Articles

Le Pacifique la nouvelle frontière de l’OTAN

Matt Robson

+

Carrie Hou

—18 juin 2025

Les États-Unis ne cessent de répéter que la Chine constitue une menace militaire. Mais, en réalité, le Pacifique est militarisé par les États-Unis, affirme Matt Robson, l’ancien ministre néo-zélandais du Désarmement. Voici notre rencontre.

Matt Robson a été ministre néo-zélandais du Désarmement et du Contrôle des armes de 1999 à 2002. Les Étasuniens ont qualifié ce titre exceptionnel et le message qui l’accompagne de « maladie néo-zélandaise ». « La Grande-Bretagne, la France et les États-Unis nous étaient particulièrement hostiles. Ils étaient terrifiés à l’idée que l’engagement de la Nouvelle-Zélande en faveur du désarmement et de la non-prolifération nucléaire puisse se propager.»

Notre échange me semble très pertinent : je lui apprends que le gouvernement belge et tous les autres pays européens augmentent leurs dépenses militaires tout en réduisant les dépenses en matière de pension, de soins de santé et d’enseignement. Cette évolution s’explique par l’obligation imposée par l’OTAN à ses États membres de consacrer 2 % de leur PIB à la défense, ainsi que par la volonté des États-Unis de déplacer l’attention de l’OTAN de l’Europe vers le Pacifique, dans le but d’affronter la Chine.

Comment en est-on arrivé là ? Quel est le rapport entre la sécurité européenne et une région située à l’autre bout du monde ? Pourquoi affronter la Chine ? Matt et moi en discutons longuement, et il me rappelle que les intérêts étasuniens et européens dans le Pacifique sont bien antérieurs à Trump. « L’OTAN a toujours eu une portée mondiale. Ses membres ont toujours été impliqués dans des agressions dans le Pacifique.»

Carrie Hou Vous avez été ministre du Désarmement et du Contrôle des armes de 1999 à 2002. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette fonction et sur les raisons pour lesquelles la Nouvelle-Zélande l’a créée ?

Matt Robson Tout d’abord, je tiens à dire que la fonction de ministre du Désarmement et du Contrôle des armes était très solitaire, car elle ne possédait aucun équivalent dans le monde. S’il y a une fonction consacrée à cette problématique, c’est d’habitude celle du ministre des Affaires étrangères ou du vice-ministre des Affaires étrangères. Le fait d’avoir un ministre spécialement chargé du désarmement était un message clair : « Hé, on est très sérieux sur ce point.» Nous prônions surtout le désarmement nucléaire. Notre but n’était pas de désarmer tout le monde entièrement. On visait les armes qui peuvent détruire la Terre entière.

Cette fonction est née d’un mouvement de masse contre la guerre des États-Unis au Vietnam, où la Nouvelle-Zélande avait envoyé des troupes. C’était la première fois en Nouvelle-Zélande qu’une génération rompait avec la rhétorique selon laquelle nous devions combattre le communisme, les Asiatiques, être prudent, et que nous allions être envahis. Nous avons dit : « Non, cette guerre est mauvaise et génocidaire.» Nous sommes donc passés d’un pays qui avait des soldats au Vietnam à un pays doté d’un mouvement anti-guerre très important.

Des événements comme l’AUKUS et la présence militaire accrue des États-Unis et de l’OTAN font du Pacifique la prochaine zone de guerre.

La Nouvelle-Zélande a pris conscience de la présence de l’impérialisme occidental dans la région, qui se manifestait, par exemple, sous la forme d’essais nucléaires. Les Français ont testé leurs bombes nucléaires en Polynésie française, au sud de l’océan Pacifique. Ils ont notamment testé des bombes dans l’atoll de Moruroa, ce qui a fini par détruire l’île et la vie de ses habitants. Notre mouvement de masse s’est opposé aux essais nucléaires français, et un désir de sortir du nucléaire est né en Nouvelle-Zélande.

En 1985, les services secrets français ont placé deux bombes sur un bateau de Greenpeace qui protestait contre les essais nucléaires. Ç’a vraiment été horrible, et cela a entrainé d’énormes manifestations. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Matt Robson est avocat à Auckland et ancien ministre du Désarmement et du Contrôle des armements , ainsi que ministre adjoint des Affaires étrangères.

Oui, c’était choquant. Un bateau pacifique a été coulé par une équipe sous-marine française : des plongeurs ont placé des bombes sous le bateau. Un photographe qui se trouvait à bord, un citoyen néerlandais, a été tué lors de l’explosion. Sur les quatre membres de l’équipe de sabotage, deux ont été arrêtés. Les deux autres et leur équipe de soutien se sont échappés à bord d’un sous-marin chargé de les ramener en France. L’évasion a été facilitée par le Royaume-Uni et les États-Unis. Les deux personnes capturées étaient des militaires français. Le complot terroriste français a ainsi été mis au jour. Cet acte terroriste a été commis en Nouvelle-Zélande par un voisin de la Belgique. Ceux d’entre nous qui connaissent leur histoire savent que ce n’était pas le premier acte terroriste d’un État impérialiste comme la France. Mais ce fut un choc terrible pour la plupart des gens, qui n’avaient pas idée de la cruauté de l’impérialisme français. La France, c’est la Tour Eiffel, les baguettes !

Revenons à la période où vous étiez ministre du Désarmement et du Contrôle des armes. Vous avez déclaré que vous vous sentiez très seul, parce qu’aucun autre ministre au monde ne se consacrait à cette tâche. Comment s’est déroulé le travail de plaidoyer en faveur de la non-prolifération nucléaire ?

Nous étions perçus comme une menace à cause de notre message en faveur du désarmement. La Grande-Bretagne, la France et les États-Unis nous étaient très hostiles. Ils étaient terrifiés à l’idée que l’engagement de la Nouvelle-Zélande en faveur du désarmement et de la non-prolifération nucléaire puisse se propager. Les États-Unis appelaient ça la « maladie néo-zélandaise ». Des représentants des États-Unis et de l’OTAN me sermonnaient souvent en affirmant que le désarmement constituait une « menace pour le monde libre ». En réalité, la majorité des pays de la planète ne disposent pas d’armes nucléaires, et une vaste majorité du monde souhaite s’en défaire.

Le fait que vous mentionniez l’OTAN est intéressant. Beaucoup la considèrent comme une alliance défensive entre les États-Unis et des pays européens. Pourquoi ses représentants vous ont-ils fait la leçon, alors que la Nouvelle-Zélande se situe dans le Pacifique ?

L’OTAN a toujours eu une portée mondiale. Prétendre qu’elle n’avait pour but que de se défendre contre la Russie est absurde. Les dirigeants occidentaux savaient qu’après la Seconde Guerre mondiale, les Russes n’auraient pas pu les envahir. Vingt-sept millions de Russes sont morts et l’économie russe a été détruite. Ils n’ont jamais eu l’intention d’attaquer l’Europe. Mais c’était une menace utile. L’OTAN a commencé par soutenir toutes les guerres coloniales. L’une de ses premières réunions s’est tenue au Ghana en 1949. À l’époque, il s’agissait encore d’une colonie britannique. L’OTAN a soutenu la dictature portugaise et le maintien de ses colonies. Elle a aussi soutenu la guerre de la France contre le Vietnam.

Elle se comporte de la même façon dans le Pacifique. Les membres de l’OTAN ont toujours été impliqués dans des agressions dans la région. En 2011, Barack Obama s’est rendu en Australie, où il a annoncé au Parlement australien que l’armée des États-Unis allait pivoter vers l’Asie. L’Australie a soutenu cette initiative avec enthousiasme. Résultat : elle accueille aujourd’hui une présence militaire étasunienne très importante, dirigée contre la Chine. Des exercices militaires sont régulièrement organisés dans le nord de l’Australie, auxquels participent des pays de l’OTAN. La Première ministre néo-zélandaise de 2017 à 2023, Jacinda Ardern, devenue une personnalité internationale réputée pour sa gentillesse, a contribué à nous rapprocher de l’OTAN. Elle fut la première Première ministre néo-zélandaise à assister à un sommet de l’OTAN, alors que des documents de planification de l’OTAN indiquaient qu’ils allaient attaquer la Russie et la Chine. Aujourd’hui, la Nouvelle-Zélande est un pays partenaire officiel de l’OTAN, dont les forces patrouillent au large des côtes chinoises, entre Taïwan et la Chine.

Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

Les États-Unis ne cessent de répéter que la Chine constitue une menace militaire. En Nouvelle-Zélande, les médias et certains politiques nous disent constamment que les Chinois militarisent le Pacifique. Mais en réalité, le Pacifique est militarisé par les États-Unis. Ils disposent d’un centre de commandement militaire important à Hawaï. La Polynésie française, qui est très éloignée de Paris, abrite une base militaire d’envergure et la France est un pays membre de l’OTAN. La menace chinoise est fabriquée de toutes pièces. Selon des documents de l’OTAN, la Chine représenterait la plus grande menace mondiale. Mais la Chine dispose seulement de quelques bases militaires en dehors de son territoire, alors que les États-Unis en possèdent 450 tournées vers la Chine, du Japon à l’Australie. Cinq mille Marines étasuniens sont déployés dans le nord de l’Australie, prêts à attaquer la Chine.

Carrie Xin Hou est une militante sino-australienne pour la paix et la justice raciale. Elle vit actuellement à Bruxelles , où elle est l’organisatrice principale du Peace & Demilitarisation
group d’Intal.

En réalité, la Chine est une menace pour l’élite des États-Unis. Non seulement en raison de sa puissance économique et de sa croissance, mais également en raison de ce qu’elle a apporté à sa population. La Chine est également considérée comme une menace parce qu’elle représente une alternative au monde exploité par les États-Unis et leurs alliés. Elle a sorti sa population de la pauvreté. Elle a mis en œuvre une éducation de masse et les droits des femmes. Les terres ont été redistribuées aux paysans. Ce changement révolutionnaire constitue une menace pour le monde d’exploitation que les États-Unis et l’OTAN souhaitent préserver.

Si la Nouvelle-Zélande, comme partenaire de l’OTAN, peut participer à une guerre si éloignée de son territoire, en Ukraine, alors les Belges peuvent être impliqués dans une guerre désastreuse avec la Chine dans le Pacifique.

Notre ministre de la Défense, Judith Collins, salive à l’idée d’une guerre avec la Chine une fois que la Nouvelle-Zélande sera membre de l’OTAN. Elle a déclaré : « La Nouvelle-Zélande va devenir un pays à part entière. Nous allons dépenser 12 milliards de dollars en préparatifs de guerre dans le cadre de la demande de l’OTAN d’allouer 2 % du PIB à la défense. Nous allons disposer d’armes modernes et de missiles de nouvelle génération.» Cela signifie que, comme la Nouvelle-Zélande a envoyé ses jeunes fermiers mourir sur les champs de bataille européens lors de la Première Guerre mondiale il y a cent ans, nous nous apprêtons aujourd’hui à les envoyer mourir sur les plages de sable de Taïwan dans le cadre de notre interopérabilité avec l’OTAN, dans une guerre avec la Chine.

La guerre se prépare. Les médias jouent leur rôle en diffusant des histoires alarmistes sur l’expansion militaire et l’ingérence de la Chine en Nouvelle-Zélande, et sur le fait que la Nouvelle-Zélande doit jouer son rôle en tant qu’alliée des États-Unis et de l’OTAN. La Nouvelle-Zélande vient de signer un accord de statut des forces avec les Philippines, à un moment où ce pays est de nouveau transformé en base étasunienne pour affronter la Chine.

À propos des Philippines, il semblerait que les États-Unis poussent les pays de la région à choisir leur camp : l’Occident ou la Chine. La plupart des pays du Pacifique adoptent-ils cette mentalité ?

Cela dépend. La Papouasie-Nouvelle-Guinée vient d’être massivement soudoyée. Les États-Unis se moquaient éperdument de ce pays. Aujourd’hui, ils veulent soudainement renforcer leur ambassade et lui donner de l’argent. La Papouasie-Nouvelle-Guinée vote désormais avec les États-Unis et quelques autres pays sur la question de Gaza. Les pays de Micronésie comme Palau, Nauru, Kiribati, qui sont des alliés proches des États-Unis, en sont financièrement dépendants.

D’autres sont plus méfiants, et cela s’explique en partie par le fait que de nombreuses nations du Pacifique sont de plus en plus sophistiquées. Elles ont l’expérience d’être sous-développées, bousculées et colonisées. Elles savent que la Chine n’est pas une menace. La Chine n’essaie pas d’établir des bases militaires dans leurs pays. Elles ont soudain un pays de 1,2 milliard d’habitants, la Chine, qui les traite avec respect et négocie d’égal à égal. Elles n’ont pas l’habitude.

Il y a quatre ans, j’ai rencontré un militant aborigène qui vivait près de Pine Gap, une base militaire étasunienne en pleine expansion en Australie. Des terres sur un site sacré pour les Aborigènes étaient défrichées afin d’y installer de nouvelles antennes paraboliques. L’expansion de Pine Gap semble essentielle à la capacité de surveillance et de frappe des États-Unis contre la Chine. Ce que l’on sait moins, c’est que ces satellites jouent un rôle essentiel dans la collecte d’informations de surveillance à Gaza depuis l’autre côté de l’océan Indien. Les informations recueillies ont été communiquées aux forces de défense israéliennes pour leur apporter un soutien dans le génocide. Des histoires comme celles-ci montrent que l’expansion des États-Unis et de l’OTAN n’est pas uniquement une question de dissuasion. Elle permet la guerre. Quelles sont les autres tendances ou conséquences de la militarisation des États-Unis et de l’OTAN dans la région indo-pacifique ?

J’ai grandi dans le Territoire du Nord en Australie. Je connais Pine Gap, utilisé pour aider au ciblage par drones, non seulement à Gaza, mais également au Yémen. Il s’agit d’un élément essentiel du système militaire et de renseignement des États-Unis. WikiLeaks a révélé que l’ancien Premier ministre australien de 1983 à 1991, Bob Hawke, était un agent des États-Unis. Il avait promis à l’ambassade étasunienne, lorsqu’il était à la tête du mouvement syndical, de protéger leurs intérêts, notamment en empêchant les grèves dans leurs bases. Il n’y a pas que Pine Gap. Il existe également une base sous-marine étasunienne au large de la côte ouest de l’Australie. Hawke, comme dirigeant syndical, a contribué à saper le gouvernement travailliste réformateur de Gough Whitlam, que les États-Unis considéraient comme favorable au communisme et désireux de normaliser les relations de l’Australie avec la Chine. WikiLeaks a publié des documents montrant que Hawke était à la botte de la CIA.

De nombreux pays du Pacifique ont le sentiment que la Chine les traite avec respect et sur un pied d’égalité. Ils savent que la Chine n’est pas une menace.

La Nouvelle-Zélande a également un rôle à jouer. Sa localisation est intéressante pour lancer des missiles, et une entreprise appelée Rocket Lab, créée par un entrepreneur néo-zélandais, a conclu d’importants contrats avec l’armée étasunienne. Ils développent des missiles pour satellites dans le cadre d’une opération appelée « Gunsmoke ». La Nouvelle-Zélande dispose d’une installation de communication qui surveille le Pacifique Sud. Bien que petite, elle est stratégiquement bien située et technologiquement capable de collecter des informations pour ce système mondial. L’OTAN est liée à tout cela. Israël reçoit des informations du réseau Five EyesFive Eyes est une alliance de renseignement qui regroupe l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis. Ils divisent le monde et collectent des renseignements qu’ils partagent également avec les autres États membres de l’OTAN. La surveillance électronique et satellitaire permet à ces pays d’espionner le monde entier.

Il y a également eu le développement d’« AUKUS » dans la région. Pourriez-vous nous expliquer ce qu’ils font ?

AUKUS est une alliance militaire entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Elle a été conçue pour faire face à la Chine et repose sur deux piliers. Dans le cadre d’AUKUS, l’Australie achète des sous-marins à propulsion nucléaire capables de transporter des armes nucléaires, pour un coût de plus de 368 milliards de dollars, qu’elle ne peut pas se permettre. Le Royaume-Uni, bien qu’il s’agisse d’un empire qui a disparu depuis longtemps, peut prétendre qu’il est encore une puissance mondiale grâce à ses liens militaires avec les États-Unis, comme AUKUS. Il est de retour dans le Pacifique avec ces accords militaires dont la Chine est la cible. C’est le premier pilier.

Le second pilier d’AUKUS se concentre sur les derniers développements technologiques dans la guerre moderne, y compris la technologie satellitaire, le partage de l’information et les systèmes de guidage des armes. Des pays qui ne font pas partie d’AUKUS, comme la Nouvelle-Zélande, le Japon, les Philippines et la Corée du Sud, sont invités à faire partie de ce pilier. Le gouvernement néo-zélandais tente de convaincre le public que, bien que notre législation sur la dénucléarisation nous exclue du premier pilier, nous pouvons adhérer au second parce que nous aurons l’avantage de faire partie d’un pacte militaire à la technologie aussi avancée sans compromettre notre politique de non-nucléarisation. Mais le second pilier est développé pour renforcer la capacité de guerre des États-Unis, du Royaume-Uni et des pays de l’OTAN sous leur parapluie nucléaire, avec pour objectif l’affrontement avec la Chine, dotée, elle aussi, de l’arme nucléaire.

Des événements comme l’AUKUS et la présence militaire accrue des États-Unis et de l’OTAN font du Pacifique la prochaine zone de guerre. Une guerre avec la Chine ferait passer la terrible guerre contre Gaza pour une affaire secondaire. Bien entendu, la Chine accroît sa capacité militaire pour contrer la menace qu’elle perçoit. Les Belges doivent comprendre qu’ils sont impliqués dans la menace de guerre comme membres de l’OTAN. Si la Nouvelle-Zélande peut participer à une guerre si éloignée de son territoire, en Ukraine, alors les Belges peuvent être impliqués dans une guerre désastreuse avec la Chine dans le Pacifique.

Nombreux sont ceux qui pensent que l’augmentation des dépenses militaires nous met plus en sécurité. Le gouvernement belge veut augmenter les dépenses de défense de 17 milliards d’euros lors des cinq prochaines années, afin de répondre aux exigences de l’OTAN, qui demande aux pays de consacrer 2 % de leur PIB à la défense. Qu’en pensez-vous ?

La question qui se pose est de savoir contre qui la Belgique doit se défendre. La Russie peine déjà avec la guerre en Ukraine, armée par les États-Unis et les pays de l’OTAN. Elle sait qu’elle n’a pas la capacité économique ou militaire de traverser l’Europe pour attaquer la Belgique, même si elle était assez folle pour le faire. Qu’est-ce qui se cache derrière la guerre en Ukraine ? C’est précisément l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie et le retrait des États-Unis du traité sur la limitation des systèmes de défense antimissiles en 2002. Évitera-t-on la catastrophe en dépensant encore davantage dans les préparatifs de guerre plutôt que dans les besoins réels de la population belge et des autres pays de l’OTAN ?

Aujourd’hui, l’Allemagne prévoit un réarmement massif en dépit de ses propres besoins sociaux. De tous les pays, on pourrait penser que l’Allemagne aurait appris qu’être armé jusqu’aux dents n’est pas la meilleure défense. Je n’arrive pas à y croire. La pression exercée sur les pays de l’OTAN pour qu’ils augmentent massivement leurs dépenses en préparatifs de guerre, que je ne considère pas comme de la défense, vise à remédier au déclin de leur influence économique en préparant la guerre.

En effet, il s’agit plus d’une question de maintien de pouvoir et d’influence que de sécurité réelle. Y a-t-il une prise de conscience croissante à ce sujet, en particulier parmi les travailleurs néo-zélandais ?

Je pense que ça bouillonne. Mais vous savez, en politique, les choses prennent parfois du temps. J’ai bon espoir que le mouvement anti-guerre renaisse. Malheureusement, le parti travailliste s’est rallié à l’appel à l’augmentation des dépenses militaires, à la collaboration avec l’OTAN et à la préparation contre la prétendue menace d’une agression chinoise. Bien que la Chine soit de loin notre principal partenaire commercial, qu’elle ne dispose pas de bases militaires extérieures et qu’elle n’ait jamais eu que des relations pacifiques et respectueuses avec la Nouvelle-Zélande.

Des populations indigènes, comme les Maoris ou les Aborigènes, sont au cœur de la résistance anti-guerre dans le Pacifique. Ils voient bien qu’il s’agit d’une prolongation de la colonisation.

Malheureusement, nos médias véhiculent souvent l’idée alarmiste selon laquelle « les Chinois arrivent ». En 2020, deux députés d’origine chinoise ont été chassés du Parlement par le service de renseignement et de sécurité, qui les a accusés d’être associés au parti communiste chinois. Tout cela n’avait aucun sens.

C’est terrible. L’Australie connaît la même hystérie croissante face à la Chine. Je suis d’origine chinoise et le racisme qui découle de la guerre m’inquiète. Comme militante, j’ai été accusée de ne pas « comprendre la démocratie » ou d’être une espionne en Australie. Les Chinois ne sont pas les seuls à être victimes de racisme. L’expansion de la militarisation dans le Pacifique affecte les populations indigènes, comme vous l’avez souligné avec les essais nucléaires français. Quelles sont les conséquences les plus récentes de la militarisation ?

Comme je l’ai dit précédemment, ce sont les Maoris, le peuple indigène, qui ont été les premiers à faire prendre conscience aux Néo-Zélandais de l’impact dévastateur du colonialisme occidental, du terrorisme et de la militarisation du Pacifique, en particulier en lien avec les essais nucléaires français. Des populations indigènes, comme les Maoris ou les Aborigènes, sont au cœur de la résistance anti-guerre dans le Pacifique. Ils voient bien qu’il s’agit d’une prolongation de la colonisation. Si nous voulons un monde différent, nous devons comprendre le rôle de l’impérialisme et du colonialisme, passé et présent, et travailler ensemble pour créer des sociétés décentes et pacifiques dans tout le Pacifique.

Nous devons sortir du sentier de la guerre. Quelles sont les alternatives ?

La coopération est le mot clé. La Chine appelle à la coopération pour un développement durable et pacifique. Elle souligne que, contrairement aux États-Unis, elle n’a pas attaqué d’autres pays. Elle a seulement 2 ou 3 bases militaires en dehors de ses frontières, alors que les États-Unis et les pays de l’OTAN en comptent plus de 1 000 en dehors de leur pays d’origine. La Chine propose un développement coopératif, pas la guerre. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un gouvernement néo-zélandais qui dise la vérité et qui refuse de sacrifier les dépenses sociales au profit de la guerre. Nous devons garantir à nos concitoyens l’accès au logement, à l’enseignement et à l’emploi. Nous devons coopérer avec la Chine qui ne veut pas la guerre. Ce sont les États-Unis qui veulent contrôler le Pacifique.

Comment les gens s’organisent-ils et résistent-ils à la militarisation du Pacifique ?

Il existe des mouvements en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans les pays du Pacifique. La situation n’est pas encore comparable aux mouvements massifs contre la guerre au Vietnam et au mouvement antinucléaire à ce stade, mais un mouvement naissant se développe, et j’essaie également d’y travailler. Cependant, aucun parti néo-zélandais au Parlement ne met en garde de manière cohérente et audacieuse contre le fait qu’en tant que partenaire de l’OTAN doté de l’arme nucléaire, nous sommes entraînés dans une guerre possible avec la Chine. Mais nous avons l’exemple des mouvements de masse qui se sont développés en dehors du Parlement pour s’opposer à la guerre au Vietnam et faire de la Nouvelle-Zélande un pays dénucléarisé. Les germes d’un mouvement anti-guerre sont là. Il s’agit simplement de les cultiver et de leur permettre d’éclore.