Alerta Arizona n*4 – Retrouvez les opinions enflammées contre le désert social de De Wever et Bouchez de notre série Alerta Arizona.

Depuis 1991, l’Union européenne promeut la libéralisation des chemins de fer en Europe. À travers diverses directives – comme la séparation de la gestion des infrastructures et de l’exploitation des trains – l’UE cherche à ouvrir le marché, et à stimuler la concurrence. L’objectif affiché est d’augmenter l’utilisation des chemins de fer dans le transport de passagers et de marchandises (le transfert modal). Mais le transfert modal promis ne se réalise pas. Conséquence de cette logique, en 2005, le gouvernement Verhofstadt II (libéraux et socialistes) a décidé de scinder la SNCB en trois entités : Infrabel, SNCB et SNCB-Holding (plus tard HR Rail). Loin d’améliorer le service, Cette séparation a entraîné une baisse de la ponctualité des trains de voyageurs, une augmentation des suppressions de trains, la fermeture de guichets et de gares, et une mauvaise communication entre les entités responsables du rail belge autrefois unies. Pendant ce temps, le nombre d’employés a diminué en vingt ans d’environ 38 000 à seulement 27 000 aujourd’hui.
Les économies successives, notamment le plan d’économies de 3 milliards d’euros entre 2015 et 2019 (Plan Galant), ont plongé les chemins de fer belges dans des difficultés considérables.
Le transport international de passagers et le transport national et international de marchandises ont été entièrement ouverts à la concurrence. Par contre, jusqu’à présent l’Union européenne a permis aux États membres, sous certaines conditions1, de maintenir le monopole public sur le transport intérieur de passagers, via une « attribution directe » à l’opérateur public. Ainsi, le gouvernement Vivaldi a attribué à la SNCB l’exploitation du service public belge intérieur de transport de passagers pour une période de dix ans, allant de 2023 à 2032.
Le débat reste ouvert sur ce qu’il se passera ensuite. L’Union européenne entend durcir les conditions pour de nouvelles attributions directes, pour pousser à la libéralisation. Le rapport de force avec les autorités européennes pour maintenir un service public ferroviaire s’annonce donc plus dur.
L’expérience prouve que plus la libéralisation et la concurrence augmentent, plus les voyageurs et le personnel en pâtissent.
Or le gouvernement Arizona entend abandonner ce combat pour le service public et veut préparer la SNCB à affronter la concurrence dès 2032. Concrètement, la SNCB devra de nouveau faire plus avec moins : l’Arizona veut économiser 675 millions d’euros sur budget du chemin de fer, tout en augmentant le nombre de voyageurs de 30% et le nombre de trains de 10%. Une équation impossible à résoudre. Non seulement, l’Arizona enterre ainsi dans les faits toute ambition pour le rail, mais cela entraînera une nouvelle augmentation de la productivité exigée du personnel.
Le gouvernement Arizona veut ainsi concentrer davantage l’offre et les investissements sur les lignes à forte fréquentation. Le nombre d’arrêts sur les lignes peu fréquentées sera réduit et une vingtaine d’arrêt pourraient même disparaitre. Concrètement, cela signifie moins de services sur les lignes locales peu fréquentées.
En Flandre, cette approche « basée sur la demande » rappelle douloureusement le nouveau plan réseau mis en place l’année dernière par De Lijn à la demande du gouvernement flamand. Au nom de l’efficacité, de nombreux arrêts peu fréquentés ont disparu, accentuant les inégalités de mobilité en milieu rural. Malgré le mécontentement généralisé, cette même logique pourrait maintenant être appliquée à la SNCB.
Le gouvernement Arizona veut également garantir un service minimum en cas de grève à travers tout le réseau, là où actuellement l’offre dépend du nombre de travailleurs volontaires, ce qui entraîne parfois une quasi-absence de trains dans certaines régions.
Le programme gouvernemental prévoit aussi :
- La modernisation de la gestion du personnel, ce qui signifie remplacer des recrutements statutaires par des contrats précaires.
- L’harmonisation du dialogue social comme chez BPost et Proximus, impliquant une majorité des deux tiers pour modifier les statuts, ce qui pourrait renforcer le pouvoir de blocage des syndicats.
- Une modification de l’objectif social de HR Rail, qui perdrait certaines fonctions au profit direct de la SNCB et d’Infrabel, rapprochant encore davantage leur séparation complète.
Pourtant, l’expérience montre que plus la libéralisation et la concurrence augmentent, plus l’offre, les services et les conditions de travail se détériorent.
Le fiasco de la privatisation ferroviaire britannique vient de pousser le Royaume-Uni à reprendre le contrôle public du rail afin de rationaliser l’offre, améliorer l’efficacité et la sécurité, et ramener les prix des billets à des niveaux raisonnables. En effet, les opérateurs privés privilégient leurs profits au détriment du service public.
L’Arizona fera-t-elle dérailler le train en Belgique comme au Royaume-Uni, ou tirerons-nous les leçons de leur expérience pour remettre le train sur les bons rails du service public ?
Footnotes
- Dans le cas belge, le réseau complexe et intégré, rendant l’exploitation par des opérateurs concurrents compliquée, est une des conditions invoquées. Voir ici pour l’explication détaillée : https://www.alterechos.be/vingt-ans-de-liberalisation-du-rail-vers-une-concurrence-inexorable/