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Toutes les dépenses publiques ne se valent pas

Roxanne Schumacher

—21 août 2024

Les partis politiques s’expriment régulièrement au sujet du budget national pour défendre des coupes dans les dépenses publiques. Mais que visent-ils exactement ? Et quelles sont les dépenses dont ils ne parlent jamais ?

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Les partis à droite de l’échiquier politique assurent qu’il faut sabrer dans la sécurité sociale en ciblant en particulier les malades de longue durée et les chômeurs pour réduire le déficit public et se conformer aux nouvelles règles budgétaires européennes1. Ainsi, Georges-Louis Bouchez proposait en mai dernier dans l’Écho que « la règle européenne, c’est-à-dire 3% de déficit et pas plus de 60% de PIB en dette, soit inscrite dans la Constitution ».2 En réduisant la norme de croissance devant permettre d’assumer les soins de santé pour une population vieillissante, les libéraux prônent des économies d’un peu plus de 5 milliards par an.3 Ils sont rejoints par les nationalistes de la N-VA au nord du pays qui veulent une cure d’austérité de près de 12 milliards d’euros pour la Sécurité sociale.  Ces deux partis, sortis chacun premiers suite aux élections du 9 juin, ont abondamment visé les demandeurs d’emploi dont l’inactivité « plombe réellement les finances publiques de ce pays » selon Bouchez.4

Or, lorsqu’on regarde les chiffres du budget de l’État (données de l’OCDE), on constate que les dépenses en  chômage sont uniquement de 6 milliards d’euros sur un budget total de 300 milliards d’euros. Pour le chômage longue durée, c’est même moins de 2 milliards d’euros, le reste étant d’autres types d’interventions comme le chômage économique ou les anciennes pré-pensions (RCC). De plus, ces dépenses en chômage sont loin d’être en augmentation. Elles ont diminué de 33% depuis 2013, lorsque ce montant était de 9 milliards d’euros.

Il semble quelque peu incohérent de cibler une dépense qui ne participe pas activement à l’agrandissement de la dette publique. La focalisation de la droite sur les chômeurs semble davantage motivée par l’idée de créer un clivage travailleurs vs. profiteurs duquel elle retire des bénéfices politiques. Mais il est illusoire de croire que sanctionner les chômeurs va pouvoir contribuer d’une quelconque manière à rembourser la dette publique.

Roxanne Schumacher est étudiante en Économie à HEC Liège. Elle a effectué son stage en tant qu’économiste au sein de la CSC Alimentation et Services .

Certes, certains dépenses – en santé ou en pension – augmentent suite au vieillissement de la population (les dépenses en santé visent majoritairement les plus âgés). Mais veut-on réduire le remboursement des soins pour les personnes âgées ? Ou réduire leur pension ? Certaines politiques publiques peuvent bien sûr être repensées, par exemple financer davantage la prévention ou les maisons médicales pour éviter de payer des soins une fois que les soucis de santé sont là. Mais cela revient à un tout autre discours que celui de vouloir faire des coupes budgétaires par principe.

Si le  coût total du chômage, en particulier celui de longue durée, n’évolue pas à la hausse de manière alarmante, d’autres (non) évolution des finances publiques semblent à surveiller avec plus d’attention.

Alors que le réchauffement climatique est au cœur des inquiétudes mondiales, le budget belge dédié à la protection de l’environnement n’augmente plus, voire diminue. Ce n’est pas dû à une mauvaise allocation des ressources mais bien à un manque de fonds.

S’il est vrai que la dette publique est importante (522 milliards d’euros en 2024), l’inquiétude quant à son financement ne tombe pas du ciel. Certaines réformes passées l’ont encouragé et aggravé. On pointe souvent les dépenses sociales. Mais en fait, les aides aux entreprises coûtent aussi énormément. Par aides aux entreprises, on peut pointer plus particulièrement les politiques de Tax Shift du gouvernement Michel et certains subsides salariaux qui bénéficient directement aux employeurs. Rien que pour l’année 2024, ces mesures ont coûté 21,4 milliards d’euros. Cela revient à l’entièreté du déficit public 2024 qui est de 21,5 milliards d’euros, ou encore à dix fois plus le coût du chômage longue durée. Si on remonte un peu dans le temps, il s’avère que le Tax shift et les subsides salariaux qui bénéficient directement aux employeurs ont coûté plus de 134 milliards d’euros à l’État belge depuis 2018, et même plus de 263 milliards d’euros depuis 2005. Il s’agit de la moitié de la dette publique belge. Ces mesures ne sont pas néfastes par définition, mais avant de parler d’austérité dans la sécurité sociale, il faudrait voir si l’on n’a pas fait trop de cadeaux à des gens qui n’en n’ont nullement besoin.

 

Coût du tax shift et des subsides salariaux aux entreprises (en millions d’euros)
2018 2019 2020 2021 2022 2023 2024 Total (2018-2024)
Coût des subsides salariaux et réduction de cotisations 12 726 8 466 8 972 9 954 10 333 12 317 11 461 74 229
Coût net du tax shift 7 566 7 872 7 562 8 261 9 114 9 616 9 959 59 950
TOTAL 20 292 16 338 16 534 18 215 19 447 21 933 21 420 134 179

 

Note : Pour les années avant 2018, seuls le coût des subsides et salariaux et les réductions de cotisations ont été prises en compte pour arriver à un total de 263 334 millions d’euros sur la période allant de 2005 à 2024.

Sources : Banque nationale de Belgique (BNB), Bureau fédéral du plan (BFP) et Katholieke Universiteit Leuven (KUL))

Footnotes

  1. Ludovic Voet, « Un spectre hante l’Europe: le retour de l’austérité budgétaire », Lava n°28 https://lavamedia.be/fr/un-spectre-hante-leurope-le-retour-de-lausterite-budgetaire/
  2. https://www.lecho.be/dossiers/elections-en-belgique/georges-louis-bouchez-mr-il-faut-etre-un-peu-moins-genereux-sur-les-aides-sociales/10546707.html
  3. https://www.levif.be/belgique/politique/comment-le-mr-veut-faire-des-economies-dans-les-soins-de-sante/
  4. Voir l’interview de Georges-Louis Bouchez dans l’Écho cité plus haut.