Alerta Arizona

« L’Arizona n’ignore pas la situation climatique, il l’aggrave »

Louis Droussin

—16 juillet 2025

Alerta Arizona n*8 – Retrouvez les opinions enflammées contre le désert social de De Wever et Bouchez de notre série Alerta Arizona

Louis Droussin est doctorant en sciences politiques à l’Université de Namur, où il mène des recherches sur l’écologie d’extrême droite, et sur la manière dont les mouvements sociaux articulent enjeux écologiques et enjeux socioéconomiques.

J’aimerais mettre en lumière le volet climatique de l’accord Arizona. Il ne s’agit pas d’analyser une mesure unique, mais de critiquer l’approche systémique, caractérisée par un sous-investissement public dans les domaines cruciaux pour la transition climatique et un pari risqué sur l’investissement privé. Cette orientation est d’autant plus préoccupante que les efforts belges actuels sont déjà jugés insuffisants pour atteindre les objectifs climatiques.

Les besoins en investissements pour la transition sont énormes, chiffrés dans le plan fédéral énergie-climat de 2023 à environ 60 milliards dans l’énergie et l’isolation des bâtiments, et 22 à 27 milliards pour la mobilité décarbonée d’ici 2030. Une grande partie de ces investissements nécessaires devrait être publique, y compris au niveau fédéral.

Pourtant, l’accord Arizona se distingue par l’absence de nouveaux investissements publics dans ces domaines. Pire, il acte des coupes budgétaires importantes dans des secteurs vitaux. Parmi ces coupes, celles touchant les transports publics, la SNCB (675 millions d’euros en moins sur la législature), et la recherche scientifique fédérale (380 millions en moins sur la législature, soit en moyenne 12% du budget) sont particulièrement symptomatiques. On voit aussi l’absence d’investissement dans l’isolation des bâtiments publics fédéraux.

Or la recherche scientifique fédérale est essentielle pour étudier la météorologie, le climat, l’océanographie. Ces recherches sont cruciales non seulement pour améliorer nos connaissances face au changement climatique, mais aussi pour l’adaptation. Tandis que la SNCB est notre meilleur outil pour se passer de la voiture au niveau national. Quant à la rénovation et l’isolation des bâtiments publics, elle est indispensable pour le confort de leurs occupants et usagers et pour réduire et décarboner leur consommation d’énergie.

Le gouvernement Arizona cherche à compenser le manque d’investissements publics par des « cadeaux fiscaux » et déductions pour les grandes entreprises.

Face à ce désengagement public, le gouvernement Arizona mise sur l’investissement privé. Il cherche à compenser le manque d’investissements publics par des « cadeaux fiscaux » et déductions pour les grandes entreprises. L’idée sous-jacente est que ces entreprises, payant moins de taxes, investiront davantage dans l’écologie. On pourrait parler d’une forme de « théorie du ruissellement, mais version écolo ».

Comme la théorie classique du ruissellement qui réduit les impôts des plus riches en espérant qu’ils investissent et que cela profite à l’économie globale, le gouvernement parie ici sur l’investissement « vert » des grandes entreprises via des déductions fiscales. Or, tout comme la « théorie du ruissèlement » mène à des politiques qui accroissent les inégalités et creusent les déficits et la dette sans produire les prétendus effets économiques, ce pari sur l’investissement privé pour mener la transition ne fonctionne pas dans la réalité.

Ces cadeaux fiscaux sans condition existent déjà et n’ont pas empêché des décisions contraires à la transition verte, comme la fermeture du site Audi de Forest ou la remise en cause d’investissements verts par ArcelorMittal à Gand. La raison est simple : les grandes entreprises privées sont guidées par une logique de profit à court terme, quelles que soient les conséquences écologiques. De plus comme l’a dénoncé par exemple l’Union des Classes Moyennes, ces avantages fiscaux sont inaccessibles aux petites et moyennes entreprises et creusent donc les inégalités entre grandes et petites sociétés.

Le choix de ne pas investir dans des mesures pourtant considérées comme « faciles », consensuelles et largement acceptées par la population, comme l’isolation et la rénovation des bâtiments et les transports publics, est particulièrement révélateur. Ces investissements réduisent la facture des citoyens, améliorent leur qualité de vie, créent de l’emploi et contribuent à la fois à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. Le fait que le gouvernement n’agisse pas sur ces fronts, sur lesquels il ne peut pas se cacher derrière l’argument de mesures antisociales, contestées ou punitives, démontre un certain « je-m’en-foutisme » face aux enjeux climatiques. Ce désintérêt fait écho aux constats faits au niveau du gouvernement wallon, composé des mêmes partis francophones, où l’environnement n’a été abordé que pendant 1 minutes 50 sur les 1h36 de conférence pour annoncer l’accord de gouvernement et le budget consacré à la biodiversité a été réduit de 75%.

Les économies dans les investissements climatiques et environnementaux s’inscrivent dans un discours d’austérité généralisé justifié par les règles budgétaires européennes. Pourtant, ces mêmes règles sont contournées quand la volonté politique existe, par exemple face à la crise financière des années 2000, lors du Covid-19 (« quoi qu’il en coûte ») ou aujourd’hui pour financer la défense. Cela révèle une application des règles budgétaires « à deux vitesses », rigoureuse pour le social et l’écologie, flexible pour les intérêts économiques dominants.

Bien que n’étant pas directement des mesures climatiques, des attaques contre le droit de manifester visent à réprimer les contestations sociales et environnementales

En parallèle, des attaques contre le droit de manifester et les libertés syndicales sont envisagées, incluant le retour de l’interdiction judiciaire de manifester, la fameuse « Loi Van Quickenborne » que le gouvernement Vivaldi avait dû abandonner suite à la pression d’un front syndical, environnemental et associatif. Mais aussi le renforcement des sanctions administratives communales et des menaces sur le droit de grève et la responsabilité juridique des syndicats. Bien que n’étant pas directement des mesures climatiques, ces attaques visent à réprimer les contestations sociales et environnementales, entravant la capacité des mouvements à pousser pour des politiques différentes.

Face à cette impasse, des alternatives existent et ont fait leurs preuves. Au lieu de miser sur un privé guidé par le profit, il est nécessaire d’investir massivement et publiquement. Cela inclut :

• Des transports publics réinvestis, sur le modèle du Luxembourg qui en plus les a rendus gratuits, ou des trains de nuit en Autriche, pour en faire une alternative crédible à la voiture individuelle.

• Une rénovation massive des bâtiments, gérée publiquement, idéalement rue par rue et quartier par quartier, à l’instar de l’initiative d’une banque d’investissement en Allemagne ou du parc public de logements à Vienne.

•La socialisation et la réappropriation publique et démocratique des outils de production dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, pour orienter collectivement la production vers des objectifs écologiques plutôt que le profit privé.