Dans son livre Enfin libre: Grandir quand tout s’écroule, qui tient à la fois des mémoires et du bildungsroman, Lea Ypi brosse un tableau honnête du régime autoritaire de l’Albanie communiste, mais également cinglant de la thérapie de choc dévastatrice imposée à son pays au nom de la liberté.

Ypi raconte en détail comment le tissu social de son enfance a disparu avec l’esprit d’entreprise du kleptocapitalisme.
La nuit où j’ai lu le livre brillant et émouvant de Lea Ypi, Enfin libre: Grandir quand tout s’écroule, je mangeais dans une célèbre pizzeria de Belgrade avec deux femmes serbes d’une quarantaine d’années. Comme Ypi, elles étaient adolescentes pendant les dernières convulsions du socialisme d’État européen du vingtième siècle. L’une d’elles était encore en secondaire, l’autre était en première année à l’université lorsque le pays dans lequel elles sont nées et ont grandi a implosé.

(Lux Éditeur, 2020).
Autour d’un verre d’Orangina, la plus jeune, qui vit à l’Ouest depuis plus de 20 ans, me raconte: «J’étais à Novi Sad quand la guerre a éclaté. Mon père avait 49 ans, juste encore assez jeune pour être mobilisé. Il devait distribuer les lettres de conscription aux hommes de notre quartier. Mais il n’a pas pu le faire.»
«La plupart des garçons de ma classe sont entrés à l’armée», me dit la seconde dans un anglais approximatif. «Ils ont été déposés par hélicoptère avec des kalachnikovs dans une zone reculée. Beaucoup ne sont pas revenus.» «Tout est allé si vite. On a commencé à tuer nos amis. Ce n’est pas la liberté à laquelle nous nous attendions», poursuit la plus jeune.
Ypi confie sa frustration concernant l’aveuglement des socialistes occidentaux autoproclamés, qui refusent de reconnaître que les expériences socialistes ont également eu des effets positifs.