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Le coronavirus et l’horizon socialiste

Sam Gindin

—23 juin 2020

La crise sanitaire provoquée par le coronavirus a rouvert des débats que le capital considérait déjà comme gagnés. Les travailleurs pourront-ils en profiter pour transformer le système à leur avantage ?

« …tant de choses se sont passées de façon étrange ces derniers temps, qu’Alice a commencé à penser que très peu de choses étaient vraiment impossibles. »

Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles

Les crises – non pas les récessions régulières mais les crises majeures – se caractérisent par l’incertitude qu’elles apportent. Elles interrompent le cours normal des choses et exigent des réactions anormales, encore à découvrir, pour que nous puissions aller de l’avant. Elles sont, par conséquent, des moments d’agitation avec des possibilités de nouveaux développements politiques, bons et/ou mauvais.

Comme chacune de ces crises modifie la trajectoire de l’Histoire, chacune d’elle se produit dans un contexte modifié par la précédente et présente donc ses propres caractéristiques. Celle des années 1970, par exemple, a impliqué une classe ouvrière militante, un défi lancé au dollar étatsunien et une accélération qualitative du rôle de la finance et de la mondialisation. Celle de 2008-2009, avec en revanche une classe ouvrière largement battue, a confirmé le rôle central du dollar au niveau mondial et a donné naissance à de nouvelles manières de gérer une économie très fortement dépendante de la finance. Comme la crise précédente, elle a donné lieu à une financiarisation encore plus néolibérale, mais a cette fois-ci également ouvert les portes au populisme de droite, parallèlement à une désorientation aiguë des partis politiques traditionnels.

La crise cette fois : la santé contre l’économie

La crise actuelle due au coronavirus est exceptionnelle et met le monde sens dessus dessous. Le monde, comme Alice le dirait, devient « de plus en plus curieux ». Lors des crises précédentes, l’État était intervenu pour tenter de relancer l’économie. Cette fois-ci, l’objectif immédiat des États n’est pas de relancer l’économie, mais au contraire de la restreindre davantage. En effet, l’économie n’a pas été mise à genoux par des facteurs économiques ou des luttes venues d’en bas, mais par un mystérieux virus dont il s’agit prioritairement de mettre fin à l’emprise qu’il a sur nous. En introduisant les termes de « distanciation sociale » et de « confinement » pour faire face à l’urgence, les gouvernements ont suspendu les interactions sociales qui constituent une bonne partie du monde du travail, de la consommation et du « monde de l’économie ».

Cet accent mis sur la santé, tout en mettant l’économie en veilleuse, a entraîné un renversement assez remarquable du discours politique. Il y a quelques mois à peine, le président français était la coqueluche des entreprises du monde entier pour avoir mené la charge de manière décisive contre l’État-providence. La France allait devenir, annonçait-il, une nation favorable aux entreprises, une nation qui « pense et agit comme une start-up ». Aujourd’hui, Emmanuel Macron proclame avec gravité que « les soins de santé … et notre État-providence sont des ressources précieuses, des avantages indispensables lorsque le destin frappe ».

Macron n’est pas le seul à tenter de faire marche arrière. Dans ce nouveau monde, il est difficile de se rappeler qu’au cours de l’année écoulée, ce que les dirigeants politiques exigent aujourd’hui avait été ignoré ou écarté avec dérision lorsqu’on le leur suggérait ; et cela pas seulement par eux et par les firmes, mais même par certains dirigeants syndicaux importants.

En même temps, la crise a mis en évidence, aux yeux de tous, l’extrême fragilité des revenus des classes laborieuses. Avec un grand nombre de personnes confrontées à de graves privations et face à la menace du chaos social, tous les gouvernements ont été contraints de répondre aux besoins fondamentaux en matière de santé et de survie. Aux États-Unis, des républicains se joignent maintenant aux démocrates pour proposer une législation visant à reporter les remboursements hypothécaires, à renforcer le contrôle des loyers et à annuler les paiements d’intérêts sur la dette des étudiants. Pendant la Grande Dépression des années 1930, un changement politique similaire avait légitimé les programmes sociaux et les droits du travail. Cependant, ce développement avait été une concession à la mobilisation populaire. Cette fois-ci, face à l’ampleur de la pandémie sanitaire, la réponse a été de maintenir les gens éloignés du travail.

Cela ne veut pas dire que l’ « économique » ait été ignoré, mais que la priorité immédiate a été la menace pour la santé. Un effort profond et concerté a été consenti pour préserver suffisamment d’infrastructures économiques ( production, services, commerce, finances ) et pour faciliter un retour à un semblant de normalité « plus tard ». Cela a conduit à des renflouements massifs non seulement à destination des banques comme cela avait été le cas en 2008-2009, mais aussi des secteurs comme le transport aérien, les hôtels et les restaurants, et en particulier des petites et moyennes entreprises.

Contradictions de la planche à billets

Partout, les gouvernements ont trouvé comme par magie les moyens de financer toutes sortes de programmes et de soutiens auparavant considérés comme impossibles. Le ciel, semble-t-il, est la limite. Mais tout cela peut-il vraiment être payé en imprimant simplement de l’argent ? En fait, rien de tout cela ne sera gratuit. Et, une fois la crise passée, toutes ces dépenses faites dans l’urgence devront être payées. Mais cela se fera dans un contexte où, ayant fait l’expérience que des programmes qualifiés auparavant de peu praticables étaient en réalité tout à fait possibles, les attentes des gens auront été revues à la hausse. Comme l’a exprimé Vijay Prashad : « Nous ne reviendrons pas à la normale, car le problème était la normalité. » ( Tricontinental, 26 mars ).

Lorsque l’économie fonctionnera à nouveau à plein régime, il ne sera plus possible de répondre aux nouvelles attentes de la classe ouvrière en faisant tourner la planche à billets. Les questions d’inégalité et de redistribution seront – compte tenu de ce qui s’est passé avant et pendant la crise – au centre de tensions importantes.

La crise commencera à s’estomper de manière inégale. Des flux de capitaux pourront sortir de pays qui souffrent encore et cela soulèvera de grandes questions sur la « moralité » de ces flux et sur leur contrôle. Dans la mesure où la « discipline » financière reviendra, les gens pourraient ne pas apprécier que leur rétablissement et leur développement soient sapés par des flux de capitaux égoïstes qui fuient le pays. Encore plus après un deuxième sauvetage – une douzaine d’années après celui de 2008 – qui a finalement été financé par le reste d’entre nous. L’hypothèse selon laquelle les marchés financiers sont intouchables ne tiendra peut-être plus. Les gens pourraient en venir à penser, comme Alice, que « très peu de choses étaient vraiment impossibles ». À la rébellion contre l’ampleur des inégalités, pourrait s’ajouter une réaction appelant au contrôle des capitaux. Il est vrai que le statut mondial du dollar permet un certain degré d’exceptionnalisme étasunien. En période d’incertitude, la demande de dollars est généralement plus forte. Mais, là aussi, il y a une limite.

Des ouvertures à gauche ?

Nous ne savons pas combien de temps durera cette crise et il est clair que beaucoup de choses dépendront de cela. Nous ne pouvons pas non plus dire avec certitude comment ce moment imprévisible et flou affectera la société et influencera nos notions de ce qui était autrefois « normal ». En ces temps d’incertitude et d’anxiété, ce que la plupart des gens désirent ardemment, c’est un retour rapide à la normale, même si ce qui était normal auparavant était frustrant.

Après un deuxième sauvetage en douze ans, l ’hypothèse selon laquelle les marchés financiers sont intouchables ne tiendra peut-être plus.

Nous ne devons jamais sous-estimer les dangers venant de la droite. Et qui sait ce que la dynamique d’une crise qui s’étendrait au-delà de l’été pourrait apporter. Mais les contours de cette crise suggèrent cependant une autre possibilité : une prédisposition à de plus grandes ouvertures et opportunités pour la gauche. Pour l’instant, les marchés ont été mis sur la touche. L’urgence de la répartition du travail, des ressources et des équipements a mis de côté les considérations de compétitivité et de maximisation des profits privés pour réorienter les priorités vers ce qui est socialement essentiel.

De plus, alors que le système financier envisage un nouveau sauvetage sans limite par les banques centrales et l’État, la population voyant avec exaspération l’Histoire se répéter, pourrait ne pas être aussi passive qu’il y a une douzaine d’années. Les gens accepteront sans doute à nouveau, certes à contrecœur, leur dépendance immédiate à l’égard du sauvetage des banques, mais les politiciens ne peuvent s’empêcher de craindre une réaction populaire si, cette fois-ci, aucune contrepartie n’était imposée aux banquiers.

Mais un changement culturel – encore trop difficile à évaluer – est peut-être à l’horizon. La nature de la crise et les restrictions sociales indispensables pour la surmonter ont mis à l’ordre du jour la mutualisation et la solidarité, contre l’individualisme et la cupidité néolibérale. Une image indélébile de la crise est celle qui montre des Italiens, des Espagnols ou des Portugais sortir sur leur balcon pour chanter, acclamer, applaudir collectivement et rendre hommage au courage des travailleurs/travailleuses de la santé, souvent mal payés, qui accomplissent le travail le plus essentiel sur les lignes de front de ladite guerre mondiale contre le coronavirus.

Tout cela ouvre l’éventualité – mais seulement l’éventualité – d’une réorientation vers des perspectives sociales au fur et à mesure que se développent la crise et les réponses de l’État à celle-ci. Ce qui était autrefois considéré comme « naturel » peut maintenant être soumis à des questions plus larges sur notre mode de vie.

Pour les élites économiques et politiques, cela comporte clairement des dangers. L’astuce, pour elles, consiste à s’assurer que les actions qui sont inévitables et dont l’issue est imprévisible soient limitées dans leur portée et dans le temps. Une fois la crise passée, les idées inconfortables et les mesures hasardeuses doivent être remises dans leur boîte et le couvercle doit être bien refermé. Pour les forces populaires, en revanche, le défi consiste à garder cette boîte ouverte en profitant des perspectives idéologiques prometteuses qui se sont fait jour, en s’appuyant sur certaines des mesures politiques positives – voire radicales – introduites et en explorant les diverses actions créatives qui ont été prises localement en tant d’endroits.

De chacun selon sa capacité de payer, à chacun selon ses besoins

Le changement idéologique le plus évident provoqué par la crise a été l’attitude à l’égard des soins de santé. Aux États-Unis, l’opposition au système de santé universel semble aujourd’hui venue d’un autre monde. Ailleurs, ceux qui acceptent le principe d’un système de santé pour tous tout en imposant des coupes budgétaires le laissant dans l’incapacité à faire face aux besoins sont en difficulté. Il en va de même pour ceux qui gèrent les soins de santé comme si c’était une marchandise fondée sur la rentabilité. Leurs conceptions ont été invalidées par les faits : elles ont abouti au manque dangereux de préparation face à la situation d’urgence à laquelle nous avons été exposés.

La crise a mis à l ’ordre du jour la mutualisation et la solidarité, contre l ’individualisme et la cupidité néolibérale. La crise environnementale imminente ne sera pas résolue par la distanciation sociale ou par un nouveau vaccin.

Tout en cherchant à consolider ce nouvel état d’esprit, nous ne devrions pas nous contenter d’être sur la défensive. C’est le moment de réfléchir de manière plus ambitieuse et plus complète sur ce que recouvre le terme « soins de santé ». Cela va des soins dentaires et oculaires, de l’accès aux médicaments, en passant par le statut et le caractère des établissements de soins de longue durée. Et, compte tenu notamment des pénuries d’équipements essentiels auxquelles nous sommes confrontés, se pose aussi la question de savoir si toute la chaîne des soins de santé, y compris la fabrication des équipements sanitaires, ne devrait pas relever du domaine public, dans lequel les besoins présents et futurs pourraient être correctement planifiés.

Réfléchir de manière plus ambitieuse signifie aussi étendre la réflexion aux liens entre la santé et l’alimentation ainsi qu’entre la santé et le logement, à la contradiction entre distanciation sociale et persistance de refuges surpeuplés pour les sans-abri, à la garde des enfants, à la pérennisation des congés de maladie actuellement offerts. Cela doit également prendre en compte les migrant·e·s qui travaillent dans nos champs, souvent sans papiers, et les réfugié·e·s qui ont été forcés de quitter leurs communautés ( souvent en raison de politiques internationales adoptées par « nos » gouvernements ). Plus généralement, si nous gagnions et consolidions le principe des soins de santé « de chacun selon sa capacité de payer, à chacun selon ses besoins » ( la capacité de payer étant déterminée par une structure fiscale progressive), cette victoire serait une source d’inspiration et un élan stratégique pour étendre le principe fondamental de la médecine socialisée.

Le besoin vital d’antidotes aux pandémies fait peser une responsabilité particulière sur les entreprises pharmaceutiques mondiales. Or, jusqu’ici, elles nous ont laissé tomber et ont choisi le rentable plutôt que le social. L’historien Adam Tooze résume clairement la problématique : « Les obscurs coronavirus ne reçoivent pas la même attention que les dysfonctionnements érectiles. » Le fait est que la fourniture de médicaments et de vaccins est trop importante pour être laissée aux entreprises privées avec leurs priorités de profits privatisés. Si les grandes firmes pharmaceutiques ( Big Pharma ) ne se chargent de la recherche sur les futurs vaccins que si les gouvernements prennent en charge le risque, financent la recherche ainsi que les capacités de fabrication et coordonnent la distribution des médicaments et des vaccins, une question évidente se pose : pourquoi ne pas éliminer cet intermédiaire ? Pourquoi ne pas mettre tout cela directement entre les mains du public dans le cadre d’un système de santé intégré ?

La prochaine pandémie

Le manque de préparation face au coronavirus nous envoie un avertissement clair et effrayant : la crise environnementale imminente ne sera pas résolue par la distanciation sociale ou par un nouveau vaccin. Comme pour le coronavirus, plus nous attendrons pour y faire face de manière décisive, plus elle sera catastrophique. De plus, la réponse à la crise environnementale ne vise pas seulement à mettre fin à une crise temporaire, mais aussi à réparer les dommages déjà causés. En tant que telle, elle exige de tout transformer dans notre façon de vivre, de travailler, de voyager, de jouer et de nous comporter les uns envers les autres. Il faut pour cela maintenir et développer les capacités de production nécessaires à la réalisation des changements dans nos infrastructures, nos maisons, nos usines et nos bureaux.

Aussi conventionnelle que soit aujourd’hui l’idée de reconversion, il s’agit en fait d’une idée radicale. Le slogan bien intentionné d’une « transition juste » semble rassurant, mais il est loin d’être suffisant. La restructuration de l’économie et la priorité donnée à l’environnement ne peuvent se faire sans une planification d’ensemble. Et la planification implique une remise en cause des droits de propriété privée dont jouissent aujourd’hui les entreprises.

Au minimum, une agence nationale de reconversion devrait être créée, avec pour mandat d’interdire la fermeture des installations qui pourraient être converties pour répondre aux besoins environnementaux ( et sanitaires ) et de superviser cette reconversion. Une telle agence nationale devrait être jumelée avec une commission nationale du travail chargée de coordonner la formation et la réaffectation de la main-d’œuvre. Elle serait également complétée par des centres régionaux de reconversion technologique employant des centaines, voire des milliers de jeunes ingénieurs enthousiastes à l’idée d’utiliser leurs compétences pour relever le défi existentiel de la crise environnementale.

Un changement significatif devra faire face à la domination sur nos vies des institutions financières privées. Le système financier a toutes les caractéristiques d’un service public : il lubrifie les rouages de l’économie, tant au niveau de la production que de la consommation ; il sert de médiateur pour les politiques gouvernementales et est considéré comme indispensable lorsqu’il est lui-même en difficulté. Cependant, nous n’avons ni le pouvoir politique ni la capacité technique de prendre en charge la finance aujourd’hui et de l’utiliser à des fins différentes. Un point de départ logique consiste à créer deux banques publiques particulières : l’une pour financer les besoins en infrastructures qui ont été si gravement négligés, l’autre pour financer le Green New Deal et la reconversion.

Planification démocratique : un oxymore ?

Lorsque la gauche parle de planification démocratique, elle fait référence à un nouveau type d’État – un État qui exprime la volonté populaire, encourage et développe activement la participation populaire la plus large possible. Les sceptiques se moqueront, mais l’expérience remarquable que nous venons de vivre montre comment ce qui était « évidemment » impossible hier peut être « évidemment » très évident aujourd’hui.

Ce n’est pas tant la « planification » elle-même qui fait peur aux gens. Après tout, les ménages planifient, les entreprises planifient et même les États néolibéraux planifient. Ce qui suscite les doutes, les craintes et les antagonismes habituels, c’est le type de planification que nous évoquons ici. Tout cela ne peut être écarté en se contentant de blâmer les préjugés et l’héritage de la propagande de la guerre froide. Ce malaise a une base matérielle, non seulement dans les expériences ratées ailleurs, mais aussi dans les interactions populaires avec les États qui sont en effet des institutions bureaucratiques, arbitraires, souvent gaspilleuses et distantes.

La crise sanitaire a notamment mis en évidence la nécessité et le potentiel du contrôle de leur lieu de travail par les travailleurs
/travailleuses.

Mais nous pouvons commencer par nous engager sans ambiguïté à assurer que nous ne préconisons pas un État tout-puissant et que nous apprécions les libertés libérales gagnées historiquement : l’extension du droit de vote aux travailleurs/travailleuses, la liberté d’expression, le droit de réunion ( y compris la syndicalisation), la protection contre les arrestations arbitraires et la transparence de l’État. Et nous devons insister sur le fait que la mise en application de ces principes exige une vaste redistribution des revenus et des richesses afin que chacun, en substance et pas seulement sur le plan formel, ait une chance égale de participer.

Nous devrions également rappeler à quel point nous sommes actuellement loin d’un capitalisme qui serait un monde de petits propriétaires. Bien avant la crise, Amazon, pour ne prendre qu’un exemple, était déjà – fidèle aux conditions de la réussite sous le capitalisme – adepte de la soumission de dizaines de milliers de petites entreprises. Dans le sillage de la crise et de l’effondrement des petits détaillants, cette monopolisation est sur le point de devenir un tsunami.

Comme l’a suggéré Mike Davis, l’alternative pourrait donc être de reprendre cette gigantesque entreprise qui ne répond qu’à elle-même et d’en faire un service public, une extension du bureau de poste. Le fait qu’elle nous appartienne, plutôt qu’à l’homme le plus riche de la planète ( Jeff Bezos), permettrait que ses activités soient planifiées démocratiquement au profit de la collectivité.

Pour réaliser l’aspect démocratique de la planification, il est crucial de se pencher sur les mécanismes et institutions spécifiques qui pourraient faciliter de nouveaux modes et niveaux de participation populaire. Dans le cas de l’environnement, par exemple, un nouveau type d’État devrait inclure non seulement de nouvelles capacités centrales, mais aussi une série de capacités de planification décentralisées telles que : centres de recherche régionaux, conseils sectoriels dans les industries et les services, conseils élus localement pour l’environnement et le développement de l’emploi, et comités sur le lieu de travail et de voisinage.

La crise sanitaire a notamment mis en évidence la nécessité et le potentiel du contrôle de leur lieu de travail par les travailleurs/travailleuses. Mais cela s’étend également à tous ceux qui, grâce à leurs connaissances directes, agissent en tant que gardiens de l’intérêt public, dénonçant les raccourcis et les « économies » qui affectent la sécurité et la qualité des produits et des services.

Trois points sont essentiels pour ce contrôle démocratique. Premièrement, la participation généralisée des travailleurs/travailleuses exige l’expansion de la syndicalisation afin de fournir aux travailleurs un collectif institutionnel capable de contrer le pouvoir des employeurs. Deuxièmement, une telle participation locale et sectorielle ne peut être développée et soutenue sans impliquer et transformer les États afin de lier la planification nationale et la planification locale. Troisièmement, ce ne sont pas seulement les États qui doivent être transformés, mais aussi les organisations de la classe ouvrière. Cela exige des syndicats différents et plus politisés, un syndicalisme de lutte de classe fondé sur des solidarités plus larges et des visions radicales plus ambitieuses par opposition à un syndicalisme fragmenté et défensif tel qu’il existe actuellement.

Conclusion : l’organisation de la classe

Un développement particulièrement important au cours de la dernière décennie a été le passage de la protestation à la politique : la reconnaissance par les mouvements populaires des limites de la protestation et de la nécessité de s’adresser au pouvoir électoral et à l’État. Pourtant, nous sommes toujours en train de nous demander quel type de politique peut alors, en fait, transformer la société. Malgré l’espace impressionnant qu’ils ont créé, Jeremy Corbyn et Bernie Sanders se sont heurtés aux limites de leurs partis. Le grand danger politique est alors la dissipation de ce qui se développait de manière si positive.

Les déclarations fanfaronnes sur l’effondrement imminent du capitalisme ne nous mèneront pas très loin. Elles peuvent être populaires dans certains milieux, mais en exagérant le caractère inévitable et imminent de cet effondrement, elles obscurcissent aussi ce qu’il faut faire pour s’engager dans une longue, dure et indéfinie bataille pour changer le monde. En ce moment précis, les quatre éléments suivants semblent fondamentaux pour soutenir et construire une politique de gauche pertinente. 1° Défendre les travailleurs à travers la crise actuelle ( répondre directement aux besoins immédiats des travailleurs au sens large ) ; 2° Renforcer/maintenir les capacités organisationnelles ; 3° Former des socialistes ( des écoles doivent créer des « cadres » socialistes comme l’ont fait les socialistes dans les années 1930 ) ; 4° Organiser la classe en étant « enraciné » dans la classe ouvrière ( voir Socialist Register, 2014 ).

Lorsque la crise financière de 2008-2009 a frappé, beaucoup d’entre nous ont vu cela comme un discrédit définitif du secteur financier, voire du capitalisme lui-même et ils ont eu tort. L’État est intervenu pour sauver le système financier, et les institutions financières en sont ressorties plus fortes que jamais. Le capitalisme sous sa forme néolibérale a continué à se développer. Au cours de la pandémie actuelle, le défi lancé à l’autorité du capitalisme provient de la façon dont les États ont réagi. Mais même si les principes arbitraires des capitalistes étaient balayés les uns après les autres, – plafonnement des déficits fiscaux, manque de fonds pour améliorer l’assurance emploi, impossibilité de convertir les usines qui ferment, glorification de la recherche du profit par les entreprises par-dessus tout, dévalorisation des salarié·e·s qui nettoient nos hôpitaux et s’occupent des personnes âgées – serions-nous prêts pour un changement radical ?

Peut-être. Mais il n’a jamais été utile à la gauche d’imaginer que des changements substantiels puissent se produire uniquement à partir de conditions objectives, sans mettre en place les forces dont nous avons besoin pour tirer parti de ces conditions. Le changement repose sur le développement de la compréhension collective, des capacités, des pratiques, des connaissances stratégiques et surtout des institutions organisationnelles démocratiques nécessaires pour y parvenir. Nous devons convaincre tous ceux qui devraient être avec nous mais ne le sont pas, élever les attentes et les ambitions populaires, et nous dresser avec confiance face à ceux qui nous feront obstacle.

Version abrégée d’un article publié le 10 avril 2020 par Socialist Project ; traduction À l’Encontre.