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Les crypto-monnaies forment une gigantesque pyramide de Ponzi

Sohale Andrus Mortazavi

—2 février 2022

Depuis le mois de novembre, les crypto-monnaies ont perdu plus de 1 350 milliards de dollars de valeur, les gens ordinaires en sont les premières victimes. La crypto-monnaie est une escroquerie, elle devrait être interdite.

Les crypto-monnaies sont une arnaque.

C’est une arnaque de A à Z, point final — il ne s’agit pas seulement des derniers stratagèmes de manipulation des cours, dans lesquels des fraudeurs font la promotion d’une crypto-monnaie peu connue avant de l’abandonner tous en même temps, ou des escroqueries dans lesquelles les développeurs d’une nouvelle crypto-monnaie abandonnent le projet et s’enfuient avec les fonds des investisseurs. Toutes les crypto-monnaies, et le secteur dans son ensemble, reposent sur la manipulation du marché, sans laquelle elles ne pourraient exister à grande échelle.

Sohale Andrus Mortazavi est un écrivain et un prête-plume de Chicago, aux États-Unis.

Cela ne devrait pas surprendre ceux qui connaissent le fonctionnement des crypto-monnaies. Les blockchains sont, à la base, de simples feuilles de calcul modifiables mises à jour sur des réseaux décentralisés « peer-to-peer », un peu comme ceux utilisés pour les torrents de fichiers piratés. Tout comme les torrents permettent aux utilisateurs de partager directement des fichiers, les blockchains de crypto-monnaies permettent aux utilisateurs de tenir un registre partagé des transactions financières sans avoir besoin d’un serveur central ou d’une autorité de gestion. Les utilisateurs peuvent ainsi effectuer des transactions en ligne directement entre eux, comme s’ils échangeaient des espèces.

L’argent parti en fumée

Ceci, nous dit-on, est révolutionnaire. Mais effectuer ainsi des transactions en ligne, sans médiateur, dans un environnement protégé qui n’offre aucune garantie, n’est pas sans risque. Les blockchains de crypto-monnaies ne permettent généralement pas de supprimer ou de modifier des transactions précédemment vérifiées. Les données sont immuables. Les mises à jour sont ajoutées en enchaînant un nouveau « bloc » de données de transactions à la chaîne de blocs existants.

Étant donné que les crypto-monnaies ne produisent aucune valeur matérielle, cet énorme gaspillage de ressources fait de tout ce système un jeu à somme nulle.

Pour garantir l’intégrité de la blockchain, le réseau doit pouvoir compter sur l’exactitude des nouveaux blocs. Les crypto-monnaies populaires comme le Bitcoin, l’Ethereum et le Dogecoin utilisent toutes une méthode de consensus PoW (Proof of Work) pour vérifier les mises à jour de la blockchain. Sans entrer dans les détails techniques, ce mécanisme permet aux utilisateurs de la blockchain — appelés « mineurs » — de se disputer le droit de vérifier et d’ajouter le prochain bloc en étant le premier à résoudre une énigme mathématique incroyablement complexe.

L’objectif de ce processus est de rendre l’ajout de nouveaux blocs tellement difficile que toute intervention sur la blockchain devient prohibitive. Bien que la réponse correcte à ces énigmes puisse être facilement vérifiée par n’importe qui sur le réseau, être le premier à trouver la réponse nécessite une énorme puissance de traitement — et donc d’électricité — et il est très difficile concurrencer le reste du réseau.

Lorsqu’ils réussissent, les mineurs reçoivent une récompense pour avoir été les premiers à vérifier le prochain bloc. Un nouveau bloc s’ajoute toutes les dix minutes dans la blockchain du Bitcoin. La récompense pour un bloc est actuellement de 6,25 bitcoins nouvellement frappés, soit une valeur de près d’un demi-million de dollars en tenant compte de la plus haute valorisation du Bitcoin. La compétition pour ces récompenses a conduit à une course à l’armement en matière de puissance de calcul à mesure que les prix ont augmenté. L’extraction de bitcoins sur un ordinateur personnel n’est plus possible. La majorité des opérations de minage de crypto-monnaies est désormais réalisée dans des structures minières commerciales, c’est-à-dire d’immenses entrepôts faisant fonctionner jour et nuit des milliers de processeurs informatiques surpuissants. L’électricité dépensée pour le minage du Bitcoin et d’autres crypto-monnaies approche rapidement d’1 % de la consommation mondiale, ce qui est notoirement plus élevé que la consommation totale d’électricité de nombreux petits pays développés.1

Étant donné que les crypto-monnaies ne produisent aucune valeur matérielle, cet énorme gaspillage de ressources fait de tout ce système un jeu à somme négative. Les investisseurs ne peuvent retirer de l’argent qu’en vendant leurs cryptos à d’autres investisseurs — mais seulement après que les mineurs et les divers fournisseurs de services de crypto-monnaies aient pris leur part du gâteau. En d’autres termes, les investisseurs ne peuvent pas, dans l’ensemble, récupérer ce qu’ils ont investi, car les crypto-monnaies sont inefficaces du fait même de leur conception.

Cela fait d’elles, des formes de monnaies pauvres (d’une valeur faible), coûteuses (à produire) et des investissements à long terme absolument ridicules. Nous pourrions les voir comme une expérience vouée à l’échec d’une course à l’investissement « les plus fous », dans laquelle les investisseurs tentent de tirer profit d’actifs surévalués, voire sans valeur, en les revendant au prochain « fou ». Imaginez un jeu de chaises musicales avec des enjeux monstrueux, si la hausse du prix du Bitcoin et d’autres crypto-monnaies dépendait seulement de la demande.

Mais ce n’est pas le cas. La manipulation des prix joue un rôle aussi important, voire plus, que la demande dans la hausse des prix.

Entre dollars et crypto

Ce n’est pas un secret. Dans un article largement diffusé en 2017, des chercheurs ont attribué plus de la moitié de la hausse récente du prix du Bitcoin à des achats effectués par une seule entité sur Bitfinex, une bourse de crypto-monnaies dont le siège est à Hong Kong et qui est enregistrée dans les îles Vierges.2 Ces achats étaient programmés pour soutenir le prix du Bitcoin pendant les périodes de baisse du marché, d’une manière qui indiquait si clairement une manipulation du marché que les auteurs ont jugé inconcevable que de tels types d’échange puissent se produire par hasard.

Fait critique, ces achats n’ont pas été effectués avec des dollars, mais avec le tether, un autre type de crypto-monnaie connu sous le nom de « stablecoin » car son prix est arrimé au dollar, de sorte qu’un tether vaut toujours un dollar. De nombreuses bourses de crypto-monnaies offshore n’ont pas accès aux services bancaires traditionnels, probablement parce que les banques jugent qu’il est trop risqué de faire des affaires avec elles. Bitfinex, qui partage une société mère et une équipe de direction avec Tether Ltd (l’émetteur de la crypto-monnaie éponyme), a eu du mal à trouver des partenaires bancaires américains lorsque Wells Fargo a brusquement cessé de traiter les virements entre les banques taïwanaises de la bourse et leurs clients américains en 2017, sans en donner la raison.

La manipulation des prix joue un rôle aussi, voire plus, important que la demande dans la hausse des prix.

Cela posait problème. En l’absence de relations bancaires traditionnelles pour l’émission de virements, les bourses ne peuvent pas faciliter les transactions entre acheteurs et vendeurs sur leurs plateformes — quelqu’un doit bien faire passer l’argent entre les acheteurs et les vendeurs. Les stablecoins résolvent ce problème en remplaçant les vrais dollars. Elles permettent aux marchés des crypto-monnaies de conserver une grande liquidité — c’est-à-dire la facilité avec laquelle les actifs peuvent être convertis en espèces — sans avoir à disposer réellement d’espèces.

Le tether est devenu partie intégrante du fonctionnement des marchés crypto-monétaires mondiaux. La majorité des transactions en bitcoins est maintenant effectuée en tethers (70 % ).3 En comparaison, seuls 8 % du volume des échanges sont effectués en dollars réels, le reste se faisant d’une crypto-monnaie à une autre. De nombreux sceptiques du secteur, et même ses partisans, y voient un risque systémique et une bombe à retardement. L’ensemble du système repose sur la capacité des opérateurs à échanger des tethers contre de l’argent réel ou — ce qui est beaucoup plus courant dans la pratique — contre d’autres crypto-monnaies traditionnelles qui peuvent être vendues contre de l’argent sur des bourses bancarisées comme Coinbase ou Gemini, toutes deux basées aux États-Unis.

Si la confiance dans le tether venait à vaciller, nous pourrions voir son ancrage au dollar s’effondrer en un clin d’œil. Il s’agirait d’un scénario catastrophe pour les marchés des crypto-monnaies, les investisseurs détenant ou négociant des crypto-monnaies sur des bourses non bancarisées ne pouvant pas « encaisser », puisqu’il n’y a jamais eu d’argent liquide à l’origine, seulement des stablecoins. Cela provoquerait presque certainement une crise de liquidité sur les bourses bancaires également, les investisseurs se précipitant pour encaisser leurs crypto-monnaies partout où cela est possible dans un contexte d’effondrement des prix, et les bourses bancaires traitant un volume bien moindre ne seraient presque certainement pas en mesure de prendre le relais.

Il n’y a aucune raison de faire confiance au tether. L’arrimage du tether au dollar était initialement fondé sur l’affirmation que la monnaie numérique était entièrement garantie par des réserves de liquidités réelles — un dollar détenu en réserve pour chaque tether émis — bien qu’il se soit avéré par la suite que c’était un mensonge. Depuis lors, la société n’a cessé de revoir à la baisse ses déclarations concernant le montant des liquidités qu’elle garde en réserve. Selon sa dernière attestation publique sur la question, datant de mars 2021, elle ne détiendrait que 3 % de ses réserves en espèces. Le reste était détenu en « équivalents de trésorerie », principalement des billets de trésorerie — c’est-à-dire des reconnaissances de dettes de sociétés qui peuvent ou non exister, étant donné que les acteurs réputés qui négocient des billets de trésorerie ne semblent pas faire affaire avec Tether.4

Bien que même ces modestes affirmations sur leurs réserves puissent être un mensonge, Tether n’ayant jamais fait l’objet d’un audit externe, rien de tout cela n’a vraiment d’importance, puisque les conditions de service de Tether indiquent clairement qu’ils ne garantissent pas le rachat de leurs jetons numériques en espèces. Si le marché perd soudainement confiance en Tether et que les bourses ne peuvent ou ne veulent pas les échanger contre des dollars ou des crypto-monnaies, Tether n’est pas obligée d’utiliser les réserves dont elle dispose pour racheter les tethers.

Dans la pratique, Tether rachète ou « brûle » rarement ses jetons (en les envoyant dans un portefeuille de réception uniquement afin de les retirer de la circulation et de diminuer l’offre, dans le but d’augmenter le prix), comme on pourrait s’y attendre si l’objectif était simplement de fournir de la liquidité au marché, comme ils le prétendent. Si tel était le cas, on s’attendrait à ce que l’offre globale de Tether suive de près les volumes quotidiens d’échanges de crypto-monnaies. Les bourses ne conserveraient qu’une quantité suffisante de tethers pour couvrir le volume des échanges et vendraient ou rachèteraient vraisemblablement les tethers excédentaires contre de l’argent liquide lorsque moins de personnes échangent activement des crypto-monnaies.

Même si les tribunaux pouvaient retracer les réseaux enchevêtrés de transactions semi-anonymes en crypto-monnaies, une grande part de l’argent investi ne pourra jamais être récupérée.

Au lieu de cela, l’offre de tethers a augmenté de manière exponentielle pendant des années, explosant pendant les périodes de hausse du marché des crypto-monnaies, et restant inchangée pendant les années de baisse. Il y a maintenant plus de 78 milliards de tethers en circulation et en augmentation, dont environ 95 % ont été émis depuis le dernier marché haussier des crypto-monnaies, qui a débuté début 2020.

Il n’existe aucun univers concevable dans lequel les échanges de crypto-monnaies auraient besoin d’un approvisionnement en stablecoins à croissance exponentielle pour faciliter les échanges quotidiens. L’explosion des stablecoins et le timing suspect des achats sur le marché décrits dans le document de 2017 suggèrent — comme le prétend une action collective de 20195 — qu’iFinex, la société mère de Tether et Bitfinex, imprime des tethers à partir de rien et les utilise pour acheter du Bitcoin et d’autres crypto-monnaies afin de créer une rareté artificielle et de faire grimper les prix.

La banque centrale des crypto-monnaies

Tether est bel et bien devenue la banque centrale des crypto-monnaies. Comme les banques centrales, elle assure la liquidité du marché et pratique même l’assouplissement quantitatif — pratique consistant pour les banques centrales à acheter des actifs financiers afin de stimuler l’économie et stabiliser les marchés financiers. La différence est que les banques centrales, du moins en théorie, agissent dans l’intérêt général et tentent de maintenir des niveaux d’inflation sains qui encouragent l’investissement en capital. En comparaison, les sociétés privées qui émettent des stablecoins gonflent sans discernement les prix des crypto-monnaies afin de pouvoir les refourguer à des investisseurs peu méfiants.

Les crypto-monnaies ne sont donc pas simplement un mauvais investissement ou une bulle spéculative, elles s’apparentent davantage à une pyramide de Ponzi décentralisée. Les nouveaux investisseurs sont attirés sous le prétexte que la spéculation fait monter les prix, alors que c’est la manipulation du marché qui fait le gros du travail.

Ça ne peut pas durer éternellement. Les stablecoins non garantis peuvent être et sont utilisés pour gonfler le « prix au comptant » — le dernier prix d’échange — des crypto-monnaies à des niveaux totalement déconnectés de la réalité. Mais les coûts d’électricité liés au fonctionnement et à la sécurisation des blockchains sont bien réels. Si les marchés des crypto-monnaies ne parviennent pas à attirer suffisamment d’argent frais pour couvrir les coûts croissants du minage, le système deviendra impraticable et financièrement insolvable.

Personne ne sait exactement comment cela va se terminer mais nous savons que les investisseurs ne seront jamais en mesure d’encaisser les gains qu’ils ont faits sur le papier. Les 2 000 milliards de dollars de capitalisation du marché des crypto-monnaies, souvent évoqués et calculés en multipliant les pièces existantes par le dernier prix au comptant, sont un chiffre qui ne signifie rien. C’est loin d’être le montant qui a été investi dans les crypto-monnaies et c’est loin d’être le montant qui en sortira un jour.

En fait, les investisseurs ne pourront pas, en moyenne, encaisser le même montant que celui qu’ils ont investi. Une grande partie de cet argent a été consacrée au minage des crypto-monnaies. Une analyse récente montre qu’environ 25 milliards de dollars, voire davantage, sont déjà allés aux mineurs de Bitcoin qui, selon les meilleures estimations, dépensent désormais 1 milliard de dollars rien qu’en électricité chaque mois, voire plus.6

Cet argent disparaît à jamais, ayant été converti en carbone et libéré dans l’atmosphère — ce qui rend les crypto-monnaies encore pires que les systèmes de Ponzi traditionnels. La plupart des sommes perdues dans la tristement célèbre pyramide de Ponzi de ce bon vieux Bernard Madoff ont finalement été récupérées et rendues aux investisseurs. Même si les tribunaux pouvaient retracer les réseaux enchevêtrés de transactions semi-anonymes en crypto-monnaies, une grande part de l’argent investi ne pourra jamais être récupérée.

Absence de réglementation

Les systèmes de Ponzi de cette ampleur visent généralement d’autres sociétés financières, des banques, des institutions d’élite et d’autres investisseurs fortunés. Les crypto-monnaies, en comparaison, sont les Ponzi du peuple. Les bourses de crypto-monnaies dotées d’interfaces conviviales, ainsi que les sociétés de services financiers comme PayPal, permettent aux investisseurs particuliers disposant de peu d’actifs, et de peu de connaissances dans la finance, d’acheter des crypto-monnaies sur leur smartphone.

L’achat minimum sur Coinbase est de seulement 2 $, contre 1 $ chez Robinhood. Une récente enquête de Pew a révélé qu’un adulte américain de moins de 30 ans sur trois a acheté, ou a utilisé, des crypto-monnaies.7 Ce sont les travailleurs de tous les jours qui souffriront le plus lorsque leurs économies s’évaporeront inévitablement du jour au lendemain.

Les régulateurs et les décideurs politiques mettent trop de temps à protéger le public. Les pyramides de Ponzi peuvent rester solvables pendant des années tout en passant sous le radar des autorités de police et de réglementation. Bernard Madoff, l’un des plus grands escrocs de l’histoire, a géré son fonds spéculatif comme un système de Ponzi pendant au moins dix-sept ans. Si la Securities and Exchange Commission (SEC) n’a pas tenu compte des multiples avertissements d’un lanceur d’alerte du secteur pendant sept ans, les régulateurs ont agi rapidement lorsque Madoff a été dénoncé par ses propres enfants. Après tout, il escroquait les riches, les banquiers, les célébrités et les élites.

La pyramide de Ponzi des crypto-monnaies a ses propres lanceurs d’alerte, mais ils ne sont guère nécessaires. Tether est construit et hébergé sur d’autres blockchains publiques, principalement Ethereum et Tron pour le moment. Chaque fois que Tether imprime une nouvelle série de stablecoins, maintenant par centaines de millions ou milliards à la fois, tout le monde peut le voir. Il existe des bots sur Twitter qui analysent les blockchains des crypto-monnaies et signalent les transferts importants ou suspects de nouveaux stablecoins.8 Une surveillance si facile qu’il suffit de cliquer sur « S’abonner ». Tether falsifie les comptes sous les yeux de tous. Les sceptiques le soulignent depuis des années, mais les régulateurs et les responsables politiques ont attendu que les crypto-monnaies se généralisent et que les sociétés de crypto-monnaies extrêmement surévaluées commencent à représenter un risque pour les marchés financiers traditionnels.

Les responsables politiques ont attendu que les crypto-monnaies se généralisent et commencent à représenter un risque pour les marchés traditionnels avant de s’en mêler.

Leur réaction n’a pas été à la hauteur. La SEC et la Commodity Futures Trading Commission américaine ont cité à comparaître Tether et Bitfinex en 2017.9 En 2018, le ministère de la Justice des États-Unis a lancé une vaste enquête sur la manipulation des prix des crypto-monnaies et s’est rapidement intéressé à Tether. La société a finalement été condamnée à une amende de 41 millions de dollars pour avoir menti sur ses réserves, entre autres méfaits, et a également trouvé un accord avec le procureur général de New York pour 18,5 millions de dollars pour la même raison.10 Ces actions ne sont qu’une réprimande étant donné le niveau de fraude et elles n’ont en rien ralenti l’imprimante à billets de Tether.

Pendant ce temps, les régulateurs n’ont même pas essayé d’empêcher les crypto-monnaies de s’infiltrer sur les marchés financiers plus larges. La SEC a autorisé l’entrée en bourse de Coinbase en avril, et plusieurs autres bourses de crypto-monnaies basées aux États-Unis prévoient de faire de même.11

Si quelques entreprises cotées en bourse, notamment Tesla, ont fait des paris de plusieurs milliards de dollars sur les crypto-monnaies avec l’argent de l’entreprise, la plupart d’entre elles offrent simplement des services de garde ou de transaction plutôt que d’investir elles-mêmes dans les crypto-monnaies. Elles fonctionnent de manière parasitaire, profitant des investissements dans ce système de Ponzi tout en se précipitant vers les introductions en bourse avant que tout ne s’effondre. Ces entreprises détiennent elles-mêmes très peu de crypto-monnaies et courent donc peu de risques.

Les responsables politiques n’ont pas fait grand-chose pour endiguer ce phénomène. Même ceux qui prêtent attention aux problèmes liés aux stablecoins non réglementés semblent vouloir à tout prix préserver le secteur des crypto-monnaies au sens large. Un récent rapport de l’administration Biden évalue le risque des stablecoins sans examiner leur rôle prépondérant dans la manipulation du marché. Le président de la SEC, Gary Gensler, souhaite réglementer les stablecoins, comme des titres ou des comptes de fonds communs du marché monétaire.12 Le STABLE Act, un projet de loi qui languit au Congrès depuis l’année dernière, exigerait que les stablecoins soient entièrement garantis et réglementerait les émetteurs et toute personne offrant des services connexes.

Ces efforts sont aussi insuffisants que malavisés. Les gouvernements ne seront pas en mesure d’empêcher que des stablecoins non réglementés soient échangés sur des bourses opérant en dehors de leur juridiction. Tether n’est pas le seul fournisseur de stablecoins. Tether a imprimé plus de 8 milliards de dollars en stablecoins depuis le mois de novembre. Pendant ce temps, la société sud-coréenne de crypto-monnaies Terraform Labs, dont peu de gens ont entendu parler, a frappé 8 milliards de dollars supplémentaires de son propre stablecoin (TerraUSD). Et elle est loin d’être la seule. Si l’on ferme ces établissements, rien ne les empêchera de s’installer ailleurs.

Le problème va au-delà des échanges et des émetteurs non réglementés. Coinbase possède également son propre stablecoin lié au dollar, l’USDC, géré par la société partenaire Circle, qui cherche également à s’introduire en bourse par le biais d’un accord SPAC qui l’exempterait de l’examen minutieux d’une introduction en bourse traditionnelle. Il y a maintenant 45 milliards d’USDC en circulation, dont la plupart ont été émis depuis 2020, tout comme pour Tether. Coinbase et Circle ont également menti sur le fait que leur stablecoin était entièrement garanti par des liquidités, alors qu’en fait les réserves sont principalement composées de billets de trésorerie encore plus mystérieux, qui sont moins liquides et beaucoup plus risqués.13 Comme le dit Amy Castor, qui a longtemps fait des reportages sur les crypto-monnaies, « malgré les efforts pour se distancer de Tether, Circle commence à ressembler de plus en plus à une crypto-monnaie similaire, mais avec un autre logo sur les billets de banque ».14

Il faut toutes les interdire

S’en prendre aux émetteurs peu scrupuleux de stablecoins reviendra à jouer indéfiniment au jeu du chat et de la souris. La seule véritable solution est d’interdire totalement le commerce des crypto-monnaies privées. Nous ne pouvons pas empêcher les acteurs étrangers d’émettre des stablecoins sans valeur et de manipuler les prix des crypto-monnaies sur des échanges non réglementés. Mais nous pouvons rendre illégale la vente de crypto-monnaies sur des bourses bancaires, comme Coinbase, qui fonctionnent en toute légalité pendant que les gens se ruinent dans leur système de Ponzi.

Cela tuerait bien sûr presque entièrement les crypto-monnaies, les reléguant au rang de curiosités pour les passionnés de technologie. Cela ne devrait attrister personne. Les crypto-monnaies n’ont pratiquement aucun cas d’usage légal. Elles sont parfaites pour faciliter les ransomwares (un logiciel informatique malveillant, prenant en otage les données), le blanchiment d’argent, la distribution de stupéfiants et de pornographie infantile, pour faire fonctionner des systèmes de Ponzi et… pas grand-chose d’autre15 . Elles échouent en tant que monnaies en raison des coûts de transaction élevés. Elles échouent en tant qu’« or numérique » ou « réserve de valeur » parce qu’elles consomment des quantités colossales d’énergie pour faire fonctionner un simple tableur.

La crise financière de 2008 a clairement démontré la nécessité de placer le secteur financier sous contrôle des autorités.

La Chine a déjà interdit totalement les crypto-monnaies, et l’Inde et le Pakistan sont sur le point de faire de même16. D’autres pays ont également pris des mesures pour interdire ou limiter les crypto-monnaies, mais les démocraties libérales occidentales sont particulièrement permissives. Cela est dû en grande partie au lobbying agressif du secteur, qui comprend l’embauche d’anciens régulateurs financiers et de responsables de la conformité dans le secteur pour influencer les décideurs politiques.

Dans leurs rangs, on trouve Brian Brooks, qui était le directeur juridique de Coinbase avant d’occuper le poste de contrôleur de la monnaie par intérim dans l’administration Trump. Aujourd’hui PDG de la société de minage de blockchain Bitfury, qui chercherait également à entrer en bourse, Brooks a rejoint d’autres PDG de crypto-monnaies pour témoigner devant la Chambre en décembre. Comme on pouvait s’y attendre, ils s’opposent à une réglementation significative des stablecoins, car ils savent que cela tuerait le secteur et réduirait leurs entreprises à néant.

Ces personnes et tous les autres acteurs du secteur des crypto-monnaies sont complices de la pyramide de Ponzi et trompent activement le public. Ils savent que la fraude est le moteur de leur industrie et alimente leurs profits — et c’est peut-être l’accusation la plus accablante qui pèse sur les crypto-monnaies privées et le secteur.

La crise financière de 2008 a clairement démontré la nécessité de placer le secteur financier sous contrôle des autorités. Les crypto-monnaies et la « finance décentralisée » n’ont rien d’original — ce sont les mêmes privatisations et dérégulations qui se font passer pour des « solutions » de haute technologie et que nous voyons aussi dans d’autres secteurs. Les marchés financiers non réglementés et privatisés présentent les mêmes risques pour le public, qu’ils soient ou non « sur la blockchain ».

Dans le cas des crypto-monnaies, la réglementation est un risque existentiel précisément parce que les failles réglementaires et la fraude sont la seule raison pour laquelle ce secteur semble rentable, alors qu’il est totalement improductif et qu’il gaspille des ressources énergétiques. Il en va de même pour les crypto-monnaies privées dans leur ensemble. Plus les gouvernements tardent à les interdire, plus la population sera lésée.

Originellement paru dans Jacobin.

Footnotes

  1. “Bitcoin Uses More Electricity Than Many Countries. How Is That Possible?”, The New York Times, 3 septembre 2021.
  2. John M. Griffin en Amin Shams, “Is bitcoin really un-tethered?”, SSRN, 28 oktober 2019.
  3. Half of all Bitcoin trades are executed using Tether”, Kaiko, 11 octobre 2021.
  4. Zeke Faux, “Anyone Seen Tether’s Billions?”, Bloomberg Businessweek, 7 oktober 2021.
  5. Voir : Tether and Bitfinex Crypto Asset Litigation.
  6. Jorge Stolfi, “Yes, Bitcoin is a Ponzi. A re-rebuttal.”, 16 janvier 2021.
  7. “16% of Americans say they have ever invested in, traded or used cryptocurrency”. Pew Research Center, 11 novembre 2021.
  8. @whale_alert, par example.
  9. “U.S. regulators Subpoena Crypto Exchange Bitfinex, Tether”, Bloomberg, 30 janvier 2017.
  10. “Stablecoin Giant Tether Hit With $41 Million Fine in Latest Crypto Crackdown”, Wall Street Journal, 15 octobre 2021.
  11. “Kraken, Blockchain, Gemini—Coinbase listing paves way for crypto IPOs”, Fortune, 24 avril 2021.
  12. “Report on Stablecoins”, Treasury.gov, novembre 2021.
  13. “Coinbase Vowed Token’s All-Cash Backing; That’s Not True”, Bloomberg, 11 augustus 2021.
  14. “What’s backing Circle’s 25B USDC? We may never know”, Amy Castor, 10 juillet 2021.
  15. https://cdn.icmec.org/wp-content/uploads/2021/03/Cryptocurrency-and-the-Trade-of-Online-Child-Sexual-Abuse-Material_03.17.21-publish-1.pdf, International Centre for Missing and Exploited Children, maart 2021.
  16. Lisez The Guardian en The Economic Times.