Ces derniers mois ont été marqués par une lutte étudiante historique. Les universités ont été occupées pour imposer un boycott académique d’Israël, en opposition au génocide à Gaza. Quelles leçons pouvons-nous tirer de ce mouvement ?
En mai 2024, un groupe d’étudiants de l’Université de Gand a occupé son campus. Rapidement, d’autres universités du pays lui ont emboîté le pas. Cette vague d’occupations s’est déroulée dans un contexte d’indignation mondiale face au génocide qui a débuté à Gaza le 7 octobre 2023. Dès le début de ces atrocités, de nombreuses protestations mondiales ont dénoncé la complicité de l’Occident. Au sein de la communauté universitaire, les liens avec les universités israéliennes ont rapidement fait l’objet de critiques.
En avril 2024, l’occupation sans précédent menée à l’université Columbia, à New York, a suscité une vague de solidarité internationale. Des occupations ont vu le jour partout dans le monde. En Belgique aussi, des étudiants ont fait pression sur la direction de leur université. Ces événements ont permis au mouvement étudiant de croître et de s’élargir rapidement, avec des milliers d’étudiants s’efforçant de faire du boycott académique une réalité.
Un mouvement qui a de l’impact
Bien que le militantisme étudiant pour la Palestine ou pour le boycott universitaire d’Israël ne soit pas nouveau, les récentes occupations marquent une nouvelle phase importante du mouvement. Les étudiants ont popularisé l’idée du boycott et du désinvestissement et l’ont largement propagée. Ils ont sensibilisé toute une génération d’étudiants à l’oppression des Palestiniens et aux intérêts impérialistes qui se cachent derrière le soutien inconditionnel de l’Occident à Israël. En outre, le mouvement étudiant a prouvé que l’activisme porte ses fruits ; les universités du monde entier ont dû faire des concessions aux militants étudiants. Les plus grandes victoires ont été remportées à l’UGent, où le recteur a promis de rompre tous les liens (multilatéraux et bilatéraux) avec les universités israéliennes1, et à l’ULiège, où le recteur a promis de ne pas conclure d’accords bilatéraux avec ces dernières.2
La lutte de ces derniers mois a montré que ceux qui prétendent que les étudiants ne sont pas réalistes ont tort. Le fait que les habitants de Rafah, qui ont fui les bombes, aient écrit sur leurs tentes des messages de remerciement destinés à des étudiants du monde entier, témoigne de l’impact du mouvement.3 Dans les années 1960 et 1970, des étudiants ont occupé leur université pour protester contre la guerre du Vietnam. Dans les années 1980, une génération d’étudiants s’est opposée à l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui, une nouvelle génération occupe les universités pour dénoncer le génocide à Gaza. Si les occupations ont à chaque fois été qualifiées d’inappropriées, l’histoire a toujours donné raison aux étudiants.
Pourquoi le boycott académique est-il essentiel ?
Le boycott académique d’Israël est la revendication principale du mouvement. C’est un point essentiel en raison de son impact. La Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) a d’ailleurs été l’une des premières campagnes du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). La complicité des universités israéliennes va très loin, comme l’explique la PACBI : « Les universités israéliennes sont impliquées dans le développement de systèmes d’armes et de doctrines militaires utilisés dans les récents crimes de guerre israéliens au Liban et à Gaza. Elles justifient la colonisation des terres palestiniennes, rationalisent le nettoyage ethnique progressif des Palestiniens autochtones, confèrent une justification morale aux exécutions extrajudiciaires, pratiquent une discrimination systématique à l’encontre des étudiants « non juifs » et commettent d’autres violations implicites et explicites des droits humains et du droit international. »4
Les occupants ont sensibilisé une génération d’étudiants à l’oppression des Palestiniens et aux intérêts impérialistes qui se cachent derrière le soutien de l’Occident à Israël.
Le boycott académique n’est donc pas uniquement un acte symbolique. C’est une attaque directe contre la complicité de nos universités avec l’apartheid israélien. Les universités israéliennes font partie intégrante de la colonisation israélienne, en sont les architectes et la perpétuent de multiples façons. Plus encore que dans le cas de l’Afrique du Sud, le boycott académique est donc un moyen de pression très important. Le projet colonial israélien ne peut exister que grâce au soutien et à la complicité de l’Occident. Briser ce soutien constitue un élément essentiel de la lutte pour une Palestine libre. Israël accorde une grande importance à ses liens universitaires internationaux. Si ceux-ci étaient rompus, le pays serait isolé, ce qui permettrait d’exercer une pression considérable.
Les universités israéliennes figurent également parmi les plus performantes au monde en matière de technologie militaire. C’est pourquoi l’armée israélienne et l’État d’apartheid en dépendent largement. Briser ce soutien pourrait donc porter un coup considérable à l’armée israélienne, faisant du boycott académique l’un des points prioritaires du mouvement de solidarité internationale visant à mettre un terme au génocide à Gaza.
Les craintes d’Israël quant à un tel boycott démontrent également sa dépendance vis-à-vis de la coopération internationale. L’Institut Weizmann et l’Université de Tel Aviv ont par exemple expliqué craindre l’effet néfaste que l’isolement d’Israël sur le plan universitaire pourrait avoir sur l’industrie (de haute technologie) israélienne.5
Le boycott académique est parfaitement réalisable. Il existe de nombreux exemples de boycotts réussis dans le passé, comme par exemple le boycott anti-apartheid contre l’Afrique du Sud. Des universités espagnoles, norvégiennes, mais aussi belges, montrent qu’un boycott académique contre Israël est possible.
Rompre les liens universitaires avec Israël pourrait isoler le pays sur le plan international et saper la base morale et pratique sur laquelle reposent son apartheid et son oppression militaire.
Un vaste mouvement anti-impérialiste
La force de l’appel au boycott réside dans le fait qu’il s’adresse à un large public. Le boycott académique n’est pas seulement une affaire de militant ; c’est une question qui concerne chaque étudiant, chaque professeur, chaque membre du personnel. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de lutte contre l’oppression et l’impérialisme.
L’une des principales leçons à tirer des occupations étudiantes est que le changement peut être imposé grâce à un vaste mouvement. Pour obtenir un véritable changement, il faut un soutien large et diversifié. Seul un mouvement de masse, fondé sur une coalition unie autour de points clés, peut acquérir la force nécessaire pour provoquer un changement structurel. Il s’agit notamment de réunir différents groupes : les étudiants, les professeurs, les universitaires, les syndicats, le personnel et la société civile au sens large. En unissant toutes ces forces, nous pouvons exercer une pression suffisante pour atteindre les objectifs recherchés. La victoire à Gand, par exemple, a été possible grâce à un large soutien en faveur de l’occupation étudiante. Les étudiants ont réussi à placer la question de la complicité de leur université au centre du débat, et ont ainsi bénéficié d’un large soutien. Très vite, une lettre ouverte en faveur du boycott a été publiée et signée par 1 500 personnes, principalement des professeurs et des membres du personnel. Certains parmi eux se sont même joints aux occupations nocturnes.
L’armée israélienne et l’État d’apartheid dépendent largement des universités. Briser cette dépendance pourrait porter un coup considérable à l’armée israélienne.
En cessant de soutenir la machine de guerre israélienne, nous soutenons la résistance et la libération de la Palestine. Le soutien occidental ne concerne pas seulement les liens universitaires. La Belgique continue par exemple de livrer des armes et Israël reste un partenaire privilégié dans les traités économiques, entre autres. Il appartient donc au mouvement anti-impérialiste, comme l’ont montré les étudiants ces derniers mois, de faire pression sur ces institutions, de les dénoncer et d’imposer la fin de la complicité.
La lutte continue
Si les occupations ont été un outil puissant, elles ne sont qu’un aspect de la lutte plus large pour la justice en Palestine. Le mouvement a montré que la solidarité et l’action directe peuvent faire la différence, mais il reste encore beaucoup à faire. L’UGent n’a par exemple pas encore tenu sa promesse de rompre ses liens avec Israël, et cherche même des échappatoires juridiques pour continuer à collaborer. Il est nécessaire d’exiger la transparence et d’accroître la pression. Il faut continuer à lutter pour le boycott académique et la fin de la complicité au génocide, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des universités.
Ces occupations historiques ont montré ce qu’il est possible de faire lorsque les gens s’organisent et refusent de se taire face à l’injustice. Les leçons que nous tirons de ce mouvement continueront à nous inspirer dans la lutte pour une Palestine libre et juste.
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Footnotes
- UGent stopt academische samenwerkingen met Israël, bezetters eisen totale boycot en gaan door, 31 mai 2024, https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2024/05/31/ugent-rector-rik-van-de-walle-boycot-israel-palestina-gaza-stude/
- Les étudiants qui occupaient l’ULiège sont partis : ils ont obtenu ce qu’ils désiraient, 24 juin 2024, https://www.todayinliege.be/les-etudiants-qui-occupaient-luliege-sont-partis-ils-ont-obtenu-ce-quils-desiraient/#:~:text=Ce%20vendredi%2021%20juin%202024,quarantaine%20de%20jours%20de%20luttes
- Students and children in Gaza thank pro-Palestinian protesters at US college campuses, 28 avril 2024, https://edition.cnn.com/2024/04/28/middleeast/gaza-students-thank-columbia-protests-intl-latam/index.html
- https://bdsmovement.net/academic-boycott#why
- « Strategic Blow to Israeli Science » : Leading Academic Institutions See Dramatic Decline in Overseas Students, 27 juillet 2024, https://www.haaretz.com/israel-news/2024-07-27/ty-article-magazine/.premium/strategic-blow-leading-israeli-academic-institutions-see-sharp-fall-in-foreign-students/00000190-e55e-d59e-a1f5-ffdea7d70000