Dans l’enseignement supérieur, le stage est censé être un moment de formation pour les étudiants et étudiantes. Mais, pour beaucoup, cette expérience formatrice signifie davantage de frais et la diminution de leurs droits sociaux.
De la lutte à nos droits
Les périodes de stage sont présentées, dans les établissements d’enseignement supérieur, comme des moments clés de formation pendant lesquels les étudiants et étudiantes peuvent s’épanouir en découvrant un environnement de travail lié à leurs études. Cependant, pour la plupart, ces périodes sont plutôt synonymes d’angoisses et de dangers. Le témoignage de Marie, étudiante infirmière, illustre bien la réalité vécue par des milliers de jeunes : “Je trouve ça un peu scandaleux qu’on ait zéro euro dans la poche à la fin du stage. Moi, je suis même en négatif après avoir payé la nourriture, l’essence et le parking », explique-t-elle1. Bien que, dans l’idéal, les stages devraient être rémunérés, une première étape serait le remboursement des frais liés aux stages. Une revendication portée par les syndicats dans leur lutte pour des conditions de stages dignes. Nous avons toutes et tous droits à des lieux et des environnements de stage de qualité.

Il va sans dire que le stage est une expérience essentielle dans le parcours d’un ou d’une étudiante. C’est un moment au cours duquel on acquiert de l’expérience à travers un travail de terrain. Un moment qui rend tous nos savoirs plus concrets, une sorte d’avant goût de ce que pourrait être notre quotidien. C’est bien pour cela qu’il est urgent de mieux les encadrer et de faire de ce moment un vrai moment de formation.
Le stage, censée être une véritable expérience formatrice, se transforme trop souvent en une épreuve, au sein d’un monde du travail déjà fragilisé par les coupes budgétaires.
Face à cette injustice, ils et elles s’organisent. Les mobilisations étudiantes autour des stages ne datent pas d’hier. En février 2024, plus de 300 étudiants et étudiantes en psychologie ont manifesté devant le cabinet du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), contre l’ajout d’un stage obligatoire supplémentaire2. Plus largement, de nombreuses actions et pétitions ont vu le jour ces dernières années. En 2022, par exemple, une pétition a été lancée notamment par les Jeunes FGTB pour réclamer la rémunération des stages3.
La question des stages dépasse largement la seule question de la précarité étudiante. Elle pose en réalité un problème plus global de conditions de travail et de valorisation du travail. Ces situations ne changeront que par la lutte. Nous, étudiants et étudiantes, nous avons des droits, nous y tenons et nous en aurons encore davantage !
Des conditions de travail inadaptées
La question du travail est directement liée à celle des conditions de travail : près de 4 étudiants et étudiantes sur 10, soit 37% d’entre eux, estiment avoir été peu ou pas encadrés durant leurs stages4. C’est dire la manière dont ils et elles sont considérées ainsi que la façon dont sont traités les lieux de travail par les politiques néo-libérales. Sans encadrement réel, ils et elles ne bénéficient pas de la formation pratique promise. Cette réalité illustre parfaitement la logique du travail gratuit imposé aux stagiaires. Un étudiant témoigne “Je trouve que le mot stage n’a plus de sens. Pour moi, c’est juste du travail non rémunéré, destiné à combler les manques dans les institutions. On nous impose les mêmes exigences que pour des travailleurs en CDI, alors qu’on débute à peine et qu’on est encore aux études.”
Le problème de l’encadrement des stagiaires est particulièrement prégnant dans les secteurs sociaux (assistantes sociales, infirmières, psychologues, enseignants, etc. ) qui exigent le plus grand nombre d’heures de stage et qui sont des métiers essentiels de première ligne Paradoxalement, mais conformément aux choix politiques de la droite, ces mêmes secteurs font face à de fortes pressions budgétaires5. En 2024, les gouvernements de Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont présenté leurs budgets pour l’année suivante, mettant en avant d’importantes mesures d’économies. En Wallonie, cela se traduit notamment par une diminution des subventions à hauteur de 60.000 euros6. Ainsi, recourir à la force de travail des étudiants et des étudiantes est une façon de compenser le sous-investissement et les coupes budgétaires dans les services publics.

Par ailleurs, les stages soulèvent d’importantes questions liées au droit du travail. Un stagiaire témoigne : “On n’avait pas de vraie pause à midi, on n’était même pas en condition pour aller manger. Résultat, il m’est arrivé de ne pas manger du tout. Entre la fatigue et le manque de repas, j’ai perdu énormément de poids”. En l’absence de cadre juridique clair protégeant les stagiaires, ces derniers se retrouvent souvent vulnérables. Les règles qui s’appliquent, qu’il s’agisse des règlements d’ordre intérieur, des règlements généraux des études ou des conventions propres à chaque établissement, varient largement d’un lieu à l’autre. Cette situation entraîne des disparités importantes dans le traitement des étudiants et étudiantes, créant des inégalités et laissant la place à des traitements arbitraires dans la manière dont les stages sont organisés et encadrés7.
Le stage dans l’enseignement supérieur, qui devrait être une véritable expérience formatrice, se transforme trop souvent en une épreuve au sein d’un monde du travail déjà fragilisé par les coupes budgétaires, particulièrement au sein de la sphère publique, engendrant une expérience négative pour l’étudiant qui se retrouve surchargé et épuisé. Au lieu d’apprendre dans un cadre structuré, ils et elles plongent dans un système qui les utilise comme main-d’œuvre gratuite, sans reconnaissance ni protection réelle.
Stage et précarité étudiante
Ce problème de traitement au travail s’inscrit dans une précarisation de plus en plus grande des étudiants. Les chiffres sur la précarité étudiante en Belgique sont alarmants. D’après une enquête SONECOM-BDO réalisée en 2019 pour le cabinet Marcourt, 36 % des étudiant·e·s de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles vivent en situation de précarité, soit environ 73 800 jeunes8.
La précarité étudiante est directement liée à la question du non-remboursement des frais liés aux stages. Du côté des futurs professeurs, les coûts liés au matériel sont terriblement handicapants. Une étudiante en éducation physique confie : “En réalité, ce n’est pas obligatoire, mais on sait que si on n’a pas notre matériel, on peut rater notre stage. C’est le stress sans cesse… Je pense que sur mes trois ans de stages, j’ai dû mettre plus de 1000 euros dans le matériel”.Ces témoignages reflètent une réalité trop souvent ignorée : les stages, censés former, deviennent une source de précarité supplémentaire pour des milliers d’étudiants et d’étudiantes. Selon une enquête de la FEF (Fédération des étudiant·e·s francophones), un stage coûte en moyenne près de 200 € aux étudiant.e.s9.
Le remboursement des frais liés aux stages doit s’inscrire dans une lutte plus large pour un enseignement supérieur réellement accessible à toutes et tous.
Ce système pénalise encore davantage les plus précaires, issus en majorité de la classe travailleuse10. Pour ces jeunes, le coût de la vie étudiante, loyer, transport, matériel, nourriture, s’ajoute aux exigences d’heures de stage non rémunérées, transformant ces expériences censées être formatrices en véritable frein au sein de leur parcours académique. Les stages non rémunérés accentuent d’autant plus les inégalités entre étudiants puisque seuls les étudiants disposant de ressources financières suffisantes peuvent se permettre de consacrer de longues semaines à un travail qui, finalement, engendre des frais, tandis que d’autres doivent renoncer ou s’endetter.
Perspectives de luttes
Dans ce contexte, la lutte pour, à minima, le remboursement des frais liés aux stages,ne peut être prise comme une revendication isolée. Elle doit s’inscrire dans une lutte plus large pour un enseignement supérieur réellement accessible à toutes et tous.
Ce n’est pas un hasard si les étudiants et étudiantes ont été en première ligne de nombreuses luttes ces dernières années : d’un côté contre le décret Paysage, qui a accentué la pression sur leurs épaules, creusé les inégalités et renforcer la précarité ; de l’autre, contre la politique d’austérité de l’Arizona, qui fragilise encore davantage leur avenir. Les stagiaires sont à l’intersection de deux mondes qui, chacun, sont frappés de plein fouet par les mesures d’austérité de l’Arizona. En tant qu’étudiant, il souffre de la précarité, de la hausse des logements et des denrées alimentaires ainsi que du sous-financement de l’enseignement supérieur. En tant que travailleurs, ils subissent les attaques du gouvernement contre le droit du travail et les coupes dans les services publics. C’est également l’occasion, pour eux, d’observer, sur leur lieu de travail, la situation toujours plus difficile des travailleurs âgés que l’Arizona veut faire travailler jusqu’à 67 ans. Les stagiaires sont doublement touchés par les mesures d’austérité de l’Arizona.
Leur combat ne s’arrête donc pas aux bancs de l’université, il rejoint celui des travailleurs dans la rue, lors des grandes mobilisations. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement leur avenir, mais déjà leurs conditions de vie et de travail aujourd’hui. Faisons front ensemble, étudiant·e·s et travailleurs, pour défendre nos droits et un enseignement réellement accessible à toutes et tous.
Footnotes
- https://www.rtl.be/actu/vos-temoignages/cest-un-type-desclavage-moderne-marie-denonce-les-conditions-de-travail-des/2025-04-19/article/746723
- https://www.lalibre.be/etudiant/etudes/2024/02/09/plus-de-300-etudiants-en-psychologie-manifestent-sous-la-fenetre-de-franck-vandenbroucke-contre-lajout-dun-stage-obligatoire-EXNCUMHWLVEXZFBERKL3PFDTZU/
- https://jeunes-fgtb.be/campagne/pas-de-salaire-pas-de-stagiaires/
- https://fef.be/wp-content/uploads/2023/06/POS109.CF_2020.02.09_Note-Germinal.pdf
- https://use.be/pour-une-remuneration-de-tous-les-stages/
- https://pro.guidesocial.be/articles/actualites/article/budget-2025-les-mesures-cles-pour-les-secteurs-de-la-sante-et-du-social
- https://fef.be/wp-content/uploads/2023/06/POS109.CF_2020.02.09_Note-Germinal.pdf
- https://inforjeunes.be/precarite-etudiante-en-belgique/
- https://fef.be/wp-content/uploads/2023/06/POS109.CF_2020.02.09_Note-Germinal.pdf
- https://www.ulb.be/fr/ove/ove-2024-rapport-denquete-sur-les-ressources-economiques
