La controverse est vive entre les partisans de la décroissance et ceux du socialisme ces dernières années. Les contradictions portent sur la vision de société, la manière de surmonter le capitalisme et ce par quoi le remplacer, tour d’horizon des divergences fondamentales mais aussi des convergences entre décroissance et socialisme.
Le capitalisme peut être considéré comme une production généralisée de marchandises dans laquelle les unités de production individuelles (entreprises) prennent des décisions indépendantes concernant le contenu et la quantité à produire, la combinaison d’intrants et de technologies à utiliser, la manière d’organiser le processus de production, etc. Étant donné que les unités de production individuelles n’ont d’autre choix que de se relier au reste du monde par le biais de leurs produits, la valeur sert de base commune pour placer les marchandises sur un même pied d’égalité en termes de quantité de travail abstrait qu’elles contiennent et où les différentiels de profits émergents donnent des indications sur le taux et l’orientation des nouveaux investissements. La recherche du profit constitue le principe régulateur, et la production au niveau global est régulée car chaque expansion ou contraction excessive met en branle des forces qui contrecarrent la déviation.
L’exploitation, la réification des relations sociales1, le fétichisme de la marchandise2, ainsi qu’une perturbation croissante de la relation métabolique avec la nature font partie intégrante du processus de (re)production décrit ci-dessus en quelques mots. Ainsi, une alternative systémique au capitalisme doit se fonder sur des relations sociales différentes et offrir un ensemble de mécanismes et de processus pour réguler et coordonner l’ensemble complexe et interdépendant d’activités.
La planification est l’une de ces alternatives, avec une longue histoire de discussions théoriques et d’applications pratiques à différentes échelles. Cependant, jusqu’à récemment, la littérature sur la décroissance se tenait clairement à l’écart de l’idée de planification. Au lieu de cela, la transformation à venir se dessinait en termes de ce que l’une des sources d’inspiration de la décroissance, André Gorz, appelait les « réformes non réformistes », qui se manifestent aujourd’hui par des propositions telles que l’octroi d’un revenu de base universel, la réduction du temps de travail, des financements publics, la réappropriation et l’expansion du domaine des biens communs et du partage, la relocalisation de la production3, etc. Ces réformes n’offrent pas, même de loin, une alternative au rôle de coordination des marchés dans la production.
La planification en tant que mode radicalement différent d’organisation et de coordination de la production et de la reproduction sociale a rarement été abordée dans la littérature sur la décroissance. Cette situation évolue depuis que des penseurs plus radicaux de la décroissance abordent de plus en plus explicitement la question de la planification.
Production planifiée et niveaux de vie
La plupart des penseurs de la décroissance s’accordent à dire que la croissance est engendrée par le capitalisme. Il est même admis que la croissance n’est pas le moteur, mais un résultat, « l’apparence de surface ou le « fétiche » d’un processus sous-jacent : l’accumulation du capital. » On pourrait donc s’attendre à ce que la remise en cause de ce processus et l’imaginaire d’une société alternative se fondent sur la négation du capitalisme en tant que mode de production. Pourtant, c’est la croissance qui reste au centre de la discussion.