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Cuba : du sida au COVID-19

Don Fitz

—23 juin 2020

Les États-Unis ont attendu des mois avant de réagir. Cuba a commencé à se préparer au COVID-19 dès le 1er janvier 1959.

Pour se préparer à une pandémie, il faut comprendre qu’un changement dans les relations interpersonnelles est primordial, que la production est secondaire et découle de facteurs sociaux. Les personnes qui investissent dans la médecine mercantile ne peuvent pas comprendre ce concept. Rien ne pourrait l’illustrer plus clairement que la réponse de Cuba au coronavirus (COVID-19). Les États-Unis ont attendu des mois avant de réagir. Cuba a commencé à se préparer au COVID-19 dès le 1er janvier 1959. Ce jour-là, plus de soixante ans avant la pandémie, Cuba jetait les bases de ce qui l’amènerait à découvrir de nouveaux médicaments, à faire venir des personnes atteintes du coronavirus sur l’île, et à envoyer de l’aide médicale à l’étranger.

La refonte continue des soins de santé a permis au Cuba de dépasser les États-Unis en matière d’espérance de vie et de mortalité infantile.

Pendant les vingt années qui avaient précédé la révolution de 1959, les médecins cubains étaient divisés en deux catégories : ceux qui voyaient la médecine comme un moyen de gagner de l’argent, et ceux qui avaient compris la nécessité d’apporter des soins médicaux aux populations pauvres, rurales et noires du pays. Le gouvernement révolutionnaire avait compris les défaillances que comportent des systèmes sociaux déconnectés, ce qui l’a conduit à construire des hôpitaux et des cliniques dans les parties mal desservies de l’île, en même temps qu’il commençait à s’attaquer aux crises de l’analphabétisme, du racisme, de la pauvreté et du logement.

En 1964, Cuba a commencé à créer des policlínicos integrales, qui ont été recréés sous le nom de policlínicos comunitarios en 1974, pour mieux relier les communautés et les patients. En 1984, Cuba a mis en place les premières équipes de médecins-infirmiers qui vivaient dans les quartiers qu’ils desservaient1. Cette refonte continue des soins de santé primaires et préventifs cubains a perduré jusqu’à aujourd’hui, comme un modèle, lui permettant de dépasser les États-Unis en matière d’espérance de vie et de mortalité infantile.

Sa préoccupation première portait sur les soins de santé, même si le pays n’a jamais échappé à la pauvreté. Cela a permis à Cuba d’éliminer la polio en 1962, le paludisme en 1967, le tétanos néonatal en 1972, la diphtérie en 1979, le syndrome de rubéole congénitale en 1989, la méningite post-ourlienne en 1989, la rougeole en 1993, la rubéole en 1995 et la méningite tuberculeuse en 1997.

Les Comités de Défense de la Révolution (CDR) sont devenus un élément clé de la mobilisation pour les soins de santé. Organisés en 1960 pour défendre le pays, quartier par quartier si nécessaire, contre une éventuelle invasion américaine, les CDR ont ensuite assumé davantage de tâches de soins de proximité, à mesure qu’une intervention étrangère semblait moins probable. Ils se sont préparés à déplacer les personnes âgées, les handicapés, les malades et les malades mentaux vers des lieux plus élevés, dans l’éventualité d’une tornade. Actuellement, ils contribuent à l’élimination des foyers de moustiques lors des épisodes de dengue, participent à des programmes d’éducation sanitaire, assurent la distribution des cartes de vaccination des enfants et aident à former le personnel auxiliaire des campagnes de vaccination orale.

Le SIDA en période de catastrophe

Deux coups durs ont frappé Cuba à la fin des années 1980 et au début des années 1990. La première victime du sida est morte en 1986, et Cuba a isolé des soldats revenant de la guerre en Angola qui avaient été testés positifs au VIH. Une campagne de haine contre Cuba prétendait que cette quarantaine reflétait des préjugés contre les homosexuels. Mais les faits ont montré que (1) les soldats revenant d’Afrique étaient en grande majorité hétérosexuels (comme la plupart des victimes africaines du sida), (2) Cuba avait mis en quarantaine des patients atteints de dengue sans que cela ne suscite de protestations, et (3) les États-Unis eux-mêmes avaient l’habitude de mettre en quarantaine des patients atteints de tuberculose, de polio, et même du sida.

Le deuxième coup dur est arrivé rapidement. En décembre 1991, l’Union soviétique s’est effondrée, mettant fin à sa subvention annuelle de 5 milliards de dollars, perturbant le commerce international et plongeant l’économie cubaine dans une chute libre, ce qui a exacerbé les problèmes liés au sida. Un bouleversement propice à l’extension du sida. Le taux d’infection par le VIH dans la région des Caraïbes était le deuxième plus élevé après celui de l’Afrique du Sud. L’embargo a simultanément réduit l’accès aux médicaments (y compris ceux contre le VIH/SIDA), les prix des produits pharmaceutiques existants étant devenus exorbitants, et perturbé les infrastructures financières utilisées pour l’achat de médicaments. Et comme si cela ne suffisait pas, Cuba a ouvert les vannes du tourisme pour faire face au manque de fonds. Comme prévu, le tourisme a entraîné une augmentation de la prostitution. Il y avait une probabilité certaine que l’île succombe à une épidémie massive, qui rivaliserait avec les effets de la rougeole et de la variole, qui étaient arrivées avec les envahisseurs européens dans le Nouveau Monde.

Plus de 12 millions de tests VIH/SIDA ont été effectués à Cuba en 1993 alors que la population est d’environ 10,5 millions d’habitants.

La réponse du gouvernement fut immédiate et forte. Il a réduit de manière drastique les prestations dans tous les domaines sauf deux, considérés comme des droits fondamentaux : l’éducation et les soins de santé. Grâce à ses instituts de recherche médicale, Cuba a développé son propre test de diagnostic en 1987. Le dépistage du VIH/SIDA est passé à la vitesse supérieure, avec plus de 12 millions de tests effectués en 19932. La population étant d’environ 10,5 millions d’habitants, cela signifie que les personnes à haut risque ont été testées plusieurs fois.

La campagne d’éducation sur le sida a été massive, s’adressant tant aux malades qu’aux personnes en bonne santé, tant aux enfants qu’aux adultes. En 1990, alors que les homosexuels étaient devenus les principales victimes du VIH sur l’île, les préjugés anti-gays ont été officiellement remis en cause, les écoles enseignant que l’homosexualité était une réalité. Des préservatifs ont été fournis gratuitement dans les cabinets médicaux. J’ai été témoin du maintien de ce programme d’éducation lors d’un voyage à Cuba en 2009 ; la première affiche que j’ai vue sur le mur en entrant dans un cabinet médical montrait deux hommes et un message qui recommande d’utiliser des préservatifs. Malgré les coûts élevés, Cuba a fourni gratuitement aux patients des médicaments antirétroviraux (ART).

L’effort concerté et bien planifié de Cuba pour faire face au VIH/SIDA a porté ses fruits : alors que Cuba comptait 200 cas de SIDA, la ville de New York (avec à peu près la même population) en comptait 43 000. Alors que le taux d’infection par le VIH était de 0,5 % à Cuba, il était de 2,3 % dans la région des Caraïbes et de 9 % en Afrique du Sud3. Au cours de la période 1991-2006, Cuba a connu un total de 1 300 décès liés au sida4. En revanche, la République dominicaine, moins peuplée, enregistrait 6 000 à 7 000 décès par an. En 1997, Chandler Burr a écrit dans The Lancet que Cuba avait « le programme national de lutte contre le sida le plus réussi au monde »5. Bien que ne disposant que d’une petite fraction de la richesse et des ressources des États-Unis, Cuba avait mis sur pied un programme de lutte contre le sida supérieur à celui du pays qui cherche à le détruire.

La Dengue et l’Interféron Alpha 2B

La dengue, une maladie transmise par les moustiques, frappe Cuba tous les deux ou trois ans. Les médecins et étudiants en médecine de l’île contrôlent parmi les habitants la présence de fièvre, de douleurs articulaires, musculaires et abdominales, de douleurs derrière les orbites, de taches violettes et de saignements des gencives. Ce qui est unique à Cuba, c’est que ses étudiants en médecine sortent de l’école et font du porte-à-porte pour faire des inspections à domicile. Les étudiants de l’ELAM (acronyme espagnol de l’École de médecine d’Amérique latine) viennent de plus de 100 pays, et parlent avec des accents étrangers très variés. Ils n’ont aucun mal à passer dans les habitations, à la recherche de plantes attirant les moustiques, ou d’eau stagnante sur les toits.

Lors d’une épidémie de dengue en 1981, les techniques de surveillance élargies comprenaient des inspections, l’éducation au contrôle des vecteurs de la maladie, la pulvérisation et la création « d’hôpitaux de campagne mobiles pendant la crise, ayant une politique libérale d’admission »6. Lors d’une épidémie de dengue en 1997, Cuba a également intensifié les tests de dépistage des cas potentiels. Le nombre accru de tests sur les patients hospitalisés a été combiné aux données de surveillance, pour produire des prévisions concernant les infections secondaires liées aux taux de mortalité. Ces campagnes, qui ont associé la participation des citoyens, des professionnels de la santé et des chercheurs, ont permis de réduire la fréquence de la dengue et de diminuer la mortalité.

En 1981, les instituts de recherche cubains ont créé l’Interféron Alpha 2B, un médicament qui guérit la dengue. Celui-ci a pris une importance vitale des décennies plus tard, en tant que traitement potentiel pour le COVID-19. Selon Helen Yaffe, « les interférons “marquent” les protéines produites et libérées par les cellules en réponse à des infections, qui alertent les cellules voisines pour qu’elles renforcent leurs défenses antivirales ». Le Dr Luis Herrera Martinez, spécialiste cubain des biotechnologies, ajoute que « son utilisation permet d’éviter l’aggravation et les complications chez les patients, à un stade susceptible entraîner la mort »7.

Ebola et l’aide internationale

Le sida et la dengue touchaient la population cubaine ; mais pour la maladie du virus Ebola (EVD), c’était différent. Les virus qui provoquent la maladie EVD sont principalement présents en Afrique subsaharienne, une région que les Cubains n’avaient pas fréquentée depuis plusieurs décennies.

Les entreprises pharmaceutiques ont été parmi les premières industries à avoir été nationalisées après la révolution.

Lorsque le virus Ebola s’est propagé de façon spectaculaire à l’automne 2014, une grande partie du monde a paniqué. Très vite, plus de 20 000 personnes ont été infectées, plus de 8 000 sont décédées, et on a craint que le nombre de victimes ne se chiffre en centaines de milliers. Les États-Unis ont fourni un soutien militaire ; d’autres pays ont promis de l’argent.

Cuba a été la première nation à répondre de manière sensée : elle a envoyé 103 infirmières et 62 médecins volontaires en Sierra Leone. Avec 4 000 membres du personnel médical (dont 2 400 médecins) déjà présents en Afrique, Cuba était préparée à la crise avant même qu’elle ne commence. Comme de nombreux gouvernements ne savaient pas comment réagir à Ebola, Cuba a formé des volontaires d’autres nations à l’Institut de médecine tropicale Pedro Kourí de La Havane. Au total, Cuba a enseigné à 13 000 Africains, 66 000 Latino-Américains et 620 Caribéens comment traiter le virus Ebola sans être infectés à leur tour.

Ce n’était pas la première fois que Cuba répondait à des crises médicales dans des pays pauvres. Quinze mois seulement après la révolution, en mars 1960, Cuba avait envoyé des médecins au Chili, à la suite d’un tremblement de terre. On se souvient davantage de la brigade médicale cubaine envoyée en 1963 en Algérie, qui luttait alors pour son indépendance.

Dans les tout premiers jours de la révolution, les infrastructures et le personnel médicaux étaient insuffisants dans les régions rurales à prédominance noire de Cuba. En apprenant le manque de traitement et les catastrophes qui frappaient d’autres parties du monde, il était tout naturel pour eux de se rendre à l’étranger, pour aider ceux qui en avaient besoin. La solidarité révolutionnaire a souvent été un choix familial collectif. Le docteur Sara Perelló venait d’obtenir son diplôme de médecine lorsque sa mère a entendu Fidel dire que les Algériens étaient encore plus mal lotis que les Cubains, et appeler les médecins à rejoindre une brigade pour les aider. Le Dr Perelló voulait se porter volontaire, mais s’inquiétait du fait que sa mère âgée souffrait de la maladie de Parkinson. Sa mère a répondu que la sœur et le mari de Sara l’aideraient, tout comme le gouvernement : « Tu dois aller de l’avant et ne pas t’inquiéter pour ta mère, qui est très bien entourée »8.

Un tremblement de terre dévastateur a frappé Haïti en 2010. Cuba a envoyé du personnel médical qui a vécu parmi les Haïtiens et qui est resté des mois ou des années après que le tremblement de terre a été oublié par les médias. Les médecins américains ne dormaient pas là où les victimes haïtiennes devaient se blottir toutes ensemble, ils logeaient dans des hôtels de luxe la nuit, et ils sont partis au bout de quelques semaines. Le terme « tourisme de catastrophe » décrit la façon dont de nombreux pays riches réagissent aux crises médicales dans les pays pauvres.

L’engagement dont le personnel médical cubain fait preuve à l’échelle internationale s’inscrit dans le prolongement des efforts que le système de santé du pays a déployés en trois décennies, pour trouver le meilleur moyen de renforcer les liens entre les professionnels de la santé et ceux dont ils s’occupent. Kirk et Erisman fournissent des statistiques démontrant l’ampleur que la force médicale internationale de Cuba avait atteinte en 2008 : cette année-là, elle avait envoyé plus de 120 000 professionnels de la santé dans 154 pays ; les médecins cubains ont soigné plus de 70 millions de personnes dans le monde ; et près de 2 millions de personnes doivent leur vie aux services médicaux cubains dans leur pays9.

Il y a eu un cas notable de pays ayant refusé l’aide de Cuba après un désastre. Après l’ouragan Katrina de 2005, 1 586 professionnels de la santé cubains étaient prêts à se rendre à la Nouvelle-Orléans. Le président George W. Bush a refusé leur aide, préférant que les citoyens américains meurent plutôt que d’admettre la qualité de l’aide cubaine. Cette décision préfigure l’attitude de Donald Trump en 2020, qui cherche un traitement contre le COVID-19 tout en prétendant que l’Interféron Alpha 2B n’existe pas.

Contrastes : Cuba et les États-Unis

Ces épisodes historiques servent de toile de fond aux contrastes entre Cuba et les États-Unis, mis en évidence aujourd’hui par la pandémie de COVID-19. Ceux d’entre nous qui sont assez âgés pour se souvenir que dans les années 1960, nous pouvions encore entrer en relation avec un médecin sans l’intervention d’une compagnie d’assurance peuvent comprendre que les liens sociaux entre médecins et patients se sont érodés aux États-Unis, en même temps qu’ils se sont renforcés à Cuba.

Tests de dépistage

Cuba a maîtrisé le sida et la dengue en augmentant massivement et en modifiant les tests, elle était donc bien préparée à développer un programme national de tests pour le COVID-19. De même, la Chine a été en mesure de stopper rapidement l’épidémie, non seulement grâce à des mesures de confinement, mais aussi parce qu’elle a rapidement testé les victimes suspectes, pris les mesures nécessaires pour l’isolement et le traitement des personnes dont le résultat était positif, et testé les contacts des cas qui étaient asymptomatiques.

Ce n’est pas un hasard si les États-Unis, un leader mondial des efforts néolibéraux visant à réduire ou à privatiser les services publics, se sont révélés incapables de monter une campagne de dépistage efficace et, à la fin du mois de mars 2020, étaient en passe de devenir le leader mondial des cas de COVID-19. À la mi-mars, les États-Unis avaient pu tester 5 personnes pour 1 million d’habitants, alors que la Corée du Sud en avait testé plus de 3 500 pour 1 million.

Symptomatique de l’incompétence gouvernementale aux États-Unis, Trump a confié au vice-président Pence la responsabilité du contrôle du COVID-19. Pence, qui justement, en tant que gouverneur de l’Indiana, avait considérablement réduit les fonds destinés aux tests de dépistage du VIH (tout en exhortant les gens à prier), contribuant ainsi à une augmentation des infections.

Coûts des soins et des médicaments

Les soins médicaux à Cuba sont un droit fondamental : les traitements y sont gratuits, et le prix des médicaments très bas. Les entreprises pharmaceutiques ont été parmi les premières industries à avoir été nationalisées après la révolution. Les politiques états-uniennes offrent régulièrement des réductions de milliards de dollars d’impôts aux grandes entreprises pharmaceutiques qui escroquent souvent impitoyablement les citoyens, en toute impunité.

Il n’y a pas de compagnies d’assurance à Cuba pour ajouter aux frais médicaux et dicter aux médecins comment soigner leurs patients. Même si le dépistage devient gratuit aux États-Unis, les gens doivent encore décider s’ils peuvent se permettre de payer un traitement pour le COVID-19. Ceux qui pensent que leur assurance couvrira leurs factures COVID-19 « peuvent recevoir une facture importante si les urgences ont été sous-traitées à une société de recrutement de médecins qui n’est pas couverte par l’assurance »10.

Protection des travailleurs

Lorsque des catastrophes naturelles empêchent les gens de travailler, les travailleurs cubains reçoivent la totalité de leur salaire pendant un mois et 60 % de leur salaire par la suite. Les citoyens cubains ont gratuitement accès à des allocations alimentaires et à l’enseignement, et les frais engendrés par les services publics sont extrêmement faibles. Cuba a pu adapter la production dans ses usines nationalisées si rapidement, et produire une telle quantité d’équipements de protection individuelle (EPI) que le pays a pu en envoyer pour accompagner le personnel médical se rendant en Italie, alors le centre de la pandémie.

Aux États-Unis, à la fin de la première semaine d’avril, on comptait près de 10 millions de demandes d’allocation chômage, et ce pays n’est pas connu pour aider les chômeurs en augmentant les impôts sur les riches ou en réduisant le budget militaire. Il pourrait y avoir plus de 56 millions de « travailleurs informels » aux États-Unis, qui n’ont pas droit aux allocations chômage11. Obliger de nombreux citoyens américains à aller travailler parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de se passer des produits de première nécessité, menace l’ensemble de la population en augmentant le risque de propagation de la pandémie. Les travailleurs américains du secteur des soins de santé ont manqué d’EPI, notamment de masques, de blouses, de gants et de kits de test. Pourtant, le président Trump est autorisé à se servir de respirateurs comme de « récompense », pour les États dont les gouverneurs écrivent publiquement qu’ils l’apprécient.

Généralisation des soins de santé

La révolution cubaine a immédiatement réorganisé les services de santé dispersés du pays, et dispose aujourd’hui d’un système intégré, avec des cabinets de médecins-infirmiers de quartier reliés à des cliniques communautaires, reliées elles-mêmes aux hôpitaux de la région, qui sont tous soutenus par des instituts de recherche. Le système de santé est relié à des organisations de citoyens, qui ont des décennies d’expérience dans la protection du pays. Cette « coopération intersectorielle » est la clé de voûte du système de santé cubain. À Cuba, il serait inconcevable d’avoir cinquante politiques différentes, variant d’un État à l’autre, qui seraient ou non cohérentes avec les directives nationales, et qui pourraient permettre aux comtés et aux villes en leur sein d’avoir leurs propres procédures.

Au lieu d’intégrer des plans pour une approche efficace de la lutte contre les maladies, les États-Unis démantèlent et/ou privatisent dès qu’ils le peuvent. Trump a dissous l’équipe de réponse à la pandémie, tenté de sous-financer la force de prévention de pandémies de l’Organisation mondiale de la santé, et cherché à affaiblir les réglementations des maisons de retraite, du Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies et des Instituts nationaux de Santé.

Mais ne pensez pas que ce soit l’apanage des républicains, rappelez-vous que les démocrates ont longtemps été à l’avant-garde du néolibéralisme et de l’utilisation de la « doctrine du choc » décrite par Naomi Klein. Les deux partis ont contribué au démantèlement des normes environnementales dont nous avons désespérément besoin.

En 1981, des cubains ont créé l’Interféron Alpha 2B, qui guérit la dengue et qui est aujourd’hui un traitement potentiel pour le COVID-19

Selon un article de Rebecca Beitsch datant du 26 mars, « l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) a suspendu de façon radicale l’application des lois environnementales, en disant aux entreprises qu’elles n’auraient pas à respecter les normes environnementales pendant l’épidémie de coronavirus ». Ne voulant pas être laissée de côté, « l’industrie pétrolière et gazière a commencé à demander au gouvernement fédéral d’assouplir l’application des réglementations fédérales sur les terres publiques, en réponse à la pandémie de coronavirus »12. Le secteur a demandé une prolongation des permis de deux ans et la possibilité de conserver les baux non utilisés. Si des pandémies telles que le COVID-19 se reproduisent à l’avenir, la pollution et les maladies liées au climat vont-elles affaiblir le système immunitaire humain, le rendant plus vulnérable aux infections ?

Si tel est le cas, une couverture médicale universelle serait essentielle pour protéger des dizaines de millions d’Américains. Ayant bénéficié d’énormes dons de la part d’entreprises médicales et pharmaceutiques, Joe Biden a soutenu les efforts visant à saper la sécurité sociale et « a suggéré qu’il s’opposerait à tout projet de loi adopté par la Chambre des représentants visant à fournir une assurance maladie pour tous ».

Préparation aux crises médicales

Pascual Serrano a noté que Cuba avait déjà mis en place le Nouveau Plan Coronavirus de prévention et de contrôle dès le 2 mars 202013. Ceci avant même que le premier diagnostic de COVID-19 ait été confirmé à Cuba, le 11 mars. Le 12 mars, après que trois touristes italiens ont été identifiés comme présentant des symptômes, le gouvernement a annoncé que 3 100 lits seraient disponibles dans les hôpitaux militaires. Les groupes vulnérables tels que les personnes âgées font l’objet d’une attention particulière. Cuba a mis en place un plan cohérent qui fournit aux citoyens des informations simples, mobilise les travailleurs pour se protéger et protéger le pays et oriente la production vers le matériel nécessaire.

Au même moment, Donald Trump mettait en garde les Américains contre les « fake news » concernant le virus. Puis il a dit : « Ça va disparaître ». Le 26 février, il a affirmé à tort que le nombre de cas de COVID-19 aux États-Unis « sera à nouveau proche de zéro dans quelques jours ». Il a déclaré : « Il va disparaître grâce à ce que j’ai fait… » Puis il a dit à tout le monde qu’il fallait aller à l’église le dimanche de Pâques, et que les Américains devraient aller travailler même s’ils avaient le virus. Le comportement de Trump a incontestablement contribué à la propagation de la maladie. Ses déclarations étaient conformes aux souhaits de l’industrie de reprendre les activités comme si de rien n’était.

Alors que les États-Unis produisent un surplus de déchets inutiles, Cuba produit un surplus de professionnels de la santé. Ainsi, Cuba compte 8,2 médecins pour 1 000 habitants alors que les États-Unis en comptent 2,6 pour 1 00014.

Éducation

Cuba a utilisé l’éducation de masse pour modifier efficacement les comportements lors des épidémies. En 2003, le Dr Byron Barksdale a souligné que le programme cubain en six semaines pour les malades du sida était « certainement plus long que celui qui est donné aux personnes qui reçoivent un tel diagnostic aux États-Unis. Ceux-ci peuvent obtenir environ cinq minutes d’informations sur le sujet ». Lors des épidémies de dengue, les professionnels de la santé qui se rendent dans les foyers expliquent en détail pourquoi l’eau doit être drainée ou couverte, et quelles plantes favorisent la reproduction des moustiques.

Les États-Unis affrontent les crises sanitaires avec des « campagnes » qui sont nettement insuffisantes. Des annonces télévisées sont diffusées pendant quelques semaines ou quelques mois et les médecins peuvent recevoir des brochures à remettre aux patients. Il n’y a même pas de visite dans chaque foyer pour vérifier que les familles ne favorisent pas leur propre maladie et pour expliquer comment adopter des comportements pour lutter contre celle-ci.

Les divagations incohérentes de Donald Trump sur le COVID-19 font le lit des campagnes de désinformation. Le climatoscepticisme a servi de répétition générale au coronascepticisme. Le règne de Trump a été une séance d’entraînement permettant de sidérer des millions de personnes pour qu’elles croient tout ce que leur grand chef leur dit, même si c’est ridicule. Ses tweets ont une similarité frappante, dans leur perspective intensément anti-intellectuelle qui méprise l’éducation, la philosophie, l’art et la littérature, et qui insiste sur le fait qu’il ne faut jamais faire confiance à la recherche scientifique.

Solidarité internationale

Cuba a fait la une des journaux internationaux la troisième semaine de mars 2020, lorsqu’elle a autorisé le navire de croisière britannique MS Braemar à accoster avec des patients atteints de COVID-19 à son bord. Il avait été refusé par plusieurs autres pays des Caraïbes, dont la Barbade et les Bahamas, tous deux membres du Commonwealth britannique. Il y avait plus de 1 000 passagers à bord, principalement des Britanniques, qui étaient bloqués depuis plus d’une semaine. Les membres de l’équipage du Braemar ont déployé une bannière sur laquelle on pouvait lire « Je t’aime Cuba ! » Les responsables cubains ont assurément décidé de laisser le bateau accoster parce que les médecins avaient acquis une grande expérience en étant exposés à des virus mortels comme Ebola, tout en sachant comment se protéger.

La même semaine de mars, une brigade médicale de 53 Cubains est partie en Lombardie, l’une des régions les plus touchées d’Italie, le pays européen le plus touché par le COVID-19. Rapidement, 300 médecins chinois les ont rejoints. Une nation des Caraïbes, plus petite et plus pauvre, a été l’une des rares à aider une grande puissance européenne. Cuba a également envoyé du personnel médical au Venezuela, au Nicaragua, au Suriname, à la Grenade et en Jamaïque.

Au même moment, l’administration américaine refusait de lever les sanctions contre le Venezuela et l’Iran, sanctions qui empêchaient ces pays de recevoir des EPI, du matériel médical et des médicaments. Pourtant, elle a continué à envoyer des milliers de personnes en Europe pour des manœuvres militaires. Elle a également mis sur pied une campagne de diffamation contre le président Maduro du Venezuela, le présentant comme un trafiquant de drogue. Donald Trump a déshonoré l’Amérique quand, pour séduire ses partisans les plus racistes, il a qualifié le COVID-19 de « virus chinois ».

Alors que Cuba partageait les technologies antivirus avec d’autres pays, des rapports ont révélé que l’administration Trump offrait un milliard de dollars à la société allemande CureVac, si elle trouvait un remède au COVID-19 et remettait les droits exclusifs « uniquement aux États-Unis » 15.

Que recherchent les chercheurs ?

Lorsque les laboratoires cubains ont créé l’Interféron Alpha 2B pour traiter la dengue, ce n’était qu’un des nombreux médicaments étudiés dans le cadre de la recherche de traitements qui pourraient aider les populations de pays pauvres en particulier. Son utilisation de l’Heberprot B pour traiter le diabète a permis de réduire les amputations de 80 %.

Cuba a pu produire une telle quantité d’équipements de protection individuelle qu’elle a pu en envoyer en Italie.

Cuba est le seul pays à avoir créé un vaccin efficace contre la méningite bactérienne de type B. Ce pays a aussi développé le premier vaccin synthétique contre l’Haemophilus influenza type B (Hib), ainsi que le vaccin Racotumomab contre le cancer avancé du poumon. Le deuxième objectif de Cuba a été de fabriquer des médicaments à un prix suffisamment bas pour que les pays pauvres puissent y avoir accès. Troisièmement, Cuba a cherché à travailler en coopération avec des pays comme la Chine, le Venezuela et le Brésil, pour développer des médicaments. La collaboration avec le Brésil a permis d’obtenir des vaccins contre la méningite à un coût de 95 centimes, au lieu de 15 à 20 dollars par dose. Enfin, Cuba apprend à d’autres pays à produire eux-mêmes leurs médicaments afin qu’ils ne soient pas obligés de les acheter aux pays riches.

La recherche au sein des entreprises américaines a été, en tous points, aux antipodes de celle de Cuba. Les grandes entreprises pharmaceutiques dépensent des millions pour étudier la calvitie masculine, le syndrome des jambes sans repos et les troubles de l’érection, car ces afflictions pourraient engendrer des milliards de dollars de bénéfices. La pandémie de COVID-19 promet de rapporter gros et les gouvernements font tout pour que ce soit le cas. Au moment même où Trump faisait des promesses à la société allemande CureVac, son administration envisageait de donner un statut exclusif à Gilead Sciences pour le développement de son médicament, le remdesivir, comme traitement potentiel pour le COVID-19. Les contribuables américains devraient débourser des millions pour créer un médicament qu’ils ne seront peut-être pas capables de se payer16.

Si Donald Trump est le champion du chauvinisme national contre la coopération mondiale, il est important de se rappeler que c’est le système du marché qui pousse la recherche vers les domaines qui rapportent le plus, au lieu d’aller là où elle fera le plus de bien.

Bien que la création de tests, de traitements et de vaccins soit un élément essentiel de la lutte contre la maladie, ce ne sera pas suffisant dans une société qui souffre d’une pandémie de soif du profit. Restructurer les relations sociales est essentiel, non seulement pour libérer le pouvoir créatif d’inventer des choses nouvelles, telles que les médicaments nécessaires, mais aussi pour s’assurer qu’elles profitent à tous ceux qui en ont besoin.

Publié à l’origine dans la revue américaine Monthly Review Online, abrégé et traduit par Lava.

Footnotes

  1. Don Fitz, Cuban Health Care, the Ongoing Revolution. Monthly Review Press, 2020.
  2. Linda M. Whiteford, Laurence G. Branch. Primary health care in Cuba: the other revolution. Rowman & Littlefield Publishers, 2008.
  3. Tim Anderson, « HIV/aids in Cuba: A rights-based analysis ». Health and Human Rights, 11(1): 93-104.
  4. Julia E. Sweig, Cuba: What Everyone Needs to Know. New York, Oxford University Press, 2009.
  5. Chandler Burr, « Assessing Cuba’s approach to contain AIDS and HIV », The Lancet, volume 350, numéro 9078, p. 647, 30 août 1997.
  6. Whiteford, ibid.
  7. Helen Yaffe, « Cuba’s contribution to combating COVID-19 ». Links, 14 mars 2020.
  8. Don Fitz, « The 3,000 Who Stayed ». Monthly Review, 1er mai 2016.
  9. J. Kirk, H. Michael Erisman, Cuban Medical Internationalism: Origins, Evolution, and Goals, Palgrave Macmillan US, 2009.
  10. Eileen Appelbaum, Rosemary Batt, « COVID-19 Patients Should Not Face Surprise Medical Bills », Counterpunch, 24 mars 2020
  11. Sarah Lazare, Adam Johnson, « The Workers Our Coronavirus Debate Is Leaving Out », Jacobin, 16 mars 2020.
  12. Rebecca Beitsch, « EPA suspends enforcement of environmental laws amid coronavirus », The Hill, 26 mars 2020.
  13. Pascual Serrano, « Cuba en tiempos de coronavirus », cuartopoder, 21 mars 2020.
  14. Ben Burgis, « Cuba’s Coronavirus Response Is Putting Other Countries to Shame », Jacobin, 23 mars 2020.
  15. Pepe Escobar, « China Locked In Hybrid War With US », Asia Times, 17 mars 2020.
  16. Julia Conley, « ‘This Is a Massive Scandal’ : Trump FDA Grants Drug Company Exclusive Claim on Promising Coronavirus Drug », Common Dreams, 24 mars 2020.