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Prévention sur prescription

Mychailo Hikavyy

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MAJA HEYLEBOSCH

—14 janvier 2025

La fin de la République démocratique allemande a également sonné le glas d’un modèle qui pourrait aujourd’hui offrir des solutions pour nos soins de santé en crise. Que pouvons-nous apprendre du système de soins de santé socialiste ?

Le système de santé actuel est soumis à de fortes pressions. Les nombreux cabinets de médecine générale qui n’acceptent plus de nouveaux patients, les longues listes d’attente et la forte pression mentale qui pèse sur le personnel soignant font chuter la confiance dans nos soins de santé. En tant que médecin, il est nécessaire de reconnaître que le contexte socio-économique dans lequel les gens vivent a un impact significatif sur leur santé. Notre travail, notre logement et nos revenus ont souvent un impact plus important que nous ne le pensons sur la maladie. La recherche montre que le système de santé auquel nous appartenons détermine pour un quart notre état de santé, tandis que notre mode de vie et nos gènes ne sont que deux fois moins importants.1 C’est pourquoi un groupe d’étudiants en médecine s’est rendu à Berlin-Est, qui a été socialiste jusque dans les années 1990, et dont le système de santé était organisé en fonction. Les étudiants se sont demandé en quoi cette organisation différait de notre modèle actuel, et s’il y avait des choses que les Allemands de l’Est faisaient mieux que nous à l’Ouest aujourd’hui. Ils y ont rencontré le Dr Heinrich Niemann, qui, à l’époque de la RDA socialiste, a travaillé à explorer les possibilités d’un système de soins de santé organisé différemment.

Polycliniques : gratuites, de proximité et pour tous

Contrairement aux cabinets individuels ou aux maisons médicales, qui sont la norme chez nous, les soins de première ligne en RDA étaient organisés dans de grandes polycliniques pluridisciplinaires qui se trouvaient sur le lieu de travail ou dans les quartiers résidentiels. Ces cliniques étaient publiques et offraient des soins de santé gratuits et de qualité à la population. Les médecins et le personnel soignant y travaillaient selon un système forfaitaire, c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas rémunérés à la consultation, à l’intervention ou au traitement, mais recevaient un salaire fixe et suffisant. Les malades n’étaient pas une source de revenus supplémentaire. En tant que médecin, vous n’étiez donc pas exposé à des facteurs financiers, et les intérêts des patients en matière de santé passaient toujours en premier. Ainsi, la fonction du médecin en RDA ne se limitait pas à la seule guérison. Ils étaient des représentants de la santé qui sensibilisaient la population de manière proactive. Une importance beaucoup plus grande était accordée à la prévention, ce qui se traduisait par un budget plus important alloué à cette fin.2

La prévention est le meilleur des soins

Les polycliniques sont donc un moyen efficace d’organiser les soins de première ligne. Cependant, nous avons surtout beaucoup à apprendre des idées qui les sous-tendent : des soins de santé de première ligne proches de la population, où une grande partie du travail concerne la prévention. Bien qu’il faille toujours tenir compte du contexte historique des années 1980 en RDA et de la Belgique d’aujourd’hui, comparer les priorités des deux modèles de soins n’est pas impossible. En RDA, le nombre de médecins a triplé en 40 ans3, alors que la Belgique est actuellement confrontée à une grave pénurie de médecins. Une comparaison avec notre pays montre que seulement 2 % de nos investissements dans les soins de santé sont consacrés à la prévention.4 Même par rapport aux autres pays européens, la Belgique investit à peine la moitié de la moyenne européenne dans ce domaine. Nous constatons par exemple un faible engagement pour la prévention dans la santé mentale : 17 % de la population belge souffre de problèmes de santé mentale.5 Cela est dû en grande partie aux longues listes d’attente qui incitent souvent les médecins à prescrire des antidépresseurs pour traiter les symptômes sans s’attaquer aux causes sous-jacentes.6

En tant que médecin, il est nécessaire de reconnaître que le contexte socio-économique dans lequel les gens vivent a un impact significatif sur leur santé.

Mychailo Hikavyy (21) étudie la médecine à la KU Leuven. Il s’intéresse à la question des soins de santé équitables et accessibles.

Le meilleur médecin n’est pas celui qui soulage les patients de leurs symptômes, mais celui qui prévient l’apparition de la maladie. La prévention est la tâche principale des professionnels de la santé, ce qui n’est pas entièrement possible dans un système de soins de santé axé sur la logique du profit. En effet, les producteurs d’antidépresseurs ne seraient pas heureux de voir leurs ventes chuter parce que les gens trouvent une place chez le psychologue. Le modèle de revenu actuel, mais aussi les faibles investissements visant à réduire la charge de travail, expliquent le faible engagement des médecins en faveur de la prévention. Le nombre d’étudiants autorisés à se lancer dans la formation de médecin chaque année est toujours plafonné, alors que la Flandre est confrontée à une grave pénurie de médecins généralistes. Selon les chiffres de l’INAMI, 60 à 70 % des communes n’atteignent pas le seuil de 9 médecins pour 10 000 habitants.7 Près de la moitié des professionnels de la santé belges estiment que le personnel hospitalier est insuffisant pour fournir les meilleurs soins possibles aux patients.8 Investir suffisamment dans les soins de santé pour garantir la santé publique est une responsabilité politique.

Le capitalisme rend malade

En RDA, la santé était également considérée comme une question politique. Le cadre de vie, les conditions de travail et la participation culturelle étaient reconnus comme des déterminants importants de la santé. Le taux de chômage était très bas et tout le monde disposait d’un logement de qualité, car l’offre était publique. Ces sécurités sociales se traduisaient, par exemple, par des taux plus faibles de problèmes de santé mentale comme le burn-out. Les soins de santé en RDA étaient d’une telle qualité et accessibilité, non seulement grâce aux polycliniques, mais aussi parce qu’ils constituaient un élément essentiel d’une société organisée selon un système différent. La logique capitaliste n’était pas à la base de la société. Aujourd’hui, elle est précisément la cause des problèmes que rencontrent nos soins de santé.

Maja Heylebosch a 21 ans, elle est étudiante en médecine et socialement engagée à la KU Leuven.

Il est intéressant de s’inspirer de l’organisation et de la vision des polycliniques, mais pour répondre fondamentalement aux problèmes actuels de nos soins de santé, il faut surtout oser se tourner vers cet autre modèle de société qu’est le socialisme. Toutes les coupes effectuées ces dernières années sont à l’origine des pénuries de personnel et des départs que nous connaissons aujourd’hui. Il est logique qu’on ne puisse pas mettre en place les meilleurs soins de santé dans un système qui considère ces soins comme une charge ou un coût pour la société.

Les malades n’étaient pas une source de revenus supplémentaire en RDA, les intérêts des patients en matière de santé passaient toujours en premier.

Ce dernier point s’applique d’ailleurs non seulement aux soins de santé, mais aussi à la santé des citoyens en général. Un mode de vie, un rythme et un environnement malsains sont propres au capitalisme et sont à l’origine d’énormément de problèmes de santé. Pensez, par exemple, aux troubles musculo-squelettiques chez les ouvriers ou au burn-out dans toutes les couches de la population. Ces deux maladies sont responsables de ⅔ du total des malades de longue durée en Belgique. Ce problème ne vient pas de nulle part, il trouve son origine dans l’augmentation constante de la charge de travail. Pour survivre à la concurrence, les entreprises doivent faire travailler les gens de plus en plus longtemps, de manière plus flexible et pour un salaire moindre. Malheureusement, c’est notre santé qui en paie le prix. Notre travail, mais aussi nos conditions de vie, peuvent nous rendre malades. Nos villes accordent très peu d’attention à la qualité et au nombre de logements sociaux destinés aux personnes qui ne peuvent pas accéder au marché du logement ordinaire. Une étude menée par Médecine pour le peuple à Molenbeek a révélé qu’un nombre anormalement élevé d’enfants souffrent d’asthme, à cause des moisissures présentes sur les murs des habitations d’un quartier de logements sociaux.9 Ne pas investir dans les logements sociaux, beaucoup moins rentables que les projets de construction de luxe, est un choix politique. En attirant l’attention sur cette question et en agissant avec les résidents, le problème pourrait être résolu. Cela montre une fois de plus que la santé et le système politique dans lequel nous vivons sont indissociables. Même en étant le meilleur des médecins, on ne peut jamais vraiment guérir les gens dans un système pathogène.

Il y a beaucoup à apprendre des polycliniques pour améliorer notre système de soin, pour les patients et le personnel, mais la véritable solution pour sauver le secteur est de s’éloigner d’un système de profit et d’une logique de réduction des coûts. Une population en meilleure santé commence avant tout par un modèle social sain qui offre, au sens le plus large possible, de bonnes conditions de vie et de travail à chacun.

Footnotes

  1. https://medecine-pour-le-peuple.be/storage/media/visietekst-nl.pdf
  2. https://ifddr.org/en/studies/studies-on-the-ddr/socialism-is-the-best-prophylaxis/
  3. https://thetricontinental.org/studies-2-ddr-health-care-2/
  4. https://www.weliswaar.be/welzijn-zorg/gezondheidsbevordering-raakt-aan-de-hele-samenleving
  5. https://www.oecd.org/content/dam/oecd/en/publications/reports/2023/12/belgium-country-health-profile-2023_01d0f3f9/dd6df7bd-en.pdf
  6. https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2023/09/18/antidepressiva-jongeren/
  7. https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2023/03/16/huisartsentekort/
  8. https://kce.fgov.be/fr/hspa-rapport-2024
  9. https://www.huisartsnu.be/sites/default/files/images/stories/huisartsnuarchief/2014/h43_4_07_leefomgeving.pdf