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Trop de fédéralisme nuit à la santé

Herwig Lerouge

—29 septembre 2020

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Là où, en général, des pays ou des régions s’associent pour «faire mieux ensemble», en Belgique, les régions se dissocient, espérant «faire mieux seule dans son coin». Examen des situations allemande et belge.

Le fédéralisme allemand1 est essentiellement le résultat d’une volonté des puissances victorieuses après la défaite du Troisième Reich d’empêcher le retour à l’excessive et catastrophique concentration du pouvoir entre 1933 et 1945. C’est pourquoi, à l’origine, les Länder détiennent des compétences considérables, comme l’indique la Loi fondamentale. Chaque Land possède un Parlement, un gouvernement et des compétences propres. Les Länder ont le droit de légiférer (article 70). On parle de loi fédérale ou de loi d’État (Land). C’est aux Länder qu’incombe la mise en application de presque toutes les lois, tant celles votées au niveau fédéral qu’au niveau du Land. À moins que la Loi fondamentale n’en dispose autrement (article 30). La Fédération ne peut assumer des compétences ou promulguer des lois que si la Loi fondamentale le permet expressément. En même temps, dès l’origine, il s’agit d’un fédéralisme coopératif qui, au travers des années, a développé une dynamique centralisatrice (voir cadre).

Hiérarchie des normes

Bien que les Länder détiennent au départ des compétences considérables, aujourd’hui, la plupart des pouvoirs législatifs appartiennent à la Fédération qui édicte à elle seule plus des troisquarts de la législation. Les compétences législatives des Länder doivent s’exercer dans le respect de la constitution fédérale et des nombreuses lois fédérales. Les tribunaux des Länder sont organisés et fonctionnent presque exclusivement selon des lois fédérales et presque toutes leurs décisions sont susceptibles d’être cassées par les juridictions de cassation qui sont des juridictions fédérales.

Le fédéralisme allemand est un fédéralisme coopératif qui a développé une dynamique centralisatrice.

Selon la Loi fondamentale, il existe deux types de compétence législative fédérale: exclusive et concurrente2. La Fédération a des compétences exclusives qui lui donnent le droit exclusif d’édicter des lois. Il s’agit entre autres des affaires étrangères, de la défense, de la nationalité, de la liberté de circulation et d’établissement, de l’immigration et de l’émigration, de la monnaie (déléguée à l’euro), de l’unité du territoire douanier et commercial, de la libre circulation des marchandises, de la police des douanes et des frontières, de la navigation aérienne, les chemins de fer appartenant en totalité ou en majorité à la Fédération, de la poste et des télécommunications, de la prévention des dangers du terrorisme international, de la sécurité de la Fédération, de l’office fédéral de police criminelle, de la production et de l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques.

Dans certains domaines, la Fédération a ce qu’on appelle des compétences législatives concurrentes avec celles des Länder. Mais, dans ces domaines, les Länder ne peuvent prendre des mesures législatives que tant et dans la mesure où la Fédération n’a pas fait usage de sa compétence législative.

Il s’agit entre autres du droit civil, du droit pénal, de l’organisation et de la procédure judiciaire (sauf le droit de la détention provisoire), de l’état civil, du droit de séjour et d’établissement des étrangers, de l’assistance sociale, du droit économique et du travail, de la sécurité sociale, des allocations de logement, des mesures contre les maladies humaines et animales constituant un danger public ou à caractère transmissible, du financement des hôpitaux et tarification des soins hospitaliers, la circulation routière, etc…

Restent de la compétence législative exclusive des Länder, entre autres: la police, l’ordre public général, les écoles et universités, la culture et les fêtes légales, les relations entre État et Églises, le droit communal, la radio et la télévision, le droit relatif aux constructions, la protection des monuments, le droit routier (sauf la circulation et les grands axes routiers fédéraux).

Dans les faits, les Länder n’ont presque plus de compétence en matière de droit civil, pénal, commercial et de la procédure judiciaire, de sécurité sociale et le droit du travail, tant la législation fédérale est importante en ce domaine. Cette situation a été rendue possible légalement par le fait que le droit fédéral prime sur le droit des Länder (article 31 de la Loi fondamentale). En principe, toute norme fédérale valable prime sur une norme contraire d’un Land.

En Belgique, c’est plutôt une égalité hiérarchique entre l’autorité fédérale et les entités fédérées qui existe. La loi fédérale ne prime pas sur la législation fédérée (sauf en matière fiscale). Il n’y pas de «hiérarchie des normes», il n’y pas un gouvernement qui tranche. Toute décision est censée se prendre «en concertation» mais rien n’est prévu en cas d’échec de cette concertation. On l’a vu avec la triste saga de la loi climat, le «burden sharing» des normes de bruit des avions à Bruxelles… L’égalité des niveaux de pouvoir est en fait un élément de confédéralisme, tout comme la scission des partis politiques. Ces niveaux de pouvoir se comportent donc, dans le cadre de leurs compétences, comme des pouvoirs de pays indépendants. C’est pourquoi des discussions entre différents niveaux juxtaposés perdurent éternellement, d’autant plus que les différents gouvernements sont composés de partis différents. La logique confédérale est contre-productive et conduit au séparatisme.

Le Code social est une loi fédérale qui ne permet pas une initiative législative des États fédérés. Le rôle unificateur est évident.

En Allemagne, la Fédération peut promulguer des lois dans des domaines où existe une compétence concurrentielle «dans la mesure où apparaît un besoin de réglementation législative fédérale». C’est le cas lorsqu’une question ne peut être réglementée efficacement par la législation des différents Länder, lorsque la réglementation d’une question par une loi de Land pourrait affecter les intérêts d’autres Länder ou de la collectivité ou lorsque la protection de l’unité juridique ou économique et, concrètement, le maintien de l’homogénéité des conditions de vie au-delà des frontières d’un Land l’exigent. Cette disposition serait aujourd’hui nécessaire, par exemple en matière d’investissements hospitaliers, une compétence des Länder. Les inégalités entre régions augmentent. En 2012, les hôpitaux de l’ancienne Allemagne de l’Ouest ont reçu 83% du financement total. Le même problème se pose en matière d’éducation.

En matière d’énergie et de climat, les compétences sont en concurrence. Le droit fédéral couvre l’ensemble des réglementations relatives à la production, au transport, au stockage, à la distribution et à l’utilisation de l’énergie. Il réglemente les entraves à la concurrence, le droit des consommateurs et les contrats, les ordonnances sur la fourniture de base et les conditions générales de fourniture. Il fixe les règles de sécurité dans les installations énergétiques. Le gouvernement peut prendre des mesures visant à garantir l’approvisionnement en énergie en cas de danger. La Fédération a également fait usage de sa compétence concurrente en matière de droit de la taxe sur l’énergie. Les Länder peuvent s’engager dans des domaines comme l’entreprise énergétique municipale. Les entreprises municipales d’approvisionnement en énergie sont soumises non seulement à la loi fédérale sur l’énergie, mais aussi à la loi municipale des Länder. Le gouvernement fédéral se voit refuser toute réglementation qui ne s’applique qu’aux fournisseurs d’énergie appartenant à des municipalités. En matière de droit de l’environnement, les exigences en matière d’autorisation des installations hydroélectriques et éoliennes, par exemple, sont fixées dans le droit fédéral. Certains Länder ont recours à des réglementations administratives, par exemple des décrets sur l’énergie éolienne, pour influencer l’autorisation des installations.

L’assurance sociale, et l’aide sociale sont des matières pour lesquelles la Fédération dispose de compétences législatives concurrentes. Mais le Code social est une loi fédérale qui ne permet pas une initiative législative des États fédérés. Le rôle unificateur de la politique sociale est évident. Le système de protection sociale établi au niveau national a substantiellement contribué à l’homogénéisation des conditions de vie. Les organismes publics des pensions, de l’assurance maladie ou des soins de longue durée, accidents et maladies professionnelles et l’Agence fédérale pour le travail sont indépendants de l’État et s’autogèrent, mais ils sont soumis au contrôle de l’État fédéral. Pour l’aide sociale, les règles sont élaborées à l’échelle fédérale, mais l’administration et le financement sont confiés aux villes ou aux districts.

En Allemagne ils tirent les leçons de Covid et demandent des réformes dans le sens d’un renforcement de l’unité.

Contrairement à l’évolution belge, la Fédération a donc acquis pendant 50 ans des pouvoirs accrus de gestion macroéconomique en matière de droit et dans les matières sociales. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel renforce souvent les compétences du Bund. Les Länder ont accepté de voir réduite leur marge de manœuvre contre un soutien financier. Et surtout, ils peuvent influencer la législation nationale puisqu’au Bundesrat, leur accord est nécessaire pour l’adoption des lois les concernant. Dans 60% des cas, les lois doivent recevoir l’approbation des Länder. Les exécutifs des Länder participent aussi à la législation financière du Bund via le Bundesrat. Le fédéralisme belge, lui, est caractérisé par un processus centrifuge et continu depuis 1970 de transfert des compétences de l’autorité fédérale vers les entités fédérées. Là où, en général, des pays ou des régions s’associent pour «faire mieux ensemble», chez nous, les régions se dissocient, espérant «faire mieux seule dans son coin».

Les Länder assurent l’exécution de toutes les lois fédérales et de celles du Land. Seules la diplomatie, l’armée, la perception des impôts fédéraux et des douanes, les grandes routes fluviales, la navigation, l’administration du trafic aérien, la protection des frontières, les renseignements généraux, la police criminelle (si l’on fait abstraction de la poste et des chemins de fer fédéraux en cours de privatisation) ont une administration fédérale et occupent à peine un cinquième des fonctionnaires allemands. Toutes les autres administrations appartiennent soit aux Länder eux-mêmes, soit aux communes et districts qui sont soumis au contrôle des Länder. Lorsque les Länder exécutent les lois fédérales à titre de compétence propre, ils règlent l’organisation et la procédure de leurs administrations. La Fédération ne peut intervenir qu’en cas de carence grave et après avoir obtenu l’approbation du Bundesrat.

Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, la procédure judiciaire et la détermination des types de juridictions à prévoir sont presque complètement réglées par des lois fédérales. L’institution des tribunaux, la fixation de leurs ressorts et la désignation des juges appartiennent aux Länder. Il existe des cours d’appel, des tribunaux régionaux (Landgerichte) et des tribunaux cantonaux. Seules les cours de dernière instance sont fédérales.

Le fédéralisme allemand

La République fédérale d’Allemagne est un État fédéral composé d’un État fédéral (Bund) et de seize États membres (Länder). Elle a été fondée le 24mai 1949, jour de l’entrée en application de la Loi fondamentale de la partie Ouest du pays, appelée République Fédérale d’Allemagne (RFA)3. Le «fédéralisme coopératif» repose sur une imbrication des pouvoirs entre États fédérés et État fédéral.

Il y a plusieurs niveaux où l’État fédéral et les États fédérés collaborent. Le premier est celui de l’État «tout entier» (Gesamtstaat). L’État fédéral et les États fédérés sont représentés à part égale, au sein de la conférence des chefs de gouvernement ou des conférences des dirigeants des partis au Parlement fédéral et des parlements des États fédérés. On y travaille par compromis et consensus.

Le deuxième niveau, celui de l’État fédéral (Bundesstaat). Il s’agit des relations institutionnalisées, verticales, entre Fédération et États fédérés. Dans le système politique allemand, le Bundestag (parlement) exerce en coopération avec le Bundesrat (Conseil fédéral) le pouvoir législatif. Le Bundesrat est la représentation des seize Länder allemands. Ses membres sont nommés par les gouvernements des Länder. À travers le Bundesrat, les Länder participent à l’adoption des lois au sein de la Fédération. Le gouvernement fédéral est obligé de présenter toutes les initiatives législatives d’abord au Bundesrat avant qu’elles ne passent au Bundestag. De plus, le Bundesrat doit approuver toute législation dans les domaines où la Loi fondamentale accorde aux Länder des compétences concurrentes avec celles du gouvernement fédéral.4 À la grande différence de la Belgique, les partis politiques sont un facteur d’unification. Les mêmes partis se présentent dans tous les États fédérés. Pas question de casser du sucre sur le dos des habitants d’un Land pour gagner des voix dans un autre. La Belgique est sans doute le seul pays fédéral où il n’y a presque plus de partis nationaux. Chacun n’est donc responsable que vis-à-vis de «sa» partie de population. Ce système conduit au séparatisme et à la surenchère nationaliste. Les ministres flamands du gouvernement fédéral ne sont pas élus par les électeurs francophones, et vice versa. Ils peuvent toujours rendre responsables l’autre communauté des problèmes rencontrés par leurs électeurs. À ce niveau, fonctionne aussi le Tribunal constitutionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht). Il juge de la conformité des lois à la Loi fondamentale, notamment celles promulguées par le gouvernement fédéral et les Länder.

Le troisième niveau est celui de la coordination, horizontale, entre Länder par la conférence des ministres-présidents qui procède par consultation et coopération.

Solidarité financière

La solidarité financière est nettement moins mise en cause en Allemagne qu’en Belgique. La solidarité interpersonnelle, la répartition entre travailleurs et chômeurs, entre habitants en bonne santé et malades, entre jeunes et personnes âgées, à travers la sécurité sociale, est considérée comme allant de soi par la population alors qu’en Belgique les nationalistes appellent cela des «transferts». Évidemment, dans les partis allemands de droite et du centre, il y a des attaques contre la sécurité sociale. Mais la solidarité fédérale allemande n’est pas vue à travers un filtre linguistique mais socio-économique.

Comme dans la plupart des États fédéraux, il existe aussi des mécanismes de redistribution pour réduire les disparités entre les régions.

Comme les Länder exercent l’essentiel des fonctions administratives, ils en assument aussi les charges financières. Ils gèrent et rémunèrent les personnels publics qu’ils emploient. Chaque Land finance lui-même sa politique mais il n’a que peu la maîtrise de ses recettes5. C’est pourquoi les recettes de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés et de la TVA sont partagées entre la Fédération et les Länder (impôts communs). La Loi fondamentale prévoit un système de péréquation financière horizontale et verticale pour la répartition6.

La recette des impôts communs est répartie entre Bund, Länder et communes selon plusieurs critères et en quatre étapes ou étages successifs.

1er étage: répartition entre Bund, Länder et communes selon des clés fixes. Par exemple, en matière d’impôt sur le revenu: 42,5% au Bund, 42,5% aux Länder et 5% aux communes. Pour l’impôt sur les sociétés, c’est moitié-moitié entre Bund et Länder.

2e étage: répartition horizontale entre les Länder. Les Länder distribuent entre eux le volume global des impôts leur revenant collectivement. À chaque Land, revient de droit le produit des impôts perçus sur son territoire. Les recettes de la TVA sont réparties sur la base d’une clé de répartition qui tient compte du nombre d’habitants et de la capacité fiscale. Des corrections sont ensuite apportées: l’impôt sur le revenu des personnes physiques collecté sur base du lieu de travail est transféré au lieu de résidence, et du siège social aux succursales d’exploitation pour l’impôt sur les sociétés. Un quart de ces impôts est retenu pour compenser les recettes des Länder dont le montant par tête est inférieur à la moyenne des Länder .

3e étage: péréquation horizontale entre les Länder (Länderfinanzausgleich). Le but est de lisser les disparités entre les capacités financières des Länder calculées par tête. En 2013, le total des montants transférés s’élevait à près de 8,5milliards€.

4e étage (vertical): dotations compensatoires du Bund à certains Länder. Le Bund lisse les disparités restantes en versant aux Länder à capacité financière inférieure des dotations compensatoires (d’un montant de près de 11milliards€ en 2013). Cela vise à hisser la capacité financière de chaque Land à 98,5% de la moyenne de tous les Länder (3,2milliards€).

De plus, des aides exceptionnelles sont destinées à soutenir les budgets des Länder confrontés à des charges ou besoins particuliers comme, par exemple, les charges exceptionnelles liées à leur fort taux de chômage ou pour mettre à niveau leurs infrastructures. Finalement, il y le mécanisme des «tâches communes». Une partie des dépenses des Länder est couverte par le Bund dans le cas où ces tâches visent «l’amélioration de la structure économique régionale» et «l’amélioration de la structure agricole et de la protection côtière» ou le soutien à la recherche dès lors que son impact dépasse le cadre régional.

Ces transferts ont amené la capacité financière de la Saxe de 54% de la capacité moyenne à 98% après les principaux mécanismes de redistribution. Dans les Länder d’Allemagne de l’Est, ces dotations correspondaient à plus ou moins 4% de leur PIB. À Berlin, ce chiffre atteignait 5,47%. En Belgique, la Loi spéciale de financement prévoit des «transferts» similaires. Selon le professeur Decoster, la Wallonie a bénéficié en 2019 d’un transfert de 651millions d’euros et Bruxelles de 397millions. Sur un PIB wallon de 106 milliards, cela représente environ 0,6%7. Bref, beaucoup moins que «les transferts» en Allemagne. Il y a trente ans, la Bavière recevait encore de l’argent. Elle l’a utilisé pour construire ses rues, ses autoroutes et ses universités. Maintenant, c’est l’inverse. La Bavière donne de l’argent, qui va ensuite aux autres Länder.

La crise économique dans les années 1970 et la victoire du néolibéralisme ont eu pour conséquence que certains Länder voulaient garder davantage leurs propres ressources pour créer «un environnement économique favorable à leurs entreprises». Le fédéralisme concurrentiel s’affirmait de plus en plus. Mais la réunification de l’Allemagne a demandé une aide financière massive du Bund et des Länder occidentaux8. Suite au pillage de l’industrie dans les nouveaux Länder issus de la réunification, le produit intérieur brut y avait chuté en deux ans de 44% et la production industrielle de 65%. Le nombre de personnes actives y avait chuté de 8,9millions à 6,8millions durant la même période.

La solidarité financière est nettement moins mise en cause en Allemagne qu’en Belgique.

Aujourd’hui encore, des tensions subsistent entre les Länder de l’Est et ceux de l’Ouest, les plus riches (Bavière, Bade-Wurtemberg, Hesse). Ceux-ci exigent que la Fédération prenne en charge l’essentiel des subsides destinés à l’Est. Comme la règle d’or du Pacte budgétaire européen empêche désormais un certain niveau d’endettement, ils plaident pour une «plus large autonomie fiscale». Cela devrait amener tous les Länder à assumer pleinement les conséquences budgétaires de leurs politiques. C’est la version allemande du discours nationaliste flamand sur la «responsabilisation». En assurant à chaque Land une capacité financière d’au moins 97,5% de la moyenne, disent-ils, les transferts n’incitent guère à la rigueur budgétaire. Les Länder à dominante SPD s’opposent à un «dumping fiscal» interne à l’Allemagne, au fédéralisme concurrentiel qui, pour les nouveaux Länder, s’avérerait désastreux.

Les fédéralismes allemand et belge, et le coronavirus

La gestion de la crise du coronavirus a mis en lumière la complexité de nos institutions. Là où il aurait fallu agir vite et de manière centralisée, neuf ministres de la santé se sont marché dessus: tout le monde est compétent, personne n’est responsable. La lasagne institutionnelle a entravé la prise de décisions politiques courageuses et efficaces. La nécessité d’avoir une direction unifiée est de plus en plus évidente. Comme en Belgique, il a fallu un certain temps en Allemagne pour que le gouvernement fédéral et les Länder parviennent à une approche commune contre la Covid. Mais, contrairement à chez nous, ils en ont tiré les leçons et demandent des réformes dans le sens d’un renforcement de l’unité.

Le gouvernement fédéral allemand promulgue des lois. Il fournit des recommandations et a un rôle de coordination afin de promouvoir une approche uniforme au niveau fédéral. Il existe une loi fédérale sur la protection contre les infections qui énumère les mesures possibles: limiter les rassemblements, restreindre le droit de se déplacer librement dans tout le pays, et même interdire complètement les rassemblements et les assemblées par décret. Il existe un plan national de lutte contre la pandémie.

Un comité intergouvernemental des ministres de la santé des différents États fédérés a été convoqué parce qu’une partie des compétences en matière de santé est attribuée aux Länder9. En effet, l’application de ces lois fédérales est laissée aux Länder qui agissent selon leur préférence. Le système fédéral allemand laisse largement aux Länder le soin de gérer les crises sanitaires. Par exemple, c’est eux qui déterminent combien de médicaments antiviraux sont stockés et comment ils sont distribués. Ils ordonnent et organisent la quarantaine. Ils décident si et quand les écoles et les jardins d’enfants sont fermés ou les événements de masse interdits. Par exemple, le gouvernement fédéral a, à un certain moment, recommandé d’interdire les rassemblements de plus de mille personnes. Le Land de Bavière (Bayern) avait suivi cette recommandation. Mais pas le Land de Berlin. Ce n’est qu’après des critiques massives que le département de la santé du district berlinois de Treptow-Köpenick a ordonné de jouer le match FC Union Berlin—Bayern sans public.

«Nous voyons le fédéralisme atteindre ses limites»10, a affirmé l’ancien chancelier Schröder. C’est pourquoi, tant du côté de la majorité que de celui de l’opposition, des voix réclament aujourd’hui une réforme des structures fédérales du système des soins de santé. Boris Velter, le responsable santé du SPD, est d’avis que «cette crise montre que nous devons réorganiser la répartition des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les Länder11 Carsten Schneider, le responsable parlementaire du groupe SPD au Bundestag: «Le fédéralisme entrave une politique d’information intelligente, et les disputes sur les décisions et le retard dans la prise de décision sont désormais évidentes.»12

Ulla Jelpke, la porte-parole pour la politique intérieure de Die Linke critique le fait que «la réaction à la crise du coronavirus est parfois amateur et chaotique. Le ministre de la Santé nous dit «cool», qu’il a tout sous contrôle. Mais de nombreuses décisions importantes —concernant l’organisation d’événements, la fermeture d’écoles ou le bouclage de zones —relèvent des États fédérés. Et ils agissent tous de leur propre initiative. Ce qu’il faut maintenant, c’est une stratégie globale…»13

Anika Klafki, professeure de droit public à Iéna, confirme: «En situation de pandémie, ils [les districts] sont vite dépassés. Les plans existants, qui régissent la coopération des différents niveaux de gouvernement, sont souvent non seulement dépassés, mais aussi non contraignants.» Elle donne l’exemple de la Fédération suisse où les cantons «transfèrent des compétences étendues au Conseil fédéral en cas d’épidémie. La loi sur les épidémies habilite l’Office fédéral de la santé publique à prescrire aux cantons la manière dont ils distribuent les aides»14 La grande différence avec la Belgique, c’est qu’à chaque crise, les Allemands se demandent comment mieux gérer la prochaine. La plupart du temps, la solution apportée fait tourner la roue dans le sens de plus d’unité, plus d’efficacité et plus de solidarité.

En Belgique, bien qu’une majorité a entre-temps affirmé la nécessité de réformes, il y en a toujours qui pensent que la piste à suivre est la régionalisation…

Footnotes

  1. Avant 1933, la République de Weimar était déjà un État fédéral.
  2. En Belgique, les réformes de l’État n’ont pas établi de compétences concurrentes mais un régime de compétences exclusives. Chaque entité fédérée est compétente de façon exclusive pour régler les matières qui lui sont attribuées dans les limites de son territoire ou de son aire de compétence. Le partage du pouvoir repose sur les principes d’attribution et d’exclusivité des compétences. Les régions et communautés n’exercent que les compétences qui leur ont été attribuées par les réformes institutionnelles. Le parlement fédéral reste, jusqu’à nouvel ordre, compétent pour les matières qui lui ont été réservées depuis 1970 et pour les matières dites «résiduelles» au rang desquelles figurent par exemple la justice et le droit civil. En théorie, ces compétences appartiennent aux Communautés et aux Régions. Mais l’article 35 de la Constitution, qui prévoit ce transfert, n’est pas encore entré en vigueur. C’est donc toujours l’Autorité fédérale qui possède ces compétences résiduelles tandis que les Communautés et Régions ne disposent que de compétences attribuées.
  3. Nous passons ici sur les péripéties qui ont conduit à la création de deux Etats allemands et à la réunification en 1991. Ce n’est pas le sujet qui nous intéresse ici.
  4. Voir: Charles-Hubert Born, «Quelques réflexions sur le système de répartition des compétences en matière d’environnement et d’urbanisme en droit belge», Revue juridique de l’environnement, 2013/5 (n° spécial), p.205-229.
  5. Les sources de revenus les plus importantes pour les Länder sont l’impôt foncier, les droits de succession, les droits fonciers, les taxes sur les voitures, les paris sportifs et les loteries, la bière, les casinos et 50% de l’impôt sur les sociétés levé sur leur territoire, 42,5% de l’impôt sur le revenu, 44,8% de la taxe sur le chiffre d’affaires. Les recettes propres des communes s’élèvent à 84,5milliards€, celles des Länder à 15,7milliards€ et celles du Bund à un peu plus de 100milliards€ en 2013. Les Länder financièrement faibles reçoivent des fonds supplémentaires par le biais de la péréquation financière des Länder
  6. Il s’agit d’un peu plus de 442,7milliards€ en 2013, soit 70% des recettes fiscales dont le total atteignait près de 620milliards€ en 2013. Le barème de ces prélèvements est uniforme dans toute l’Allemagne.
  7. André Decoster et Willem Sas, Waar blijft het echte cijferwerk, N-VA? , De Standaard, 14 janvier 2020.
  8. On a dit dans la presse que mille milliards de deutsche marks auraient été versés aux nouveaux Länder depuis 1990. En réalité, il s’agit de 400milliards de marks. Et cet argent est surtout retourné dans les caisses des actionnaires des grosses multinationales de l’Ouest. La construction de routes et de bâtiments, la réhabilitation de villes entières et la création de nouvelles industries ont, selon Harald Ringstorff, le Premier ministre du Mecklembourg-Poméranie occidentale, «profité à 80% à des entreprises ouest-allemandes». L’économie ouest-allemande, particulièrement dans les années 1990 à 1992, a beaucoup profité de la réunification. Elle a enregistré un taux de croissance de 4% et une progression du nombre d’emplois de presque 1,8 million. Comme d’habitude, ce sont les travailleurs de l’Est et de l’Ouest qui ont payé, et les actionnaires qui ont encaissé.
  9. L’Allemagne est divisée en 16 Länder ou États fédérés.
  10. Albert Funk et Georg Ismar, Behindert Föderalismus den Kampf gegen das Coronavirus? , Der Tagesspiegel, 11 mars 2020.
  11. Josh Groeneveld, Kompetenzgerangel zwischen Bund und Ländern in der Corona-Krise: Politiker fordern Föderalismusreform, Business Insider, 12 mars 2020.
  12. Funk et Ismar, ibid.
  13. Groeneveld, ibid.z
  14. Hannes Leitlein et Katharina Schuler, Föderalismus im Krisenmodus, Zeit, 12 mars 2020.