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Rino Della Negra, résistant communiste et footballeur

Adrian Thomas

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Jean Vigreux

—13 novembre 2023

Le célèbre groupe Manouchian (FTP-MOI), diabolisé par l’Affiche rouge, a compté dans ses rangs un courageux jeune ouvrier italo-français. Son parcours évoque l’immigration, l’antifascisme, le football populaire et la Résistance. Retour sur un talentueux sportif, fusillé à 20 ans.

Adrian Thomas. Beaucoup de livres et de films ont déjà abordé le groupe Manouchian, du nom de son chef emblématique. Pourquoi Dimitri Manessis et vous-même vous êtes-vous penchés sur le cas de Rino Della Negra1 ? Qu’a-t-il de spécial ?

Jean Vigreux est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Franche-Comté. Ses domaines de recherche touchent à l’histoire de la Résistance et des gauches. Il dirige aussi des séminaires sur l’histoire des communismes avec la Fondation Gabriel Péri (en ligne).

Jean Vigreux : D’abord, c’est un profil intéressant parmi les Francs-tireurs et partisans (FTP), bras armé de la résistance communiste française sous l’Occupation, et parmi ses réseaux de la Main-d’œuvre immigrée (MOI). Les FTP-MOI, notamment parisiens, regroupaient des détachement de résistants par affinité linguistique ou d’origine. On connaît bien les résistants juifs des FTP-MOI, mais assez peu son détachement italien. Ensuite, j’en ai eu l’idée quand Dimitri Manessis est venu à un séminaire universitaire avec une écharpe de la « tribune Rino Della Negra » des supporters du club mythique du Red Star du stade Bauer à Saint-Ouen, en banlieue parisienne. J’avais déjà entendu vaguement parler du personnage, mais sans plus, et jai demandé à Dimitri de m’en dire davantage. On a constaté qu’on ne savait au final pas grand-chose de lui et qu’il y a aussi quelques erreurs qui circulaient à son propos. Je lui ai donc proposé d’écrire ensemble une petite biographie. Nous voulions rendre justice à un jeune immigré, ouvrier en usine dès ses 14 ans, et qui a été fusillé à 20 ans. Il s’agissait également de comprendre comment un club de supporters d’une équipe de football populaire s’est emparée de sa mémoire et l’a transmise. C’était une manière de contribuer à l’histoire sociale et politique, vue par le bas, de l’immigration italienne en France. Enfin, dans le contexte actuel de progression de l’extrême droite, nous voulions montrer la signification de l’antifascisme d’alors et de ce milieu. D’autant plus qu’avec Rino Della Negra, c’est un engagement à la vie à la mort.

Bien que Rino soit né dans le Pas-de-Calais, le jeune homme grandit en banlieue parisienne, à Argenteuil. Cette municipalité a été un laboratoire pour la gauche, dites-vous.

Sa famille vient du Frioul et s’installe à Vimy qui, comme tout le nord de la France, a été très endommagée par les pilonnages lors de la Première Guerre mondiale. L’immigration italienne est pour lors demandée pour la reconstruction, ce qui tombe bien : le père de Rino est briquetier. Puis la famille quitte le Pas-de-Calais en 1926 en raison de la baisse de la demande de main-d’œuvre et va s’installer à Argenteuil, à côté de Paris. C’est alors une banlieue en plein chantier. Beaucoup d’Italiens se concentrent dans le quartier Mazagran, renommé Mazzagrande. Parmi eux, beaucoup sont arrivés pour des raisons économiques, d’autres sont des réfugiés politiques. Depuis 1925, les communistes et les socialistes italiens sont traqués par Mussolini et la plupart fuient l’Italie. Un noyau antifasciste se constitue donc rapidement à Argenteuil, avec une culture de gauche très prégnante.

Nous voulions rendre justice à un jeune immigré, ouvrier dès ses 14 ans, et qui a été fusillé à 20 ans.

Dès 1934, la dynamique impulsée par le Front populaire fait de la municipalité un laboratoire pour les ambitions de la gauche. Gabriel Péri, député de la circonscription et l’un des dirigeants nationaux du PCF, pousse beaucoup en ce sens, d’autant qu’Argenteuil bascule communiste en 1935, avec Victor Dupouy. Beaucoup d’initiatives sociales sont alors mises en œuvre, comme le remplacement de taudis par de meilleurs logements. Du point de vue culturel et sportif, les choses changent aussi beaucoup par la popularisation des clubs d’athlétisme. Rino baigne dans ce milieu et est politisé dans des cafés par des ouvriers un peu plus âgés que lui. Plusieurs d’entre eux vont combattre en Espagne et lui racontent les rudes batailles qui s’y mènent pour la défense de la République contre les troupes du général Franco et de ses alliés fascistes. Certains sont blessés puis emprisonnés dans les camps d’internement du sud de la France, après la défaite en 1939. Les grandes grèves de l’été 1936 et de 1937 marquent une étape dans la conscientisation politique de Rino, alors qu’il travaille lui-même dans une usine de construction automobile en lutte. Le mouvement a été plus dur qu’on ne le décrit aujourd’hui, avec une répression patronale forte. Rino n’a pas adhéré au PCF, rien ne l’atteste en tout cas. C’est plutôt un compagnon de route, qui regarde aussi en direction du PCI. Argenteuil est alors un vrai laboratoire qui permet de mobiliser toute une génération de jeunes ouvriers et beaucoup d’entre eux rejoindront rapidement la Résistance et son bras armé.

Parler de Della Negra, c’est toucher à la question du football populaire. Qu’est-ce que le sport « rouge » ou travailliste ? Pourquoi politiser la culture physique ?

C’est une ambition déjà ancienne du mouvement ouvrier qui vise à la conquête des masses par tous les moyens, y compris sous l’angle des loisirs. Par paternalisme, le patronat organise lui-même des clubs pour ses ouvriers, l’Église fait de même. Alors pourquoi pas les organisations du mouvement ouvrier ? C’est une manière complémentaire de structurer la classe ouvrière, de la rassembler autour de valeurs solidaires, fraternelles, de discuter de politique avec les participants. Plusieurs associations sont mises sur pied, telle la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) qui initie à plusieurs types de disciplines (boxe, athlétisme, natation…) avec des clubs omnisports. La FSGT profite de l’élan du Front populaire et passe de 16 000 adhérents en 1934 à 160 000 en 1938. On assiste en banlieue parisienne à l’affirmation d’un football ouvrier qui s’appuie sur les municipalités conquises par la gauche unie ou au sein de la banlieue rouge. Ces clubs participent à la solidarité de classe des jeunes ouvriers. C’est une conception du sport accessible à tous, à l’opposé de son origine aristocratique. Rino en est très preneur. Passionné de sports, en particulier de football, c’est un bon ailier qui peut atteindre des pointes de vitesse impressionnantes et parcourir 100 mètres en 11 secondes.

Depuis 1925, les communistes et socialistes italiens sont traqués par Mussolini et la plupart fuient l’Italie.

Avant et après la défaite de 1940, Rino fréquente plusieurs clubs, soit des clubs travaillistes au sein d’une FSGT qui a été expurgée de ses éléments communistes (avec la coupe du Matin remportée en 1941 avec la Jeunesse sportive argenteuillaise), soit même des clubs corporatistes (c’est-à-dire créés par les usines qu’il fréquente). Il multiplie les entraînements et remporte des trophées, jusqu’à être repéré en 1943 par le Red Star, qui vient de remporter la coupe de France à deux reprises et qui est une équipe de premier plan. En le rejoignant, il entame une nouvelle carrière, qui sera hélas très brève. La presse sportive d’alors témoigne abondamment de ses exploits. La famille de Rino nous a beaucoup aidé à retracer son parcours footballistique. C’est ainsi que nous avons récupéré sa licence et une photographie de l’équipe du Red Star pour un match de coupe de France.

Rino Della Negra n’a pas vingt ans quand il bascule dans la clandestinité. Il mène durant neuf mois la lutte armée au sein du groupe de Manouchian. Que fait-il ? Quelle est la particularité des FTP/MOI ?

Rino Della Negra est réquisitionné en février 1943 par le Service du travail obligatoire (STO), comme des dizaines de milliers d’autres jeunes ouvriers de sa génération, et refuse de répondre à l’appel (NDLR : le STO a été mis en place dans toute l’Europe par l’Allemagne nazie. Il s’agit d’organiser la déportation et le travail forcé de travailleurs des territoires conquis à destination de l’Allemagne pour lui permettre de poursuivre son effort de guerre en comblant les vides laissés par la mobilisation massive). Réfractaire, Rino entre en clandestinité pour échapper à la police et se met très vite au service des FTP d’Argenteuil, dirigés par des Italiens. Il passe ensuite à la MOI au printemps 1943, jusqu’à son arrestation en novembre. Il bénéficie d’une vraie confiance car les FTP-MOI sont les troupes de choc de la résistance communiste armée. Ce sont eux qui, par exemple, parviennent à abattre Julius Ritter, le responsable du STO en France. Les FTP-MOI sont environ 70 en région parisienne et sont répartis selon des critères linguistiques : un détachement roumain, un autre juif, etc. Rino rejoint, sous le pseudonyme de « Robin », le troisième détachement (les Italiens) et va intervenir dans 15 à 20 opérations. Ils organisent des sabotages, par exemple sur des lignes de chemin de fer. Ils organisent aussi des attentats, en lançant des grenades dans des casernes ou des maisons closes fréquentées par des soldats allemands ou en visant des collaborateurs et des officiers, dont un général. En juin, Rino se déguise ainsi en « chemise noire » pour pénétrer le siège du parti fasciste italien à Paris, ce qui a une saveur particulière pour lui quand sa grenade explose. Ces actions sont importantes pour insuffler de l’espoir dans la population car c’est le tournant de la guerre : après la victoire de Stalingrad (février 1943), la peur est en train de changer de camp.

Le sport est une manière de structurer la classe ouvrière, de la rassembler autour de valeurs solidaires, fraternelles, et de discuter de politique.

Le 12 novembre 1943, à 13h30, son groupe attaque un convoyeur de fonds au cœur de Paris. Rino est blessé et arrêté, comme une série de ses camarades. La police de Vichy les avait depuis longtemps à l’œil et les filait. Trois rafles menées de mars à novembre 1943 ont déjà décimé les FTP-MOI. Rino est tombé dans la dernière rafle alors que Manouchian est capturé à son tour quelques jours plus tard. Leur groupe ne pouvait pas tenir longtemps : 200 des meilleurs policiers étaient sur leur trace et les fiches de renseignement établis par la police débordent de détails à leur propos. Cependant, Rino n’apparaît nulle part dans ces fiches, ce qui est une exception. Il n’avait curieusement pas été repéré : peut-être qu’en jouant au Red Star, sous sa véritable identité, il n’était pas suspecté, on ne le sait pas vraiment.

Durant son « procès » en 1944, la presse collaboratrice le dépolitise et le dépeint en jeune immigré perdu, prêt à tuer pour éviter le STO et pouvoir continuer le football.

Adrian Thomas est un historien du syndicalisme belge et collabore souvent au dictionnaire du mouvement ouvrier (Le Maitron) et au CArCoB. Il a publié « Robert Dussart, une histoire ouvrière des ACEC de Charleroi » (Aden), distingué par le Prix CArCoB 2021.

Il y a en effet un grand procès-spectacle du « groupe Manouchian », même s’il est évident que tous seront jugés coupables et fusillés au Mont-Valérien, près de Paris. La seule femme est déportée au printemps à Stuttgart pour y être décapitée à l’abri des regards, comme de coutume. C’est dans le cadre de ce procès qu’est réalisée par l’occupant la fameuse Affiche rouge. Chaque résistant y est présenté comme appartenant à « l’Armée du crime » et désigné par son origine étrangère et ses « méfaits », avec Manouchian comme chef de bande. C’est une manière pour les nazis de mettre des visages sur le prétendu « judéo-bolchévisme ». Mais ce qui est curieux, c’est que Rino n’y figure pas. Je pense que c’est en raison de ses blessures et des tortures qu’il a subies. Une fois arrêté, Rino a été transféré à la Gestapo puis a été hospitalisé pendant plusieurs mois avant d’être reconduit à la prison. Il n’était donc pas présent lors du tournage du petit film de propagande et des prises de photos pour les médaillons de l’Affiche.

Rino a été moins diabolisé que les autres : il est décrit comme un footballeur invétéré, un peu simplet, qui s’est retrouvé un peu malgré lui comme porte-flingue pour éviter le STO et, après la guerre, on a eu tendance à le présenter comme un jeune égaré. C’est un procédé classique pour dépolitiser et ridiculiser les intentions des résistants, réduits à l’état de criminels de droit commun. Or, ce n’est pas la réalité car Rino avait un engagement politique très fort par le biais de l’antifascisme. J’ai d’ailleurs retrouvé, après la parution de notre livre, un journal collaborateur qui le mettait carrément sur le même pied que Manouchian : « Désormais, les Manouchian et les Della Negra paieront comptant ; la geôle et le peloton d’exécution mettront fin à leur sinistres exploits. »

Rino Della Negra n’était bien sûr pas le seul jeune ouvrier franco-italien à résister. L’historien transalpin Antonio Bechelloni qualifie ce type de parcours comme étant « une sorte de territorialisation et de francisation de l’antifascisme ». Qu’en pensez-vous ?

Primo, les antifascistes italiens ne peuvent plus, pour la plupart, lutter dans leur pays contre le régime de Mussolini : contraints à l’exil, leur champ de bataille se déroule donc essentiellement en France. Dailleurs, une grande partie de l’appareil clandestin du PCI se trouve en France, comme par exemple, Teresa Noce, l’épouse de Luigi Longo, qui joue un rôle clé dans la formation des FTP dans la région de Marseille. Jusque-là, il y a donc eu un réel enjeu de territorialisation de l’antifascisme dans l’Hexagone. Puis le PCI réinvestira nettement l’Italie à partir de 1943. Avec la libération par les Alliés du Mezzogiorno et le début de la guerre civile au nord, une consigne de la Résistance a été de renvoyer en Italie, pour en finir avec Mussolini, des dizaines de FTP italiens aguerris au combat.

Le 12 novembre, le groupe Manouchian attaque un convoyeur de fonds au cœur Paris. Rino est blessé et arrêté, comme une série de ses camarades.

Secundo, c’est aussi une reconnaissance envers la « patrie des droits de l’homme ». La France jouit encore beaucoup de l’image de l’universalisme de la Révolution de 1789-1793. « La patrie d’un peuple libre est ouverte à tous les hommes de la terre », disait le chef jacobin Saint-Just. Cet héritage culturel a imprégné les résistants FTP-MOI. Rino Della Negra est naturalisé français en 1938. Il a 15 ans, son intégration est entière dès avant la guerre. On notera au passage que Manouchian n’était pas naturalisé mais le souhaitait ardemment : en effet, petit scoop, l’historien Denis Peschanski vient de découvrir qu’il avait demandé par deux fois sa naturalisation, en 1938 et en 1940. Missak signe d’ailleurs sa dernière lettre par Michel et crie « Vive la France ! », comme ses camarades, avant d’être fusillé. Leur idéalisation de la France, mythifiée bien sûr, et surtout leur idéal, participent à leur histoire d’intégration nationale et de reconnaissance, même si ces communistes ne se contentaient pas de la IIIe République mais voulaient établir une république émancipatrice et socialiste.

Il y a eu beaucoup d’écrits, de documentaires et de films sur Manouchian. Certains ont émis l’idée que c’est la direction du PCF elle-même qui a trahi le groupe de l’Affiche rouge.

C’est une vieille controverse des années 1980, lancée par l’historien Philippe Robrieux, qui avait des comptes à régler avec ses anciens camarades. Des responsables nationaux du PCF sont suspectés, mais aucune accusation ne résiste vraiment à l’examen. Mosco Levi Boucault le fait dire aussi à Mélinée Manouchian dans un documentaire de 1985 mais cela ne tient pas non plus. C’est totalement faux. Le « groupe Manouchian » avait tout simplement été repéré. La police française a filé et logé l’ensemble des FTP-MOI, à l’exception toutefois de Rino Della Negra. En arrêtant leur dirigeant politique Joseph Dawidowicz, elle avait malheureusement retrouvé sur lui des tas de documents suffisamment compromettants pour faire tomber tout le réseau, à quelques exceptions près. Cela a été un énorme coup de filet. En plus, on a beaucoup d’éléments sur la détention des membres du réseau. Dans leurs confessions, aucun d’eux n’a évoqué un quelconque traître. Sur les 68 membres arrêtés, 23 seront exécutés et les autres seront déportés dans les camps de concentration, dont 13 à Auschwitz. Cependant, certains ne se sont pas fait prendre, comme le chef du détachement italien Alfredo Terragni, qui comprend ce qu’il se passe et se cache avant de reprendre la lutte, puis d’être tué dans un affrontement en avril 1944. Il y a aussi des Arméniens qui réussissent à fuir Paris pour rejoindre le maquis dans la région de Lyon.

Le caractère international des FTP-MOI est remarquable. Y-a-t-il eu d’autres réseaux transnationaux de résistance de même envergure ? Je pense par exemple à l’Orchestre rouge, une autre toile d’araignée communiste…

Oui c’est important cela révèle la double dimension du communisme : une conception internationaliste (celle du parti mondial de la Révolution) et un ancrage national. La matrice de cet engagement peut être lu dès 1917 où quelques militants étrangers ont été séduits par la Révolution d’Octobre, pensons entre autres à John Reed, mais surtout au moment du Front populaire avec la mise en place des Brigades internationales pour combattre Franco et ses alliés fascistes en Espagne. Les inter-brigadistes constituent véritablement le socle de ce combat, la manifestation d’une solidarité internationale et ont su transmettre leur expérience de la guérilla au sein des FTPF et FTP-MOI.

Le renouvellement de la mémoire résistante est aujourd’hui au cœur de bien des débats. Il y a des reculs mais aussi de belles victoires, comme l’entrée prochaine au Panthéon de Missak Manouchian et de son épouse. Pour Rino, la transmission de son souvenir est originale puisque ce sont les supporters du club Red Star à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, qui la portent.

Rino Della Negra, footballeur et partisan est édité aux éditions Libertalia (2022).

Cette mémoire est multiple. S’inscrivant d’abord dans l’identité du communisme municipal d’Argenteuil, c’est en effet surtout par le football que son souvenir lui survit. Après-guerre, il y a une coupe de la FSGT qui est baptisée « Rino Della Negra ». Sa famille a gardé tous les trophées portant son nom et les a remis entièrement au club de supporters du Red Star, lors d’une récente présentation du livre au stade Bauer en février 2022. En plus de ces coupes, l’aspect mémoriel dans le monde du football est aussi lié à la tribune qui porte son nom au stade de Bauer de Saint-Ouen. Son visage et son patronyme sont honorés par des bannières, des vêtements et des chants qui incarnent l’identité antifasciste du club. C’est au cœur de la rivalité politique avec d’autres supporters, comme certains du Paris FC, parfois classés à l’ultra-droite. C’est bien sûr très différent de la mémoire classique portée par les associations d’anciens résistants, c’est un registre populaire beaucoup plus fort.

Avec la panthéonisation de Missak et de Mélinée, c’est la première fois que des communistes entrent dans le mausolée.

Quant à la « panthéonisation » de Missak et de Mélinée, c’est un symbole fondamental. C’est la première fois dans l’histoire de la République que des communistes entrent dans le mausolée de la patrie reconnaissante. C’est inédit car il faut l’unanimité pour y être admis, ce qui veut dire qu’un couple de communistes met d’accord presque tout le monde en France sur la gratitude qu’on leur doit. Qui plus est, sur leur cénotaphe, seront inscrits les noms des 22 fusillés, ce qui signifie la reconnaissance officielle de la résistance communiste. De plus, la légitimité de la lutte armée a toujours posé un peu question, les civils ayant été appelés à s’en tenir à des actions décidées à Londres et à attendre le débarquement allié, d’autant que des otages étaient exécutés lorsque des soldats allemands étaient tués.

C’est bien leur militantisme politique qui est mis en avant et leur résistance n’est pas réduite à leur origine ethnique ou religieuse. Mais il faudrait peut-être ne pas oublier qu’ils étaient immigrés et que les débats actuels sur l’immigration, voire l’identité nationale, sont loin de leur vision de la société émancipatrice, internationaliste et patriotique…

Della Negra n’est sans doute pas un cas unique. Il y a beaucoup de clubs de supporters de foot qui font actuellement de l’antifascisme la marque de leur identité (Standard de Liège, Union Saint-Gilloise, Celtic de Glasgow, …). Pensez-vous qu’il leur serait profitable et aisé de donner un visage à cet engagement en réveillant la figure d’un footballeur résistant ?

Oui l’antifascisme caractérise de nombreux groupes de supporteurs dans le football. Outre les clubs évoqués dans votre question, il ne faut pas oublier le club allemand de Saint-Paul (Fußball-Club Sankt Pauli) à Hambourg qui participe aussi de cette culture politique antifasciste. Les clubs de supporteurs échangent déjà ensemble, pensons entre autres à la Tribune Rino Della Negra du stade Bauer (Red Star) avec les supporteurs du GF38 de Grenoble (Red Kaos 94) qui mettent en commun le symbole de Rino Della Negra.

Footnotes

  1. Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Rino Della Negra, footballeur et partisan : vie, mort et mémoire d’un jeune footballeur du « groupe Manouchian », Libertalia, 2022