suicide en se jetant dans des barbelés électrifiés. La scène s’achève par un travelling avant en contre-plongée qui permet de centrer le cadavre dans le dernier plan. Une décision de mise en scène qui, du point de vue de Rivette, « ne mérite que le plus profond mépris »1. Selon lui, le style de montage relativement impersonnel de Nuit et brouillard d’Alain Resnais offrait une solution partielle à ce problème de représentation. Ce qui était crucial dans le documentaire de Resnais de 1956, c’est que ce qui importait n’était pas ce qui était montré au public, mais la manière dont cela était montré. Une question qui devait naturellement trouver son point culminant dans Shoah (1985) de Claude Lanzmann et son rejet apparent de la représentation.

La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer offre naturellement sa propre réponse à ces questions. En se concentrant sur la vie privée quotidienne du commandant d’Auschwitz, Rudolph Höss, le film déplace explicitement le camp lui-même hors de l’écran. Comme l’a expliqué Glazer, bien qu’il ait d’abord eu l’intention de « suivre Rudolf Höss au travail », il a finalement abandonné cette idée, précisément parce qu’« il ne [lui] semblait pas éthique de rejouer cette barbarie, parce que nous ne pouvons même pas nous approcher de la réalité »2. En visitant le site où la maison a été construite, Glazer a immédiatement réalisé la force potentielle d’un film qui se déroulerait de l’autre côté du mur du camp, là où, à quelques mètres d’Auschwitz, les Höss jouaient avec leurs enfants, prenaient le soleil près de la piscine, ou faisaient du jardinage. Le drame du film de Glazer tourne donc autour de l’annonce faite à Höss en 1943 qu’il allait être rappelé du commandement d’Auschwitz. Cette décision, comme Glazer l’a découvert dans les archives d’Auschwitz, a conduit à une dispute entre Höss et sa femme, qui ne voulait pas quitter leur confortable villa et la vie qu’ils y avaient construite. « Ma famille a eu la vie belle à Auschwitz », se souvient-il dans son autobiographie, « tous les souhaits de ma femme ou de mes enfants ont été exaucés »3. La juxtaposition d’un lieu que Hedwig Höss appelait son « paradis des fleurs » et du camp lui-même, hors écran, permet à Glazer de traiter le judéocide sans le représenter réellement. Le camp n’existe qu’en arrière-plan, reconstitué numériquement et apparaissant presque comme un paysage. Le résultat est un film audacieux et formellement captivant que Les Cahiers du Cinéma ont décrit comme un « drame petit-bourgeois au cœur d’un génocide »4.

En se concentrant sur la vie privée quotidienne du commandant d’Auschwitz, Rudolph Höss, le film déplace explicitement le camp lui-même hors de l’écran.

La décision d’adopter le point de vue des nazis plutôt que celui des victimes a cependant nécessité des choix formels radicaux pour éviter que le public ne ressente de l’empathie pour les protagonistes. Tourné à l’aide de petites caméras fixées à l’intérieur et autour de la maison, le film offre une vision détachée de la vie domestique de la famille. Comme l’a noté le directeur de la photographie du film, Łukasz Żal, il fallait être « aussi objectif que possible pour témoigner [de l’Holocauste] sans fétichiser ou glorifier le sujet »5. Avec toutes les caméras (et microphones) tournant en même temps et cachés aux acteurs, et avec l’équipe travaillant en dehors du plateau, le résultat ressemble à une vidéo de surveillance, décrite par Glazer lui-même comme « Big Brother chez les nazis ». « Je voulais donner l’impression qu’il n’y a pas d’auteur »6 ajoute-t-il. L’effet est saisissant, créant une distance entre les personnages et un public placé dans une position d’observation quasi clinique. Nous ne nous sentons jamais proches de Höss et de sa famille, et nous avons à peine accès à leur intériorité. Cette impression est encore renforcée par le fait que Żal n’a utilisé que des objectifs et des caméras modernes pour éviter toute « patine historique ». Il est donc clair, dès le départ, que ce que nous voyons est conçu pour ressembler à une sorte de musée, ou à une reconstitution historique. Le fait que nous soyons toujours face à une reconstitution, et non à la chose elle-même, est également souligné par les scènes de flash forward dans le véritable musée d’Auschwitz7.

Mais si Glazer n’a pas filmé le camp, sa présence colonise tout de même l’écran par le bruit. « Le vrai film », a-t-il souvent affirmé, « est le film invisible »8. Johnnie Burn, le concepteur sonore du film, a passé des mois à lire des détails techniques sur le camp et ses lieux et a essayé de recréer aussi précisément que possible le « monde sonore » d’Auschwitz. Des enregistrements d’ateliers textiles, d’incinérateurs, de coups de feu, de cris de douleur ou de détresse constituent le « deuxième film ». Ici, la dissonance ressentie par le spectateur est amplifiée par le fait que les personnages ne manifestent généralement aucune réaction aux sons qui les entourent. Le « premier » film est donc totalement indépendant du « second », faisant peser toute la pression de la distance entre les deux sur le spectateur qui tente de donner un sens à leur relation. Pour Glazer, cette tension joue un rôle spécifique : laisser le film en quelque sorte incomplet, de sorte que le spectateur « devient aussi un auteur [du film] ». Mais, ce faisant, le film trahit son projet de faire du spectateur un observateur distant. Il oblige constamment le public à s’interroger sur son propre malaise, produit par la mise en scène excessive de la dissonance entre le son et l’image. C’est comme si la tension avait été créée principalement pour son effet sur le spectateur, plutôt que pour les nécessités de l’histoire elle-même. Contrairement à Le Fils de Saul de László Nemes, où le son provenant du camp lui-même était conçu comme un moyen de « compléter la perception de l’image » et « d’approfondir la perspective de la machinerie du camp »9, dans l’approche de Glazer, ce que nous entendons est conçu pour nous forcer à remettre en question ce que nous voyons.

Si Glazer n’a pas filmé le camp, sa présence colonise tout de même l’écran par le bruit.

Dans une scène en particulier, Höss supervise l’arrivée d’un train dans le camp. Le plan le montre en contre-plongée, rendant le train lui-même invisible, et pourtant bien présent à travers la fumée qu’il dégage et les horribles cris de panique des déportés. Les pleurs des enfants, les supplications des mères, les coups de feu et les cris des soldats allemands contrastent avec le gros plan impénétrable du visage de Höss. Cette scène, qui rompt avec le ton plus neutre du reste du film, crée un sentiment de détresse extrême. Les cris ne deviennent ici à l’évidence rien de moins qu’un « son Spielberg », où le public est totalement immergé dans la terreur du « génocide ambiant », selon les termes de Glazer. En effaçant lentement la tête de Höss par un lent fondu enchaîné, ne laissant au public qu’un écran vide et des sons terrifiants, Glazer a produit le type d’effets dramatiques qu’il voulait éviter. Cette scène, l’une des rares à se dérouler dans le camp lui-même (probablement l’entrée d’Auschwitz II-Birkenau), au lieu d’intensifier la distanciation formelle du film, la sape radicalement.

Le malaise produit par le contraste entre le son et l’image a donc pour but d’obliger le spectateur à se remettre en question. « La raison pour laquelle j’ai fait ce film », a-t-il déclaré à plusieurs reprises, « c’est pour essayer de réaffirmer notre proximité avec ce terrible événement que nous pensons appartenir au passé. Pour moi, ce n’est jamais du passé, et en ce moment, je pense que quelque chose en moi est conscient que ces choses sont en train de remonter avec la croissance du populisme de droite partout dans le monde ». « Tous nos choix ont été faits pour refléter et nous confronter au présent », a déclaré Glazer dans son discours de remise des Oscars, « pas pour dire ‘‘regardez ce qu’ils ont fait à l’époque’’, mais plutôt ‘‘regardez ce que nous faisons aujourd’hui’’ ». Notamment, l’intérêt marqué de Glazer pour l’aspiration « grotesque » des Hösses à devenir une famille bourgeoise, qui nous les rend plus familiers. Le problème des films décrivant les nazis comme des monstres, selon Glazer, est qu’ils « nous laissent intacts, en paix avec nous-mêmes, parce que nous ne pourrons jamais être comme eux »10.

Daniel Zamora est professeur de sociologie a l’Université Libre de Bruxelles. Il est le co-auteur de Welfare for markets: a global history of basic income ( University of Chicago Press , 2023 , écrit avec Anton Jäger ).

Dans cette perspective, il n’est pas surprenant que Glazer ait admis avoir été inspiré par les idées d’Hannah Arendt sur la « banalité du mal »11. Dans son célèbre rapport pour The New Yorker sur le procès d’Adolph Eichmann en 1961, Arendt avait décrit Eichmann comme un « déclassé » avec « une extraordinaire diligence à chercher son avancement personnel » mais qui n’avait « aucune motivation ». Son « manque d’imagination » et sa « pure inconscience », étaient donc ce qui l’avait « prédisposé à devenir l’un des plus grands criminels de cette période »12. Dans un article écrit en 1977, Arendt a précisé son concept expliquant la « superficialité manifeste » d’Eichmann « qui rendait impossible de remonter le mal incontestable de ses actes à un niveau plus profond, à des racines ou à des motifs »13. « Il n’y avait aucun signe en lui de motifs idéologiques fermes », a-t-elle ajouté. C’est précisément ainsi que Rudolph Höss apparaît dans le film : un vulgaire carriériste sans grand sens de l’idéologie. Il devait être, comme le note Glazer, « occupé en permanence, car si on s’arrête, on pense ». Et si on pense, on réfléchit »14. En d’autres termes, il s’agit d’un personnage « banal », principalement motivé par le gain matériel et dépeint à travers un drame familial auquel nous pourrions tous nous identifier.

« Ma famille a eu la vie belle à Auschwitz », se souvient-il dans son autobiographie, « tous les souhaits de ma femme ou de mes enfants ont été exaucés »

Le point de vue d’Arendt sur Eichmann est cependant loin de faire l’unanimité parmi les historiens. Elle a notamment été sévèrement critiquée pour son manque d’interaction avec des preuves réelles. Non seulement elle a quitté Jérusalem trois jours avant le début du long témoignage d’Eichmann, mais elle a essentiellement fondé ses conclusions sur quelques sources secondaires. Raul Hilberg, sur lequel elle s’appuyait beaucoup et qui avait publié la même année une étude de référence sur l’Holocauste intitulée La Destruction des Juifs d’Europe, n’a pas hésité à noter que, pour une raison quelconque, Arendt « n’a pas reconnu l’ampleur de ce que [Eichmann] avait fait » ni « discerné les voies qu’[il] avait trouvées au plus profond de la machine administrative allemande pour justifier ses actions sans précédent ». Il n’y avait pas de « banalité », souligne Hilberg, dans ce « mal »15. Ce qui est vrai pour Eichmann l’est aussi pour Höss. Après avoir traversé une crise religieuse dans sa jeunesse et abandonné son projet de devenir prêtre, il a rejoint des groupes paramilitaires nationalistes volontaires et a participé à plusieurs assassinats politiques. En 1922, il prend sa carte du parti nazi et s’apprête à devenir, selon ses propres termes, « un national-socialiste fanatique ». « J’étais fermement convaincu », ajoute-t-il, « que notre idée s’imposerait dans tous les pays, modifiée par les diverses coutumes locales, et qu’elle deviendrait progressivement dominante. Cela briserait alors la domination de la juiverie internationale »16. Lorsqu’il rejoint les SS-Totenkopfverbände (formation à tête de mort) en 1934, il est affecté à Dachau où il découvre la tristement célèbre devise « Arbeit Macht Frei » qu’il reproduira au-dessus de l’entrée principale d’Auschwitz lorsqu’il en deviendra le commandant en octobre 1940.

Son rôle y a été crucial, transformant radicalement l’objectif du camp à la fin de l’année 1941, alors que la situation sur le front de l’Est se détériorait pour l’Allemagne. L’ensemble du système concentrationnaire a été réorienté pour servir l’effort de guerre contre le bolchevisme, Höss supervisant des changements radicaux qui allaient considérablement détériorer les conditions de vie. Pour accroître la production et l’efficacité, il a notamment mis en place un nouveau système de triage qui séparait immédiatement les personnes jugées “inaptes” au travail (qui allaient mourir instantanément) de celles qui pouvaient être envoyées travailler dans les sites de production massifs construits autour du camp. Il supervise également, pour faire face à la surmortalité, la création de quatre crématoriums modernes par deux entreprises privées afin d’éliminer plus rapidement les corps qui s’amoncellent. Loin de se focaliser sur sa vie privée, Höss se consacre à son devoir avec une extrême ferveur. « Je ne vivais que pour mon travail », se souvient-il, au point qu’il avouera plus tard ses profonds regrets de ne pas avoir passé « plus de temps avec [sa] famille »17.

“Pour moi, ce n’est jamais du passé, et en ce moment, je pense que quelque chose en moi est conscient que ces choses sont en train de remonter avec la croissance du populisme de droite partout dans le monde.”

Plutôt que le père de famille ordinaire dépeint dans le film, Höss était un personnage idéologiquement motivé, entièrement dévoué à son parti. La « solution finale » n’était pas seulement le produit de carriéristes « irréfléchis » ou d’un processus abstrait de « déshumanisation », comme l’exprime dit Glazer, mais l’aboutissement de la guerre totale lancée par Hitler sur le front de l’Est. Comme l’affirme Arno J. Mayer, l’extermination des Juifs a véritablement pris un tournant sérieux à la fin de l’année 1941, avec la fin des victoires éclatantes du blitzkrieg. « Les fondements idéologiques et sociaux du régime nazi », affirme Mayer, « exigeaient que la guerre à l’Est soit transformée en une lutte à mort, ce qui impliquait également une escalade de la fureur pseudo-religieuse qui l’accompagnait. À partir de la fin de l’année 1941, la lutte contre l’Armée rouge, la « croisade » contre le bolchevisme et la guerre contre les Juifs, devenues totales, sont unies par un lien fatal »18. En d’autres termes, l’idéologie et la guerre d’extermination à l’Est sont cruciales pour donner un sens à Höss.

Bien sûr, il n’est pas difficile d’imaginer qu’une telle représentation est moins attrayante pour un cinéaste qui veut que nous nous reconnaissions dans les nazis. L’idéologie et l’engagement politique fanatique sont précisément ce qui les rend différents de nous, ou ce qui rend l’analogie entre hier et aujourd’hui moins convaincante. Mais en choisissant d’effacer l’idéologie et le fanatisme, La zone d’intérêt fait preuve d’une bien piètre compréhension de son sujet. L’analogie historique, comme l’a noté le grand historien Marc Bloch, ne peut se réduire à une « chasse aux ressemblances » ou se satisfaire « d’analogies forcées »19, mais a plutôt pour tâche de découvrir les spécificités des différentes périodes historiques. Ce n’est que par l’utilisation de l’analogie et de la désanalogie que l’historien peut, en même temps, saisir le passé et la nouveauté caractéristique de notre présent. Il ne s’agit donc pas, comme l’a récemment soutenu Samuel Moyn à propos des comparaisons entre Trump et le fascisme, de dire que certains événements sont « incommensurables » dans le monde 20, ni de nier que la comparaison devrait être historiographiquement admissible, mais plutôt qu’en faisant ressembler le passé au présent, ou le présent au passé, nous rendons à la fois le passé et le présent impossibles illisibles. En l’absence de guerre et d’idéologie, Glazer est contraint de se rabattre sur des platitudes telles que l’idée que cela peut se reproduire parce que « c’est en nous ». Nous raconter la vérité évidente que les êtres humains sont capables et parfois désireux de faire des choses horriblement mauvaises les uns aux les autres ne nous aide pas à comprendre pourquoi ils le font dans des contextes différents. Dans le cas de Höss, une façon de le démontrer aurait été de montrer comment sa vision d’une « bonne vie » est définie par les ambitions sociales et économiques d’une bourgeoisie qui, selon les termes d’Hitler, se voyait de plus en plus menacée par les « objectifs judéomarxistes » de l’Union soviétique, « le plus grand serviteur de la juiverie ». En d’autres termes, une lecture de la famille Höss non seulement en termes de mobilité ascendante et de revanchisme de classe, mais aussi en tant qu’incarnation de la normalité pour une idéologie qui identifiait un amalgame entre le communiste et le juif comme son plus grand ennemi. Ainsi, malgré l’impressionnant travail d’archivage réalisé par Glazer et son équipe en ce qui concerne les détails de la maison ou la reconstitution des sons, le film montre une compréhension appauvrie de ce qui a précipité l’Holocauste tout en nous laissant désemparés sur la façon de saisir les défis de notre présent.

En choisissant d’effacer l’idéologie et le fanatisme, La zone d’intérêt fait preuve d’une bien piètre compréhension de son sujet.

Pour représenter l’Holocauste, Claude Lanzmann a dit un jour à Raul Hilberg, « il faut créer une œuvre d’art »21. Cela signifie, selon lui, une œuvre qui n’a d’autre but qu’elle-même, dépourvue, comme il l’a dit, de « l’intention de frapper le cœur » de celui qui la regarde. En d’autres termes, tout le contraire du sentimentalisme de La liste de Schindler. C’est donc l’unité de l’œuvre et son refus absolu de la dramatisation qui importent. Lanzmann, comme il l’a souvent répété, n’a jamais eu l’intention d’éduquer son public ou de lancer une bataille politique contre les négationnistes qui se faisaient de plus en plus entendre en France au milieu des années quatre-vingt. Les décisions formelles et la structure du film devaient suivre leurs propres règles et n’étaient pas soumises à des impératifs extérieurs. Et c’est peut-être ce qui manque au brillant échec de Glazer. Alors que ses choix formels sont originaux et novateurs, il semble incapable de concilier deux objectifs opposés : son engagement contre la dramatisation et sa volonté de provoquer le spectateur. Si le film réussit à créer une distance entre son public et ses protagonistes grâce à l’utilisation innovante de caméras cachées et de décors muséaux, il met également à mal cet engagement en s’appuyant sur le contraste entre le son et l’image dans le seul but de troubler son public. Son film, en d’autres termes, semble divisé entre sa politique et son esthétique, cette dernière l’emportant généralement sur la première.

 

Footnotes

  1. Jacques Rivette, « De l’abjection », Cahiers du Cinéma
  2. Pierre Charpillot et Antoine Desrues, « Interview : les nazis sont toujours dépeints au cinéma comme des monstres »,
  3. Rudolph Höss,Death Dealer: The Memoirs of the SS Kommandant at Auschwitz.
  4. « La parole et les cris. Table ronde sur La Zone d’intérêt », Cahiers du Cinéma
  5. John Boone, « The Context Is Everything : ‘Behind the Sights and Sound of ‘The Zone of Interest’ »,
  6. Charpillot et Desrues, « Interview : les nazis sont toujours dépeints au cinéma comme des monstres », 75.
  7. On the Holocaust and representation listen to Guillaume Orignac on the Sortie de Secours.
  8. Charpillot et Desrues, « Interview : les nazis sont toujours dépeints au cinéma comme des monstres », 73.
  9. Amir Ganjavie, « La réalité de la mort » : An Interview with László Nemes about ‘Son of Saul’ », MUBI Notebook.
  10. Charpillot et Desrues, « Interview : les nazis sont toujours dépeints au cinéma comme des monstres », 74.
  11. « Jonathan Glazer on his Holocaust film The Zone of Interest », The Guardian, 10 décembre 2023.
  12. Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem: A Report on the Banality of Evil.
  13. Hannah Arendt, « Thinking-I », The New Yorker.
  14. Jonathan Glazer parle de son film sur l’Holocauste, La zone d’intérêt.
  15. Raul Hilberg, The Politics of Memory. The Journey of a Holocaust Historian.
  16. Höss, Death Dealer.
  17. Höss, Death Deale.r
  18. Arno J. Mayer, Why Did The Heavens Not Darken?
  19. Marc Bloch, « Pour une histoire comparée des sociétés européennes », Revue de synthèse historique.
  20. Samuel Moyn, « The Trouble with Comparisons »,The New York Review of Books.
  21. Raul Hilberg, The Politics of Memory.