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Congo : comment le massacre profite à l’occident 

Christine Doumbe

—17 avril 2024

Un massacre est en cours au Congo depuis des décennies et nos grands médias n’en parlent quasiment pas. Pourquoi ce silence et quels sont les enjeux derrière ces tueries ?

Cela fait près de 30 ans que l’Est de la République Démocratique du Congo est en proie à la violence et ces dernières années les tensions se sont accrues dans la région. D’abord, en novembre 2021, le mouvement M23 a relancé des attaques à l’Est du Congo dans la région du Kivu, alors qu’il ne l’avait plus fait depuis 2013 étant donné que des accords de paix avaient été signés. Récemment, les attaques se sont accentuées à proximité de la ville de Goma. Le bilan est lourd : 6 millions de morts, 4 millions de déplacés, une situation humanitaire critique, la destruction des infrastructures, une famine qui frappe la population, des viols massifs qui sont utilisés comme arme de guerre…1 Toutes ces atrocités se passent à l’Est du Congo et ce sans réaction concrète des pays occidentaux et de la communauté internationale.

Il est légitime de se demander qui est ce groupement armé, le M23, et pourquoi il perpétue cette guerre ? Qui est impliqué dans cette guerre et quels en sont les enjeux ? Pourquoi les gouvernements occidentaux ne réagissent pas ? Ce sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre tout au long de cet article.

D’un conflit à une guerre

Pour comprendre ce qui a engendré la série d’attaques qui secouent le Congo depuis 1996, il faut comprendre ce qui s’est passé au Rwanda en 1994. Cette année marque le début de la première guerre du Congo qui est une réaction au génocide au Rwanda durant lequel les Hutus ont massacrés les Tutsis. Deux millions de réfugiés Hutus, certains ex-génocidaires, sont chassés au Zaïre, ancien nom de la République Démocratique du Congo. Mais les rebelles Tutsis ne veulent pas laisser vivre tranquillement les ex-génocidaires de l’autre côté de la frontière. Les Tutsis créent alors une milice qui persécutera les Hutus présents au Zaïre.

Cela va donc élargir le conflit du Rwanda au territoire congolais. Les Tutsis présents au Congo vont eux aussi commencer à s’armer pour se défendre, mais le président Mobutu sera contre l’ingérence rwandaise sur son territoire. Petit à petit, les congolais vont également se rebeller car ils ressentent cela comme une invasion de leur pays. Des milices d’auto-défense naîtront et c’est ainsi qu’actuellement on peut en dénombrer une septantaine,certaines aidées par d’autres pays tels que l’Angola, la Namibie, etc., et le M23 dont les soldats sont rwandais et aidés par l’Ouganda.

Ce sont donc particulièrement les milices du M23 qui sévissent. Ce mouvement est né en 2012 après qu’un accord de paix qui avait été signé le 23 mars 2009 entre le Rwanda et le Congo n’ai pas été respecté. Cela a entrainé une nouvelle rébellion organisée par le mouvement du 23 mars, qui a menée jusqu’en 2013, des combats dans le Nord-Kivu. Le Congo ainsi que l’ONU parviendront finalement à contenir la rébellion, le M23 dépose alors les armes. Toutefois, en 2022, des affrontements éclatent à nouveau jusqu’à arriver à la situation actuelle2.

 L’influence des pays occidentaux

A première vue, on pourrait penser qu’il s’agit uniquement d’un conflit interne ou d’une guerre ethnique. Cependant, lorsque l’on sait quelles sont les ressources présentent dans le sol congolais, une autre cause peut-être avancée. En effet, le pays possède du caoutchouc, 13% des réserves hydroélectriques mondiales, 28% des réserves mondiales de cobalts (qui est l’un des composants principal de nos téléphones et batteries), 18% des réserves mondiales de diamants à usage industriel, de l’or, du coltan, de l’étain, 6 % des réserves mondiales de cuivre, du tungstène,…  tout en étant également le pays ayant la deuxième forêt la plus grande au monde. Le Congo possède donc un poids certain dans l’industrie mondiale, car les minerais qu’on peut y trouver sont utiles dans l’automobile, l’aérospatial, dans les hautes technologiques, dans la joaillerie, etc.

Christine Doumbe (24 ans) est vice présidente de Comac Liège.

Et ça, la Belgique, La France, l’Allemagne et les Etats-Unis l’ont compris il y a des années de cela. Ces pays coloniaux se sont tous battus à un moment donné pour posséder le Congo et exploiter ses terres.

La Belgique a pu engendrer plus d’un milliard de dollars américains lorsque le Congo a été octroyé au roi Léopold II en tant que propriété personnelle en 1885. Jusqu’à ce que la lutte pour l’indépendance soit lancée par le Mouvement national congolais dont Lumumba était le dirigeant avec Mobutu. En 1960, année de l’indépendance, les deux grandes puissances de l’époque, à savoir les Etats-Unis et l’Union soviétique, s’intéressent au Congo. C’est d’ailleurs à ce moment-là également que Mobutu, en fait corrompu, rencontre Lary Devlin officier de la CIA et futur chef d’Antenne de la CIA au Congo.  Ainsi, avec l’appui des Etats-Unis, voulant absolument que le Congo applique une politique pro-occidentale, et sous l’influence de l’ambassadeur Belge, Mobutu fait arrêter Lumumba, le fait assigner à résidence et l’accuse devant les médias de sympathie pro-communiste, pour s’attirer le soutien des Etats-Unis.

La Belgique a pu engendrer plus d’un milliard de dollars américains lorsque le Congo a été octroyé au roi Léopold II en tant que propriété personnelle en 1885.

Lumumba se fait assassiner par la CIA avec la complicité de l’état belge en janvier 1961 alors qu’il défendait la liberté du peuple congolais. En 1962, les Etats-Unis établissent aussi des relations diplomatiques avec le Rwanda, ayant pris son indépendance après de nombreuses années sous tutelle belge.

Les Etats-Unis, réussissent donc à tirer leur épingle du jeu et à d’une manière ou d’une autre avoir la main mise sur les affaires politiques, à la fois du Rwanda et du Congo.

Un exemple très parlant est qu’en 1997, Bill Richardson, l’envoyé spécial de Bill Clinton en Afrique centrale, déclarait devant la commission des affaires étrangères du congrès américain : « La république démocratique du Congo revêt une très grande importance pour les Etats-Unis en Afrique (…) »3

On observe donc à travers l’histoire, l’influence des Etats-Unis de chaque côté, le tout en instrumentalisant la réalité auprès des médias pour couvrir les réels intérêts (économiques) qui sont en jeu.

L’hypocrisie de la communauté internationale

Il y a des enjeux géopolitiques à ce conflit. Ce ne sont pas fondamentalement les minerais le moteur de cette guerre, mais bel et bien les terres où ils se trouvent. Faire fuir les populations permet de privatiser ses terres pour pouvoir y mettre des infrastructures d’entreprises.

Dernièrement, l’Union Européenne a signé avec le Rwanda un protocole d’accord concernant la gestion et le développement de chaines de valeurs durables et résilientes concernant les matières premières. Pour l’UE ce partenariat va permettre d’assurer un approvisionnement sur le long terme en matières premières. L’on sait pourtant qu’au Rwanda les matières qui sont exportées sont celles venant du sol congolais car même s’il y a un manque de traçabilité, l’on sait également que le Rwanda est le receleur. D’ailleurs, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les importations américaines en provenance du Rwanda se sont élevées à 31,4 millions de dollars en 2021. Le président Congolais actuel Félix Tshisekedi a dit : « C’est comme si l’Union Européenne nous faisait la guerre par procuration.» et il a raison, pour la soif de profit, l’UE est prête à laisser se perpétuer cette guerre.

La guerre tue mais l’exploitation de la population également, car pour avoir accès aux minerais il faut évidemment creuser. Les travailleurs (qui sont souvent de simples villageois très pauvres creusent donc des galeries avec très peu de matériel, dans des conditions de travail rudes, et cela engendre de nombreux accidents. En septembre 2020, un éboulement d’une mine à la suite de pluies torrentielles tuait 50 personnes, des adultes comme des enfants4. Ce genre d’incident n’est  pas rare.. De plus les travailleurs développent également des maladies respiratoires dues à l’inhalation d poussière et à l’environnement humide des mines. Ils subissent tout cela pour gagner des salaires de misère e qui leur permettent à peine de survivre. En moyenne, on peut dire qu’un « creuseur » gagne entre 2 à 10 dollars par jour. Par rapport à ce que le fruit de leur travail rapporte, ce sont vraiment des miettes. L’exploitation qu’ils subissent est donc très claire5. Ainsi, l’on comprend mieux le peu de cas que font les pays occidentaux de la situation au Congo, puisqu’en leur facilitant l’accès aux ressources, cette guerre interne sert leurs intérêts économiques.

Les pays occidentaux font peu de cas de la situation au Congo, puisqu’en leur facilitant l’accès aux ressources, cette guerre interne sert leurs intérêts économiques.

Par-dessus le marché, il y a un deux poids deux mesures face à la situation  au Congo. Lorsqu’il s’agissait de prendre des sanctions contre la Russie qui mène une guerre contre l’Ukraine, cela ne s’est pas fait attendre, et une série de sanctions ont été prises, affaiblissant surtout le pouvoir économique de la Russie. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de faire la même chose pour sanctionner les Etats d’Afrique manipulés par les Etats-Unis pour piller le Congo, il n’en n’est rien.

Face au silence, il est temps de dénoncer et d’agir

Si l’on se déclare en faveur des droits humains, des droits des femmes, des droits des enfants, dont ceux de moins de 5 ans constituent la moitié des victimes de cette guerre, si on lutte pour le climat, contre l’hégémonie étasunienne et surtout pour l’émancipation des peuples africains, l’onn se doit de dénoncer l’hypocrisie des pays occidentaux et des Etats-Unis. L’onn doit  faire de cette guerre un véritable sujet.

Certains se mobilisent déjà et on doit leur donner notre appui. Plusieurs manifestations ont eu lieu à Bruxelles pour soutenir la population du Nord-Kivu. Le mouvement Lucha (lutte pour le changement) a également manifesté pour dénoncer les crimes dont les congolais sont victimes, les femmes à Kinshasa organisent des manifestations pour dire « stop à la guerre à l’Est », et pour dénoncer l’utilisation du corps des femmes dans cette guerre6

Il y a donc des actions menées ici, mais d’autres Nations d’Afrique essaient elles aussi d’apporter leur aide au Congo.

Les congolais eux-mêmes doivent résoudre ce problème, mais avec l’appui de la communauté internationale.

Comme pour la Palestine, ne cessons jamais de parler et de dénoncer ce qui se passe au Congo.

Footnotes

  1. 6 millions de morts au Congo (radiofrance.fr), jeudi 20 novembre
  2. https://www.youtube.com/watch?si=p-62HCJJOHjGIpLu&fbclid=IwAR1A8MC9MOR9L4su2_1dliPfzrWdwEbSIHhvqEfpvQV_Bx4rQ_thEqrsEM&v=PFPMFUmreJ8&feature=youtu.be, 13 novembre 2017
  3. Une histoire populaire du Congo, Edition ADEN, Tony Busselen
  4. Un éboulement dans une mine d’or fait craindre 50 morts en RD Congo – BBC News Afrique, 12 septembre 2020
  5. Sur les traces de l’exploitation artisanale de l’or à Nyamurhale en RD Congo – Commission Justice & Paix – Belgique francophone (justicepaix.be), 17 décembre 2019
  6. RD Congo : des femmes se mobilisent contre la guerre dans l’Est – Journal de l’Afrique (france24.com)