Alerta Arizona n*10 – Retrouvez les opinions enflammées contre le désert social de De Wever et Bouchez de notre série Alerta Arizona

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » Montesquieu résume en une seule phrase l’importance de la séparation des pouvoirs au cœur de notre démocratie. Une démocratie en bonne santé est donc une démocratie qui soutient ses propres contre-pouvoirs. La séparation des pouvoirs, le débat contradictoire et les contre-pouvoirs : ONG, syndicats, partis politiques, sont l’expression de la vitalité de notre démocratie.
Mais ces dernières années, nous glissons dangereusement vers un espace de plus en plus restreint pour notre droit à protester. L’accord de gouvernement contient de nombreuses dispositions qui pourraient limiter des droits essentiels comme la liberté d’expression ou le droit au rassemblement pacifique.
Il y a deux ans, un projet de loi porté par l’ex Ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (OpenVld) prévoyait la mise en place d’une interdiction judiciaire de manifester, sous prétexte qu’il fallait trouver le moyen d’écarter les fauteurs de troubles au sein des manifestations de masse. C’est la mobilisation de la société civile qui a sensibilisé l’opinion publique aux dérives potentielles, et forcé le gouvernement à faire marche arrière. L’argument principal étant qu’en réalité la Belgique dispose déjà de l’arsenal juridique pour punir les responsables de délits. L’Institut fédéral des droits humains, dans un avis limpide, mettait d’ailleurs en avant dix raisons expliquant en quoi cette mesure est inutile et dangereuse.
L’accord de gouvernement contient de nombreuses dispositions qui pourraient limiter des droits essentiels comme la liberté d’expression ou le droit au rassemblement pacifique.
Le gouvernement Arizona remet cette proposition de loi sur la table et propose d’étudier de nouveau dispositif comme la reconnaissance faciale. Comment ne pas craindre de nouvelles érosions de nos droits fondamentaux ? Une fois qu’une technologie est installée, le risque de glissement des finalités est bien réel. Comment dans une manifestation de masse, vérifier qu’aucune personne frappée d’interdiction judiciaire ne s’y trouve si ce n’est via un contrôle massif des personnes présentes ou l’utilisation de technologies de surveillance attentatoires à leur droit à la vie privée ?
Plus récemment le Ministre de l’Intérieur a mentionné qu’un projet de texte est en cours de rédaction pour donner un cadre juridique à l’interdiction et dissolution des organisations jugées radicales. Il souhaite se baser sur des critères objectifs pour pouvoir envisager une interdiction administrative de dissolution de personnes morales ou d’associations de fait. Or l’article 27 de la Constitution belge prévoit la liberté d’association. Elle n’est pas absolue et peut être soumise à des restrictions. En ce sens, tout en garantissant la liberté d’association, celle-ci ne peut inciter à la discrimination, à la haine, à la violence et l’association ne peut permettre des activités illégales comme le blanchiment d’argent ou le trafic de drogue. Si tel est le cas, ses activités peuvent être interdites. A nouveau, comme pour l’interdiction judiciaire de manifester, un cadre supplémentaire n’est pas nécessaire.
Par ailleurs, les termes flous entourant le droit de grève ainsi que l’intention de brider la communication des mutualités car elles auraient une propagande partisane sont inquiétants. Concernant le droit de grève, il pourrait être sérieusement mis à mal à travers plusieurs dispositions si seules les actions faisant l’objet d’un préavis de grève en bonne et due forme étaient reconnues comme étant légales, ce que pourrait sous-entendre l’accord de gouvernement. Les mutualités, quant à elles, sont indépendantes des partis politiques et elles réalisent un travail d’analyse et de communication sur l’accès aux soins de santé. Imposer la neutralité politique absolue aux mutualités revient à nier leur rôle historique et démocratique dans le débat public.
Il est difficile de trouver dans l’histoire un progrès obtenu sans pression citoyenne.
L’Arizona veut également attribuer la personnalité juridique aux organisations syndicales. Officiellement, par souci de transparence et d’équité. Le véritable enjeu est de dévoiler les caisses de grève et de pouvoir éventuellement leur rendre une facture et anéantir la marge d’action des syndicats. Le Conseil d’Etat est formel : il s’agit d’une violation grave des libertés syndicales.
Ces attaques de l’Arizona de l’Etat de droit participent non seulement à l’érosion de ce dernier mais s’inscrivent dans une criminalisation des mouvements sociaux. Et s’il y a une criminalisation croissante aujourd’hui c’est que les mouvements sociaux dérangent sinon personne ne s’en préoccuperait. Ces mouvements sociaux obtiennent des progrès et il est même difficile de trouver dans l’histoire un progrès obtenu sans pression citoyenne. Sans grève des ouvriers et ouvrières nous n’aurions pas de système de pension, sans mouvement de libération des femmes nous n’aurions pas de droit de vote pour les femmes ou de droit à l’avortement, sans les activistes protestant contre les essais nucléaires, les essais ce seraient poursuivi en Alaska. Faire pression c’est le moyen que nous avons en tant que citoyen pour nous faire entendre et faire progresser la société et c’est un témoin vital de notre démocratie. Il est temps que l’Arizona s’en rappelle.