Alerta Arizona n*9 – Retrouvez les opinions enflammées contre le désert social de De Wever et Bouchez de notre série Alerta Arizona

Dans les dépôts et les entrepôts des grands magasins, le chargement des marchandises se fait jour et nuit. Et ceux qui travaillent la nuit perçoivent une prime. C’est un travail dur, et la prime de nuit est une compensation pour le sacrifice de leur vie de famille et de leur santé. Or, le gouvernement Arizona a annoncé vouloir progressivement supprimer les primes de nuit pour les heures prestées entre 20h et minuit et entre 5h et 6h dans les dépôts.
Pour bien comprendre la mesure, il faut d’abord établir les montants en jeu. Actuellement, un travailleur de nuit au salaire minimum dans un dépôt du commerce alimentaire gagne en moyenne 3 045 € brut par mois, auxquels s’ajoutent 30 % de primes de nuit, soit 913 € (en comptant un horaire de travail 22 h-6 h du matin). Pour un tel travailleur, une perte de trois heures de primes de nuit fera passer ses primes de 913 € à 571 € par mois, soit une perte de 343 € par mois. Sur toute l’année, la perte liée à cette réduction des primes de nuit sera équivalente à plus d’un mois de salaire brut, primes comprises.
Ouvrier logistique | Salaire minimum | Barème supérieur |
Salaire mensuel 2025 | 3.045 € | 3.797 € |
Prime de nuit actuelle (sur les heures 22h-6h) | 913 € | 1.519 € |
Prime de nuit Arizona (sur les heures 24h-5h) | 571 € | 949 € |
Perte avec système Arizona | – 343 € | – 570 € |
Calculs sur un ouvrier de la CP119, 12 ans d’ancienneté, catégorie 4, entreprise de +50 travailleurs, dépôt de frais |
Cet exemple se base sur un travailleur au salaire minimum, mais la plupart ont des salaires plus élevés. Ainsi, un travailleur de nuit avec un barème supérieur (par exemple chez Delhaize) gagne 1519 € par mois de primes de nuit (40 % du salaire). Pour lui, la réforme Arizona fera perdre 570 € par mois soit environ 7 380 € par an (en tenant compte du 13e mois et du pécul de vacances). Pour lui, la perte annuelle sera d’environ un mois et demi de salaire brut, primes comprises. En net, c’est quatre à cinq fois plus que ce que la réforme fiscale voulue par l’Arizona pourrait rapporter à ce même travailleur, si elle a bien lieu (1200 € net). Un tel décalage met un coup dans l’aile au discours affirmant vouloir mieux rémunérer le travail.
Officiellement, la réduction des primes de nuit ne devrait avoir lieu que dans le secteur de la distribution et les activités connexes. C’est, selon l’accord gouvernemental, un coup de pouce pour les entreprises qui se lancent dans l’e-commerce et qui doivent préparer les livraisons la nuit. Toutefois, il s’agit d’un bien mauvais prétexte. D’abord, si l’e-commerce a du mal à se déployer en Belgique, ce n’est pas parce que les travailleurs de nuit coûtent trop cher. C’est parce que les géants du commerce ont manqué de vision et ont raté le train de l’e-commerce il y a plus de 20 ans quand les grandes plateformes européennes se sont lancées (Bol.com et Coolblue en 1999 par exemple). Aujourd’hui, ces grandes plateformes capitalisent sur leurs effets d’échelle. Le présumé retard belge n’a que peu à voir avec le montant des salaires payés.
D’un point de vue sociétal, le travail de nuit est une pratique qu’il faut limiter. Le monde du travail s’est longtemps battu en ce sens.
Ensuite, la plupart des travailleurs qui vont voir leurs primes de nuit réduites ne travaillent pas pour l’e-commerce. Dans un dépôt alimentaire, moins de 5 % des travailleurs travaillent pour de l’e-commerce. Or, 100% d’entre eux vont voir leurs primes de nuit réduites. Dès lors, il est difficile de croire l’argument selon lequel la baisse des primes de nuit va favoriser l’e-commerce. Elle vise plutôt à jouer Robin des bois à l’envers : réduire la rémunération des travailleurs de nuit, ce qui accroîtra la richesse des propriétaires des entreprises du même montant.
Ce transfert, s’il a lieu avec succès dans le commerce, ne manquera pas de se répliquer ailleurs. Dans la version actuelle des textes discutés au gouvernement, il est possible d’étendre la liste des secteurs affectés par la mesure par un simple arrêté royal.
Enfin, rappelons que l’accroissement du travail de nuit n’est pas une évolution souhaitable. Ce dernier déstructure la vie de famille et crée des problèmes de santé. Les études montrent même que les travailleurs de nuit développent davantage de cancers.
D’un point de vue sociétal, le travail de nuit est une pratique qu’il faut limiter. Le monde du travail s’est longtemps battu en ce sens. Ces démarches ont mené à l’interdiction de principe du travail de nuit par la loi il y plus d’un siècle. Au fil du temps, de nombreuses dérogations à l’interdiction de principe ont été introduites, mais uniquement si l’employeur et les syndicats arrivent à se mettre d’accord sur des compensations, par exemple sur le temps de repos ou les primes de nuit.
Aujourd’hui, plutôt que réduire ces dernières, il faudrait plutôt réfléchir à comment mieux encadrer le travail de nuit, à investir dans la santé au travail, et à rémunérer correctement celles et ceux qui font ce métier difficile, plutôt que de les faire payer pour enrichir leurs employeurs de quelques millions supplémentaires.